L'invisible métamorphose

Par Ewen
Notes de l’auteur : Encore une nouvelle non retenue pour un concours d'écriture, cette fois-ci sur le thème de la métamorphose ! Un jour ou l'autre je la réécrirai dans un style un peu plus personnel, je n'en suis pas pleinement satisfait. D'ici-là sentez-vous libre de me faire des retours critiques, ils seront grandement appréciés ! :D

Je ne suis pas spécialement fan de toutes ces histoires qui commencent par « Je ». Pourtant cette fois c’est bien à moi que c’est arrivé, ou en tout cas à quelqu’un qui me ressemblait. Donc pas d’autre choix que de faire pareil et de raconter cette histoire à la première personne (qui vient).

C’était il y a bien six ou sept mois. Je me suis levé comme chaque matin – ça aurait pu être un lundi comme un mardi – puis j’ai filé à la fac après avoir vu le même visage cerné et mal coiffé que d’habitude dans le miroir de la salle de bain. Même chemin que tous les jours, mêmes habits que depuis toujours. Pas plus réveillé ni plus en avance que d’habitude.

La première personne que j’ai croisé – et je m’en souviens distinctement –, c’était une jeune femme d’à peu près mon âge, qui avait les yeux rivés sur son téléphone. À mon approche, elle a aussitôt levé la tête et m’a souri. Je lui ai souri en retour, aussi perplexe qu’embarrassé. Non pas que je sois particulièrement timide, mais, vous comprenez, je n’estime pas être le genre de garçon à qui une fille va sourire dans la rue. Peut-être qu’on se connaissait ? Avec le recul je suis à peu près sûr que non. En poursuivant ma route, je me suis rapidement aperçu que la plupart des passants se retournaient à mon passage. Certains me souriaient comme l’avait fait cette jeune femme, d’autres entrouvraient carrément la bouche, semblant hésiter entre un « oh » et un « ah ».

En arrivant aux abords du campus, ce n’était déjà plus gérable. Des étudiants et étudiantes que je ne connaissais même pas de vue venaient me checker alors que j’avais à peine eu le temps de saluer mes potes. Pendant ce temps, ceux qui n’osaient pas s’avancer jusqu’à moi se contentaient de me fixer de loin. L’ambiance sonore du hall du bâtiment principal était légèrement plus feutrée que d’habitude. Sans doute à cause des messes basses. Damien a lâché un « Whoah ! » en me voyant arriver. Lucile et Cléo m’ont demandé si j’avais fait quelque chose à mes cheveux, à ma tenue… Cléo m’a trouvé étrangement plus grand ce jour-là. Mais elle avait toujours une bonne tête de plus que moi, donc ce n’était visiblement pas ma taille qui provoquait un tel bouleversement dans le quotidien de l’ensemble de la population.

À la pause intercours, plusieurs personnes de la promo – pour lesquelles j’éprouvais une simple et vague indifférence, jusqu’ici réciproque – sont venues taper la discut’. Ils voulaient soudainement faire plus ample connaissance. Les trois profs qu’on a eus ce jour-là m’ont tous interrogé, taquiné, ou demandé dans quelle boutique j’avais acheté ce super sweat à capuche beige qui me donnait si fière allure. À la fin de la journée, Camille, avec qui j’avais fait un exposé en début d’année, m’a demandé mon numéro « pour que je lui envoie le cours en photo », parce qu’elle était « sûre d’avoir oublié de prendre en note des infos importantes »…

En rentrant chez moi en fin d’après-midi, je me suis observé sous tous les angles et coutures face au miroir de la salle de bain. Je ne voyais rien d’autre que le même gars qui s’était brossé les dents au même endroit sept heures plus tôt, un peignoir en plus et le pantalon en moins. J’ai envoyé mes notes à Camille, refusé le verre avec Damien et les filles en ville, puis me suis assis face à mon ordinateur. Quand j’ai voulu demander à Google ce qui m’arrivait, je n’ai pas su quoi taper.

 

Le lendemain, cet engouement soudain et inexplicable pour ma personne ne s’était pas atténué. Je me suis alors décidé à demander directement aux autres ce qui pouvait bien m’arriver – à moi, où à eux d’ailleurs. La plupart ne savaient pas quoi me répondre. Un mec plus inspiré que les autres m’a simplement affirmé : « Des personnes comme toi, je n’en ai rencontré qu’une seule. » Mes amis ne m’étaient pas d’une plus grande aide : « Je ne sais pas, c’est juste… toi. » Les sourcils continuaient de se hausser à mon passage, dans la rue, dans les transports et au supermarché.

Une fois habitué à cette admiration que le monde entier semblait me porter, je me suis mis à passer ce que l’on peut sans aucun doute considérer comme les plus belles semaines de ma jeune vie. Camille et moi sortions ensemble, tandis que la quasi-totalité de mes camarades, profs et autres connaissances me respectaient pour qui j’étais. Si j’avais encore des ennemis, ils devaient être bien cachés derrière cette sympathique foule dont je ne comprenais toujours pas les motivations.

