Lui - Scène 22

Notes de l’auteur : Attention on change de point de vue au milieu du chapitre :)

Quand Samuel rentre de son heure de sport, il a de nouveau les bras chargés d'un colis.

— J'ai jamais eu autant de paquets que depuis que je ne fais plus de livraisons...

Le carton n'a pas l'air très lourd non plus, et il vient d'Alsace. Encore un coup des parents. Là ils ont l'excuse de l'anniversaire, mais au moindre événement les colis de ration arrivent plus vite que le TGV.

— J'ai rencontré un autre joggeur. On a fait une partie du parcours ensemble, fait Samuel en ôtant son tee-shirt.

Alexandre se laisse rapidement accrocher par la vue et répond d'un borborygme qui ressemble vaguement à une phrase.

— Il paraît que le confinement va être prolongé.

— Pardon ?

Samuel répète. Ok, oui, Alexandre voit bien : les hospitalisations ne baissent pas, les morts augmentent, les services hospitaliers sont sur le point de rupture, oui c'est logique. Il devine la prochaine question de son ami. Mais à ce moment-là son téléphone sonne.

— Ils vont rallonger le confinement. Maman veut absolument que tu sautes dans le train pour Strasbourg dès lundi matin !

— Euh attends, attends, t'es où là ?

Il entend des sons de circulation derrière la voix de Mathieu. Samuel en profite pour foncer sous la douche après s'être entièrement dessapé. Si Alexandre ne fait pas un arrêt cardiaque d'ici le soir, c'est qu'il a une santé de fer.

— Je suis passé à Strasbourg pour une course.

— Mais tout est fermé non ?

— Non, quelques magasins sont ouverts et j'avais besoin de voir Jordan pour notre projet.

La Fac est toujours fermée, y compris le conservatoire où Mathieu passe le plus clair de son temps quand il ne fait pas des bœufs avec ses potes.

— Écoute, je pense pas rentrer à la maison. J'ai vraiment trop de travail et c'est plus simple ici.

— Tu te sens pas trop seul ?

Alexandre hésite à lui répondre. Il a super confiance en son frère, et il n'est pas à la maison, donc personne pour l'espionner et surprendre la conversation. Alors il lui parle de Samuel. De façon très succincte. Il a un colocataire, un pote qui est dans la merde.

— Tu peux lui laisser ton studio. De toute façon le loyer va continuer à être prélevé.

— C'est pas le problème.

Soupir au bout du fil.

— Prends le temps d'y réfléchir ce week-end quand même. De toute façon maman t'en reparleras demain au téléphone. Et tu dois avoir un colis qui est arrivé.

— Reçu ! Je l'ouvre demain sans faute. Au fait Mat...

L'alarme pour piétons en face de la gare de Strasbourg se fait entendre. Alexandre visualise la grande place pleine de pelouse vide, des bus vides, un passage pour piéton vide. Ça doit être extraordinairement bizarre.

— Tu as encore ton vieux PC portable ?

 

***

 

Il faut faire penser à Alex de changer de savon. Samuel ne supporte pas le parfum de vanille artificielle qui emplit la douche à chaque fois qu'il se lave. Ça lui rappelle trop sa mère. En plus la vanille, c'est dégueulasse.

Il frotte rapidement ses membres endoloris. Il n'est pas habitué à faire autant de sport, mais c'est le seul moyen qu'il a trouvé pour ne pas hurler ou faire une connerie. Comme débarquer chez Kevin pour récupérer le reste de ses affaires et défoncer ce connard en passant.

Quand il ressort de la salle de bain, Alex l'attend en dansant d'un pied sur l'autre. Il est tellement mignon quand il veut lui faire plaisir. Samuel ne sait pas si ça doit l'exciter ou le culpabiliser. 

— Mathieu va m'envoyer son pc portable ! Comme ça on aura chacun le nôtre !

Mais d'où sort ce type ?

Le matin, c'est Samuel qui se réveille en premier, et il observe Alex qui dort encore à ses côtés, l'oreiller pris en otage, une moue boudeuse sur les lèvres. Il est super beau mais il ne s'en rend sûrement pas compte. C'est un gamin qui a toujours été protégé ; quand il dort, il a l'air d'avoir 15 ans. Il ne doit pas faire de cauchemar. Il ne doit pas avoir envie de tuer son meilleur pote parce qu'il s'est rendu compte qu'il était très, très homophobe.

— Pourquoi ?

C'est tout ce qu'il arrive à demander. Le visage d'Alex s'effondre et le rouge lui monte jusqu'au front. Le jeune homme se confond alors en excuses. Non il ne veut pas être paternaliste avec lui, et oui il aurait vraiment dû lui demander son avis, et peut-être qu'il veut quand même partir si lundi les gares sont ouvertes, il n'a pas fait attention mais en fait si Samuel veut rester ici, qu'il reste, et comme ça avec un deuxième pc il pourra faire ses démarches et s'occuper et...

Il le coupe d'un baiser.

Parce que Samuel en a envie et aussi parce qu'il ne sait absolument pas quoi répondre qui ne paniquerait pas encore plus son copain. Genre, un pc ok, c'est adorable, et oui ce serait pratique. Mais ce qu'il lui faut maintenant, c'est surtout un vélo.

Leurs lèvres sont gonflées et brûlantes quand ils se séparent enfin. Ils sont arrivés sur le lit presque par accident, et Samuel joue avec le nombril d'Alex. Qui n'est pas chatouilleux ce qui est vraiment dommage.

— Je me suis inscrit sur UberEats, commence à expliquer Samuel. J'avais déjà un statut d'autoentrepreneur, je l'avais fait avec K... Avec l'autre con, là. Mais comme mon patron me payait au noir, j'en ai pas eu besoin.

— T'étais pas déclaré ?

— Nope. La Poste s'en fout de toute façon, et les autres services de livraisons aussi, sauf ceux qui sont vraiment chers comme UPS. Tous les autres, c'est des mecs qui ont déjà un taff à côté et qui utilisent leurs camionnettes pour faire aussi de la distribution de colis. J'ai mon permis, du coup je pouvais donner un coup de main.

— Mais tes jours de congés, ton salaire...

Samuel baisse la tête. Alexandre le prend immédiatement dans ses bras.

— J'ai menti. C'est un peu la honte de bosser comme ça, en face d'un mec si propre sur lui. J'ai jamais osé faire ça avant.

— Mentir pour draguer ?

— Draguer tout court.

Alexandre finit par sourire. C'est une des plus belles choses que Samuel ait jamais vues.

— Tu vas livrer des burgers et des sushis du coup ?

— Il me faut un vélo.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
EnzoDaumier
Posté le 31/10/2021
Ton texte présente le grand intérêt de décortiquer la réalité peu reluisante de beaucoup de gens - une réalité que la romance évacue le plus souvent (car il faut envoyer du rêve, toussa, toussa).
Il illustre aussi à quel point le milieu gay permet la rencontre de gens issus de différents milieux (parfois très opposés). C'est un endroit de brassage où le seul point commun qui importe, c'est l'orientation sexuelle. C'est ce que j'ai toujours trouvé intéressant : dans le milieu gay, on peut rencontrer des gens qu'on ne rencontrerait jamais en "situation normale" (imaginez ici de très très gros guillemets).
Je n'ai pas l'impression que ce soit le cas chez les hétéros.
Vous lisez