Une heure qu'ils sont dans les locaux de l'association, deux jours que Uzu tourne en rond. Il est question de séance d'hypnose, de psy, de rendez-vous d'avocat. Gabriel a fait le tour des bureaux, laissant son copain discuter avec son ex. Il se sent extérieur à tout ça et un peu embarrassé.
L'endroit ressemble à une administration sociale quelconque. Des présentoirs à l'accueil proposent un nombre conséquent de brochures diverses. De la publicité pour des clubs sportifs homosexuels, pour des soirées dans le milieu, des voyages spécifiques. Des tractes informatifs sur le dépistage du VIH et le blabla habituel sur comment se protéger, une affiche choc sur la violence dans les couples, quelques exemplaires de journaux spécialisés, les horaires d'accueil, les numéros vert et enfin un prospectus de la radio de l'association présentant les différentes émissions et les intervenants. Le nom de Liam y figure.
Liam serait-il vraiment une sorte de Ménie Grégoire pour jeunes gays à problèmes ? Ce grand mou qui ne réussit pas à gérer sa propre vie amoureuse et sociale, quelle ironie.
- Ton avocat a raison, il y des risques que ça crée un vice de procédure. Ton amnésie ne figure pas au dossier,annonce Liam.
- ...
- Ce garçon est effectivement mort de peur, il cherche à protéger sa mère. Une chose est certaine, si jamais ils apprennent qu'il t'as sauvé, il aura bien d'autres soucis.
Liam les mains dans les poches essaie de faire entendre raison à Uzu.
- Je le déteste tu sais, avoue ce dernier. Je me souviens qu'il n'a rien fait pour m'aider, il a assisté à tous ça, sans lever le petit doigt, aussi bourré que les autres. Même s'il ne m'a pas touché. Et ça je n'en suis pas sûr du tout. Je ne peux pas pardonner, il était là.
- Pourquoi tiens-tu as faire quelque chose pour lui alors ? Laisse-les faire appel, il sera rejeté et on en parle plus.
- Parce que je suis persuadé que sans lui et son pote, je ne serais plus là pour en parler.
- Ok, c'est toi qui vois. Je tente de le recontacter, qu'on le rencontre en dehors. L'autre garçon, tu ne le remets pas du tout ?
- Ça n'est pas que je ne m'en souviens pas, c'était vraiment la première fois que je le voyais. Je suis certain qu'il ne fait pas partie de leur bande.
- Tu sais qu'en plus, à lui, tu risques de lui causer des problèmes ? Choisir la vérité c'est pas toujours le plus intelligent.
Gabriel traine le long du couloir du premier, passe et repasse devant le bureau, les écoute quelques secondes par la porte entrouverte puis poursuit son chemin, va s'assoir sur une chaise en haut de l'escalier, feuillette quelques magasines, observe les allées et venues des gens.
À la porte du bureau voisin de Liam, un homme matte les deux autres, un grand brun à la musculature proéminente. Il est bientôt rejoint par un collègue. Gabriel s'interroge sur la curiosité du premier gars, l'autre, il le reconnait sans difficulté. Il se souvient très bien du mec étant venu les chercher Uzu et lui au poste de police, lors de l'altercation durant laquelle son amant a perdu la tête et s'est acharné sur leurs agresseurs, Marc. Il tend l'oreille afin de comprendre ce qui se dit.
- Nicolas ! Je te surprends à espionner ton collègue ! Attention je pourrais te dénoncer ! le menace Marc gentiment.
- Va-y ne te gènes pas pour moi.
- Ce que tu vois t'intéresse toujours autant ?
- Non et Liam a vraiment de drôles de goûts en matière de mecs, estime Nicolas en tirant la moue.
- Je sens une pointe de déception.
- Exactement, de la déception, c'est le mot juste. C'est un bel homme, que peut-il trouver à ces gringalets ?
- Je pensais que ce petit japonais était unique, j'ignorais que Liam avait d'autres relations, tu es meilleur détective que moi.
- Je ne crois pas qu'on puisse appeler ça une relation, en tout cas, ça ne le rend pas plus heureux.
- Certain ont besoin d'être malheureux pour se sentir vivant, le bonheur est plus compliqué à atteindre.
- C'est un maso.
- Oui, je crois que c'est le mot en effet. Ne suis pas la même voie, un conseil arrête les frais. Liam, je me suis déjà cassé les dents dessus.
- Ha ne t'inquiète pas, je n'ai pas l'intention d'insister. Je trouve ça dommage c'est tout.
- Je crois qu'on nous écoute.
Gabriel baisse la tête, pas assez vite, le jeune Nicolas se retourne.
- Moins gringalet mais aussi zarbi que le gars qui traine chez Liam, c'est revenu à la mode ou quoi les folles peinturlurées ?
Gabriel ne manque pas de lui envoyer son regard maquillé le plus noir.
