Toujours dans le même bar, Uzu, nerveux cache ses mains qui tremblent, entre ses genoux, sous la table. Il ne connait pas ce Nicolas qui est censé travailler avec Liam et Marc, toutefois sa présence ne lui dit rien qui vaille. Ce gars ne l'a pas seulement regardé de haut depuis son arrivée, mais également avec un tel mépris qu'il se demande si les deux cailleras* de l'autre côté de la table n'ont pas plus de civilité que lui. Il se rassure tant bien que mal en remarquant que le bonhomme paraît agir de semblable manière avec tout le monde. Dans quelle intention Marc l'a-t-il emmené avec lui ? Pour quelle raison Liam n'a-t-il pas daigné venir ? D'autant que de ce que Uzu en sait, Yann n'est pas seul en ce moment, puisque Gabriel à filé le rejoindre dès qu'il a pu.
Il craignait de se retrouver en face de ces deux jeunes, sa gêne s'agrandit davantage avec la venue de cet inconnu. Il y a longtemps que Uzu n'avait pas autant baissé les yeux, eu envie de disparaître. Sa bouche est sèche, son corps tendu au possible, ses mains moites et son cœur frappe dans sa poitrine à la manière d'un gong chinois. Devant lui s'affrontent deux mâles alpha, un dans chaque camps et il ignore ce qu'ils tentent de prouver. Il n'a écouté aucunes des réflexions, n'a prêté l'oreille à aucunes remarques, du reste leur conversation n'arrive à ses oreilles que brouillée, il est ailleurs ou essaie en tout cas.
- Bon là ça suffit ! Hurle le fameux Nicolas tapant du poing en se levant, faisant trembler les verres, tel un coq feignant l'affront.
Uzu sursaute, les racines de ses cheveux se redressent, il est terrifié.
- Est-ce que ce con sait avec qui il parle ? pense-t-il. Se doute-t-il seulement de l'importance de cette rencontre et du risque qu'ils prennent tous ?
- Je commence à en avoir marre d'écouter toutes ces conneries, poursuit l'énervé, sûr de son bon droit. Après tout, il défend la bonne cause !
- Nico... soupire Marc impuissant face à ce débordement de testostérones inapproprié.
- Observe-les, ils sont là à jouer les fortes têtes comme-ci on leur devait quelque chose ! Mon gars t'es pas un héro hein ! insiste-t-il encore.
- Qu'est-ce tu baves* ? interroge finalement Rachid, face à lui, dont Uzu s'évertue à fuir le regard.
- Tu te prends pour qui ? reprend Nicolas. Le roi de la place ? Vous voulez quoi ? Échapper à la taule parce que vous avez soit disant sauvée la vie de votre victime ? J'entends parler depuis tout à l'heure de cette notion de "non assistance à personne en danger", mais tu sais mon con, que si un gars avait été filmé passant à côté de l'arrêt de bus ou vous avez laissé ce jeune mec entre la vie et la mort...
Jeune mec ? Est-ce qu'il parle de lui ? Uzu à l'impression de n'être qu'une poupée, ce gars qui dit le défendre ignore, tout simplement, sa présence.
- P'tain ! Il est ouf* s'batard lol. Qu'est-ce tu m'cherches là ? crache le gars sous la capuche, dont la patience déjà pas maîtresse chez lui, fond comme neige au soleil.
- Oui p'tit branleur, entre la vie et la mort, à moitié nu, dans le froid avec aucun moyen de communication rapide, même pas un téléphone ! Et vous n'avez aucunement pris la peine d'appeler à l'aide qui que ce soit. Tout ça, à des kilomètres de son domicile, sans qu'il sache où il était ! Si là mon gars, un pecno avait été filmé simplement à passer à côté sans essayer de l'aider, ce fameux passant aurait été accusé, justement, de non assistance à personne en danger ! Tu crois que parce que vous l'avez sorti de cette cave, que vous l'avez trainé jusque chez toi sans vous poser la question de savoir si c'était bon pour lui de le déplacer dans cet état, que vous l'avez laissé sans connaissance ou presque sur le rebord d'une route après l'avoir trimballé pendant je ne sais pas combien de temps en bagnole...
- Dans un abri bus, ne réussi qu'à murmurer Uzu complètement pétrifié de peur quand à la future réaction du gars d'en face.
- Que ça fait de vous des héros ? continue Nicolas sur sa lancée. Tu veux que je te dise, ton pote là, il à beau ne pas avoir été présent la veille, ce qu'il a fait, de sortir la victime ainsi et de la transporter pour finalement la laisser choir et l'abandonner à son sort, c'est également un crime !
- Même pas j'te calcule* toi, t'es rien pour moi, tu crois quoi ? Tu touches mais à un ch'veu d'mon pote sérieux mon gars même en taule et même si ch'uis raide* y'a des gens qui s'ront d'la teuf*, pour t'faire la misère à toi et à toute ta clique de tarlouzes*. On va t'la faire bouffer ta teube* de pédé, jusqu'à ce que tu t'étrangles avec, profère l'accusé. C'est pour ça qu'vous nous avez fait v'nir ? demande-t-il en se retournant vers Marc. Redouane, il ira nulle part ok ? Et toi, ajoute-t-il en direction du Japonais, devenant pour le coup franchement menaçant. T'ouvres ta sale gueule de niak'* j'te nique* pire que s'qu'on t'as d'jà fait, cette fois sérieux man*, tu t'relèveras pas !
- Ça suffit ! tente une fois de plus de le calmer, le président de l'association, un peu dépassé par les évènements. On est là pour discuter, on essaye de vous aider ! ajoute-t-il en prenant à parti l'autre jeune, jusque là plutôt en retrait.
Mais la réplique et sans équivoque, ils n'y en a pas un pour rattraper l'autre.
- Vazy* toi, ravale ta fierté d'tarlouze*, t'as vu l'autre raclo* comment y nous manque de respect là ? ajoute Redouane.
- Lâche l'affaire Red', l'arrête Rachid qui reprend aussitôt la parole. Attendez les goyos*, moi j'vous ai rien d'mandé. J'dois pourrir en taule*, ok j'irais ! Mais lui d'jà, il a rien à faire dans vos magouilles de gros bléros* ! affirme-t-il en montrant son pote du doigt. Et j'veux pas qu'ma reum*...
- Mais t'as rien à réclamer connard...
- Bon maintenant Nicolas ça suffit, rentre chez toi ! le coupe tout-à-coup Marc finalement plus ulcéré par son collègue que par la petite frappe.
- Quoi ? l'interroge l'intéressé interloqué.
- Tu envenimes la situation.
- Ouais taspé* natchave* ! Laisse les vrais mecs taper la discut'* tu sers à rien.
Il accompagne sa phrase d'un geste de la main intimant à l'autre de s'en aller.
Sans doute vexé à mort par la réflexion et réalisant ne plus être soutenu dans sa démarche Nicolas se lève menaçant, son geste et sa posture aussitôt imités par son rival. Ils se toisent un instant tel deux taureaux furibonds.
- Vazy* j'vais t'bouyavé* toi, tu vas rien comprendre ! T'sais j'ai rien à perdre sale crevar* ! aboie à présent Rachid.
Redouane mine de rien tente de le rassoir. Uzu n'en mène pas large, pire même, c'est à présent son corps en entier qui vibre de peur.
- Nico rentre chez toi, insiste finalement Marc.
*
De retour à l'hôpital, du côté de Liam :
- Il aurait dû sortir aujourd'hui, affirme le blond.
- Je suis désolée, nous préférons surveiller son état tant que la fièvre n'a pas baissée, déclare l'interne.
- Et vous savez pourquoi la fièvre ne baisse pas ?
- Il faut le temps que le traitement fasse son effet monsieur.
Discussion entre deux battants de porte avec une interne qui a l'air de s'en foutre royalement. Le couloir est calme, il y a peu de visites, la plupart des lits s'avèrent vides dans ce service. Liam ignore pour quel motif la chambre de Yann est sans cesse entre-ouverte. Il passe la tête et inspecte une fois de plus les lieux. Gabriel est parti, Liam respire enfin, comme-ci un poids s'était envolé. Lorsqu'il les a surpris enlacés, il a hésité à leur notifier sa présence. En définitive, il a préféré se retirer sans bruit. Assurément, il ne s'agissait là que d'une simple marque d'affection, un élan mue par la situation médicale de Yann qui fut préoccupante ces dernières heures. Bien qu'il n'y croit pas trop Liam préfère se cacher derrière cette version. Cependant l'enquête visuelle de la chambre, lieu du méfait, vient de mettre en évidence un indice. Yann, malgré une fièvre assez élevée, se plaît à se couvrir d'une écharpe, mystérieux élément vestimentaire inédit. En s'approchant du lit Liam remarque la façon dont les doigts du rouquin s'entremêlent dans les fibres douces et comment son nez, perdu dans la laine, respire l'oxygène au travers du parfum qui y flotte encore. Son cœur se serre, autant pour lui que pour le malade, qui espère alors que tout semble joué. Liam peste silencieusement après Gabriel, même s'il comprend son tourment. Il faudra que cet imbécile se décide une fois pour toute à choisir, puisque ça n'a pas l'air d'être encore le cas, et qu'il s'y résigne. L'hésitation n'amènera que la souffrance et peut importe de quel côté l'on se situe.
- Tu es là ? murmure Yann qui s'éveille en fronçant les sourcils.
- Salut, répond Liam avec une nonchalance feinte et un sourire publicitaire.
- Quelle heure est-il donc ?
- Bientôt seize heures princesse.
À cette appellation le jeune andro lui rend son sourire.
- Il n'était pas prévu qu'on me libère ? Quand partons-nous ?
- Ce ne sera pas aujourd'hui malheureusement, il va falloir prendre ton mal en patience.
- Ha... j'avais cru comprendre pourtant.
- Oui, c'est ce qui était programmé au départ, en effet. Le problème c'est que ta fièvre ne baisse pas et les médecins sont un peu inquiets pour ta rate qui a doublée de volume à l'écho, du coup ils te gardent encore un peu.
Ses yeux louchant sur cette écharpe, Liam a dû mal à lui faire face. Il tourne autour du lit tout en lui causant, pose un sac de vêtements à terre, tire la chaise, en bref, s'occupe du mieux qu'il peut afin de détourner l'attention.
- Il n'y a rien d'autre ? l'interroge Yann que ce manège rend soupçonneux.
- Non, pas que je saches.
- Alors assieds-toi, tu me donnes le tournis mon chou.
- Je... Il m'est impossible de rester, bafouille-t-il. Attendu que le concert est ce soir et vu que je vais être manager maintenant... enfin tu comprends ?
Liam craint la réaction de Yann, la dernière fois qu'il a été question de son statu dans le groupe, ils en sont venus aux mains. Pour l'heure, ce n'est pas tant la colère qui anime l'expression de Yann que la déception et visiblement une certaine tristesse.
- Je comprends.
- Je t'ai ramené des magasines, au cas où.
- ...
Le rouquin détourne la tête. C'est quand Liam va se lever pour partir, qu'il voit l'étoffe autour du coup de son colocataire glisser lentement, tirée par son détenteur. Une fois roulée en boule, il la porte à son nez, la humant tout en fermant les yeux.
Tente-t-il par ce geste de l'atteindre ? Est-ce une nouvelle forme de torture ? Un instant suspendu à son geste Liam le scrute.
La réalité est tout autre, Yann regrette finalement ce qui est arrivé un peu plus tôt avec Gabriel, même si grâce à ça, ses sentiments commencent à évoluer.
- C'est sans doute simplement l'odeur du passé et tout ce qu'elle représente qui me touche, songe-t-il tristement.
Sa main s'éloigne lentement de son visage, le lainage glisse entre ses doigts pour venir tomber un peu plus loin sur le matelas.
- Embrasse-moi, réclame Yann.
- Quoi ?
L'androgyne est immobile, les yeux toujours fermés, une main sur le coeur l'autre sur son front, il attend. Ses doigts se crispent sur sa chemise lorsque Liam daigne enfin se lever.
- Yann, qu'est-ce que tu attends de moi exactement ?
- Rien que tu ne puisses m'offrir.
- Je n'ai pas envie de jouer au chat et à la souris avec toi, je...
