Lui - Scène 29

Notes de l’auteur : TW Homophobie

Dimanche, Samuel revient de son jogging avec une chaise pliante, du pain fait maison et deux bouteilles de bière belges.

Le temps d'aller acheter des clopes et de revenir, Alex a lui croisé un couple de voisins, des bobos purs jus qui ont visiblement décidé de transformer leur appartement de 80 m² en plein Paris en zone d'autodéfense. Elle est enceinte jusqu'aux yeux et tricote, lui fait des conserves. Alexandre hérite d'un pot de confiture et d'un énorme bout de gâteau au chocolat.

L'allongement du confinement est confirmé.

Le coup de fil des parents d'Alex dure si longtemps que Samuel décide de ressortir.

Au lieu d'aller faire des achats (il lui reste 200 euros tout juste et il n'ose vraiment pas aller sur son compte en banque), il s'installe dans la cour intérieure de l'immeuble. Deux gamins amusent à se courir après, sous l'œil de leur mère. Il s'éloigne un peu pour s'installer sous un cerisier japonais.

Corentin décroche à la deuxième sonnerie.

— Ben tu m'avais oublié ?

Ils se sont connus au collège, dans la ville picarde où ils sont tous les deux nés et ont tous les deux grandis. Corentin était même là le jour où, après la pause déjeuner, Samuel est revenu en classe le nez cassé et l'arcade sourcilière ouverte. Quand les insultes ont commencé à fuser aussi.

Corentin a déménagé en Bretagne, après le divorce de ses parents, quelques jours avant que Samuel fugue pour la première fois. Ils se sont retrouvés sur Instagram. Samuel a juste un compte fantôme, sur lequel il n'a jamais osé posté ses dessins, alors que Corentin expose sa vie : les mouettes, les crêpes, et ses copains.

— C'est un peu la merde ici, je sais pas si t'es au courant.

— Ta voix dit à la fois que c'est la merde mais qu'en même temps tu n'es pas si triste que ça.

— Attends, je t'envoie un truc.

Une photo d'Alex qui tente vaillamment de ne pas piquer du nez dans un bouquin. La photo est prise du lit.

— Sympa. Dans le genre blond vénitien intello. Où est passé Kevin ?

Samuel lui raconte. Kevin qui revient de son taff plus tôt que prévu, lui qui referme le PC trop vite, sans effacer l'historique. Puis sommé de quitter les lieux avec juste ses affaires, et encore, seulement celles qu'il a pu rassembler en moins de 5 minutes.

— Il m'a dit que si j'étais encore là à son retour de pisser, il allait me défoncer. J'ai pas demandé mon reste.

— Purée, je suis désolé, Sam. Ton nouveau copain est au courant ?

— Oui, sur ça oui.

— Tu viendras sentir l'iode ici quand tout ça sera fini. Ça te fera du bien tu verras.

Corentin lui a proposé plein de fois. Mais il vit seul avec sa mère, qui ne peut plus travailler, et lui a déjà du mal à jongler entre les études et ses petits boulots. Même avec la pension alimentaire de son père, c'est toujours compliqué.

— J'amènerai Alex. Il vient d'Alsace, si ça se trouve, il ne sait même pas à quoi ressemble la mer ! Et je crois qu'on s'est fait adopter par un trouple de vieux gays de 40 ans.

Il part sur Marc, Jean-Marc et Jordan, ce dernier s'étant avéré être un tout petit mec blond très nerveux. Il lui a confié son pain comme s'il lui offrait son premier-né.

— La chance. Ici à part croiser un vieux loup de mer et aller faire la fête dans son phare, y'a pas grand-chose.

— T'as pas de copain en ce moment ?

— C'est désert. Mais il paraît que les Parisiens achètent plein de maisons ici maintenant. Donc y'aura peut-être de l'hétéro marié refoulé à aller draguer dans pas longtemps.

— Beurk.

— Filme-toi avec ton bel Alsacien, je suis en manque, Sam. Et félicitations d'avoir enfin perdu ta virginité.

— Ta gueule !

La mère de famille s'est approchée discrètement de lui, peut-être pour voir ce qu'un mec comme lui pouvait bien faire ici. Elle le regarde d'un air courroucé.

— Dis, t'as pensé à vendre tes dessins pour te faire un peu de fric ? J'ai un pote qui fait ça, y'a un gros mouvement de solidarité pour les jeunes artistes queers en ce moment.

— Je suis pas un artiste, et je suis pas queer ou je sais pas quoi.

— Mais oui mais oui. Tiens, maman veut te parler.

 

Quand Samuel remonte, il est aussi éreinté que s'il avait couru vingt kilomètres.

Il retrouve son copain étalé sur le lit, bras en croix, yeux fermés, visiblement tout aussi crevé.

— Est-ce que ce serait juste la bonne soirée pour craquer ? Demande-t-il sans rouvrir les yeux.

Il se met même les mains sur le visage et prend une grande inspiration.

— Ça va pas Alex ?

— Non, c'est bon ? J'ai juste besoin d'un peu de calme.

Samuel s'assoit à côté de lui, le laisse reprendre son calme pendant de longues minutes. Quand Alex montre à nouveau son visage, ses yeux sont rouges d'avoir pleuré.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Mathieu a le covid. Il est à l'hosto.

Merde.

— Ils ne mettent pas les gens à l'isolement normalement, chez eux ?

— Mathieu a commencé à pas se sentir bien en allant prendre le train pour rentrer à la maison. Il a préféré aller aux Urgences directement.

— Ils le garderont pas si ce sont juste les symptômes. Et ta mère est tellement prudente. Il va rentrer, passer cinq jours au lit, ton père lui construira une petite ouverture dans la porte pour lui passer ses repas, et dans une semaine ça ira mieux.

— Tu crois ?

— J'en suis certain.

 

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