Au cœur d’une cellule austère, baignée par la lueur vacillante d’une chandelle, Aurélius s’abîmait chaque nuit davantage dans ses recherches. Entouré de parchemins, manuscrits usés, et fragments de textes oubliés, il paraissait consumé par une obsession silencieuse, presque maladive.
Depuis des semaines, il sondait le mystère du fluide de vie, cette force ancienne que Myra semblait porter. Pour Aurélius, ce n’était pas un simple pouvoir, mais la clé de l’équilibre fragile entre la vie et la mort, entre la nature et la mécanique.
Chaque mot lu, chaque symbole déchiffré, le rapprochait autant d’une révélation que d’un abîme. Il ressentait dans ses veines ce poids immense : celui de la responsabilité. S’il ne comprenait pas ce fluide, s’il ne trouvait pas un moyen de le protéger, tout serait perdu.
Car ailleurs, dans l’ombre, un autre homme cherchait lui aussi à maîtriser cette force, mais pour des desseins sinistres.
Aldemir de Rauk.
Le seigneur au nom noir, détenteur du grimoire d’Elyas, vivait dans un château empreint de ténèbres, là où les ombres semblaient s’épaissir comme une seconde peau. Tandis qu’Aurélius voyait en cette source un don à préserver, Rauk y voyait un moyen d’exercer un pouvoir absolu, un levier pour dominer et réduire à néant toute vie qui lui déplaisait.
Aurélius avait découvert que le clan Rauk détenait ce livre ancien depuis des siècles, transmettant la connaissance maudite de génération en génération, alimentant une soif insatiable de contrôle.
Le moine n’était pas naïf. Il savait que cette quête du fluide opposait deux forces irréconciliables : la vie, fragile et précieuse, et la mort, cruelle et dévorante.
Il était le contrepoint de Rauk.
L’un cherchant à protéger et guérir, l’autre à détruire et asservir.
Chaque nuit, ses yeux fatigués scrutaient les symboles, chaque jour il s’efforçait d’avancer, d’élargir son savoir. Parfois, les cauchemars le réveillaient, des visions d’un royaume en flammes, d’une forêt dévastée, d’une Myra réduite à néant.
Dans le silence, la chandelle vacilla une dernière fois avant de s’éteindre, laissant le moine seul avec ses pensées et sa détermination inébranlable.
La lumière filtrait à peine à travers les vitres opaques du cloître où Aurélius se tenait penché sur un vieux manuscrit. L’encre ancienne enchaînait ses pensées, mais son esprit, lui, vagabondait ailleurs, loin des runes et des symboles, loin des secrets du fluide.
Il pensait à lui. à Ser Caldar.
Le temps avait fait son œuvre, usant les visages, ternissant les souvenirs. Et pourtant, le regard du chevalier hantait encore ses méditations. Pas celui de l’homme brisé par les guerres fratricides du royaume d’Inghelmöun, ni celui qui avait erré à travers les campagnes putrides. Non. Ce qu’Aurélius revoyait, c’était l’enfant qu’il avait élevé.
« Redresse-toi, Ser Caldar. Une lame ne se manie pas qu’avec la force… mais avec la Grâce. »
Il avait été le précepteur de Ser Caldar, à la demande du père du garçon, Ser Marlaix De Valnuit, un noble trop occupé à guerroyer pour élever son héritier. À cette époque, Aurélius était encore un homme du monde, un érudit guerrier au passé trouble, entre foi, discipline et désenchantement.
Il avait instruit l’enfant, lui avait appris à lire, à se battre, à comprendre le monde. Mieux qu’un maître, il avait été un mentor, un père d’appoint. Une présence de confiance dans l’univers rugueux et indifférent du domaine familial.
Et puis étaient venues les premières campagnes.
Aurélius avait accompagné Ser Caldar à la guerre, à ses quinze ans à peine. Il l’avait suivi, conseillé, protégé même dans les premiers carnages. Ensemble, ils avaient traversé le sang et le feu, les cris des mourants, les ordres aboyés dans la nuit.
Ils s’étaient retrouvés dos à dos dans les fossés boueux, repoussant les charges Barbares venant de l'est, les flèches, la peur.
Mais Aurélius, lui, avait changé.
Chaque bataille lui retirait un peu plus de son âme.
Chaque vie fauchée par Ser Caldar lui rappelait qu’il avait formé une lame, mais qu’il avait oublié l’homme.
« Je voulais t’apprendre à survivre, pas à tuer. »
Alors, une nuit, après une victoire fangeuse et inutile, il était parti.
Sans mot, sans adieu. Meurtri de devoir abandonner celui qu'il aimait comme un fils. Car l'abandonner c'était refuser de voir noircir l'âme du garçon chaque jour un peu plus.
Il s’était retiré du monde, emportant avec lui la culpabilité de ce qu’il avait forgé. Il n’avait plus touché une arme depuis. Il s’était fait moine. Chercheur. Gardien de mots au lieu d’armes. De vie au lieu de mort.
Et voilà que, des années plus tard, ils étaient réunis dans un monastère perdu, entre les racines d’un monde en train de s’effondrer. Ser Caldar ne l’avait pas reconnu d’abord. Le regard était le même, mais le corps usé, le silence trop épais.
Aurélius n’avait rien dit. Il avait simplement glissé les mots qu’il fallait, sur une jeune fille à trouver, sur une clef à protéger.
Ils s’étaient alors quittés, à nouveau. Ser Caldar avait oublié l’enfant qu’il avait été. La guerre et le sang, plus que le temps, avaient effacé toute l’innocence et la joie du cœur de cet homme, ce combattant qu’il était devenu. Le cœur d’Aurelius se serra à cette pensée. Et alors il pria en silence, non pas à un dieu, mais à l’ombre de ce qu’il avait été.
« Tu marches encore dans la guerre… et moi dans les ruines que nous avons laissées. »
j'ai beaucoup aimé ce passage. je trouvais qu'on avait pas assez entendu parler d'Aurélius et que son passage avait été rapide mais avec celui-ci ça se comprend ahaa
Le fait que c'est lui qui a éduqué Ser Caldar est chouette et ça l'humanise beaucoup. Et les dernières phrases sont touchantes je trouve.
Il n'a pas réussi sa véritable mission, pourrait-on dire :)
A la suite :)
En changeant de vie il a essayé d'oublier et a voulu se racheter en quelque sorte.