Un peu plus de deux ans avant.
- Hééé qu'est-ce qui t'arrive ?
Gabriel est surpris, Yann lui a sauté dans les bras. Mal à l'aise il tente de le repousser gentiment. Il espère que personne du foyer, n'a vu ce débordement.
- Yann pas ici !
- Pourquoi pas ? Je croyais que...
- Ouais, on est pas à la Réunion mais quand même !T'as un coloc personne n'sait s'il verrait d'un bon œil d'partager sa piaule avec un gay, s'tu vois c'que j'veux dire. T'sais pas qui est homophobe ou pas hein !
- Je pensais être plus libre ici, tu m'as menti.
- Non, j't'ai dis que c'était facile pour personne et nulle part, c'est toi qu'invente là. Par contre ouais, on ose plus. C'est pour toi qu'j'dis ça, le gars à pas l'air très commode.
Yann le dévisage, totalement désemparé, quelque chose dans sa réaction lui échappe.
Pour sa part, Gabriel le trouve adorable.Un nœud se forme dans sa gorge, il y a tant de mois que lui aussi attendait ça, d'avoir l'occasionde le prendre, enfin, dans ses bras, qu'il a du mal à vraiment se rendre compte que c'est accessible. Il vérifie rapidement à droite et à gauche afin d'être sûr que personne ne déboule vers le couloir du dehors, puis l'attire à lui.
- Bon ok, vient par là. On est ensemble maint'nant, on a réussi, plus rien n'nous séparera. J't'aime.
Ils restent ainsi un long moment enlacés, silencieux. Gabriel plaque Yann contre lui le plus fort qu'il en est capable, l'autre s'agrippe d'égale force.
- T'es fatigué, faut qu'on rentre, on a encore du ch'min dans l'aut' sens.
Yann acquiesce en silence et ils se détachent lentement. Une fois dans la rue, Gabriel lui prend la main, assortissant son geste d'un clin d'œil. Dans le métro, le réunionnais s'endort sur ses genoux, Gabriel ne le repousse plus. Son allure n'a pas changée de toute façon et le parisien estime que Yann ressemble suffisamment à une fille pour que personne ne viennent oser leur prendre la tête.
*
Laurianne attendait ça depuis longtemps, elle n'aurait jamais cru qu'ils iraient jusqu'au bout. Et bien que ce jeune homme ait fait quelque peu tourner son frère en bourrique, elle ne peut qu'admettre les sentiments forts qui les lient à présent. Elle est contente pour Gabriel.
Elle a été si anxieuse quand elle a su pour son orientation sexuelle. Lui, cet artiste si naïf et sentimental, elle se demandait s'il parviendrait à garder la tête hors de l'eau. La vie d'adulte est parfois terrible pour certains. Elle ne se voit pas rester derrière lui indéfiniment, elle attend l'émancipation, tout prête à croire que celle-ci débute par amour. N'est-ce pas la meilleure raison de grandir ?
Erwan tire la gueule devant la TV, elle n'en a cure, un jour ou l'autre, il se rendra compte que leur couple y gagne au change. Elle ne partage pas son avis sur Yann, ce garçon est étrange, certes, en revanche il n'est pas aussi mauvais que son petit ami le pense. Erwan a tendance à voir le mal partout, surtout si les gens ne vivent pas de façon « conforme » à sa vision. Et puis c'est sans doute sa manière à lui de prouver qu'il accorde de l'importance à la famille qu'ils forment ensemble aujourd'hui. Elle a bon espoir que son jugement évolue. Pour l'heure, elle préfère ne pas y prêter trop attention.
Lorsque les garçons sont arrivés, le visage du réunionnais l'a bouleversé. En dehors du fait qu'elle partage l'avis de son frère sur le charme dégagé par le délicat andro, son expression et sa gestuelle l'ont touché. Il est tendre, timide malgré ses mots et le voir à ce point perdu ici et désarmé, a quelque chose d'émouvant. Elle reste persuadée que sa souffrance, pendant tous ces mois, était sincère. Elle comprend son comportement, elle a en conséquence un certain respect pour sa ténacité et pourl'acharnement de son petit frère. Elle ne croit pas être capable d'autant d'obstination, surtout au vu des obstacles énormes qui se dressaient sur leur chemin. Ils ont réussi, elle est fière d'eux. L'impression d'avoir deux petits frères l'habite, alors que de ce jeune, elle en si connait peu.
