Les vieilles peintures dansent sous la pluie

Une chaise marquait la différence entre ceux qui parlent et ceux qui écoutent. Installée au centre de l'arène afin que les voix les plus fluettes portent jusqu'aux murs. A mon arrivée, un homme s'y tenait. Sa voix grave roulait sur la foule massée devant lui. On s'asseyait ou se tenait debout, sur un tonneau, une caisse où une veste étalée sur le sol. Tout son discours l'habitait, dans sa ferveur, toutes les richesses de l'Univers avaient pour même origine : la terre sous nos pieds. Une thèse intéressante qui me donna une idée.

Je quittais la maison étudiante en quête d'un trésor caché dans l'erg. Le désert caillouteux tapissait l'horizon et j'allais me présenter à lui le nez tourné vers mes bottes. Cent mètres de recherches plus tard et la voix d'Aurèl me sortit de mes pensées :

— Sahar ! Elle me trouva avec des pierres logées dans ma chemise. Mais qu'est-ce que tu fous !

— J'avais besoin d'échantillons.

— Des cailloux ?

Son regard s'illumina soudain.

— Tu vas enseigner ?

— Je ne sais pas faire grand-chose d'autre… Tu l'as dit toi-même, je suis une gosse de riche. Et enseigner, c'est ce que je fais de mieux.

Ma remarque lui décrocha un large sourire.

— Ce n'est pas exactement ce que j'ai dis mais…

Elle lorgna à nouveau vers mes trouvailles.

— Tu as ce qu'il te faut ?

Acquiesçant, je lui emboîtais le pas.

— Aurèl, où as-tu appris à te battre comme ça ?

Evidemment, je lui parlais de l'altercation avec l'agent de sécurité. De tout ce qui avait précédé et de tout ce qui suivit. Une seule seconde et elle m'apparut triste et vieille, puis son sourire revint, visage impeccable et une réponse toute faite en même temps :

— On apprend beaucoup de choses dans le coin. Il suffit de tendre l'oreille, d'observer…

— Tu vivais ici ? Avant, je veux dire.

— Pas exactement ici, fit-elle en me jetant un coup d'oeil. Mais une maison qui ressemblait beaucoup à celles qu'on voit autour. Grande, surpeuplée et plus riche en savoirs que toutes les cités lunaires de la galaxie.

— Rien que ça ! Par contre, ce n'est pas ici que tu as appris à construire un super-calculateur, non ?

— En effet, s’amusa-t-elle. Ici, on apprend des choses vraiment utiles.

Aurèl m'ouvrit la porte et nous étions de retour dans la maison. J'approchais la chaise laissée libre. Des visages curieux se tournèrent vers moi. Certains n'avaient pas quitté leurs places depuis la fin de la précédente conférence. Aucun n’imaginait qu'une autre personne allait se proposer pour une nouvelle session à cette heure tardive.

J'ai donc levé une main, une pierre grise visible.

— J'ai trouvé une pierre…

 

Après mon premier cours sur l'archéologie et comment l'histoire a commencé : la pré-histoire d’ailleurs, ce fut comme si toute la maison étudiante me souhaitait la bienvenue.

Tout à coup, nous ne manquions plus de rien. Channyr au départ très surpris par l'afflux de denrées, en était au point où il échangeait avec nos voisins les surplus contre d'autres éléments manquants. Aurèl et moi venions d'arriver à l'instant précis où il nous obtint un bocal d'amandes.

— Ils sont tous arrivés en même temps, dit-il tout sourire. J'ai donné pas mal de fruits et légumes, on ne peut pas vraiment tout stocker alors…

Comme pour le faire mentir, Aurèl commença aussitôt à écouler les stocks en mordant à pleine dents dans un fruit.

— T'aurais vu Sahar, dit-elle la bouche pleine. Captivante ! Plus personne ne parlait. Un truc de dingue ! Maintenant, je sais faire des pointes de lances en silex.

— Ce n'était pas vraiment l'objectif de mon cours, dis-je embarrassée par son éloge.

— Les savoirs ancestraux, continua-t-elle en allant s'asseoir dans le petit appartement. Les plus simples et les plus efficaces qui soient. D'ailleurs, je crois que les gosses sont allés chercher du bois. Ils vont fabriquer des frondes. Je vais aller les aider…

Captant mon regard scandalisé, elle se rattrapa :

— A ne pas se blesser !

A peine assise et déjà sur pieds, elle nous abandonna son fruit encore entre les dents.

— C'était une sacrée journée, fit Channyr.

