Ils ne retenteront pas la douche à deux. En tout cas pas ici.
Deux choses à retenir : les douches à l'italienne, c'est mieux pour faire des folies ; et Samuel est un élève extrêmement enthousiaste. Au moins de ses mains. Ils ont manqué de place pour autre chose.
Alexandre se sent complètement abruti d'hormones, une façon moins romantique de dire qu'il nage dans le bonheur. Cela lui fait peur, mais sans doute moins qu'à Samuel, dont il sent qu'il est encore tendu.
— Ma directrice m'a répondu pendant que tu n'étais pas là, fait-il alors que son compagnon s'amuse à passer et repasser ses mains dans ses cheveux. C'est extrêmement doux.
— Elle t'a engueulée ?
— Non. Je suis un des premiers à lui avoir donné des nouvelles. Elle n'est pas très loquace, mais j'ai pas l'impression que les étudiants aillent très bien en ce moment.
— Quand tu bosses dans la « gastronomie » (Alexandre entend les guillemets dans la voix de Samuel), les trois quarts du staff sont des étudiants ou des sans-papiers. À part ceux qui font des livraisons, y'a plus rien. Tu m'étonnes que ça va mal.
— C'est pour ça que tu as perdu ton boulot ?
Samuel arrête de lui masser le cuir chevelu et se serre un peu plus contre lui. Sa couette Ikea premier prix ne lui a jamais paru aussi agréable et confortable.
— Oui. Le patron est cool, mais il a préféré donner du taff à ses neveux qui ont perdu leurs postes ou qui ne peuvent plus faire d'intérim. Bon après Kevin a du aussi baver sur moi, donc j'ai bien fait de partir avant.
Un silence suivi d'un soupir. Alexandre resserre son étreinte autour de lui.
— Et ta directrice du coup ? Demande Samuel.
— Elle sera à l’UFR mercredi. Je vais aller la voir et on va redéfinir un peu mon mémoire. Mais elle trouve le sujet intéressant. Faut que je suive des formations aussi, je suis le plus nul des gays en matière de communauté. Enfin non, moins mauvais que les vieux qui viennent draguer en boîte comme si tout leur était permis. Je comprends, hein, la majorité de leurs darons dans la commu sont morts alors que tout le monde s'en foutait, mais à un moment, essaie de penser aux mômes quoi.
— Ah ah, t'as déjà un discours de militant !
— J'ai surtout le souvenir d'un vieux de 40 balais qui voulait me faire découvrir la vie. J'avais 15 ans purée. Même le mec à l'entrée de la boîte il aurait dû voir que ma carte d'étudiant était complètement fausse. Ça se voyait merde.
— Eh, calmos, Che Guevara !
Des lèvres sur sa joue. La tête qui se tourne légèrement et un baiser plus approfondi.
— Il t'a fait du mal ?
La voix de Samuel est hésitante. Il fait nuit maintenant, Alexandre ne voit que sa silhouette et, s'il s'approche un peu, ses grands yeux et la courbure de ses lèvres qu'il a vraiment envie d'embrasser à nouveau.
— Non, je me suis barré. Et je suis quand même un gentil garçon. Je voulais voir des jolis garçons, pas être bourré avec des cocktails multicolores à 15 balles et perdre ma virginité derrière un canapé.
— Ça se passe comme ça dans les pornos.
— Ça se passe comme ça pour beaucoup de mecs.
Le petit-déjeuner du mardi se fait sur les restes de la veille : les petits gâteaux au chocolat, hyper industriels, qu'ils ont oubliés de manger. Mais pas de câlins sous la couette, dès son café avalé, Samuel sort courir, son attestation papier sous le bras.
En passant à l’UFR, il faudra qu'Alexandre pense à en refaire des copies, ça commence à faire cher en papier. Et peut-être s'acheter une imprimante ?
