Descendre six étages, récupérer la livraison, remonter six étages, trouver Samuel torse nu en train de se sécher les cheveux sur son lit, remarquer un tatouage sur sa hanche, se dire qu'il faudra attendre avant de prendre sa propre douche, se donner une contenance.
— Je peux t'emprunter ton pc deux minutes ?
— Hm hm.
Alexandre n'a jamais mis autant de temps pour préparer une table. Alors qu'il doit avoir trois verres, quatre assiettes, et du Sopalin en guise de serviette. Depuis quand est-il devenu un étudiant aussi caricatural ? Il y a même une vieille affiche de spectacle accroché au mur, spectacle qu'il n'a même pas vu en plus.
Ceci dit, nettoyer consciencieusement ses couverts (oui il en a !) lui permet de se calmer. Il rend service à un pote et ça se tient à ça.
— Eh, tu as une notification mail.
Il finit par pousser la table près du lit, avec leurs victuailles, et s'installe sur le matelas à côté de Samuel. Ce n'est ni pratique ni confortable, mais il n'a qu'une seule chaise.
— Je regarderai plus tard. Tu veux voir un truc ? J'ai l'abonnement Netflix de mes parents.
Quand il reprend l'écran en main, le navigateur est sur la page de recherche Google. Il y a le chiffre déprimant du nombre d'hospitalisations et de morts dans la journée. Et les réponses imparfaites aux questions que tout le monde se posent, et notamment Samuel, du genre « comment on transmet le virus ? »
À ses côtés, le jeune homme est incroyablement silencieux, encore plus qu'avant. Il est replié sur son estomac, presque tremblant. D'un geste automatique, Alexandre le prend par les épaules :
— Eh, t'inquiète pas. Demain on ira se prendre une ordonnance en ligne, et on ira se faire tester, ok ?
L'autre acquiesce ; Alexandre sent sous son bras ses épaules se détendre très légèrement.
— Mon pote a appris que j'étais gay. C'est... C'est pour ça...
Alexandre le serre encore un peu plus contre lui, il se retrouve avec le nez dans les cheveux de Samuel.
— Vraiment, je suis là, on va trouver une solution.
Quand ils se séparent, Samuel a les yeux légèrement rougis (« je me suis mis du shampooing dans les yeux ») et ils finissent par s'empiffrer devant la première saison d'American Horror Story, parce qu'il paraît que le réalisateur est super gay. Il est surtout super creepy.
— Il est quand même super bien foutu Ben Harmon...
— Mais il est complètement fou !
— Oui, mais t'as vu ces abdos ?
— Je préfère Tate.
— Ah oui parce que dans le genre qui fout la trouille il se pose là aussi.
— Mais il est mignon...
— C'est un stalker, purée !
— Et l'autre il a trompé sa femme !
Ils tentent tant bien que mal de ne pas mettre de miettes de cookies sur le lit.
Samuel finit par plus ou moins secouer le drap par la fenêtre pendant qu'Alexandre débarrasse. Ils se sont avalés la moitié de la saison et il est près de deux heures du matin.
Il est temps d'aller se coucher.
Comme toujours, on lit ces petits chapitres avec plaisir et facilité. On dirait des instantanés, des esquisses, qui ne donnent pas toutes les informations et nous invitent à remplir les trous de la narration. Un style qui fonctionne très bien appliqué à l'expérience trouble des différents confinements.