Il n'a pas voulu écouter la conversation téléphonique. Il estime que Uzu a besoin de régler ça, sans lui mais la discussion terminée, son ami n'ayant pas regagné la chambre, il s'inquiète et décide d'aller le retrouver. Il le trouve assis sur le canapé. Seul l'allogène est allumé. La douce lumière orangée l'auréole de la même manière que l'aurait fait le soleil en se couchant, adoucissant son teint, laissant des reflets dans ses cheveux détachés. Il reste beau malgré la fatigue. Le téléphone est abandonné sur ses genoux, ses yeux sont fixes, son esprits dans la brume.
- Ça va ?
Gabriel vient s'agenouiller face à lui.
- J'ai l'impression d'être arrivé au bout, avoue l'asiatique.
- Au bout d'quoi ?
- Peut-être que je ne ferais plus de cauchemars.
- Ch'ais pas quoi faire pour t'aider, ch'uis étranger à c'que tu r'sens.
Uzu plonge dans ses iris émeraudes, passe ses bras autour de son cou et lui sourit.
- Ta présence me sauve la vie tous les jours.
Leurs lèvres se touchent, leurs souffles se répondent.
- Ch'uis un héros alors ? ricane Gabriel.
- J'aimerais rêver de toi...
- J'préfère largement être ta réalité. Ton heu... Liam t'a dit quoi ?
Uzu laisse retomber ses mains sur ses genoux dans un signe d'impuissance, enfonçant son dos dans les coussins.
- Le principal sujet d'inquiétude et de conversation de Liam c'est Yann, le reste n'est plus que du détail à ses yeux, il m'a à peine écouté, je crois.
- Yann le centre du monde, c't'une nouveauté tien ! Il en a vraiment après c'nouveau bifteck !
- Il faut croire que oui.
- Ça t'embête ?
- Un peu, j'aurais aimé qu'il me prenne au sérieux.
- J't'avoue que j'préfère savoir Yann occupé ailleurs qu'autour d'nous.
- Normal tu es jaloux.
- De qui, ton ex ou Yann ?
- Les deux, je me trompe ?
Gabriel détourne la tête et fait claquer sa langue avant de répondre.
- J'ai pas confiance en Yann et... ch'ais qu'il n'y a rien entre Liam et toi mais...
- Mais ?
Gabriel le pousse doucement à s'allonger sur le canapé afin de le rejoindre, pesant de tout son poids sur le corps du japonais. Il glisse lentement une main sur son torse et posant sa bouche dans le creux du cou, il répond sans détour à la question.
- J'te veux rien qu'à moi. J'supporte pas qu'un autre puisse t'aider ou t'rendre service à ma place, j'supporte pas qu'un autre te r'garde ou t'touche, c't'une vrai maladie, ch'uis complètement malade de toi.
- Tu n'as pas confiance en moi ?
- En toi oui, pas en ton jugement.
Uzu se raidi.
- Tu insinues quoi là ?
- Bha, tu n'comprends rien aux sentiments souvent, tu peux pas dire l'contraire ! J'te trouve parfois super con à c'niveau. Ch'ais qu't'es honnête, c'est pas l'problème hein.
- Je vois... Ça devrait me faire peur ta jalousie. Tu sais quoi ?
- Quoi ?
- Je me dis que tu as peut-être raison et puis ça me rassure et me plait. Je ne sais pas, j'aime l'idée de t'appartenir et que tu m'appartiennes aussi.
Gabriel se met à rire.
- C'ton côté légèrement sado-maso.
- Je t'aime...
Le temps s'arrête, Gabriel ressert son étreinte.
- Répète-le, le prie-t-il dans un souffle, la bouche perdue le long de sa nuque.
Uzu renouvèle son aveu, fébrile il se perd bientôt sous les baisés enflammés de son amant, noyé au milieu des caresses.
- C'que t'es beau, murmur le goth.
Ils se déshabillent mutuellement presque dans l'urgence, soudainement affamés l'un de l'autre.
- J'te veux !
- Vient...
Uzu s'embrase et se pâme lorsqu'il le sent venir en lui.
-T'es à moi, rien qu'à moi !
Gabriel lui prend les poignets d'une main ferme et lui maintient au-dessus de la tête. Il imprime le rythme et l'oblige à le regarder. Il y a quelques semaines Uzu n'aurait pas supporté ces mots là et encore moins cette façon de le soumettre. Aujourd'hui il a suffisamment de confiance en lui et en son amour pour pouvoir s'abandonner. Cette place qui est la sienne cette nuit, n'est pas immuable mais interchangeable. Il sait qu'il en faudrait peu à Gabriel pour passer de l'autre côté.