*
L'eau coule sur son corps, il ne sent presque rien. Yann n'arrive plus à penser, c'est un véritable combat pour ne pas s'endormir sous cette douche bouillante. Il n'éprouve plus de faim. Ce soir, il va dormir contre l'homme qu'il aime, c'est tout ce qui compte. Il affiche un sourire, le premier depuis qu'il est arrivé. Gabriel a relégué son lit une place, contre un des murs de sa chambre, installé deux matelas côte à côte, une grande couette pour deux, c'est la seule chose qui a de l'importance, à présent. D'ailleurs quelle heure peut-il être ? Il n'en a pas la moindre idée. Il y aura bientôt trois jours qu'il n'a pas vraiment dormis. Il ne compte pas la somnolence dans la voiture et la sieste dans le métro. Ça n'est pas ce soir qu'ils feront des folies de leurs corps. L'idée que Gabriel puisse abuser de lui pendant son sommeil l'amuse.
- Ça va ? l'interroge son petit ami derrière la porte de la salle de bain.
- Tu veux venir me rejoindre, plaisante Yann qui a, pour quelques instants, recouvré son goût des répliques libidineuses.
- ...
Ne pas avoir de réponse à sa question le calme de suite.
- Mieux vaut sans doute me tenir à carreau tant que je suis ici, réfléchit-il.
Si sa sœur et Erwan n'avait pas été là, Gabriel est plus que certain qu'il aurait enfoncé cette porte. Savoir que son mec se trouve à poil, à moins de deux mètres, lui donne mal dans le bas du ventre, d'envie. En plus, il se doute qu'il devra rester sage cette nuit, déjà parce que Yann est certainement complètement crevé, ensuite, il se souvient que son amant à la complainte facile et avec sa sœur de l'autre côté du couloir, il se voit mal faire hurler de plaisir son partenaire.
- Bon bha voilà, c'est gagné, j‘ai la trique, réalise-t-il.
Une seule pensée de Yann gémissant aura suffit.
*
Erwan reste là à s'abrutir d'émissions nases à la télévision. Il a franchement l'impression que tout le monde se fout de lui. Laurianne qui joue les grandes sœurs prévenantes avec ce total inconnu, l'agace franchement, d'autant que s'il a bonne mémoire le gars a un âge équivalent au sien. Et ce mec s'impose chez eux après tout le pataquès qu'il y a pu avoir autour de sa tromperie envers Gabriel.
- Vraiment sont-ils cons au point de ne pas réaliser qu'il se moque d'eux ?
Il ne cautionnera pas sa présence et pas question de le laisser s'incruster non plus.
- Et puis quoi encore ?
Ce gars le débecte, avec son petit air suffisant, cette arrogance vulgaire toujours prête à apparaître et ce, sur n'importe quel sujet abordé. Non, cette folasse n'a rien de mignonne ni même d'intéressant. Il se sert de Gabriel, il avait besoin de venir tâter de la métropole à moindre prix. Il est probable que leur histoire ne durera pas plus d'un mois. Une fois qu'il aura pris ses aises dans les bons quartiers chauds, nul doute qu'il ne lui faudra pas très longtemps pour le remplacer par un hôte plus attrayant.
- Mais évidement l'homme de la maison à tort !
Erwan a finit par se résigner même si ça l'emmerde. Il sait qu'il n'aura jamais le dernier mot face à sa copine.
- Tant pis, qui rira bien, rira le dernier.
Il est patient, il va attendre la chute de ce couple ridicule. En attendant, il ne se sent plus à l'aise chez lui et c'est franchement un comble.
- Les voilà qui se marrent comme des cons maintenant...
Erwan ronge son frein.
- Bha tu sors ? Tu vas où ? lui demande Laurianne, le voyant enfiler son blouson à la hâte.
- J'vais fumer, j'ai besoin de prendre l'air, grogne-t-il avant de claquer la porte.
*
Dehors la pluie tombe sans fin, Yann regarde les gouttes d'eau briller dans la lumière des réverbères en écoutant la douche. Gabriel a pris sa place dans la salle de bain. Dans le salon, Laurianne vient d'éteindre la télé, il flotte un calme tout relatif. Il a sommeil. La chambre de son copain est telle qu'il se l'était imaginée, des posters de leurs groupes japonais préférés affichés aux murs, David Bowie sur la porte, des photos de Billy Idol collées à même le miroir, Brian Molko trônant au-dessus du piano, une décoration à l'image de son propriétaire. Le piano, par contre celui là, il n'y avait pas songé. Pourtant Gabriel avait prévenu qu'il en jouait.
Ses doigts glissent sur les touches, ses yeux s'arrêtent sur les étagères de la bibliothèque, il inventorie ce qu'il y découvre: des shonen, des comics, des DVD, des CD, un bougeoir en forme de dragon. Il s'assoit sur le matelas au raz du sol. À terre, trainent des magasines de hard rock et quelques pornos gay, des tablatures, une boite de médiators. À côté, se trouve la table basse, il faufile un doigt à l'intérieur d'un tiroir entre-ouvert, des pilules au nom inconnu, quelques préservatifs.Yann se marre, ils n'en manqueront pas, il peut être rassuré sur ce point. Le deuxième tiroir est remplit de photos de lui. Il est ému de les découvrir là, sur l'une d'elle le gamin a, en prime, dessiné un cœur.
- Quelle midinette...
La douche de son chéri paraît d'un coup prendre des heures, il s'allonge sous la couette et pose sa tête dans l'immense oreiller mou. Un soupir sort de sa bouche malgré lui. Le drap est moelleux, l'odeur de Gabriel partout. Ses yeux se ferment, il imagine entendre le son du piano en succombant à Morphée.
*
Il fait complètement noir lorsque Yann s'éveille brutalement sans raison. Il ne sait plus où il est, il panique.
- Yann ?
- Hein ! Quoi ?!
Gabriel allume la lampe de chevet et Yann le dévisage comme s'il s'agissait d'un total inconnu.
- Ça va ? Bha t'es en sueur, qu'est-ce qui t'arrive ?
- Je suis où ?
- ...?
- Gabriel ? réalise-t-il se laissant retomber sur l'oreiller.
- T'as fait un cauch'mar ?
- Nan, j'ai cru avoir rêvé... mais tu es là.
- Allez viens là, le sert-il contre lui. Rendors-toi. Sauf si t'as faim ?
- Je suis tombé comme une masse, y'a longtemps que je dors ?
- Il est cinq heure, c'est encore la nuit. J'ai des trucs àgringotter si ça t'dit ?
- Non, ça ira.
Il ferme de nouveau les yeux.
- Heu... Gabi chéri, c'est quoi ce que je sens dans mon dos ? Tu bandes ma parole ? ricane-t-il.
- Ouais, j'vais avoir du mal à m'rendormir. Tu croyais quoi ?
- Hann mon corps t'appartient, je t'autorise à abuser de moi tant que tu utilises les présos de ton tiroir et que tu ne m'empêches pas de dormir.
- T'as fouillé dans mes affaires ? Pis qu'est-ce tu racontes, c'quoi ces conn'ries ? J'vais pas t'violer dans ton sommeille, nan mais t'e spas net toi, ch'uis pas un maniaque ! Allez dors sp'èce d'imbécile.
Gabriel se resserre davantage contre le corps de son petit ami. Quelques instants passent avant que Yann ne gesticule et soupire.
- Qu'est-ce t'as encore ? l'interroge le maître des lieux.
- Est-ce que tu vas enfin te décider à m'embrasser oui ou non ?
- Parle pas si fort ! Ma sœur et son mec dorment, j'te signale ! Et tu f'rais mieux d't'y mettre aussi, on en r'parlera d'main ok ?
- Attends, je rêve ! Tu refuses de m'embrasser ? Tu te rends compte que tu ne m'as pas becqué* depuis que je suis arrivé ? On ne s'est pas vu depuis sept mois, dès que je me rapproche, tu prends la fuite ! Y'a un problème ?
- Ouais... Justement mais j'préfère qu'on en parle d'main, parce que là, c'est pas l'moment.
La réponse lui fait l'effet d'une grande claque froide derrière les oreilles, l'estomac de Yannse noue.
- Nan et tu crois que je vais réussir à dormir maintenant ? demande-t-il d'une voix blanche en s'asseyant. Explique-toi, il se passe quoi ?
- ...
- Gabriel ?
Gabriel s'assoit à son tour.
- C'est juste que... Tu vois j'ai tellement imaginé nos r'trouvailles, j'y ai tant pensé, j'étais super content t'peux pas savoir.
- Pourquoi tu en parles au passé ? Tu ne l'es plus ?
- C'est qu'j'ai peur.
- De quoi ?
- Quand j'ai réalisé qu'ça y'est, t'arrivais, ça a été la panique dans ma tête. J'me suis mis à penser et si j'te r'connaissais pas ? Et si t'étais plus vraiment pareil ? Et moi, p't'êt' que j'ai changé ? Et si j't'aimais plus, si jamais en t'voyant tout-à-coup, j'm'aperc'vais que j'ressentais plus rien ?
- Mais... tu...
- À l'aéroport, j'flippais grave, en plus avec Erwan qui f'sait la gueule, toi qu'étais paumé, j'étais vraiment pas sûr d'pouvoir m'rendre compte. C'tait une p'tain d'pression quoi, parce que tu viens d'loin bordel, tu viens rien qu'pour moi, imagine !
- ...
- Et pis j't'ai vu, t'étais vraiment différent, tout en restant l'même, encore plus beau. J'ai eu envie d'chialer comme un con de m'rendre compte que j't'aimais pareil qu'avant.« Ch'uis débile ! » Que j'me suis dit. J'avais hyper envie de t'prendre dans mes bras et tout. J'aurais voulu qu'ça soit aussi parfait qu'dans mon imagination. C'tait vraiment trop nul avec Erwan, la route, la fatigue et l'pompon du foyer. Ch'uis pas à la hauteur. Ça m'énerve en plus que tu m'le fasses remarquer car c'est exactement d'ça qu'j'avais la trouille. J'voudrais au moins qu'une chose s'passe correctement. D'main, ma sœur et son mec s'en vont, on aura l'appart, on pourra...
- Embrasse-moi, tout de suite et ce sera parfait pour moi.
- ...
- Gabriel chéri, fais-le ou je te frappe !
- Ok...
- Pourquoi tu éteins la lu...
Yann avait oublié la tendresse de ses lèvres, il est surpris. Il ne s'attendait pas non plus à la vivacité de l'attaque. Les grandes mains chaudes de Gabriel plaquées de chaque côté de son visage l'attirant davantage, un premier smack suivit d'un second puis cette langue indomptée qui tente de pénétrer. La chaleur envahie son bas ventre, sa bouche s'entre-ouvre pour laisser leur deux langues se gouter timidement. Les doigts de Gabriel se mettent à trembler, un bisou nerveux claque une nouvelle fois. Yann passe ses bras autour du cou de son copain et entreprend de l'embrasser à son tour. Leurs langues se rejoignent, se caressent, se tournent autour. Le baisser se fait profond, s'intensifie, le jeune androgyne reprend la danse. Gabriel enveloppe chaque geste d'une infinie tendresse, Yann, quand à lui, met l'accent sur la sensualité.
- C'est malin maint'nant j'ai envie d'toi...
- C'était déjà le cas avant mon chou.
- C'tait un reflex.
Le soleil se lève, tout est calme. Ils s'observent, dans la pénombre, de nouveau allongés. Yann sourit, rassuré de l'effet qu'il fait toujoursà son chéri.
Gabriel a les yeux qui brillent. Ses doigts courent sur la peau du roux aux cheveux teint en noir, laissant de petits frisons naître chez Yann. Leurs bouches se collent de nouveau, une paume lui effleurent le bas ventre, l'androgyne à demi groggy reste mi passif mi offert, une des réactions que Gabrielconnait bien. Quand la main du parisien s'aventure enfin dans son short, il n'y a rien d'étonnant a ce qu'il ouvre imperceptiblement les cuisses et se cambre l'air de rien.
- T'es à moi, lui susurre son amant à l'oreille, empoignant fermement sa si fine verge.
Yann réprime un gémissement.
- Si jamais tu m'sorts l'moindre bruit, j'te bâillonne, le prévient l'autre aussitôt.
- Ho ouii attaches-moi chuchote la victime de l'assaut.