Une traînée rousse s’étirait à travers un ciel cotonneux, l’aube venait en douceur, avec elle, l’angoisse d’une nouvelle journée à subir la vie. À l’instar de ses compatriotes, Marina s’éveilla dès les premiers instants de clarté, brûlante de cette fièvre soudaine qui terrassait ce jour les Évéens. De même, après s’être chaudement vêtue, la jeune femme partit se joindre à la foule naissante à l’extérieur des murs. Quelle épouvantable vision y trouva-t-elle, lorsque son regard suivit la direction pointée par quelque doigt tremblant ? Une colonne de fumée noire s’échappait au loin depuis la colline du Dòu, elle montait se mêler aux cieux de blanc immaculés, entaille putride dans la voûte céleste. Les habitants y voyaient un mauvais présage, ils redoutaient, comme à chaque instant, l’avènement d’un nouveau Cataclysme. Voilà, s’épouvanta la fille adoptive de maître Rainier, ce à quoi j’ai réchappé. Des larmes gelées se cristallisèrent sur ses joues rougies par le froid comme ses pensées allèrent à ceux qu’elle avait envoyés à la mort.
Ses mains emmitouflées de laine se portèrent à son visage, elles effacèrent de cette figure juvénile les marques d’une douleur intérieure que tous partageaient ici. Marina se retourna, elle ne pouvait supporter davantage l’édifiant spectacle qu’offrait l’horizon lointain, et décida de rentrer au chevet de son père. Tournant les talons, elle se figea à la vue d’une étrange silhouette qui émergeait de la forêt d’une démarche grotesque et saccadée. Tout en reculant, la jeune femme porta la main à la garde de son épée, mais la terreur étouffa le germe d’un hurlement dans sa gorge. La forme obscure s’écroula dans la neige, inerte, elle demeura étalée là-bas sans plus bouger jusqu’à l’arrivée précipitée de Marina.
— Sire Kapris ! s’exclama-t-elle en le retournant sur le dos. Répondez-moi, Kapris, dites quelque chose.
L’homme battit faiblement ses paupières dissimulées sous une couche de suie, le sang empourprait ses haillons en lambeau qui ne couvraient qu’à peine sa chair lacérée de toute part. Il respirait faiblement, son souffle chaud créa un écran de brume autour de ses traits éreintés par une nuit de folie furieuse. L’immortel luttait pour rester éveillé, la mort l’appelait, mais il restait sourd à ses suppliques languissantes.
— Où est Maeva ? parvint-il à balbutier.
— Elle est en sécurité, rassura la jeune femme. Un garçon nous est venu avant l’aube, il la portait inconsciente sur ses épaules, mais il a disparu aussitôt. C’était un beau jeune homme, le connaissez-vous ?
Kapris ignora la question, il prit plutôt une profonde inspiration, soulagé d’entendre ces mots.
— Nous devons, souffla-t-il de ses ultimes forces, nous devons prévenir Escare, il nous faut de l’aide.
L’ancien chevalier sombra aussitôt dans l’abîme irrésistible du sommeil.