Nicolas sans y accorder la moindre importance poursuit :
- C'est dommage, il serait presque mignon celui là.
Dans le bureau de Liam la conversation a quelque peu glissée sur un autre sujet brulant.
- Youdzeu, dis-moi, tu t'entends bien avec Yann ?
- Encore Yann, décidément...Oui pourquoi ?
- Ça se passe comment entre-vous ? Il est Sympa ?
- Vu ta question, j'en déduis que vous deux ça ne s'est pas arrangé ?
Liam s'assoit, l'air embêté.
- Il est assez violent et agressif dans ses paroles. Il à l'air parfois de totalement me détester. Je ne sais pas ce que j'ai bien pu lui faire. Je ne le comprends pas du tout. Il souffle le chaud et le froid, un moment il... Je ne sais pas, j'ai l'impression qu'il me drague et la minute d'après de ses yeux sortent des éclaires, et on dirait qu'il va me tuer. Puis il a cette obsession de croire que je vais le foutre dehors.
- Avec moi, la seule fois où on s'est pris la tête c'était au tout début, et il m'a foutu son poing dans la gueule. Je t'avoue l'avoir mérité. Depuis, tout va bien.
- Tien donc, il m'a frappé aussi... J'avais attrapé son bras et ça ne lui à pas plu, tu me connais je ne suis pas agressif. Je ne me souviens même plus exactement la raison, je n'ai plus les détails en mémoire.
- Il a un bon crochet ! se marre Uzu.
- Ça oui ! Il m'a foutu un de ces nions, ça s'est vu pendant quelques jours.
- Il est pas épais mais il frappe fort, j'ai cru qu'il m'avait décroché la mâchoire ha haha !
- Pas épais, tu peux parler hein, vous vous valez tout les deux.
Liam réfléchi un instant portant sa main à son menton.
- Il est peut-être plus musclé que toi, conclu-t-il.
- Tu rigoles ? En plus je suis plus grand que lui.
- Un peu oui, quoi huit/dix centimètres ?
- C'est déjà pas mal. Je pèse sûrement plus lourd aussi. Je suis plus large non ? Uzu mire son propre reflet dans la vitre de la porte.
Liam pouffe de rire.
- Quoi ?
- Nan rien, oui sans doute, proportionnellement mais il est plus noueux que toi, plus de muscles, j'en suis sûr. C'est une baguette d'acier ce gars là, assure le blond.
- Tu crois ?
Uzu se retourne, et hèle Gabriel trainant dans le couloir, pensant qu'il a écouté la conversation.
- À ton avis qui de nous deux et le plus musclé ?
Gabriel passant la tête par l'entrebâillement de la porte détaille Liam de haut en bas, alarmé, puis son œil, dubitatif, se pose sur Uzu.
- C'pour rire ? Youz' mon chéri, ton ex m'sure au moins un mètre quatre vingt, y r'ssemble à une étude de muscles de Michel-Ange, Liam t'fais du sport en plus, non ?
- Mais nan voyons ! Entre Yann et moi ! le reprend l'asiatique.
- Haaaa ok, ouais parc'que là j'comprenais plus. Tu cherches à démontrer un truc ? T'sais, sur pas mal de points, tu lui es nettement supérieur.
Uzu relève un sourcil.
- Nan je cherche rien. On se posait juste la question, comme Yann nous a frappé tout les deux, on faisait un petit comparatif de sa force.
- Yann t'as frappé, quand ?
- Ha, t'inquièt' c'était au tout début, c'est vieux et je l'avais cherché.
Gabriel fronce les sourcils.
- Je t'assure ! C'est du domaine de la plaisanterie maintenant, le rassure-t-il. Gabriel est si protecteur ! continue d'être surpris le japonais.
- Moi je suis certain qu'il est plus fort que toi ha haha ! insiste Liam.
- C't'évident, confirme Gabriel. Il a presque dix ans de boxe thaï derrière lui.
- Ha ouais ? s'étonne Uzu. Quand même... en effet. Hé ben, ok je lâche l'affaire. Putain j'aurais pas cru.
- Je comprends mieux, il a un corps nerveux, affirme Liam rêveur.
- Après si t'es passé en mode berserk' j'dis pas, vu qu'on t'contrôle plus, ajoute Gabriel qui se repasse le film de l'agression des halles et la façon dont Uzu a réagi à leur attaque. En tout cas, si jamais un jour y t'cherche des noises, dis-le moi tout d'même hein ? Ch'uis p'têtre moins fort qu'lui ou même que toi ça n'empêch' que j'le laisserais pas s'en tirer comme ça, insiste le goth.
- ...
- Bon et maintenant, Youz', on y va ?
- Part devant, tiens prend les clefs. Je te rejoins à la voiture. Je n'serais pas long. J'ai encore deux ou trois trucs à voir avec Liam !
