Les Noces Imposées

Notes de l’auteur : Le grand passage de narration à propos de ce qui s'est passé entre Alissandre et Neïla, je me demande si ça ne serait pas mieux que ce soit Alissandre qui le dise plutôt que le narrateur.

Tandis que Neïla se retrouvait seul dans sa chambre à ressasser les derniers événements, Varad demanda audience auprès du roi de Nylos. Rien ne l’y obligeait, mais il désirait s’entretenir avec le souverain. Le roi le reçut dans son bureau, une pièce bien différente de celui de l’empereur, bien plus accueillante. Comme toutes les constructions nylosiennes, la décoration était faite de bois, depuis le sol de marqueterie dessinant des formes végétales complexes, jusqu'au plafond, les différentes essences offrant une multitude de tons aux notes chaleureuses. Varad jeta un bref coup d’œil et en apprécia la beauté, depuis les sculptures jusqu’au mobilier aux lignes fines et aux gravures rappelant la nature, les fenêtres en ogive voilées de soies arachnéennes, il apprécia le touché doux et velouté du fauteuil doré dans lequel le monarque l’invita à s’asseoir. C'était si loin du bureau de Sylas, sombre, métallique et froid à l'image de son propriétaire.

Varad ôta sa capuche et son masque, révélant son visage à son interlocuteur. Ici, il n’avait pas le besoin de maîtriser la couleur de ses iris, il n’usa donc pas de magie et laissa le roi le dévisager avant de prendre la parole. Le père de Neïla cherchait dans cet homme le visage du petit garçon courant derrière sa mère arborant un ventre rebondi lorsqu’ils étaient venus à son mariage. Puis quelques années plus tard, à la naissance de son aînée, et enfin la dernière fois lors de la venue au monde de Neïla puis le décès de Sorania. Il n’y avait plus grand-chose de l’enfant aux traits charmants et souriant. Il avait aujourd’hui en face de lui ceux d’un homme froid, aux lignes dures, presque émaciées, le petit garçon était devenu un adulte de haute taille comme tous les impériaux, mais il était intrigué par le regard écarlate. Pourtant, il était persuadé qu’autrefois, il ressemblait à ceux de sa race, d’un gris pâle cerclé de bleu. Ce que renvoyait cet individu l’intriguait. Ce qu’il savait des impériaux ne correspondait pas à l’esprit indépendant de sa fille. Il attendit que Varad s’exprime. Chacun observant l’autre, le silence se faisait pesant.

Après s’être jaugé, l’héritier se lança.

— Bien que notre arrivée soit intervenue de manière fort brutale, je viens vous présenter mes hommages et vous demander la main de votre fille, même si je sais qu’un refus ne changera rien. En réalité, je suis étonné, car vous semblez ignorer tout des accords passés entre votre épouse et ma mère.

— En effet, j’ignore de quoi vous parlez.

— Ma mère et votre femme étaient amies.

— Tout à fait, des amies d’enfance.

— Lorsque Sorania attendait Neïla, elle fit parvenir une missive à l’impératrice lui annonçant sa grossesse. Je ne connais pas exactement ses motivations, mais il semblerait que la mère de Neïla avait pressenti les futurs pouvoirs de l’enfant à naître et les avait présentés à ma mère. Toutes deux décidèrent qu’elle deviendrait ma femme. Avant de mourir, ma mère m’a fait jurer d’honorer leurs vœux et de venir pour le vingtième anniversaire de votre fille.

— J’aurais aimé en être averti avant votre venue, j’aurais pu au moins en informer ma fille plutôt que cette manière de faire.

— Je le comprends, cependant l’empereur ignore tout de cela. Il croit que c’est une lubie de ma part et je préfère qu’il reste dans l'ignorance des faits. Il était risqué de vous en informer.

Varad sortit des plis de son vêtement un document cacheté qu’il tendit au roi. Il reconnut le sceau de la sorcière rouge, une image en filigrane sur du métal semi liquide, une technologie que seule la peuplade de l’amie de Sorania maîtrisait. Personne à ce jour n’était parvenu à l’imiter. Le courrier était écrit de la main de l’impératrice et contre-signé par Sorania. Le roi de Nylos parcourut la missive, confirmant les dires de Varad.

— Vraiment Sorania ne m’a rien dit de tout cela, je suis confus. Sans vouloir vous offenser… Neïla n’est pas faite pour vivre à la cour impériale, c’est une jeune femme indépendante, peu conventionnelle…

— Neïla sera une parfaite impératrice majesté.

— Permettez-moi d’en douter… je sais qu’il est trop tard, mais si vous m’en aviez parlé avant votre venue, je vous en aurais dissuadé.

