Lui

Elle le regarde par dessus ses grandes lunettes, elle le considère un instant fixant sur lui ses petits yeux perçants avant d'entreprendre son explication :

— Lui, est un homme qui a pris le pouvoir par la force. Il ne s'est jamais montré tel quel. Toujours le visage caché, derrière un masque noir. Il n'a pas de nom et personne ne sait d'où il vient. Lui est un vrai mystère. Cependant, il a réussi à former un groupe d'hommes qu'il a assaisonné de propos sectaires. Il est bon orateur, il a réussi à les convaincre qu'ensemble ils créeront un monde parfait. Le collectif s'appelait le CAPAM, le collectif actif pour un autre monde. On les surnommait les « capables » tellement ils agissaient sans foi ni loi, ils étaient prêts à tout. Ils ont réussi à imposer leur vision du monde par la terreur. Cela remonte il y a plus de 20 ans déjà !! Après plusieurs échecs, ils réussirent enfin un putsch qui leur a valu une place au pouvoir, Lui est monté sur le trône du roi assassiné. C'était le jour de la fête nationale, pendant le discours du roi deux bombes ont explosé. C'était terrifiant, beaucoup de gens sont morts. Le roi reçut deux balles en plein cœur. Une cinquantaine d'hommes affublés de combinaisons noires encerclèrent la foule et prirent en otage tous les hommes du gouvernement. Pendant ce temps, Lui monta sur la scène où quelques minutes auparavant le roi faisait son discours. Il prit le micro et de manière solénnelle  se déclarera  maître du monde, l'unique. Rien que ça! Pfff, encore un qui souffre d'un complexe de supériorité.

Sam observe la petite femme perdue dans ses pensées, elle exprime une mine renfrognée.

— Et on sait où il habite ? Demande t-il avec hâte et plein d'espoir.

— Non aucune idée. Il s'est éloigné de la ville. Certains disent qu'il vivrait dans une citadelle au beau milieu du désert. Mais personne ne l'a réellement vu, peu de personne ose s'aventurer dans ce désert immense dont on dit qu'il est dangereux.

— Dangereux comment ?

— Petit tu dois dormir, il reste quelques heures avant le lever du jour. Et moi je suis fatiguée.

— Vous avez peut être raison, je dois être en forme demain pour rechercher mon frère.

La femme lui souhaite une bonne nuit, elle le regarde avec des yeux plein de compassion. Essaye t-elle de lui signifier que sa quête est vaine ? Sam en fermant la porte de sa chambre aperçoit la petite femme agenouillée au pied de son lit, elle prie. La flamme de la bougie vibre, il croit deviner une larme couler sur sa joue.

Sam est réveillé par des chuchotements. Il a du mal a émergé de son sommeil de plomb. Il a dormi profondément, un sommeil sans rêve. Il se frotte les yeux, replace ses cheveux ébouriffés par la nuit. Il s'approche de la porte à petit pas, il ne veut pas que la vieille dame l'entende. Il entrouvre la porte qui grince légèrement. Il retient son souffle. Les chuchotements ne s’arrêtent pas, on ne l'a pas entendu. Il cherche à voir qui parle avec la petite dame. Il distingue une grande femme habillée avec une longue robe blanche qui descend jusqu'aux pieds. Des petites étoiles scintillent sur sa robe, elle a l'allure d'une magicienne. Une longue natte grise métallisée pend dans son dos. Elle est obligée de se baisser et de prendre appui sur son long bâton qui lui sert de canne pour chuchoter à l'oreille de la vieille dame. Il ne comprend pas ce qu'elles se disent. Il voit juste la petite dame donner une boite à la grande femme. Cette dernière avant de partir revêt son grand manteau blanc à larges manches. Avant de rabattre sa large capuche, elle tourne la tête en direction de la chambre de Sam. Il est surpris par sa rapidité de mouvement. Pris au dépourvu, il se tétanise. Les yeux de cette femme le défie, ses yeux couleur or lui interdisent de parler. C'est ce qu'il fait, il ne dit mot et la regarde partir. La petite femme l'accompagne jusqu'à la sortie, elle semble se faire encore plus petite en sa présence. Elle ne souhaite pas l'importuner. Elle s'applique à lui ouvrir la porte, se courbe sur son passage. Sam ressent de la peur chez la petite femme. Sam attend d'être sur qu'elle soit partie pour sortir de sa chambre.

— Bonjour, vous avez eu de la visite ? Dit-il comme s'il n'avait pas assisté à leur échange.

— Je sais que tu nous observais. Tu as bien dormi ? Se reprend elle d'un ton guilleret.

— Elle a une sacrée allure cette femme, c'est qui ?

— Personne, tu n'as pas besoin de savoir !

La petite dame a perdu de sa bonhomie, elle a l'air soucieux. Sam n'insiste pas, il voit bien qu'elle ne veut pas en parler. Il ne comprend pas pourquoi. Qui est donc cette femme ?

*

Théo sursaute au bruit du verrou qui ressemble à s'y m'éprendre à celui du cachot dans lequel on l’avait jeté un peu plus tôt. Je ne suis pas sauvé se dit-il. Que lui veut cet homme, ce faux jumeau ? D'être ainsi confronté à son double lui rappelle un film d'horreur qu'il a vu avec ses amis . Un frisson lui parcourt l'échine dorsale rien que d'y penser. Dans ce film, les personnages doivent affronter leur propre double. Est-ce un mauvais présage ? L'autre homme revient vers lui, deux verres à la main. Il lui en propose un.

— Trinquons à notre étrange rencontre !!

Théo cogne son verre au sien par automatisme. Il n'a guère le goût à la fête. Il n'est pas à l'aise habillé en homme grenouille. De plus,il ne comprend pas les intentions de son double. Il trempe ses lèvres dans son verre. L'odeur associé au goût d'alcool lui débouche les sinus. L'image de sa première cuite lui revient en mémoire. Du whisky, il en est sur. Il s'était promis de ne plus jamais en boire. Pour ne pas offenser l'homme, il prend malgré tout une gorgée de ce breuvage qu le dégoute. Il est surpris d'apprecier le parfum du spiritueux qui embaume délicatement ses lèvres. Le goût de feu de bois se dépose dans sa gorge et lui fait oublier en un rien de temps sa première expérience. Il trouve la boisson fort à son goût. Il trempe de nouveau ses lèvres, cette fois ci en prenant le temps de déguster. La voix de l'autre homme le ramène à la réalité :

— Je ne comprends pas pourquoi tu as répondu que tu es pour Lui si tu viens d'arriver dans ce monde?

Siroter son whisky lui donne une certaine prestance et le rassure, Théo répond sans trop de conviction.

— En fait, je recherche mon oncle qui a disparu il y a 30 ans, j'ai l'intime conviction qu'il s'agit de Lui. Je voudrais le rencontrer si c'est possible.

Théo improvise, il invente des liens dont il n’est pas vraiment sur. Néanmoins, cela donne de la matière à ses propos et une raison d’être là. Meme s'il en meurt d'envie, il n’ose pas demander qui est Lui.

— Imaginons que ce que tu dis est vrai et même si j'y crois pas trop à ton histoire, je veux bien t'aider à le rencontrer.

— Je vous remercie, ce serait vraiment sympa de votre part !! s'enthousiasme Théo reconnaissant d'accepter de l'aider.

— Hop là je t'arrête tout de suite. Je ne suis pas un bon samaritain, tu n'es rien pour moi compris. Par contre, je vais avoir besoin de toi pour réussir à t'approcher de Lui.

Théo hoche la tête pour acquiescer, il n'ose plus trop parler. Il est naïf de croire que cet homme lui veut du bien. Il n'oublie pas le bruit du verrou qui siffle encore dans ses oreilles.