Les pièces du puzzle

Par Rachael

Naelmo ouvrit les paupières sur le regard bienveillant d'un grand échalas, du genre adolescent trop vite monté en graine.

- Tu l'as échappé belle, chaton, dit-il d'une voix de basse qui ne collait pas du tout avec son physique.

Naelmo se sentait bien, la tête un peu cotonneuse, son corps alourdi de fatigue au chaud dans un lit douillet. Elle le détailla avec une curiosité distante, se demandant si elle rêvait encore.

Grand, ce gars l'était assurément, car alors qu'il était assis sur une chaise à côté de Naelmo, ses yeux fixés sur elle atteignaient une altitude inhabituelle. Surprenant ici, où tout le monde était petit. Son visage ovale à la peau basanée et à l'expression amicale était surmonté par une masse de cheveux bruns souples, coupés façon garçon sage. Un nez un peu fort surplombait une ample bouche rieuse aux dents blanches bien plantées. Son front haut était lisse, tout autant que le reste de son visage, toujours installé dans la rondeur de l'enfance, tandis que son corps était passé au stade adulte. Il était large d'épaules, mais maigre et un peu voûté, comme s'il n'avait pas encore réussi à déplier et à remplir sa carcasse longiligne. Impossible de situer son âge avec précision, d'autant que sa voix aurait pu appartenir à quelqu'un de beaucoup plus vieux, quelqu'un de mûr en tout cas. Un personnage improbable.

Elle concentra son esprit embrumé sur ses paroles. Échappé belle ?

- Pourquoi ? questionna-t-elle d'un ton incertain.

- Ton refuge dans la falaise, c'était l'antre d'un griffard, un gros reptile d'ici. Ils n'aiment pas beaucoup qu'on vienne déranger leurs œufs. Il leur arrive de se montrer assez vindicatifs.

- J'ai aperçu un animal là-bas, mais il était petit et amical. Et je n'ai pas vu d'œuf.

- Ils sont enfouis assez profondément dans le sable. Quant à ton visiteur, cela pourrait être un bébé de la saison passée, qui va quitter le nid dès que la nouvelle portée sera née. La bête adulte mesure deux mètres de long et s'agrippe à la roche avec des griffes affûtées comme des poignards. On les tolère près des villes, parce qu'ils s'attaquent aux rongeurs qui pillent les stocks de nourriture.

Il fit un geste comme pour signifier que tout cela n'avait pas grande importance et sourit, montrant un visage engageant et enthousiaste.

- Je t'ai récupérée, tu ne crains plus rien.

Récupérée ? Comment l'avait-il récupérée dans un trou inaccessible au milieu de la falaise ?

Il sourit avec amusement, comme s'il suivait son raisonnement. Naelmo sentit tout à coup une aura qui se déployait autour d'elle. Elle frissonna, comme effleurée par une petite bise glacée, en reconnaissant l'homme de la réunion secrète. Le majeur ! Impossible, ça ne pouvait pas être lui ?

Pourtant, inutile de nier que la présence pulsatile qui émanait de ce grand maigre, cette aura au magnétisme fascinant, correspondait en tout point à celle de son rêve. Il ne lui restait plus qu'à la réconcilier avec ce physique d'adolescent à l'air naïf... et avec cette voix profonde, qui apaisait sa respiration et l'enveloppait d'une douce tiédeur.

Il lui sourit gentiment et l'enflamma de son intense regard sombre. Comment des yeux pouvaient-ils projeter autant de chaleur, se demanda fugitivement Naelmo avant de s'y perdre définitivement.

- Tu n'as rien à redouter, lui assura-t-il. Dès que tu te sentiras mieux, je te montrerai ce que nous faisons ici.

- Où est Talie ? l'interrompit-elle avec alarme.

Pourquoi n'y avait-elle pas pensé avant ?

- Oh, elle va bien, n'en doute pas. Elle nous a quittés pour rejoindre votre père.

Soulagée, Naelmo ferma les paupières. Une infinie fatigue pesa aussitôt de tout son poids sur elle. Elle échoua à rassembler ses idées qui s'éparpillaient. Chancelant sur la crête incertaine qui sépare le sommeil de l'éveil, elle se laissa glisser le long de la pente douce.