- Ok !
Liam pose un œil sur Gabriel qui dehors, traverse le parking, avant de reprendre la discussion.
- Est-ce que Gabriel t'as dit si Yann avait déjà eu des soucis.
- Voilà, il ne pouvait pas le lui demander lui-même ? De quel ordre ?
- Il y a deux choses en ce moment qui m'inquiète à son sujet. Tu vois, j'ai compris dès le début, qu'il a vécu un truc pas clair, il y cette souffrance en lui.
- Liam, je pense que si tu lui foutais un peu la paix et que tu arrêtais de lui poser des questions, il serait sûrement beaucoup plus cool avec toi.
- J'aimerais vraiment l'aider.
- Enfin, il ne t'a rien demandé !
- Écoute, un mec te lâche qu'il s'est fait violé comme ça dans une conversation banale, tu te dis que c'est pas pour rien ! On ne fait pas ce genre de confidence sans arrière-pensées.
- Il s'est fait violer, quand ça ?
À cette annonce, quelque chose se noue dans l'estomac de Uzu.
- Oui... enfin... j'ai du mal à différencier la vérité du mensonge avec lui.
- À quel moment il t'a sorti ça ? C'était peut-être juste pour te choquer, ça ressemblerait assez bien au personnage !
- Nous discutions de nos premières expériences, je lui ai parlé de Jérémy, il a eu l'air en colère après moi, du genre envieux.
Il se perd un instant dans ses reflexions, puis reprend.
- Il n'a pas vraiment dit le mot viol, il aurait été plutôt question de relation sexuelle forcée non consentie.
- C'est quoi la différence ?
- Elle est dans sa tête la différence.
Liam soupire puis se retourne, posant son dos contre la vitre de la porte, croisant les bras. Uzu voit apparaître un air abattu sur le visage poupin de son ex.
- Il à l'air de croire que le mec pensait lui faire plaisir. Il doit y avoir une bonne grosse dose de culpabilité. Imagine, il avait treize ans d'après ses dires, ça se serait passé avec un homme majeur dans les douches d'une piscine municipale.
Uzu considère l'information comme étant sérieuse. Lui aussi ressentait ce malaise en Yann depuis le début, cette sorte de zone d'ombre. Que Yann porte ce genre de drame en lui ne l'étonne guère, au contraire.
- Il n'y a pas que ça, je ne sais pas si tu as remarqué les cicatrices sur ses mains, ses bras et ses épaules.
- Les fameuses cicatrices ! Je ne les ai pas vues.
- Il en est bien recouvert pourtant. Il y a des brulures, parfois assez grosses et des coupures, certaines légères et d'autres relativement profondes. Je veux bien qu'en cuisine on puisse se blesser mais jusqu'aux épaules quoi ! C'est un peu gros. Il en a peut-être même ailleurs, dans le dos !
- Les accidents de travail dont tu voulais me parler l'autre soir ?
- Oui, tu as posé la question à Gabriel ?
- Il refuse de m'en parler.
- Je ne sais pas quoi faire.
- Écoute ouvre les yeux, tu ne veux pas comprendre qu'il n'est pas un de tes auditeurs ? Il n'est pas non plus venu frapper à la porte de l'asso. S'il ne tient pas à te répondre ou s'il te ment pour te détourner de la vérité, c'est sans doute qu'il souhaite juste que tu lui foutes la paix non ?
Bien que Uzu défende Yann et son jardin secret, il comprend l'inquiétude de Liam. Yann commence à prendre de la place dans sa propre vie, un attachement particulier qu'il n'arrive pas à vraiment nommer.
- Le problème c'est que sa colère, voir sa haine parfois, est motivée par son vécu et pour l'instant c'est contre moi qu'elle se retourne, lâche Liam.
*
- Ça me fait mais de trop plaizzzzzzir de te parler ! Qu'est-ce qu'il devient mon petit parisien hein ?! Ha ! Ma poulette si tu savais, ici c'est le graaaand foutoir, je ne sais pluuus où donner de la tête ! Amel a dû prendre les rênes du club, sans ça jaaammmais on s'en serait sorties. On aurait bien besoin de tes talents ici mon chéri.
Crystal minaude, Crystal exulte, en bref, le personnage est content d'avoir des nouvelles du zoréole.
- Le nouveau resto marche bien ? demande Yann.
- Ça t'intéresse ? Dit ouiiiii !
- Je...
- Quoi, il n'était pas question que tu rentres ? Ha lala vous les jeunes vous changez d'avis tout le temps, c'est fffou ça non ?
- J'ai trouvé une colocation...
- Je sais chérrrri, la Marie m'a raconté, sexy le colocataire ?
- De trop...
- HOooo je perçois comme une once de perturbation. Va y raconte à tata Crys tes soucis.
