L’espoir

Par Bruns

L’homme en noir, Tulsa 

31 mai 1921 

* * *      47      * * * 

Jim prenait son bain, après une fête bien arrosée. Il était paisible depuis qu’il vivait à Paris, passant plus de temps à sa poésie qu’au star system américain. Mais le Roi Lézard lui manquait. La sagesse humaine l’effrayait. Quand il sentit un courant d’air, il leva les yeux et vit dans l’ouverture de la porte de la salle de bain un vieil homme, tout de noir habillé et avec une cravate étoilée. Jim dit « Je sais qui tu es, vieil homme, j’ai déjà eu un contact avec l’au-delà ! » ; « Oui Jim, tu me connais, je suis le Dieu Serpent. ». Et Jim rit de bon cœur. « Bien sûr et moi je suis le Roi Lézard ! » ; « Non, tu n’es pas un roi Jim mais tu peux devenir un Dieu. Quoiqu’on dise, même le Dieu Serpent n’est pas éternel et il y a bien longtemps que j’arpente les routes et le temps pour créer des légendes,  Jim, oui bien longtemps. Et je suis fatigué. Il faut maintenant que je trouve celui qui fera vivre le Dieu Serpent. ». Et pendant que Jaha Lenna parlait un serpent noir sortait de son ombre et se dirigeait sans bruit vers la baignoire. « Et vous voulez que je sois ce Dieu Serpent ? » ; « Oui, Jim, tu le peux. Tu as déjà montré au monde ton âme et ton cœur et je t’offre la possibilité de continuer pendant une éternité à le montrer par les légendes qu’il reste à créer. ». Jim acquiesça doucement de la tête alors que le serpent noir, monté sur le rebord de la baignoire s’enroula autour de son bras et avec Jim, fusionna. 

Les pérégrinations du Roi Serpent  
3 juillet 1971, 4ieme arrondissement, Paris 

* * * 

La journée s’égrène et je reste accroché à ce bar, à boire des cafés et à discuter avec Johnny. La vieille horloge me dit que la soirée va bientôt commencer.  

Soudain, je ressens une vibration dans l’air. Mon sang, mes entrailles se mettent à vibrer au rythme de cette respiration. Même mon cœur, s’accorde petit à petit à ce battement.  

C’était imperceptible il y a quelques secondes, mais je la sens, sous mes doigts, sur ma peau. Le bar et le tabouret vibrent également au rythme de ce battement. Johnny, au bout du bar, ne semble pas réagir.  Petit à petit je sens la pression de cette sensation monter en intensité. Alors je me retourne pour observer la salle et comprendre d’où peut venir cette vibration. Et je reçois un choc, comme un coup de poing dans le ventre, comme un coup de tête qui m’enverrait dans le coma.  

 

La salle n’est plus vide !  

 

Je n’y comprends rien. Durant toute la journée, j’étais seul dans ce bar avec Johnny. A aucun moment je n’ai vu quelqu’un entrer.  

Ce son qui fait vibrer l’air autour de moi, comme un battement de cœur géant, vient de la scène. Deux jeunes gars, chacun une guitare à l’épaule, jouent avec un rythme lent, mais fort et obsédant. Je ne sais pas comment ils arrivent à produire un son si enveloppant, un son si métallique, si rugueux avec seulement deux guitares. Un son qui me pénètre par tous les pores de ma peau.  

La musique est granuleuse. Elle sent la chaleur et la poussière du sud et elle a de la force, de celle qui habite les survivants. 

Les deux gars ont trois poils de barbe qui se battent en duel. Ils se sont affublés de chapeaux de rangers mexicains posés sur des bandanas. Je les verrais plutôt dans un ranch à courir après des vaches, que sur une scène à produire une musique qui agit sur moi comme un envoutement. 

 

Je sens la musique qui monte en volume et en intensité. Ce rythme stable est de plus en plus puissant et il se mélange aux battements de mon propre cœur. Je crois même que mon cœur bat de plus en plus vite. 

 

Mon regard s’arrête sur une table, au milieu de la salle, juste en face de moi. A cette table, un vieil homme est assis. Je le reconnais, c’est l’homme que j’ai rencontré quand j’étais gamin, en allant à la pèche. Il n’a pas changé et il est comme dans mon souvenir, le même chapeau, le même costume, les mêmes chaussettes. Lui aussi me voit. Et je sens bien qu’il me regarde derrière ses lunettes noires avec ce sourire malicieux. A sa table, de part et d’autre, il y a deux types, énormes, en costume noir eux aussi. Ils se ressemblent tellement qu’ils pourraient être jumeaux. Au milieu de la table trône une bouteille de bourbon avec quatre verres. Derrière le vieil homme, à quelques mètres, debout dans la pénombre de la salle mal éclairée, j’aperçois un jeune noir. Il est habillé d’un beau costume sans âge. Lui aussi me fixe avec un léger strabisme, un sourire malicieux, et un bout rouge de mégot aux lèvres. Il porte un chapeau qu’on ne fait plus aujourd’hui, légèrement posé en biais sur sa tête. Il lui donne un air d’ancien dandy. 

Malgré ses lunettes noires, le regard du vieil homme attrape le mien et je ne peux pas m’en libérer. Nous sommes liés par cette musique et par les battements de nos cœurs. Toute la salle vibre maintenant au son des deux jeunes gars et de leurs guitares électriques. Même ma chemise tremble contre ma peau. 

Alors je finis ma tasse de café, la repose sur le bar et je me lève de mon tabouret. Mon dos est raide après être resté assis si longtemps. Je marche péniblement vers la table du vieil homme. Le claquement de mes bottes raisonne et s’accorde avec la musique des deux jeunes gars. J’arrive à la table. Le vieil homme ne m’a pas quitté des yeux, ses deux acolytes n’ont pas bougé. Je tire la chaise et je me pose dessus. 

Quand je m’attable, la musique est toujours aussi forte. En face de moi, de l’autre côté de la table, l’homme aux lunettes noires ne bouge pas et mon regard porte sur le jeune noir, au costume sans âge, debout à quelques mètres derrière. 

Le vieil homme prend la bouteille de bourbon, l’ouvre et sert les quatre verres. Il prend la parole. 

  • Salut bonhomme, tu te souviens de moi ? 

  • Oui, je me souviens de vous. J’étais gamin ! 

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