 

****

 

Quand Naelmo se réveilla, la force affluait de nouveau en elle. Il ne restait plus trace de l'épuisement qui l'avait terrassée après ses exploits avec Missa ; seule une faim dévorante lui tordait l'estomac. Sortant de la chambre et remontant la piste d'une alléchante odeur de pain chaud, elle trouva la cuisine et le jeune homme, auquel elle pensait maintenant sans la terreur qui l'avait saisie la première fois.

Pendant qu'elle engloutissait en face de lui un petit déjeuner solide, il lui apprit qu'il se nommait Ezfra et qu'il avait tout juste vingt ans. Il était comme elle - ça, pas besoin de lui expliquer - et vivait quelque part dans les profondeurs d'Oolkyuth, dans un endroit qu'il allait lui faire visiter sans tarder.

Son enthousiasme était contagieux, son sourire enjôleur ; Naelmo se leva sans se poser de questions. Une hésitation la traversa : « est-ce normal de se sentir si confiante ? », mais la pensée passa sans s'arrêter puis s'enfuit. Troublée, elle secoua la tête, puis prit la main tendue du garçon et se laissa entraîner.

- Attends ! s'écria-t-il au sortir des couloirs qu'ils avaient parcourus.

Il la bloqua et, d'un geste joueur, lui cacha les yeux. Il la fit ensuite avancer de quelques dizaines de pas :

- Tadaaa ! Voilà notre petit refuge ! Bienvenue à Fael Thusall.

Naelmo découvrit un panorama qui la laissa sans voix. Debout sur un balcon naturel, ils dominaient un paysage très différent de celui de Tabarnt. Pour commencer, la lumière : la roche diffusait une lueur opaline, presque argentée, qui devait tenir à la structure de la pierre. Les cristaux la composant créaient des scintillements féeriques.

Plus étonnant, cette clarté soyeuse dévoilait une gigantesque cavité naturelle, qui aurait pu contenir un grand navire. À bâbord et à tribord, des falaises d'un blanc laiteux s'élevaient en se rapprochant, dessinant en creux une voile pointue démesurée dont le sommet se perdait dans les hauteurs. Des parois dégringolaient de vigoureuses cascades qui arrosaient une plaine couverte de végétation. On se serait cru dans un monde enchanté, issu tout droit d'un conte. Naelmo s'attendait presque à voir des lutins sortir des fourrés ou des fées lui passer sous le nez en battant des ailes.

Captant les pensées de la jeune fille, Ezfra rit en expliquant :

- Nous vivons dans une cavité naturelle. On estime qu'elle a été creusée, dans des temps immémoriaux, par une rivière souterraine qui s'est ensuite asséchée. Rien ne débouche à la surface. Ici, certains végétaux sont des reliques de ces époques anciennes, on ne les rencontre nulle part ailleurs.

Il lâcha un soupir théâtral :

- En revanche, désolé de te décevoir, chaton : pas de lutins ou de fées. Seulement quelques lézards, des insectes et d'autres petits animaux.

Naelmo se renfrogna. Elle n'aimait déjà pas trop qu'il lui rappelle que ses pensées étaient vulnérables, mais en plus si c'était pour se moquer des images naïves qui lui étaient venues à l'esprit, cela manifestait un réel manque de tact. Et puis, c'était quoi ce surnom familier ? Pourtant, à cause du paysage captivant ou peut-être du sourire bienveillant d'Ezfra, elle ne parvint pas à rester fâchée.

- C'est pour ça que tu nommes cet endroit un refuge ?

- Oui et non. Certes, nous veillons à préserver cette richesse naturelle ; mais je le qualifie de refuge parce qu'il n'est pas répertorié. Nous en avons appris l'existence par le géologue qui l'a découvert. Après nous être rendu compte du potentiel que cela nous offrait, nous l'avons persuadé de ne rien dire aux autorités.

- Attends, tu vas trop vite ! Quel potentiel ? C'est qui « nous » ?

Il balaya le paysage devant lui, d'un ample geste du bras :

- Je parle de la possibilité de fournir à quelques centaines de personnes un lieu pour expérimenter autre chose, une vie différente de celle imposée à Tabarnt ou dans les villes de cette planète. Dans une société où personne n'est laissé de côté, où tous s'épanouissent, où même les télépathes ont leur place.