— J’ai prêté serment et je ne suis pas homme à faillir à ma parole et surtout pas à trahir ma mère. Elle a donné sa vie et bien plus que cela pour cette idée qui vous semble farfelue, je n'avais pas le droit de rompre ma promesse.

— C’est tout à votre honneur, mais sachez que si Sorania était encore en vie, je me serais opposé à votre union. Je n’ai rien contre vous personnellement, mais je n’ai aucune envie de voir mes filles vivre à votre cour, pas plus que ma nièce. Comprenez que nos femmes choisissent qui elles veulent épouser, décident de leur existence. Varad, vous avez décidé pour elles, sans rien connaître de ces jeunes femmes, comme votre père et son père avant lui et tous vos ancêtres. Les impériaux volent les femmes partout où vous vous rendez comme de simples objets, or les femmes ne sont ni des objets ni des marchandises.

Varad ne releva pas les propos du roi, à quoi bon, il savait qu’il avait raison. Rien ne pouvait le faire changer d’avis et quand bien même, il le ferait, l’empereur les emmènerait quand même, au mieux, elles épouseraient un autre impérial, au pire, elles finiraient dans le gynécée, le lupanar impérial, à la merci du premier homme passant par là. Le souverain continua ce qu’il avait à dire.

— Je ne peux pas approuver ces unions et encore moins la vôtre, hélas ce qui est fait, est fait, rien ne pourra plus changer les choses. Je vais devoir laisser partir mes filles, ma nièce et toutes les femmes que les vôtres auront prises sans leur demander leurs avis. M’y opposer ne ferait qu’aggraver les choses, votre père laisserait derrière lui que désolation. Alors, soit, épousez ma fille… mais sachez que je préfèrerai la voir morte plutôt que de la savoir entre vos mains !

Varad resta de marbre bien que ces mains se crispèrent de rage sur ses cuisses. Il encaissa l’insulte, si son interlocuteur avait été tout autre que le roi de Nylos il serait mort avant d’avoir pu terminer sa diatribe. Il vrilla son regard sur celui du monarque et c’est d’un ton sec, plein d’autorité et de menaces à peine contenues qu’il ordonna au souverain de venir à la capitale afin de participer à ses noces avec la princesse Neïla, tandis qu’il se levait, s’apprêtant à quitter le bureau. Le père de la future épousée ne se donna pas la peine de le raccompagner et le regarda sortir, les sourcils froncés et fort mécontent.

 

****

 

Les nylosiens étaient connus pour leur esprit pacifique, de grands mages de la nature, mais qu’ils usaient à des fins philanthropiques. Bien qu’ils soient tout à fait capables de se défendre, leur but premier n’était pas guerrier. Ils vivaient en harmonie avec les éléments et les dragons qu’ils utilisaient pour se déplacer. Seuls quelques rares magiciens apprenaient l’art du combat et toutes formes de magie liées à la mort étaient proscrites, c’étaient pourquoi les pouvoirs de Neïla lui avaient été interdits. Son union avec cet impérial ne pouvait que faire ressortir de mauvaises choses…

Lorsque Varad était venu avec sa mère alors qu’il n’était qu’un enfant, Adhrogan avait senti la puissance de l’héritier, elle était là, à fleur de peau et ne demandait qu’à exploser. Déjà, malgré son jeune âge, le Nylosien avait deviné qu’il deviendrait un mage puissant… mais là, c’était bien au-delà de ce que le monarque s’était imaginé et le roi en cet instant craignit l’avenir… s’il avait su, il aurait tout fait pour empêcher tout cela, mais que ce soit Sorania ou la Sorcière Rouge aucune des deux ne lui avait parlé de ce projet immonde.
Adhrogan en cet instant bénit la décision prise des années plus tôt quand il ordonna à ses mages d’enlever tout pouvoir à sa fille. Au moins, elle ne pourrait être utilisée à mauvais escient.

 

****

 

Neïla avait besoin de s’évader, la mort de Savin lui pesait, elle ne réalisait pas encore qu’elle ne le reverrait plus. Malgré ses agissements qu’elle était endroit de lui reprocher, elle gardait néanmoins d’excellents souvenirs du jeune chasseur-sorcier. Et Alissandre, comment le jeune homme allait-il encaisser cette nouvelle ? Quelques jours avant son anniversaire, bien des choses avaient changé. D'un commun accord, ils avaient décidé de taire ce qui s'était passé. Chacun d'eux nourrissait de puissants sentiments pour l'autre. Ils s'aimaient d'un amour passionné et ce qui devait arrivé, c'était fatalement produit.  Les deux jeunes gens étaient allés voler à dos de dragons vers les cimes volcaniques pendant quelques jours. Seuls, sans autres humains qu'eux deux, ils s'étaient aimés, se donnant sans restrictions. L'amour qu'ils tentaient de réfréner depuis leur enfance avait jailli. Ils s'étaient jurés de nouveau un amour éternel... mais Alissandre était son cousin, et le père de celui-ci désapprouvait toute possibilité d'union et l'avait clamé de manière brutale alors qu'il n'était encore qu'un préadolescent.

À leur retour, Alissandre avait choisi de s'éloigner quelques jours et de revenir avec une décision à prendre. Soit, il allait à l'encontre de son père et demandait au roi d'épouser sa cousine ou il s'éloignait pour toujours.

Les souvenirs de leurs étreintes étaient par ailleurs un merveilleux souvenir qu'elle chérissait et une souffrance. Neïla essuya une larme du revers de la main. Elle observa les jardins par la fenêtre, elle aurait tant donné pour qu'Alissandre soit là. Puis, elle se changea et endossa ses vêtements de dragonnière, quand elle sortit du palais, Nidhügg, l’immense dragon noir, l’attendait sur la grande étendue herbeuse au pied de la tour aux dragons. Plus personne n’y prêtait attention depuis longtemps, tous étaient habitués même s'ils se gardaient d’approcher l’imposante créature.

Aller, grimpe petite fille !

Nidhügg…

L’animal battit lentement des ailes et s’éleva dans les airs avant de piquer vers l’horizon en direction des montagnes. La jeune princesse n’avait pas besoin de parler, il savait tout, ressentait toutes ses émotions, sa tristesse, sa rage comme son désespoir. Il fila à toute allure vers la forêt au pied des montagnes, lorsqu’il repéra une clairière, Nidhügg atterrit et attendit. Neïla s’étendit sur son cou et se laissa aller. Pour la première fois de la journée, ses larmes coulèrent. Elle laissa parler son chagrin, les dragons l’écoutèrent, partagèrent avec elle ses sentiments.

— Je ne veux pas rentrer, pas ce soir…

Bien que la nuit tombât, Nidhügg reprit son envol et s’en alla vers les hautes cimes de la montagne. Sa princesse avait besoin de faire son deuil, le palais n’était pas le lieu idéal, pourtant il lui faudrait retourner près des siens. Il comprenait qu’elle avait besoin de s'éloigner et de se retrouver loin des siens et encore plus des impériaux.

 

****

 

Le palais royal était en pleine effervescence, le corps de Savin venait d’être retrouvé et la princesse avait disparu. Le roi se doutait qu’elle était avec ses compagnons, il ne se faisait pas de soucis pour elle, du moins pas pour le moment. Il savait que le grand dragon et son zélok la protégeraient. Rien ne pouvait détruire une créature magique telle que Nidhügg, pas même la magie de ces maudits impériaux. Savait-elle que son ami… avait été assassiné ? Jamais ils n'avaient abordé le sujet ensemble, mais le roi savait tout des faits et gestes des deux jeunes personnes… et s'en imaginait bien d'autres. Il aurait tellement préféré qu'elle en choisisse un autre… il n'avait jamais compris pourquoi ni sa fille ni Alissandre n'en avaient rien dit, pourquoi ils n'en avaient rien fait.

Le corps du jeune homme avait été transporté au temple de la magie dédiée à la nature. Les magiciennes informèrent le père de Neïla que Savin avait été assassiné d’un coup d’épée et qu'une profonde blessure entaillait sa gorge, le meurtrier maîtrisait parfaitement sa lame et un seul coup avait été nécessaire. Hors peu de nylosiens employait une telle arme et la largeur de la plaie ne correspondait pas. D’autant plus qu’aucun d’entre eux n’avait intérêt à tuer l'ami d’une princesse royale, chasseur-sorcier de surcroit.

Décidément, tout allait mal. Sans compter qu’il fallait organiser ces maudites noces !

Le roi avait beau retourner ses tracasseries en tous sens, il ne trouvait aucune solution à ceux-ci. Être souverain et ne même pas pouvoir choisir avec qui ses filles allaient se marier, avoir ainsi le couteau sous la gorge lui déplaisait fort. Il avait les mains liées et choisir entre ses filles et son peuple était impossible. Il lui fallait se résigner. Le monarque allait et venait dans son bureau, s’asseyait, puis se relevait. Agacé, il fit appeler son secrétaire et lui dicta l’invitation pour le mariage de sa fille cadette, sa benjamine se marierait au palais impérial, de ce qu’il en avait compris son futur époux se trouvait sur quelques planètes en train de guerroyer. Sa petite Aëlys, encore une enfant, avec un de ces monstres, avec le général en chef des troupes impériales, le frère cadet de ce Varad. Il n’avait pas encore osé retrouver la reine, comment lui dire qu’il ne pouvait pas empêcher cette union avec sa seule enfant. Son épouse n’avait pu en avoir d’autre, elle était sans doute au trente-sixième dessous. Il n’eut pas besoin de se poser la question bien longtemps.