Le changement c'est opéré également chez Gabriel pour qui conquérir n'est plus synonyme de brutalité ou d'avilissement, le jeu n'est plus le même, il prend du plaisir à diriger son amant dans la douceur autant qu'à s'offrir à son tour.
Bien qu'en mouvement, ils se dévisagent l'un l'autre, guettant la moindre réaction, le moindre soupir. Parfois un cri de plaisir non contrôlé fait rougir Uzu, il ne baisse pas les yeux pour autant.
Le va-et-vient se fait sauvage, presque brutal. Les râles et les gémissements s'intensifient rapidement. Leur union animale, redouble d'intensité, tout deux éperdues comme s'ils n'avaient plus de temps à perdre.
- J't'aime putain...
Uzu sourit, Gabriel se lâche, ferme les yeux. La lutte aura été courte mais intense. C'est fini, leurs respirations rapides sifflent à l'unisson. Il est plus de trois heures du matin et ils sont là, béats, entremêlés sur le canapé du salon.
La torpeur envahie Gabriel qui frémit à la reprise de parole de son bel amant, quelques minutes plus tard.
- Comment Yann fait-il pour attirer autant l'attention sur lui ?
- C't'un casse-couille très doué ? Nan ch'ais pas. Tu t'rends compte qu'on parle d'mon ex juste après avoir fait l'amour ?
- Hihihi, il ne faudra jamais le lui dire, il serait trop content.
Uzu se blottit contre son torse, leurs deux corps s'emboitent presque parfaitement. Gabriel laisse ses doigts se promener sur la peau nue, traçant des cercles sans autre but que celui de le toucher.
- C'est que moi aussi je m'en fais pour lui, ajoute l'asiatique. Tu sais quoi sur ses cicatrices ?
- Cicatrices ?
- Oui, Liam m'a parlé de marques assez nombreuses sur ses bras, ses épaules.
Gabriel stoppe ses caresses, soupire puis se relève.
- Qu'est ce qu'il y a ? s'inquiète surpris Uzu.
- Rien, Yann n'a jamais su prendre soin d'lui. Il agit sur des coups d'tête comme un con. Lorsqu'il découvre qu'il a tort, il s'bute et insiste. En plus d'ça, il admet rarement une erreur. Et après il accuse les autres.
- C'est quoi le rapport ?
- Ces marques c'sont les stigmates de son entêtement et d'sa bêtise, si vous voulez en savoir plus z'avez qu'à lui d'mander des détails. T'as vraiment pas à t'en faire pour ça.
- Il a répondu à Liam que c'était des accidents de travail.
- Ouais, c'est ça...
Uzu comprend à son agacement apparent, qu'il n'obtiendra rien de plus de lui.
- Au lieu d'penser à c't'imbécile viens dormir, tu vas être nase d'main.
*
La journée a été dure, Yann n'a pas beaucoup dormi et depuis que Mathilde est partie, la part de travail distribuée entre les pâtissiers est plus grosse. Évidement on ne parle nullement d'embaucher pour la remplacer.
Ça ne pose pas de problème à Yann, en règle générale tout du moins. La pâtisserie c'est fatiguant mais moins stressant que la cuisine. Il gère le surplus de boulot sans soucis, surtout qu'il sait que son stage arrive à sa fin.
Mais la nuit a été courte et ça n'est pas la première dans ce cas. Une migraine s'est installée dès le matin et ne l'a pas lâché de la journée.
Jusqu'à aujourd'hui les autres pâtissiers l'ont laissé tranquille. Observé d'abords d'un drôle d'air à son arrivée dans la petite entreprise, il lui a fallu faire ses preuves. Devant ces quatre gars mesurant plus d'un mètre quatre vingt, son mètre cinquante cinq et son allure frêle les avaient laissé perplexes. Mais Yann est endurant, les réflexions et les regards de biais ne le blessent plus, ni ne le stressent. Il en a vu d'autres. Le travail a donc été effectué sans qu'il n'ait même à rougir de son inexpérience dans le domaine. Un certain respect c'est installé.
Le couple qu'il a formé avec Mathilde aussi étrange qu'il eut pu être, lui a évité les questions d'orientation sexuelle que certains auraient pu se poser à la vue de ses manières et de son apparence. Bien que celle-ci est été plus grande de huit bons centimètres, plus carrée de silhouette et beaucoup moins féminine qu'il ne l'est, il n'en reste pas moins qu'il s'agissait d'une fille, celle du patron en l'occurrence. Il a pu savourer une paix presque royale au boulot, ce qui du reste est rarement le cas en ce qui le concerne.
Seulement, depuis le matin, ses erreurs s'accumulant, sa distraction et sa perte de vitalité commence à faire jaser. L'ambiance est loin d'être au beau fixe et à quatorze heures quand on lui annonce qu'il peut enfin partir, il est plus que content de rentrer chez Liam.