Ses prunelles brillaient d'une gaîté communicative.

- Et « nous », eh bien, ce sont les gens autour de moi qui ont rendu cela possible.

 

****

 

Dans les heures qui suivirent, Naelmo visita une partie de la petite communauté et rencontra une multitude de villageois, auxquels Ezfra la présenta comme sa cousine. Au départ, cela la surprit, mais à son clin d'œil complice, elle réalisa vite à quel type de parenté il faisait allusion. Pourquoi pas ? se dit-elle. Si les télépathes comme eux étaient si rares, cela n'en faisait-il pas tous comme les membres d'une même famille ?

D'ailleurs, lui-même se comportait envers les autres comme un grand frère, une sorte de protecteur, que tous traitaient avec respect et affection. Cela impressionna Naelmo presque autant que tout le reste, comme l'apparente sérénité de tous ici ou leur affabilité à son égard.

- Je confie Naelmo à vos bons soins. Elle va séjourner quelque temps chez nous.

« Ravie de te rencontrer » ou « Bienvenue parmi nous » répondaient-ils tous avec gentillesse. Personne ne la questionna, ne demanda si elle était télépathe, comme son « cousin ». Naelmo se sentit tout de suite à l'aise, acceptée. Elle rencontra des individus de toute sorte, du boulanger qui prenait le frais devant sa boutique, au spécialiste de la maintenance des systèmes qui s'acquittait de toute la logistique du village. Elle s'aperçut vite qu'humains ordinaires et télépathes se mélangeaient ici, avec une aisance manifeste.

Les falaises étaient percées d'innombrables trous et passages, dont certains formaient un véritable réseau. C'est là que les occupants avaient installé leur village, un peu en hauteur, près d'une cascade qui leur fournissait une eau pure abondante. Ils vivaient sans luxe inutile, mais ne manquaient de rien : des machines rustiques et des technologies avancées coexistaient, selon un choix qui relevait à la fois de la nécessité et de considérations pratiques. On trouvait des pompes à eau mécaniques, fonctionnant grâce à la force du vent, couplées à des systèmes semi-intelligents autonomes qui géraient au mieux les ressources du hameau.

Personne n'habitait en bas, sur le sol de la vallée, excepté une mini-équipe de scientifiques qui inventoriaient et étudiaient les roches, la flore et la faune locales. Cela rappela à Naelmo son existence passée sur Hevéla, mais celle-ci semblait si lointaine qu'elle se demanda si elle était bien réelle ; ce n'était pas le moment d'y penser, en tout cas pas avec tout ce qu'il lui restait à découvrir ici.

Elle rencontra aussi les parents d'Ezfra, deux télépathes d'âge moyen qui occupaient des fonctions importantes dans le village ; celles-ci échappèrent à Naelmo, noyées dans la masse d'informations qu'elle recevait. Télépathes ordinaires, ils ne ressemblaient pas beaucoup à Ezfra.

Cette première journée, elle vit tant de gens que son cerveau finit par crier grâce, incapable de tout assimiler. En se couchant le soir à Fael Thusall, Naelmo se sentait pleine d'enthousiasme pour ce lieu extravagant. Sa tête était farcie d'explications, d'images, de visages. Cela présageait des jours passionnants ! Elle ressentit tout de même un peu d'appréhension, d'incertitude, sans en saisir les raisons. Comme si quelqu'un la tirait en arrière ou tentait de lui dire quelque chose. Cela restait vague, un murmure incompréhensible à son oreille. Elle se promit d'y réfléchir le matin venu, puis s'endormit.

 

****

 

Le lendemain, Naelmo n'eut guère le temps d'interroger ses états d'âme. La découverte de la cavité souterraine était au programme. Après la rencontre des habitants de la veille, Ezfra proposa de lui faire les honneurs de son royaume caché, et de lui expliquer le délicat équilibre qui en créait la magie.

- On s'envole ? suggéra-t-il.