Varad quittait à peine le palais royal, que Alehna, la reine, entra dans le bureau de son mari, sa fille Aëlys derrière elle. Toutes deux avaient les yeux rougis, les paupières gonflées d’avoir versé trop de larmes. Adhrogan ne les avait pas vues depuis la veille, resté enfermé dans son bureau à répondre aux diverses sollicitations que la venue des impériaux et de l’empereur-mage avait provoqué. Le couple royal échangea un long regard douloureux, puis la petite princesse se jeta dans les bras de son père. Tous trois savaient que la situation leur avait complètement échappé. L’insouciance de la jeunesse était terminée.

— Où est Neïla ? hoqueta sa jeune sœur.

— Je l’ignore, sans doute partie à dos de dragon. Je suppose que vous avez appris la nouvelle…

— Quelle nouvelle ? demanda d’un ton inquiet la souveraine.

Aëlys fronça ses fins sourcils, ses lèvres tremblèrent, cependant elle ne prononça pas un mot. Le roi leur apprit donc la mort de Savin, foudroyé probablement d’un coup d’épée.

— Pauvre Neïla, elle doit avoir le cœur brisé, ce monstre qui détruit son avenir, son ami tué. Mais, qui a pu faire pareille horreur ? Savin lui a tout enseigné des dragons.

— Je l'ignore, ma chère.

Le roi s’affala dans son fauteuil, il se sentait si las. La reine lui prit la main et la serra doucement.

— C’est peut-être un de ces maudits impériaux… tu ne crois pas ?

— C’est possible, mais pourquoi ? Savin était la gentillesse personnifiée.

— Peut-être qu’il a fait quelque chose qui n’a pas plus à celui qui a choisi Neïla ? supposa sa jeune sœur.

— Varad ? Le futur empereur ?

— Le quoi ?

— Celui qui a décidé de votre sort à toutes trois, c’est Varad le prince héritier de l’empire. Ma petite Aëlys, tu vas devenir une princesse impériale…

— Je n’en ai rien à faire, je ne veux pas épouser une personne que je ne connais même pas.

La main d’Adhrogan se posa sur la joue de sa fille, la caressa d’un geste affectueux et lui répondit d’un ton triste et las.

— Si je pouvais l’en empêcher, aucune d’entre vous et aucune femme de notre peuple ne partirait avec eux… mais hélas je ne peux rien y faire. J'en suis désolé crois-moi.

— Mais, père… tu es roi, et…

— Il ne peut rien faire, ma chérie, l’empereur s’en prendrait à nous tous. Nous n’avons pas d’autre choix que de sacrifier le bonheur de notre fille pour le bien de notre peuple. Une guerre contre les impériaux nous serait fatale… nous ne faisons pas le poids contre leur technologie ni contre leur magie maudite.

— Mais nos mages ? Et, toi père, tu es un puissant sorcier, les dragons…

— Je ne peux pas Aëlys… ma magie n’est pas suffisante et nous avons banni toutes ces sciences occultes damnées… tous ces sortilèges de magie noire dont usent les impériaux.

— Mais Neïla… elle a ces pouvoirs… et la créature.

— Neïla n’a plus ces pouvoirs-là, j’en ai pris soin, et parfois la solution est pire que le mal. Que ferait-elle toute seule face à eux ? Crois-moi, il vaut mieux que tout cela se passe ainsi, un affrontement, même si nous étions victorieux, ne nous ferait que du mal. Je ne veux pas avoir tant de morts sur la conscience.

Les sanglots de la jeune princesse redoublèrent sur l’épaule de sa mère. Le couple royal était désolé face à leur impuissance.

— Je sais que cela sera une piètre consolation, mais nous serons là auprès de vous pour votre départ. Varad m’a ordonné de venir au palais impérial.

 

Le lendemain, très tôt le matin, tandis que le soleil n’était pas encore levé, le roi Adhrogan vit son neveu Alissandre. Dès qu’il avait appris les nouvelles, il avait pris le chemin du retour. Le jeune homme grand et svelte se présenta dès son arrivée, vêtu de son ensemble de dragonnier. Sans aucun doute, il s’apprêtait à retrouver sa monture, une dragonne musclée et des plus rapide. Un être sauvage que lui seul était parvenu à dompter grâce à sa patience et sa douceur.

— Messire, que puis-je faire pour vous être agréable ?

— Assieds-toi donc Alissandre nous avons beaucoup de choses à voir ensemble.