Traverser Paris lui paraît interminable cet après-midi. Il manque de s'endormir dans le RER, se cogne dans un passant. En arrivant, comme d'habitude, il passe par les boites aux lettres du hall. Une lettre à son nom l'y attend, son premier courrier reçu ici. La grande enveloppe kraft l'intrigue, il l'ouvre dans l'ascenseur et se plonge ahuri dans un dossier de candidature pour une formation de pâtissier de « l'Association ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France », rien que ça.
L'homme ne lui avait-il pas dit non ? Ne l'a-t-il pas dirigé dans cette pâtisserie pour se débarrasser de lui ? Ou était-ce un test ? Son cœur cogne dans sa poitrine, cette formation c'était un de ses meilleurs espoirs. Depuis, il n'y croyait plus. Quand il arrive devant la porte de l'appartement, qu'il lit que son admission est déjà signée d'avance et acceptée, ses clefs en tombent de stupéfaction. Il entre la tête ailleurs dans l'appartement, les yeux rivés sur les feuillets, perplexe quand à la réponse à donner à cette nouvelle inattendue.
Liam a pris sa journée pour faire du bricolage, son père a failli en avoir une attaque.
- Tu ne viens pas travailler ? Tu es malade ?
Il a aussi oublié son rendez-vous de psy, la première fois que ça lui arrive en deux ans, ça fait un moment qu'il n'a pas avalé de café, Yann prend du chocolat alors...
Il ne peut pas dire qu'il va bien, ni le contraire, en fait il n'en sait strictement rien, par contre une chose est sûr, il est perturbé. Sa dose d'alcool a augmenté, ses somnifères aussi. Yann le trouble, parasite son univers bien rangé. La tornade fait son œuvre. Il y a des avantages, sa vie avait franchement besoin d'un bon courant d'air, certes. Il y a des inconvénients aussi.
- Je vais où avec ce gars ? À priori nulle part, c'est bien le problème. Le ficus est en train de mourir !
Réflexion qu'il se fait en le contournant pour brancher la perceuse sur la prise de derrière. Il ne se rappelle plus de quand date le dernier arrosage. Le fil de l'engin est trop court, il lui aura fallu mettre une rallonge qui traverse l'entrée de l'appartement, en descendant les trois marches pour atteindre le mur d'en face.
Là, Liam a décidé d'installer un meuble à chaussures mural. Depuis que Yann est arrivé une quantité hallucinante de bottines, Dr Marteen's, baskets, plateformes, newrock et autres godasses se sont empilées dans son couloir.
- Comment un mec peut-il avoir autant de paires de chaussures ?
Lorsqu'il pénètre dans l'appartement, Yann ne remarque pas le fil qui traverse les trois marches qui séparent le couloir d'entrée de la salle à manger, trop occupé à feuilleter ses tout nouveaux documents. Liam le voyant entrer, a coupé de suite le moteur de la perceuse afin de le prévenir.
- Fait attention au fil en descendant !
- Hum ?
Trop tard, Il n'a que le temps de jeter son outil sur le côté et de s'élancer bras en avant vers son colocataire nouvellement cascadeur.
La chute est digne d'un drama, les pieds de Yann s'emmêlent rapidement dans le fil, ses yeux s'arrondissent, sa bouche s'ouvre sans qu'aucun son n'ait le temps d'en sortir. Ses bras se lèvent, les mains s'ouvrent, laissant s'envoler le courrier. Le jeune bassiste tombe directement dans les bras de l'apprenti bricoleur.
Les deux se retrouvent en un mouvement à terre, l'un sur l'autre, face à face, idiots. Sur le dos, Liam, les mains autour de la fine taille musclée de Yann, restent figé. Reprenant lentement ses esprits, il hésite une fraction de seconde entre le relâcher, le laissant ainsi libre de se relever, ou resserrer l'étreinte. Après ce moment de flottement et alors que leurs regards se perdent l'un dans l'autre, Yann réagit en rougissant. Gêné par la situation, il sort très vite son fameux sourire narquois. Pourtant cette fois, la raillerie prend le pas sur la méchanceté. Il faut dire que la présence si proche du corps chaud et viril de Liam a tout pour perturber son apparente aisance verbale habituelle.
- Avoue que tu as essayé de me tuer, il y a des moyens plus simples pour te débarrasser de moi.
Les mains de Liam glissent d'elles-mêmes pour lui rendre sa liberté. Yann se relève, le charme est rompu.
- Je suis désolé, je pensais que tu ne rentrais que dans deux heure. Aï ! Mon dos...fait-il en se relevant.
- Tu sais je connais de meilleures façons, plus agréables et bien moins douloureuses de me faire tomber dans tes bras, ironise l'androgyne en lui tendant une main que Liam n'attrapera pas.