Elle avança une main hésitante vers sa paume tendue en signe d'invitation. Ils se tenaient tout en haut du village, dans la demeure d'Ezfra. Elle avait élu domicile la veille au soir chez lui ou plutôt, il aurait été plus juste de dire qu'il l'avait invitée. Il ne vivait plus avec ses parents, mais régnait au sommet du bourg, dans un logement spacieux et agréable. Pour l'atteindre, il fallait gravir un escalier vertigineux, constitué de plusieurs volées de marches étroites taillées à même la falaise ou alors... planer, comme ils s'y étaient amusés tous les deux.

Il l'y invitait de nouveau ce matin.

- Personne ne s'étonne de te voir flotter en l'air ? questionna Naelmo, la main suspendue.

Elle avait été trop fatiguée la veille pour s'en préoccuper.

- Mais non, ici, chaton, il n'est nul besoin de se cacher.

Encore ce surnom... Naelmo avait l'impression que quelqu'un d'autre l'avait déjà appelée comme ça, autrefois... Qui ? La question lui trotta par la cervelle, mais n'éveilla pas d'échos. Elle revint à la conversation :

- Ils n'ont pas peur de tes « talents » ?

- Pourquoi auraient-ils peur ? Aucun n'ignore que j'utilise mes capacités au service du village et de l'intérêt commun.

Oui, c'était vrai, certainement... Pourtant Naelmo ressentit un pincement au cœur, comme si quelque chose clochait. Quoi donc ? Elle n'aurait su le dire...

Le rire clair d'Ezfra la détourna de ses pensées confuses.

- Viens ! Viens !

Elle mit enfin sa main sur celle - deux fois plus grande - d'Ezfra, et ils s'envolèrent le long des parois, en s'éloignant du village.

La vallée - ce n'était pas exactement cela d'un point de vue géologique, cependant elle y pensait ainsi - s'apparentait à un joyau de verdure enchâssé dans un écrin de nacre. Un petit vent constant entrait par le fond de la cavité, puis la traversait dans sa longueur après s'être gorgé d'eau en frôlant les grandes chutes. Il abreuvait les végétaux un peu trop éloignés des cascades pour profiter de leur humidité. Malgré l'absence de pluie, les plantes ne manquaient jamais d'arrosage, elles s'épanouissaient, rayonnantes d'orgueil, dans toutes les teintes de vert, ponctuées des points blancs, rose ou rouges d'innombrables fleurs.

Les gouttelettes échappées des cascades ou des arbres s'ébrouant sous la brise scintillaient sous la lumière argentée et animaient le paysage d'éclats changeants. Une fraîche odeur d'humus embaumait l'air humide.

- J'aime cet endroit, c'est si beau ! s'émerveilla Naelmo.

Elle était restée silencieuse d'instinct, pour ne pas troubler le chant de l'eau qui rebondissait sur les pierres et éclaboussait les intrus d'une brume rafraîchissante.

- Si ma vallée te plaît, tu peux y habiter avec moi. Nous protégerons tous ceux qui vivent ici, à deux, toi et moi.

Naelmo rougit. N'y avait-il pas quelque sous-entendu dans ce discours d'invitation ?

Il la regarda avec sérieux :

- Je peux t'attendre. Attendre pour partager avec toi plus que ce que tu es prête à offrir maintenant.

La chaleur monta un peu plus haut dans les joues de Naelmo.

- Ah, ah, tu auras beau attendre, je n'arriverai jamais à monter assez en graine pour te rattraper, plaisanta-t-elle pour désamorcer sa gêne.

Il sourit à sa boutade. Naelmo songea qu'elle avait vu juste, mais elle se rendit compte qu'elle ignorait quoi en penser. C'était un peu soudain, n'est-ce pas ? Enfin, même si elle avait l'impression de le connaître depuis toujours, cela ne faisait pas si longtemps qu'ils voguaient ensemble sur les courants de la vallée. Ou si ?

Elle fouilla dans sa mémoire, laquelle refusa obstinément de lui donner une date d'arrivée ici. Étrange...

- Depuis... depuis combien...

Elle commençait à poser la question en bafouillant de confusion, quand il continua :

- Oui, je sais, tu vas penser que c'est précipité. Pourtant je suis très sérieux. Les gens comme nous sont si peu nombreux, et si solitaires... Je suis prêt à prendre tout le temps qu'il faudra pour qu'on se connaisse mieux, et aussi pour te faire partager tout ce que je sais.