Le prince fronça les sourcils et prit le siège que lui désignait son oncle.

— Tu connais la situation actuelle…

— En effet, et…

— Tu penses bien qu’elle est loin de me ravir, mes deux filles et ta sœur vont partir sans que je puisse faire quoi que ce soit.

Alissandre baissa la tête, son cœur s’était brisé lorsqu'il avait appris la venue de ces maudits impériaux et que ce Varad lui ravissait la femme qu’il aimait plus que tout, sa chère petite sœur et celle de Neïla. Il avait eu tant envie de tuer ces démons, d’arracher les yeux à ce prince impérial pour avoir osé porter son regard sur Neïla. Il y avait des années qu’il combattait ces sentiments violents, il avait fait tant d’effort pour ne pas étrangler Savin dont il avait deviné les sentiments. Il supportait si mal l’idée que Neïla puisse en aimer un autre que lui jusqu'à ces quelques jours auparavant où il avait découvert que ses sentiments étaient toujours partagés, mais leur amour leur était défendu. L'idée de la perdre le révulsait.

La main du roi prit la sienne et la serra doucement.

— Alissandre… j'abdiquerai bientôt, et j’ai choisi mon successeur, tous attendent que ma fille aînée me succède. Cependant, je sais qu’elle n’est pas faite pour cela, il lui manque le cœur nécessaire à ce poste. Mon cher neveu, j’aimerais que tu deviennes le roi de Nylos.

— Moi ? Mais…

— Oui toi… et dis-moi, je sais que Neïla et toi étiez très proches depuis votre enfance, je n’ai jamais compris pourquoi tu n’es jamais venu me demander sa main… j’ai été très surpris quand j'ai appris sa relation avec divers amants, et peut-être avec Savin. J’ai toujours pensé que vous vous marieriez tous les deux. Il suffisait de vous regarder pour voir la force de vos sentiments…

Alissandre écrasa une larme sur sa joue… et fit un effort surhumain pour répondre au monarque. Sa voix n’était plus qu’un souffle.

— Je ne comprends pas…

— Que ne comprends-tu pas ?

 

Alissandre lui narra alors toute la vérité de ce qui s’était passé treize ans plus tôt... et le fait qu'ils soient devenus amants lors de leur dernière escapade. Neïla avait alors sept ans et lui dix. Il arrive parfois que des enfants tombent amoureux et c’était ce qui s’était passé. Alissandre et Neïla s’aimaient vraiment, tous deux n’envisageaient leur avenir qu’ensemble. Ils s'étaient avoué leurs sentiments, et s’étaient juré une fidélité éternelle… puis les années étaient passées. Quand elle avait eu dix ans et lui treize, ils avaient organisé une petite cérémonie comptant sa sœur Saura, Fina et Aëlys les deux sœurs de Neïla. Ils étaient allés dans la forêt près d’un ancien autel où il y avait encore des cérémonies de temps à autre. Les deux enfants s’étaient liés comme l’auraient fait des adultes, Fina comme fille du roi avait présidé et avait prononcé les incantations qui faisaient d’eux un couple. Les deux enfants avaient échangé leurs anneaux de bois dans lesquels leurs noms avaient été gravés et scellés de magie. Ils s'étaient ensuite enfoncés dans la forêt et avaient « consommé » leur union. Ils n’étaient certes que des enfants, la consommation charnelle n’avait pas été réelle, Alissandre avait bien trop de respect pour celle qu’il vénérait pour lui faire quoi que ce soit. Les deux enfants s’étaient allongés sur l’herbe drue à l’ombre d’immenses arbres et avaient échangé un chaste baiser. Alissandre lui avait fait le serment de l’aimer jusqu’à leur mort. Dès qu’ils se retrouvaient seuls, Alissandre la prenait dans ses bras et lui disait combien il l’aimait. Il adorait voir ses joues s’empourprer, ses yeux briller de joie… et un jour, il y avait vu tant de larmes. Il avait brisé leurs cœurs à tous deux. Il savait que Neïla lui en avait grandement voulu. Lui, il l’avait vu devenir une adolescente puis une jeune femme pour laquelle il se consumait littéralement. Pour qui il aurait fait n’importe quoi. Il ne se passait pas une journée sans qu’il ait envie de lui hurler qu’il l’aimait plus que tout. Mais, il ravalait ses larmes, son désir, son amour et il tournait les talons. Toute cette frustration, ces cœurs déchirés parce que le père d’Alissandre s’était mis dans une colère noire lorsque son fils lui avait dit peu de temps après leur union qu’il avait épousé Neïla.

— Mais, tu es fou mon pauvre fils ! On n’épouse pas sa cousine ! Je te l'interdis ! Jure-moi que tu ne l’as pas touché ?