- De la douceur, de l'amour, de la compréhension, de la patience et peut-être un peu de sexe aussi, ajoute-t-il sur le ton plus léger de la plaisanterie avec sa célèbre grimace en coin.
- Si je n'avais pas été témoin de votre rapprochement à Gabriel et toi, j'aurais été très heureux de pouvoir te... satisfaire.
- ...
Une larme apparaît sous la paupière droite de Yann, elle brille un instant sur la pommette de celui-ci, dans le rayon de lumière qui passe au travers des rainures du store, avant le glisser le long de sa tempe, pour finalement se perdre dans ses cheveux. Un sanglot soulève son torse, sa respiration s'entrecoupe. Il renifle, ses lèvres s'entrouvrent, il ne se défend pas.
- C'était évidement que ça se retournerait contre moi, conclue-t-il mentalement. Il fallait qu'il sache !
- Tu gardais les yeux fermés en espérant pouvoir t'imaginer que c'est lui qui t'embrasse ? persifle le blond agacé par son comportement.
Yann se détourne, puis se roule en boule sous les draps, le mouvement laisse échapper l'écharpe qui tombe à terre, sans qu'il ne s'en souci.
- Non, souffle-t-il. La lumière m'est douloureuse, j'espérais simplement calmer ma migraine.
- Il te balade, accuse Liam, après un silence pénible.
- Je sais, ça n'a plus d'importance.
- Et ça te va ? Prendre les miettes d'un autre en espérant mieux, tout en se doutant que ça n'arrivera pas, c'est d'une médiocrité désespérante, lance-t-il limite agressif. Remarque ce n'est pas comme-ci tu avais quelque chose à perdre ! ironiste Liam dont le comportement surprend Yann, qui ne s'en veut que davantage.
- ...
- Yann, j'ai également répété ce schéma pendant des années, ça n'amène rien de bon.
- Je sais.
- Arrête de me répéter que tu sais ! Si c'était vraiment le cas tu ne persisterais pas.
- Tu te trompes, j'ai parfaitement compris. Je ne lui ai rien dit de différent de d'habitude, ça ne l'a touché que parce qu'il a une phobie de la mort et...
- Assurément ! et tu l'as repoussé vivement à ce que j'ai vu !
- ...
- Un claquement de doigts de sa part et tu es à ses pieds, ça me rend malade !
- Parce que toi, Youzeu, tu l'aurais repoussé !?
- Qu'est-ce que tu racontes ? Évidement que oui !
- C'est vrai, j'oubliais, tu es LE super héro, bien plus fort que moi, bravo ! Je ne suis qu'une merde sentimentale sans aucun amour propre.
Le ton monte.
- Arrête de délirer, je ne vois même pas le rapport, lâche excédé Liam.
- Le rapport... c'est bien toi qui as réalisé qu'on avait qu'une seule chose en commun, non ? Tu aimes toujours Youzeu et j'aimerais invariablement Gabriel, tu l'as dit : " Nous désirons tous les deux quelque chose qui appartient déjà à quelqu'un d'autre." ou c'était uniquement pour m'amadouer ?
- Tu déformes la réalité pour arranger les choses à ta sauce, ou alors tu n'as rien compris à ce que je raconte !
- Qu'est-ce que j'aurais dû comprendre ?
- Déjà que nous ayons ça en commun, ça ne veut pas dire nous n'ayons rien d'autre !
- Tu joues avec les mots.
- Pas du tout, et ensuite Youdzeu et moi, ça s'est finit il y a longtemps ! Encore fois, c'est une histoire qui date du lycée !
- ...
- Le cœur de Gabriel que tu désires appartient à Uzu, le tien que je convoite, appartient à Gabriel, voilà pourquoi nous désirons tous les deux, quelque chose qui appartient déjà à quelqu'un d'autre, explique-t-il enfin.
- ...
- Et ce qui vient de se passer le prouve une fois de plus, argumente-t-il la voix cassée par l'émotion.
- Non, ça ne prouve plus rien, mon cœur n'est pas un foyer restreint.
- Pas un foyer restreint hein ? Et tu comptes y inviter beaucoup de monde ?
- Ça ne risque pas, personne n'en v...
Yann n'achève pas sa phrase, les lèvres de Liam se posant tout-à-coup sur les siennes l'en empêchent.