Une journée qui méritait son lot de repos. Cette première nuit à la maison étudiante fut peut-être la pire et la meilleure à la fois. Je dormis peu mais profondément. L'euphorie et la peur luttaient dans mon ventre, j'étais incapable de savoir si je devais profiter de chaque seconde ou être terrifiée à l'idée que Samira puisse me retrouver…

 

 

Le lendemain, puis chaque jour qui suivit durant une semaine, je pris place au centre de l'arène à la même heure. Je leur parlais de l'écriture et des chiffres, des mythes et des croyances. Des premières roues en pierre aux premiers outils forgés… Jusqu'à ce qu'une jeune femme me fasse remarquer que toute l'Histoire de l'humanité ne pouvait pas se résumer seulement à ça : du commerce, des guerres et des richesses. J'étais d'accord avec elle. Le septième jour, je leur parlais de l'art. De pigments et de peintures faites avec un peu d'eau et quelques mains posées sur la roche d'une caverne…

Si la chaleur intense des derniers jours avait bien entamée les réserves d'eau, la pluie revint rapidement, les vents qui l'accompagnèrent mirent fin à mes sorties quotidiennes.

Channyr revenait de l'atelier où il donnait un coup de main, Aurèl sur ses talons.

— La tempête sera forte, dit-il aussitôt. On va bien fermer les volets. Pendant quelques jours faudra éviter de sortir.

Ils se mirent aussitôt au travail.

Un enfant se présenta à la porte l'instant d'après. Nous ignorant totalement, il cria :

— Tata ! Tata !

Aurèl se tourna vers lui.

— Quoi Neno, pourquoi tu cries comme ça ?

— C'est le gros gégé, répondit le garçon avec empressement, il crache et il fume. Faut-y venir, nan !

Il lui prit la main et elle n'eut d'autre choix que de le suivre.

— C'est qui le gros gégé, demandais-je à Channyr qui se lavait les mains.

— C'est quoi, plutôt. Le générateur. Il y en a un qui alimente le système d'irrigation et les sécurités autour des réservoirs.

— Oh…

— Énergie éolienne et solaire. C'est une antiquité mais ça leur suffit.

Il haussa les épaules en allant s'asseoir.

— On va avoir quelques jours pour s'ennuyer.

— Tout dépend quand on partira d'ici, dis-je.

Son regard se fit plus sombre.

— J'irai me renseigner après la tempête. Essayons de ne pas faire trop d'aller-retours, d'accord ?

J'approuvai. Il posa son regard sur la machine d'Aurèl sur la table basse.

— Tu as avancé ?

— Non, pas d'un iota. Je ne pense pas qu'on en saura plus avant d'aller à La Carène. C'est juste que…

— Je sais, dit-il. Samira à ta poursuite et cet endroit, ça fait beaucoup à encaisser.

Un silence pesant s'abattit sur nous. Il cherchait ses mots dans les objets épars de la petite pièce, n’osant me regarder trop tôt ou trop vite. Puis, enfin, il lâcha :

— Quand tu m'as parlé d'elle…

Il reprit son souffle avant de poursuivre. 

— Je vais être honnête. Je pensais que tu exagérais. Puis je t'ai vu à l'hôpital. Là encore, je me suis dit que ce ne pouvait pas être elle ou qu'il y avait une explication. Après tout, ça arrive de se disputer avec sa famille. Mais maintenant, elle t'envoie des gros bras…

Son poing martela la table.

— Qui sait ce qu'ils t'auraient fait !

Je réalisais brutalement que ma sœur me fera peut-être tuer, un jour. Si elle ne le fait pas elle-même… Jusqu'à aujourd'hui, je n'avais jamais osé ces mots en pensant à l'ire de Samira.

— Quand j'étais petite, commençais-je, elle se mettait facilement en colère.

Je n'aimais pas le regard qu'il me lança. Trop souvent, on m'a observée de cette manière quand j'osais parler de ma sœur.

— Il y avait une sorte de code tacite. Il y avait des choses que je ne devais pas faire ou dire. Si je franchissais la ligne, un seul mot pouvait...

C'était étrange d'en parler. Jamais on n'avait donné le moindre crédit à ce que j'allais exprimer en cet instant.

— Il y avait des moments où tout pouvait devenir un prétexte à une correction.

Persuadée qu'il ne me croirait pas, je ravalais ma frustration. Qui ose parler des siens de cette manière, n'est-ce pas ? Normalement, ces choses ne se font pas.

Même si Samira avait manqué de me faire tuer.

— Une correction ? Channyr eut un rire jaune. Quand ta sœur ou ton frère commence à s'imaginer qu'il a le droit de lever la main sur toi, ce devrait déjà être de trop.

Sa main se posa sur la mienne, j'étais réellement surprise de sa réaction.

Il me croyait.

Vivre dans l'ombre d'une sœur si belle, si aimée de ses proches, si sociable et à l'aise avec tout le monde, c'est encore pire quand cette personne vous fait du mal.

Car on n'a jamais voulu croire la petite Sahar quand elle disait qu'elle se faisait frapper : Samira n'aurait jamais fait ça ! Tu fabules Sahar ! Tu exagères ! Et puis, tu l'as sûrement mérité ! Ce n'est que rivalité entre sœurs, ça arrive Sahar. Arrête de dire n'importe quoi, Samira est quelqu'un de bien...

Channyr me serra contre lui et je sentis pour la première fois que quelqu'un m'avait entendue.

J'ai pleuré ce soir-là. Jusqu'à ce que la pluie le fasse pour moi.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez