Chapitre Troisième,
Terre, Elabora, 3125 ap.G.-T.
Les Larmes de Cristal
Ils se trouvaient toujours dans l'immense chambre de Lake. Fait rare, le Duc Rouge souriait.
- L'effacement mémoriel réglera tout cela, n'est-ce pas mon garçon ?
Le sourire se transforma étrangement, comme s’il préparait quelque chose. Lake reconnu le sourire de son grand-père dans les traits fins de son père. William lui avait annoncé la nouvelle hier. Aldous prévoyait d’avoir recours à la science amnésique afin de régler les problèmes nocturnes de son fils. Pourquoi s’embêter à extirper les racines quand un simple coup de hache pouvait couper l’arbre de ses souvenirs ? Lake n’avait pas la réponse.
Une peine immense lui cisailla le cœur. Il ne voulait pas oublier Audwyn, le seul homme de la famille Lycoris qui avait su gagner son admiration. Son souvenir lui était très précieux, comme un trésor que l’on cache à la face d’un monde attardé. Oui, oublier lui semblait trop facile. Certes certains de ces souvenirs le bouleversaient de douleur mais cette douleur lui rappelait que la relation qu’il avait eu avec cet homme défunt avait existé. Son nez maintenant sec, il s’autorisa à dévisager le Duc. Celui-ci fit scintiller ses canines dans un rictus mauvais. Lake pensa alors sans nul doute que son grand-père figurait à la tête de la liste des individus à supprimer de sa mémoire. Il réalisa avec suffisance que le terme même d’effacement était très présomptueux, même pour une planète aussi technologiquement prospère.
« Qu’ils enlèvent ma face, je reviendrai sur pile ».
La voix avait surgi de son esprit comme une fulgurance incontrôlable. Il reconnut les intonations chantantes de son grand-père tout en sachant pertinemment que nul autre que son cerveau n’en était à l’origine. Il n’avait pas parlé des voix à personne. Mieux valait que cela demeure un secret, qui disparaîtrait de toute façon, avec l’effacement.
Lake jeta un bref coup d’œil au réveil d’or posé pompeusement sur une étagère. Neuf heures. Son père et son cousin étaient partis régler les derniers détails avant leur décollage. William lui avait discrètement remis le traducteur de rêve avant de s'éclipser. Il avait donc le champ libre.
Lake n’était pas étranger aux voyages diplomatiques, mais il n’avait jamais été autorisé à voyager au-delà de la Voie Lactée avant aujourd’hui. Ce départ signait le début d’un fabuleux périple interstellaire qui, avec un peu de chance, le délivrerai de ses obligations d’héritier pendant quelque mois. Terre 33 était la plus éloignée des colonies terrestres et pourtant, grâce au Cristax, il ne leur faudrait que six mois pour arriver sur place. Il laissa néanmoins échapper un soupir d’amertume à l’idée de quitter la demeure familiale.
Le jeune homme se dirigea vers l’ancien bureau de son grand-père. A sa demande, tout était resté en l’état. Il aimait se retrouver seul dans cet endroit, les murs tapissés d'ouvrages s’étendaient comme autant d’étagères, de livres, de mots, de lettres qui reflétaient une miniature de l’immensité qu’avait dû constituer l’esprit de son grand-père. Le tapis d’orient qui recouvrait le sol dessinait la légende d’Icare, l’athénien qui avait voulu atteindre le soleil en se fabriquant des ailes faites de plumes et de cire.
« Souviens-toi de la flaque de cire, au contact des rayons solaires, la cire fondit et Icare tomba dans l’océan. Nous ne sommes que des Hommes. Petite Flaque tu m’écoutes ? Je reprends, nous ne sommes que des Hommes qui jouent avec des forces qui les dépassent. Souviens-toi de la flaque de cire ».
Lake ne put réprimer un sourire, la voix dans sa tête s’était souvenue du surnom que lui donnait son grand-père depuis qu’il était tout petit : Petite Flaque. Un surnom étonnamment affectueux pour un homme aussi terne en société. Lake admira avec attention le tapis, Icare avait connu un destin tragique, comme tous ceux dont on se souvient, se dit-il avec âpreté. Son grand-père avait découvert le Cristax et en avait lui aussi payé le prix. Seulement Lake ne s’en souviendrai pas. Il serra les poings, luttant en vain contre sa résignation maladive. Se mettre en colère ne résoudra rien, se répétait-il. Il détourna son attention de sa vaine colère en décidant plutôt d’admirer ce qui deviendraient bientôt les ruines oubliées de sa vie.
Le bureau en teck occupait le tiers de la pièce, l’encrier était sagement rangé à sa place et les tableaux holographiques flottaient dans leur immuable silence. Ce mélange d’ancien et de nouveau était un peu la signature du grand-père de Lake qui n’aurait jamais troqué son encrier pour un simple stylo bic. Pas un bruit, seulement la parole lointaine de son père donnant des ordres. Lake s’approcha de la fenêtre qui offrait une vue imprenable sur Elabora, la soi-disant cité des dieux. Quand les Hommes commençaient à se prendre pour des Dieux, rien de bon ne pouvait advenir…Il appuya son front contre la vitre, laissant libre cour au fil de ses pensées. Lake aurait aimé ressembler à Icare et s’envoler pour fuir ce voyage qui le mènerai loin de la Terre. Il y eu un bruit mat, le traducteur de rêve venait de tomber de la poche de son jean, rebondissant violemment pour atterrir dans l’encrier. L’appareil se retrouva bientôt imbibé des résidus d’encre sèche qui pourrissaient là depuis plusieurs années. Une légère pression suffit à déclencher un mécanisme.