Les jours passant, je prenais mes aises dans ce nouveau paysage où tout paraissait fleurir à mes pieds. J’apprenais à apprécier ces regards tournés vers moi. Peu à peu, les sourires offerts par des inconnus ne m’étonnaient plus. J’en éprouvais presque un léger désappointement lorsque quelqu’un ne levait pas les yeux dans ma direction au restaurant universitaire ou à la bibliothèque. Accoutumé que j’étais aux gentillesses et autres signes d’intérêt, je ne remarquais plus que les regards tournés ailleurs. Chaque jour j’en repérais un peu plus. À force, sans pour autant l’afficher, je m’en offusquais. C’est à partir de ce moment-là que je me suis attelé à chercher comment me faire de nouveau apprécier. Seulement, sans avoir aucune idée de ce qui avait provoqué cet élan d’adulation en premier lieu, il m’a fallu tâtonner.

J’ai commencé par soigner mon apparence pendant quelques jours. Grave erreur ! On me remarquait toujours, mais ce qui était de l’admiration semblait soudain se transformer en dédain dans le regard des passants ou de mes camarades. Je n’avais d’autre choix que de me négliger, pour faire la différence. Après tout, je ne m’étais ni rasé ni bien habillé, le matin où tout avait commencé. Mais non, de pire en pire : plus aucun sourire. On ne venait plus me parler sans raison. Je me suis alors surpris à essayer de faire le comique, en cours… Ma déchéance pouvait se mesurer au nombre de rires dans la classe à chaque nouvelle tentative. Entre les heures de CM, je me dirigeais de moi-même vers tous ces groupes d’étudiants qui ne venaient plus si régulièrement m’aborder depuis peu. La conversation tournait souvent très court.

En seulement quelques jours, je suis redevenu un gars parfaitement ordinaire aux yeux de tous. Les messages de Camille s’espaçaient. Cléo me regardait de haut. Ceux qui me l’avaient demandé auparavant devaient se souvenir de mon prénom, mais plutôt comme on se souviendrait du repas de la veille. Le regard des autres était redevenu fuyant.

 

Quelques deux ou trois semaines plus tard, je me suis retrouvé à travailler sur un exposé d’anglais en duo avec un de ces gars qui étaient venus me serrer la main dès le premier jour. Dans un moment de creux, tandis que les autres groupes discutaient et s’affairaient, je me suis décidé à lui demander si j’avais rêvé tout ce qu’il s’était passé. Et dans le cas contraire – si je n’étais pas fou au point d’avoir imaginé cette histoire –, pourquoi tout le monde avait subitement arrêté de me témoigner de l’intérêt ? Dire que j’étais désespéré serait indulgent. Après un regard appuyé puis un léger soupir, il m’a répondu à peu près en ces termes :

« Écoute. Avant ça, avant que tout le monde se désintéresse de toi, tu étais exactement toi-même. Et on te respectait pour ça. Tu sais, c’est extrêmement dur d’être à ce point soi-même, en particulier dans le monde dans lequel on vit. On ne voit pas de gens comme ça à la télé ni nulle part ailleurs – enfin je crois. C’est extrêmement rare. Dans tous les cas, aujourd’hui tu ne l’es plus tellement. Toi-même, je veux dire. Tu as changé. Ça doit être inévitable. »

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Pouiny
Posté le 22/06/2023
Je ne suis pas spécialement fan de toutes ces histoires qui commencent par « Je ». J'adore l'ironie de cette phrase, c'est vraiment succulent x)

"venaient me checker" => dans le ton de la nouvelle, le "checker" me choque un peu, il fait une rupture de ton encore plus violente que d'habitude, peut-être est-ce l'anglicisme...

"Entre les heures de CM" => j'éviterai d'écrire cours magistral en raccourci, parce qu'on est pas tous allé à la fac et en vrai même moi il m'a fallu quelques secondes pour me demander ce que c'était (j'ai pensé CM1 / CM2 avant de penser cour magistral xD)

Sinon, la fin est géniale, au début ça ressemblait à un gros fantasme et j'aime beaucoup comment la fin explique tout x)
Ewen
Posté le 22/06/2023
Hey ! Content de te retrouver par ici 😄
Merci pour tes recommandations, je trouvais que ça rentrait dans le "parler jeun's" mais effectivement si ça te bute à la lecture il faut y faire quelque chose (mon dieu j'ai vraiment écrit le mot "jeun's" ?😵)
Pouiny
Posté le 22/06/2023
Ah oui t'es pas très jeune x)
SHÂMSE
Posté le 20/05/2023
Bravo pour le sujet, la références aux moyens que peut utiliser l'être humain pour se faire remarquer et la chute. C'est effectivement incroyable comment le regard de l'autre peut nous influencer. On a beau se dire qu'on se fiche de ce que les autres pense mais on se ment. Nous sommes des êtres de relation, et chaque relation change quelque chose en nous.
J'ai tiqué sur l'avant dernier paragraphe qui, je trouve, manque un peu de fluidité...
Ewen
Posté le 23/05/2023
Merci pour ta lecture, ton commentaire et ta remarque ! J'en tiendrai compte lors de la réécriture ;) À bientôt !
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