— Mais…

— Cet amour est contre-nature !

Son père, pour rien au monde, ne lui aurait avoué qu'il ne voulait pas de Neïla à cause de ce qu'elle était.

 

Le roi écouta sans interrompre un seul instant son neveu. Il garda le silence encore quelques secondes après le dernier mot du récit d’Alissandre.

 

— Tu aurais dû venir me voir… je suis le roi et j’aurais béni votre union. Tant de choses gâchées à cause de mon imbécile de frère. Si tu étais venu me voir, j’aurais officialisé votre union, même si vous étiez très jeunes, et quand Neïla aurait eu seize ans, vous auriez pu confirmer ou non votre choix. Aujourd’hui, elle serait ta femme. Je suis tellement navré pour vous deux, tant de souffrances qui auraient pu être évitées. Si j’avais su, nous aurions eu cette discussion il y a des années.

— Peut-être, pourrions-nous évoquer cette union pour qu’au moins Neïla ne parte pas, demanda Alissandre avec un vain espoir.

Sur ces mots, il sortit de sa chemise, une cordelette à laquelle un anneau de bois pendait. La magie puisait dans la force de ses sentiments, elle scintillait le long des fibres végétales.

Adhrogan ressentit une boule à l’estomac… Une fois de plus Alissandre allait souffrir.

— Je suis désolé, je ne peux évoquer cela, ma fille n’avait pas l’âge requis pour sceller une telle union, si Fina avait eu quinze ans, ç'aurait été le cas.

— Les impériaux ne le savent peut-être pas…

— On peut toujours essayer, mais j’en doute fort… Varad n’est pas du genre à laisser passer le moindre détail… en plus cette union était le vœu de leurs mères à tous deux.

— La mère de Neïla voulait la donner à ce… Mais elle est morte ! Mon oncle, je vous en prie…

— Nous allons essayer… mais nous devons aussi leur annoncer que tu seras le futur roi si tu le veux bien.

— Oui, c’est un si grand honneur.

— J’attends ce Varad qui devrait arriver d’un instant à l’autre, j’aimerais que tu restes à mes côtés. J'annoncerai bientôt mon abdication, le temps de te former, de tout régler et d'ici à six mois, tu seras le nouveau souverain.

— Bien mon oncle !

— Tu représenteras Nylos, ne l’oublie jamais.

Sur cet entre-fait, Varad entra dans le bureau royal, surpris d’y trouver également Alissandre. Ce dernier serra les poings et le salua juste d’un mouvement de tête. Le souverain annonça tout d’abord qu’il abdiquait en faveur de son neveu.

— J’ai donné bien assez de temps à Nylos, il est venu le moment où ma famille doit passer en priorité. Je serai l’ambassadeur auprès de l’empire.

Varad comprenait très bien les motivations d’Adhrogan… il ne put retenir un léger sourire, quant à Alissandre bien qu’il soit jeune, il ne doutait pas un instant que si le roi l’avait choisi ce n’était pas sans raison. Cependant, il fut bien surpris quand ce jeune prince s’adressa à lui.

— Prince Varad, j’ai l’honneur de vous annoncer que votre union avec la princesse Neïla est impossible.

— Et pourquoi donc ?

— Parce qu'elle est ma femme !

— Pardon ?!

Varad sentit l’agacement poindre.

— Vous avez fort bien entendu, Neïla est ma femme depuis dix ans.

— Ah oui ? Elle n'en a rien dit et je pense qu’elle s’en serait empressée si cela avait été le cas… depuis dix ans… J’ignorais que les nylosiens se mariaient si jeune, fit-il, non sans une pointe de sarcasme. Je suppose aussi que vous avez consommé ledit mariage… et qui donc a noué ces liens ? Je serais bien curieux de le savoir, car personne ne m’a paru au courant avant cet instant.

Alissandre sortit de nouveau l’anneau où leurs noms étaient inscrits.

— Nous avons échangé nos vœux, il y a en effet dix ans, et le mariage a été consommé. Il savait très bien que Neïla n’était plus vierge et Varad ne pouvait pas affirmer qui avait défloré la jeune princesse.

Varad éclata de rire, les vœux de deux enfants…

— Qui a donc lié votre union, vous ne m’avez pas répondu et où est le document attestant la véracité des faits ? J'ignorais que les nylosiennes avaient plusieurs maris, à moins que votre chère épouse ne vous ait trompé avec ce petit chasseur-sorcier.

Alissandre eut toutes les peines à garder son calme tant il avait envie de sauter à la gorge de son adversaire.