Une trappe s’ouvrit sous le bureau laissant apparaître un escalier de verre s’enfonçant dans les profondeurs du manoir. Le jeune homme écarquilla ses yeux noirs. Un frisson d’excitation parcouru son corps et il s’élança avec curiosité vers les abîmes. L’escalier débouchait sur une immense pièce circulaire blanche et vide. A peine en eut-il franchit l’entrée que l’escalier disparu. Un soupçon de panique s’empara du jeune homme. Il déglutit avec difficulté, se demandant comment il pourrait sortir de ce traquenard. Soudain, une voix synthétique, féminine et forte, résonna dans la pièce. Elle semblait émaner à la fois de partout et de nulle part :
- Nom ?
N'ayant pas vraiment d'autre option, Lake répondit, passablement agacé :
- Lake Ylias.
- Age ?
- Ni trop jeune, ni trop vieux !
- Origine ?
- Terrienne.
- Groupe sanguin ?
- B positif.
- Intensité du patrimoine génétique ?
- Faible.
- Analyse en cours…pas si faible que cela. Avancez !
Loin de lui l’idée d’avancer, Lake fit un bon en arrière alors que surgissait progressivement du sol une porte de lumière. Lake n’en fit pas même le tour, il savait que derrière, il ne trouverait rien. Le fils du Duc Lycoris n’avait en aucun cas prévu de passer les dernières heures qui lui restaient à vivre sur sa planète natale dans le sous-sol du manoir familial. Néanmoins, l’esprit espiègle et rassurant de son grand-père imprégnait chaque recoin de la pièce. Comment résister à cette envie irrépressible de comprendre ce qui s’était réellement produit ? Personne n’avait retrouvé le corps. Et Lake n’avait pas accordé beaucoup de crédit à cette stupide histoire de suicide. En dix ans de recherches, il tenait là le premier indice qui le mènerait peut-être vers une réponse. Il rassembla son courage en fermant les yeux et se laissa absorber par la surface laiteuse.
« Petite Flaque, une vie de soumission vaut bien cet instant de folie ».
Une étrange sensation l’envahit comme une vague de lumière traversant son corps, l’emplissant pour une seconde d’une énergie intense. Au plus profonds de ses entrailles semblaient se produire des changements incroyables. Puis tout s’arrêta. Il atterrit sur son séant dans un endroit noir. Lake ne discernait rien. Ses yeux tentaient tant bien que mal de discerner quelque chose dans la pénombre étouffante. Inerte, Lake ne pouvait plus esquisser le moindre geste. Comme si…Comme si son corps avait été complètement anesthésié. Sauf, que son cerveau, lui, fonctionnait encore. Une lumière, d’un blanc éblouissant jaillit brusquement. Lake, se vit enfin, pieds et poings liés, couché dans un fauteuil de dentiste.
C’est alors qu’il remarqua la…chose.
Elle le regardait avec ses ignobles yeux rouges. Le droïde agitait ses tentacules d’acier à une vitesse incroyable. Un compte à rebours affichant deux minutes apparu sur un tableau holographique présent devant Lake.
Son esprit gagné peu à peu par l’endormissement s’affolait. Comment allait-il pouvoir s’extirper d’une telle situation ? Il était évident que cette machine n’était pas là pour lui servir une tasse de thé pendant qu’il lui poserait des questions sur son grand père. Mais qu’est-ce que j’espérais s’admonesta-t-il ! La chose synthétisait d’étranges mixtures à l’aide de milliers de microrobots incrustés dans les murs. Malgré lui, Lake pris un instant pour admirer la précision et l’audace que recelait un tel niveau de technologie.
UNE MINUTE QUARANTE-HUIT SECONDES
Lake se reprit, il devait trouver une issue, et vite, sinon qui savait ce que le droïde lui ferait une fois le mélange achevé. La chose aux yeux rouges lui implanta trois électrodes au niveau du torse.
UNE MINUTE VINGT-DEUX SECONDES
Sa respiration s’accéléra, ses yeux faisaient piteusement des allers-retours tentant de balayer la totalité de la pièce.
UNE MINUTE
L’étau se resserrait. Lake avait l’impression que plus il tentait de rester conscient, plus son esprit s’engourdissait. Il s’entendit hurler le nom de son grand-père mais sa bouche refusait de lui obéïr.
QUARANTE SECONDES
Maintenant l’air lui manquait, ses yeux se brouillaient. Un liquide chaud coula sur son visage. Du sang ? Non des larmes. Des larmes solides ? Des larmes de…de cristal ? Son corps se rigidifia soudain, sa vue se brouilla définitivement. Ne parvenait plus à ses oreilles que le cliquetis métallique des tentacules de son geôlier de fer.
Puis plus rien, son esprit s’enfonça dans le néant.
Quelques petites remarques :
« Certes certains de ces souvenirs le bouleversaient de douleur mais cette douleur lui rappelait que la relation qu’il avait eu avec cet homme défunt avait existé. » : répétition de douleur «… le bouleversaient de douleur, mais celle-ci lui… »
« Il pensa avec suffisance pensant que le terme même d’effacement était très présomptueux. » ici aussi, « pensa » et « pensant » se ressemble trop, et cela nuit au sens de la phrase
« Lake fit un bon en arrière, surgissant progressivement du sol, une porte de lumière se dessina au centre de la salle. » ici, j’aurai mis un « . » après « arrière » puis recommencé une phrase à « surgissant », parce que là, on a l’impression que c’est Lake qui surgit du sol.
(d’ailleurs, de manière générale, il manque quelques virgules par-ci par-là)
Merci pour tes remarques, la ponctuation est ma grande ennemie... Je fignole cela dès que j’ai un moment.
Pour le grand père de Lake, c’est de la SF donc bcp de surprises sont possibles, je ne dirai que ça 😋