Cela paraissait généreux, et même inespéré. Naelmo avait encore tant à apprendre, ça, c'était certain. Pourquoi, pourquoi alors ressentait-elle cet embarras, cette gêne ? Parce qu'elle ne méritait pas ces honneurs ? Parce que c'était trop beau ? Pourtant, la sincérité d'Ezfra ne faisait pas de doute. Qu'était-ce donc qui la troublait ?

 

****

 

Au bout de quelques jours de plus, il sembla à Naelmo avoir toujours vécu ici ; les souvenirs des jours passés ailleurs devenaient des images délavées et floues, comme s'il s'agissait d'événements vécu par une autre. Ailleurs... Cet ailleurs auquel elle pensait distraitement, existait-il vraiment ?

Ezfra lui confiait des tâches qui lui faisaient parcourir le village ou la plaine. Elle aimait particulièrement traîner avec les botanistes qui travaillaient dans la vallée. Curieusement, elle ne se sentait pas mal à l'aise à la vue des perspectives horizontales de la plaine qui angoissaient les gens du village habitués aux lignes verticales des canyons.

Elle possédait un instinct sûr pour distinguer les végétaux de toute sorte, retenant avec facilité les noms de tous ceux qu'on lui indiquait. Les scientifiques étaient deux, inventoriant avec passion les espèces endémiques qu'on ne trouvait nulle part ailleurs. L'un d'entre eux, Manétouk, avec son visage fripé, ses cheveux gris et son teint bistre, lui rappelait quelqu'un qu'elle avait connu. Cela restait vague, le contour d'un visage dont le nom lui échappait...

Le soir, elle retrouvait Ezfra : ils exploraient ensemble, en frôlant les parois de cristal à des dizaines de mètres du sol. Ils partageaient leurs émerveillements devant une plante, un insecte, un filet d'eau qui dévalait des falaises assombries. Cette entente instinctive la comblait : jamais elle n'avait ressenti encore cette intimité entre deux esprits.

 

****

 

Installée dans cette vie agréable et satisfaisante, Naelmo perdit totalement le compte des jours. Elle connaissait chacun et chacune : des gens épanouis, contents de leur sort, attachants, préoccupé du bien-être de tous. L'harmonie qui régnait ici paraissait à peine croyable ; pourtant elle transparaissait jour après jour de manière concrète : tous s'entraidaient, les conversations gardaient toujours un ton amical, jamais échauffé ni agressif.

Ezfra était très occupé ; il disparaissait des journées entières. Malgré tout, il prenait régulièrement du temps pour enseigner mille et une choses à Naelmo. Comment extraire certains minerais précieux de failles inaccessibles dans la falaise ; comment accélérer le mûrissement des cultures vivrières dans les salles où elles étaient confinées - afin de ne pas contaminer la végétation locale -, tout cela grâce à un emploi subtil de leurs talents.

Il lui montra une façon encore bien plus satisfaisante de les utiliser, en soignant les blessures bénignes, comme des chevilles foulées, des membres cassés, ou des plaies. Ils rentraient au cœur de la matière, tâchaient de restaurer l'harmonie perdue de l'os, du tendon ou de la peau. Rien de comparable avec les réparations qu'accomplissaient les machines médicales, mais cela s'apparentait quand même à de petits miracles. À côté de ça, planer dans les airs paraissait enfantin et futile, même si cela aussi pouvait trouver un usage pour la communauté.

Naelmo s'épanouissait dans cette vie, elle assemblait enfin les pièces d'un puzzle qui ne s'étaient jamais encore emboîtées : ses dons n'étaient plus quelque chose de dangereux, à cacher, mais une partie d'elle à utiliser pour le bien et à la vue de tous. Et elle ne se réduisait pas à cela, elle excellait par sa mémoire et son intuition des végétaux de la vallée. Pour la première fois de toute son existence, Naelmo pouvait se dire complète, télépathe et humaine, telle qu'elle était. En toute honnêteté, elle aurait même affirmé qu'elle ne s'était jamais sentie aussi bien, n'eût été un vague malaise sans fondement, qui venait parfois la tourmenter au réveil.

Cela aurait pu durer longtemps si Ezfra ne s'était pas absenté plusieurs jours.

 

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