— C’était Fina…

— Fina, vous dites… mais elle n’avait que quatorze ans… C’est bien essayé, mais voyez-vous, je me fais un honneur de connaître les lois des lieux où je me rends. Votre Fina n’était pas majeure et même si comme fille du roi, elle en avait le droit, elle n’avait pas l’âge requis. Votre union n’a aucune valeur et je vous déconseille de chanter sur les toits que Neïla vous appartient et que vous l’avez possédé, cela pourrait irriter mon impérial de père… Je lui ai déjà sauvé la vie une fois et celle de votre famille et même peut-être de votre peuple en tuant ce Savin qui se montrait beaucoup trop entreprenant. Neïla sera ma femme, la future impératrice, que cela vous plaise ou non ! À ce propos, où est ma fiancée ?

Le roi fit un mouvement de tête discret à l’intention d’Alissandre prêt à sauter sur Varad.

— Elle…

— Inutile de me mentir, je sais qu’elle n’est pas ici, ni dans cette cité. Je dirais même qu’elle est trop loin pour que je puisse exactement la situer, alors dites-moi où elle est !

— Je l’ignore… affirma son père, j'ignore où se rend ma fille. Parti avec son dragon très probablement.

— Et elle disparaît donc comme ça lui chante ? Écoutez-moi bien, je vous donne trois jours pour la retrouver et priez pour que mon père ne veuille pas la voir.

— Cinq jours… j’ai besoin de cinq jours pour la retrouver, j’ai peut-être une petite idée où elle se trouve, prétendit Alissandre.

— Alors emmène-moi avec toi !

— Impossible, les esprits-dragons s’y opposeraient, je ne peux pas vous y emmener, moi-même, je n’y suis que toléré.

— Soit… acquiesça Varad de mauvaise grâce. Cinq jours et pas une journée de plus. Dans cinq jours au soir, je vous attendrai dans le vaisseau de mon père, je vais m’arranger pour qu’une soirée officielle y soit donnée en l’honneur de ma future épouse. Je vous souhaite d’être là !

La menace était claire, Alissandre comme le roi l’avait très bien compris.

Avant de partir, le jeune nylosien vrilla son regard sur celui de Varad.

— Vous avez bien une sœur, il me semble.

— Oui, en effet, Zaerinn.

— Puisque vous me prenez Neïla, je l’épouserai donc !

Adhrogan et Varad, aussi surpris l’un que l’autre, en restèrent muets quelques instants. Puis, une fois la surprise passée, l’impérial demanda :

— Zaerinn ?

— Oui.

— Mais vous ne l’avez même pas rencontré.

— Et alors, vous êtes bien venu nous prendre nos femmes, je prendrai donc votre sœur !

— Qu'il en soit ainsi !

Varad ne pouvait guère refuser… Zaerinn, sa petite sœur qu’il chérissait. Il pointa un index agressif sur le thorax du prince nylosien et ajouta.

— Tu as intérêt à ne pas lui faire le moindre mal, je t’arracherais les yeux pour ça ! 

 

Lorsque le roi se retrouva seul après le départ de Varad et d’Alissandre, il s'interrogea ; quelles étaient les motivations de son neveu et lors du repas du soir, il lui demanda  :

— Mais pourquoi donc demander la main de la sœur de Varad ? Qu’est-ce qui t’es passé par la tête ? 

— Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre ! Perdre Neïla me tuera à petit feu. Il est hors de question que je puisse en aimer une autre. En tant que futur roi, il me faudra bien me marier, n'est-ce pas ⁣ ?

— En effet.

— Je refuse d’épouser une nylosienne que je rendrai malheureuse.  Neïla doit être dévastée, c’est ma manière de partager son infortune. Les femmes impériales ne peuvent enfanter, donc personne ne se demandera pourquoi nous n’avons pas d’enfants, il est hors de question que je la touche de toute manière. 

— Tu es complètement fou. N'est-ce pas une décision trop hâtive ? Inconsidérée ?

— Probablement, mais ce qui est fait, est fait ! Je ne peux plus revenir en arrière !

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Cléooo
Posté le 27/05/2024
Bonjour Nathy Lyall.

Je reviens ici pour découvrir ce quatrième chapitre, auquel, je t'avoue, je n'ai pas vraiment accroché. Pour répondre à ta question mise en notes, ce passage de narration m'a fait beuguer, mais alors pas parce que c'était de la narration. L'un ou l'autre pour le coup c'est ton choix, mais je reviens au contenu après :

Quelques remarques sur la forme :

"Je ne connais pas exactement ses motivations, mais il semblerait qu’elle présentait les capacités de son enfant, toutes deux décidèrent qu’elle deviendrait ma femme." -> je ne suis pas sûre de ce que tu veux dire par "présentait les capacités"

"Les nylosiens étaient connus pour leur esprit pacifique, de grands mages de la nature, mais qu’ils usaient à des fins philanthropiques. (...) Il avait senti la puissance de l’héritier, elle était là, à fleur de peau et ne demandait qu’à exploser. Déjà, étant enfant, il avait deviné qu’il deviendrait un mage puissant..." -> tout ce paragraphe, je n'ai pas compris pourquoi tu l'avais séparé du précédent avec "****" -> c'est toujours les pensées du roi qu'on survole ici, non ? Je ne suis pas sûre de l'intérêt de la coupure.