- Je suis complètement perdu, je crois que je tombe amoureux de tout le monde, je dois être en manque de sexe.
- Me parle pas de sssexe, tu m'exciiiites. Sans rire c'est quoi le problème avec le colocataire ? Hétéro, il ne veut pas de toi ?
- Nan gay c'qui a de mieux. J'en sais rien exactement. Je n'y comprends rien à ce qu'il cherche. Et ce n'est pas ça le pire. J'aime trop de monde, je deviens fou, tu as raison, je ferais mieux de rentrer.
- C'est si graaave que ça ?
- J'aime Marie, j'aime Gabriel, j'aime Youzeu, j'aime mon coloc...
- Hihihi ! Si tu fais une partouze prévvvviiiens moi, pour ça je suis capable de prendre l'aviooon !
- ...
- Plus sérieusement mon petit Yanniiick, Gabriel c'était pas aux oubliettes ? Je croyais que tu en avais terminé avec cette histoire ?
- C'est clair que c'est mort.
- Ça fait mal encore ? cherche a savoir Crys
- De moins en moins, enfin ça dépend.
- Et Marie, mais c'est quoi cette histoire ? Elle est brillante et magnifique mais chéééri elle a un vagin !
- Sans rire !
- Et un mec !
- Je sais merci !
- Et Gabriel aussi non ?
- Youzeu...
- Ha bha voilà, je m'disais aussi que j'avais entendu un autre prééénom, tu es une pire garce que moi ma poulette, ricane Crys.
- L'honneur est sauf, je n'ai pas l'intention de lui faire ou dire quoi que ce soit, je sais même pas vraiment ce que je ressens, c'est la cata TO-TALE.
- Alors il n'en reste plus qu'un, le co-loc.
- C'est un peu la facilité. Je suis une mauvaiiiise personne.
- Arrrrrète tes bêtises, tu as juste un grand cœur. Peut-être que tu devrais effectivement prendre du recul pour savoir ce que tu ressens réellement.
- Est-ce que tu as déjà fait souffrir quelqu'un au point de le faire pleurer ?
- Sûrement... et moi j'ai beaucoup pleuré aussi, c'est la vie mon lapin !
- Gabriel m'a fait du mal tu sais, je n'arrive pas à... J'ai l'impression de me venger sur Liam et j'ai beau le savoir, je n'y peux rien, c'est un besoin.
- Liam ?
- Ou c'est juste qu'il est idiot. Il m'énerve tellement. J'ai envie de lui dire : "Arrête de me courir après ! ". Genre : "Dis-moi ce que tu veux, chéri t'es trop con !" Comme s'il était moi qui court après Gabriel. Je voudrais lui mettre des baffes, le faire réagir. L'amour c'est nul et lui il est tellement bête ! Et le pire c'est qu'il se croit tant au-dessus des autres, toujours à y aller de son conseil et de sa remarque ! Ha lala cet imbécile, il fonce dans le mur avec moi.
- Et toi chéri, le veux-tu ou pas ? Ce garçççon ? S'il te repousse pour de bon tu seras ok avec ça ?
- Tu parles, j'en sais rien. Je t'ai dit je suis perdu. Je fais n'IN POR TEU quoi.
- Ha bha t'es pas mieux que lui alors !
- Est-ce que j'ai dit le contraire ? C'est horrible, je vais mourir noyer dans une mer d'incertitude !
- Je compatis !
- Tu te fous de moi ?
- Bha écoute c'est ssssuper grave, tu es entouré de pleiiiin de mecs tousss plus beaux les uns que les autres, tu sais pas lequel choisir vraiment ta situation et affffreuse !
- Arrête c'est vraiment pas drôle !
- Excuse-moi mon bouchon.
- Tu sais, quand il se rend compte que je suis qu'une sale connasse et qu'il recule pour se protéger, putain il m'énerve encore plus ! J'ai un besoin de lui monter que moi j'ai souffert, que moi j'en ai de la force et pas lui. J'ai tellement de colère, je ne sais même pas d'où elle vient.
- Éloigne-toi, si tu l'aimes bien, fait-le avant de le regretter, c'est un conseil, tu n'es pas en état. Mon chou vient, même juste en vacances, tu es le bien venu.
- ...
Il craque, il sait au fond de lui que Crystal a raison, Marie lui a déjà dit de laisser Liam tranquille.
- Hoo mon chéri ne pleure pas, ça va pas du tout hein ?
- Nan c'est rien.
Il cherche une excuse.
- Je me sens pas très bien depuis quelques jours, la fatigue, une migraine et puis j'ai un peu mal, je me suis taulé dans l'escalier hier, cet idiot a...
Un cri provenant de la cuisine retenti.
- Yannick c'était quoi ççça ?
- C'était lui, qu'est-ce qu'il fout encore ? Je te laisse bisou !
Il raccroche.