Monsieur,C'est avec un certain contentement que mon secrétaire m'a remis, ce matin, votre missive, qui m'apporte un peu de distraction dans mes affaires. J'ai cru un moment que les charmes de la province vous avez fait oublié la plus élémentaire des conventions, et que ma lettre avait refroidi vos ardeurs, mais il n'en est rien. Ainsi donc, votre séjour semble se dérouler à merveille et vos affaires prennent bonne tournure, vous m'en voyez ravie.Vous me contez par le menu les appas de cette petite sans craindre que je n'en conçoive quelque ennui. Oubliez-vous, monsieur, que son père m'en a déjà tant dit et que j'ai rencontré cette jeune fille !Quant à votre petit jeu avec cette chère enfant, je le trouve délectable, et à la pensée des allées de ce jardin qui connaissent tant de choses de nous, j'en goûte toute l'ironie. Je sais bien les stratagèmes et ruses de vos séductions pour m'imaginer sans peine que la demoiselle vous suivra sous peu où que vous le souhaitiez, même en enfer. Elle avait, pourtant, quelques préventions envers les galants, influencée par sa famille, et je pensais que sa conquête vous aurez demandé plus de temps mais votre science du badinage ne vous a point fait défaut. Vous aurez bientôt achevé cette petite affaire et pourrait revenir en notre belle cité.Cité en laquelle l'été est bien présent et nous inflige bien des désagréments. Une touffeur immense s'est abattue sur les plombs des toits et des nappes de chaleur montent des pavés, c'est un accablement tout entier qui a gagné la ville. L'on s'enferme au plus profond des demeures recherchant la fraîcheur dont vous profitez loin d'ici. Si vous étiez présent, vous me trouveriez alanguie presque apathique dans mon boudoir, je regrette par beaucoup que vous ne puissiez accompagner vos épîtres d'un peu de l'air doux de la campagne. Cette chaleur a pour effet pervers de gâter les fards dont certaines dames, que nous connaissons, se parent à l'envie, et je ne parle pas de pots de crème dont il faut se défaire mais de rigoles de chair qui apparaissent lorsque la sueur glisse sur la poudre des visages. Madame de Marsault, que l'on sait coquette, s'est d'ailleurs couverte d'un ridicule consommé, hier à peine. Elle s'est présentée à la Cour dans une robe à la coupe hardie et dans une soie d'une grande qualité, tout cela devant mettre en valeur ses charmes mais la chaleur a eu raison des fards sans prix sous lesquels elle se cache. Imaginez donc : le blanc de céruse n'habillait plus ses traits, devenu masque, il en soulignait les rides ! Aucune âme charitable ne s'est ouverte auprès d'elle pour l'en prévenir, nous avons tous attendu avec hâte que le Dauphin l'aperçoive. On le dit amoureux de la dame car la rumeur lui octroie une science incommensurable en qui ce qui est lieu d'appeler sensualité. Vous connaissez le bel esprit de notre Dauphin qui se gausse d'un rien, je puis donc affirmer que même ses proches les plus aimés ne sont pas épargnés par ses remarques ; « Madame, vous avez pris quelques avances sur le bal costumé de ce soir. Je vous vois déjà grimé. » La dame n'a point répondu mais en cela aucune surprise, elle ne sait être que coquette.« Quel ingratitude ! me direz-vous, c'est à Madame de Marsault que vous devez vos entrées à la Cour. » Je reconnais sans mal que j'aurais pu prévenir cette disgrâce et aider mon ancienne protectrice. L'explication d'une telle attitude se retrouve dans l'énoncé même : « ancienne ». Madame de Marsault ne devait le reste de son crédit qu'à ses connaissances galantes et l'attachement du Dauphin. On sait que ce dernier est un homme d'habitudes et qu'il n'aime pas le changement, s'attacher les soins d'une nouvelle maîtresse n'était pas ce qu'il recherchait car la dame le contentait à son goût mais, comme vous le lisez, ceci appartient au passé. Tout a changé au bal d'hier. Je n'ai point besoin de vous décrire les fastes de cette fête, vous en connaissez assez les rouages pour vous imaginer le petit orchestre jouant en sourdine et les costumes, dominos et masques les plus bigarrés sous la lueur des lustres. Les discussions allaient bon train alors que la chère était bonne. Leurs Majestés étaient aussi présentes, parés de costumes d'Indiens des plus réalistes, quant à son Altesse, le Dauphin, ainsi que me l'avez glissé son valet de Chambre, le comte d'Ambernac, il s'était déguisé en homme du désert. Comme l'on pouvait se douter, la disgrâce de Madame de Marsault avait réveillé bien des appétits auprès de ces dames. Remporter les faveurs du Dauphin, quelle gloire !Telle que je vous écris aujourd'hui, je suis triomphante grâce au choix judicieux de mon costume et, cela va sans dire, mes talents. Je dois bien vous avouer que l'indiscrétion du comte m'a permis de porter une tenue qui a attiré l'attention de son Altesse. Je vous fais grâce de parler chiffons, me bornerais-je à dire que je portais une tenue effrontée qui dévoilait ce qu'il fallait de chair, sans être impudique. Vous me connaissez assez pour savoir qu'à l'opposé de Madame de Marsault, je préfère suggérer et que la nature fut généreuse à mon endroit. Son Altesse sembla beaucoup goûter de ma belle mine et de mes beaux atours, il me fit l'honneur d'une danse et de quelques compliments. Il ne m'en fallait guère plus pour placer quelques traits d'esprits et œillades faussement ingénues. Il n'en a point été dupe mais a apprécié le jeu et s'est plu à mes quelques dérobades pour attiser son intérêt. Il m'a donc convié pour ce soir à son souper avec quelques amis, ainsi qu'à sa table de jeu, il ne me reste plus qu'à choisir avec soin mes armes et je pense que d'ici quelques temps son Altesse me prêtera son oreille, en plus de l'oreiller.Comme toujours en notre belle capitale, il en faut peu pour faire et défaire les fortunes. Le cas de ce parfumeur que vous m'avez conseillé en est un autre exemple, je viens de lui faire parvenir une belle bourse d'or pour le soin qu'il a apporté aux fards de mon ancienne protectrice, et pour sa discrétion. J'ai cru comprendre que Madame de Marsault a, par ailleurs, reçu d'un admirateur ce parfum italien dont nous parlions tantôt, nous verrons s'il lui réussit aussi bien qu'à feu Monsieur de Reys dont vous ne prisiez pas l'empressement à mes côtés.Ami, ainsi sont les nouvelles de la Cour qui n'ont pas la tendre et poétique coloration des vôtres. C'est avec une hâte certaine que j'attends votre retour et, je ne puis qu'espérer que l'éloignement ne vous fera point oublier vos belles paroles à mon égard. Je me méfie de vous, les hommes, que l'attrait de la jeunesse et de la nouveauté enivre tout aussi vite qu'un bon vin, en témoignent votre enthousiasme et votre lyrisme à me conter votre journée avec la jeune Lucile.Pour ces raisons, je me garde de vous accorder trop facilement ce que vous me réclamez, en me flattant d'un amour indéfectible. Une victoire trop aisément accordée rend la conquête moins attrayante et on est tenté bien vite de s'attacher à une autre passion. Or donc, Monsieur, je ne vous ferai pas le plaisir de vous accorder un baiser en cet instant. Séduisez-la, mon cher ami, et languissez-vous de moi ; Possédez-la, mon aimé, et à l'instant suprême, pensez à moi.Agnès d'Ezenay