"Les souvenirs de leurs étreintes étaient par ailleurs un merveilleux souvenir qu'elle chérissait et une souffrance." -> répétition

"mais elle n’avait que quatorze ans" -> tu as indiqué treize ans juste avant

"en train de à guerroyer."
"Dès qu’il apprit les nouvelles, il avait pris le chemin du retour."
"que puis-je pour vous être agréable"
-> petites coquilles.

J'en reviens au passage de "l'histoire" entre les cousins.
"consommation charnelle n’avait pas été réelle" -> tout ce passage, je l'ai trouvé vraiment très glauque... les longs baisers tout nu à 10 ans, alors qu' on parle d'une gamine même pas adolescente... Dire qu'elle aurait voulu plus... Je trouve que c'est vraiment très cru. Je pense que tu voulais y donner un côté romantique, avec lui qui freine un peu la chose, mais de mon côté ça ne prend pas du tout, honnêtement je me suis sentie horrifiée en lisant ça. Si ça avait pris place alors qu'ils étaient plus âgé, ou que ça s'en été arrêté à l'échange de bagues à cet âge-là, ça serait mieux passé, mais donner une dimension aussi sexuelle à des enfants j'ai un peu de mal, d'autant que lui est quand même plus âgé : tu as adolescent à 13 ans, contre une gamine de 10 ans... On n'est vraiment pas sur le même rapport mental. Donc pour moi ce passage est un gros non.

"...Neïla vous appartient et que vous l’avez possédé, et j’en doute fort, cela pourrait irriter mon impérial de père… Je lui ai déjà sauvé la vie une fois et celle de votre famille et même peut-être de votre peuple en tuant ce Savin dont votre fille s'était amourachée."
-> deux choses ici :
- "j'en doute fort" -> je n'ai pas compris pourquoi il disait ça
- Neila était-elle amourachée de Savin ? C'était un ami, et après ce qu'il a tenté, sous les yeux de Varad pour le coup, je suis surprise qu'il dise ça.

"— Puisque vous me prenez Neïla, je l’épouserai donc !" -> je suis vraiment dubitative ici. Vite finie sa défense passionnée pour pouvoir rester avec Neila.
Au-delà de ça, c'est assez puéril (en effet, lui vit dans une société où ils peuvent épouser qui ils veulent, alors pourquoi irait-il épouser quelqu'un qu'il ne connaît pas ? Sinon pour faire "je le fais parce que tu le fais") et illogique que Varad accepte (de quel droit accepte-t-il, il n'est pas empereur ou décisionnaire, et pour quelle raison devrait-il accepter alors qu'il est si clairement en position de force ?). "Varad ne pouvait guère refuser", je ne suis pas d'accord, il était au contraire parfaitement libre de refuser. Si il peut forcer son chemin pour prendre la femme qu'il veut, qu'est-ce qui donnerait aux autres le droit d'agir de la même manière ?

Voilà pour mon retour sur ce chapitre. Je te souhaite une bonne continuation, et une bonne journée.
Nathy Lyall
Posté le 27/05/2024
Bonjour,

Oui tu as raison concernant leur jeune âge, je reverrai ça, même si on n'est pas chez les humains. Par rapport au choix d'Alissandre, ce n'est pas un caprice, c'est une façon pour lui de "soutenir" sa bien-aimée, comme elle va vivre une union pas désirée, il choisit de ne pas épouser une femme qu'il pourrait aimer c'est en soutien qu'il fait ce choix.

Je vais revoir ce chapitre. J'essaie de continuer l'écriture de ce roman, je suis au chapitre 20 depuis des plombes.


Merci de ton retour.
Cléooo
Posté le 27/05/2024
Pas de soucis :) Bon courage pour la suite!
Nathy Lyall
Posté le 28/05/2024
Pour la partie entre les ****, c'est un aparté, c'est pourquoi il est à part.
Nathy Lyall
Posté le 28/05/2024
Voilà j'ai revu ce chapitre.

Attends toi à avoir parfois des passages qui ne soient pas politiquement corrects.
Après ils servent l'histoire, c'est vrai que là c'était pas nécessaire.
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