Il réfléchit en faisant le tour de son discord. Non, ce serait déjà pas mal d'avoir un deuxième ordinateur. Samuel fait toutes ses démarches sur son téléphone, mais il lui a dit qu'il avait encore un forfait bloqué, et que la taille de l'écran est vraiment pas géniale pour les démarches auprès de Pôle Emploi ou de la CAF.
Il y a bien l'ancien ordi portable de Mathieu, qu'il n'utilise plus depuis qu'il s'est installé un PC plus puissant pour faire ses montages audio d'apprenti chanteur.
Bah, après est-ce urgent ? Lundi, Samuel aura d'autres possibilités de bouger, de prendre ses rendez-vous, ils peuvent survivre avec un seul portable pendant quelques jours. Il faudra juste bien s'organiser.
Yasmina : — Alors, comment ça va, joli cœur ?
Alexandre : — Je suis au paradis et en colocation.
Yasmina : — Sérieux ?
Il lui explique rapidement la situation.
Alexandre : — Et sinon y'a Handmaid's Tale sur Amazon, non ?
Yasmina : — Je te vois changer de sujet, monsieur. Mais oui j'ai vu, je sais pas, ce sera peut-être un peu extrême pour ma mère. Par contre ma cousine pourrait kiffer.
Alexandre : — ???
Yasmina : — Oui, Noura. Elle est venue avec sa mère ce week-end. Elle est assistante maternelle et elle avait ouvert sa propre garde d'enfants en août dernier. Du coup là elle déprime sec. Même le baby-sitting rémunéré à 15 balles de l'heure personne n'en demande. Bref, elle est venue alors que je discutais avec maman de ses impressions sur The Help. Je te préviens on a détesté toutes les deux. Et de fil en aiguille, on sera maintenant trois pour nos séances cinémas.
Alexandre : — C'est vraiment chouette. Je vais à l’UFR mercredi, je te fais un pass aussi ?
Yasmina : — Deal.
Alexandre passe sur le channel des tuteurs/tutrices, qui est aussi celui des étudiants et étudiantes qui sont plongés dans leurs mémoires, ou sont perdus à tout jamais. Beaucoup de Drama Queen aussi. Il cherche un nom, qu'il retrouve assez rapidement : Haimi. Tout le monde le connaît parce que la sociologie est un monde très... Blanc. Haimi porte ses origines laotiennes comme un étendard depuis qu'il s'est pris plusieurs remarques racistes pendant sa première année. C'est une camarade d'Alexandre qui le lui a dit quand il est arrivé de sa fac de province, genre « attention lui c'est un chieur ».
Mais Haimi est aussi le président de l'association LGBT de la Fac (nombre d'adhérents actifs : trois, dont Yasmina) et puis c'est un mec bien. Alexandre n'a plus adressé la parole à cette fameuse camarade de classe.
Alexandre : — Salut Haimi. Comment ça va ?
Haimi : — Non, je n'ai pas apporté le virus en France en revenant de vacances à Noël.
Alexandre : — Hein ?
Haimi : — C'est la question que tout le monde me pose depuis un mois. Ça va, à part le racisme de merde de la majorité de la population. Et toi ?
Alexandre : — J'ai besoin d'un service ?
Haimi : — C'est une question ?
Je crois que je gère mieux les souvenirs de mes expériences sordides dans le milieu gay (et certaines étaient vraiment glauques) que celles que j'ai eues à l'Université (comme quoi...). (Pourtant, ma directrice de recherche était absolument adorable, mais quelle angoisse).
Bref, fin de cet aparté sans grand intérêt.
Sinon, ouais, les mecs rapaces qui draguent deux fois plus jeunes qu'eux, c'est une réalité peu glorieuse du milieu (la différence d'âge entre deux mecs consentants ne me dérange pas, ce qui m'énerve c'est l'attitude rapace du gars manipulateur et expérimenté qui va s'en prendre à un jeune ingénu qui ne saura pas dire non et acceptera, l'alcool aidant, bien plus qu'il ne voudrait).