Un jour tu as pris ma main pour la mettre sur ton cœur. J’ai alors ressenti toute l’intensité de nos étreintes. Tes milliers de baisers sur mes lèvres comme s’ils y avaient toujours été. Comme s’ils y étaient pour toujours. Une intense chaleur au creux de mon ventre. Une chaleur qui ne pouvait disparaitre. Une chaleur qui ne disparaitrait pas. Les chorégraphes de mes pensées qui dansaient à s’épuiser. Mais elles n’étaient pas épuisées de danser. Chaque battement de ton cœur était un nouveau soupçon d’énergie. Une danse de plus pour rencontrer tes marchands de sable. Tes rêves qui s’entremêlaient avec les miens. Tes soupçons de souvenir, tels des rubans. Mes soupçons de souvenir, tel des rubans. Ils se croisaient, s’entrecroisaient, se mélangeaient. Je voyais ton enfance, tu voyais chacun de mes rires. Toutes tes larmes passées étaient les miennes. Les rubans qui se nouaient. Je ne te connaissais que peu. Mais je connaissais chaque bride qui te constituait. Pendant un instant, tu étais moi. Pendant cet instant, j’étais toi. C’est comme ça que nous avions su. A travers les épreuves, les pertes, les joies, les peines, nous serions deux. Nous serions toi et moi. Nous serions heureux. L’étions-nous réellement ?
*
J’avais toujours vécu dans le même quartier, de mon enfance à la fin de mon adolescence. J’étais une enfant comme toutes les autres. Une jeune fille banale dont l’existence avait été facilité par une famille on ne peut plus simple. Bercée par des parents emplis d’amour, je n’avais connu presque aucune difficulté, faisant de moi l’enfant le plus simple à éduquer. Ma facilité à comprendre le monde qui m’entoure m’avait toujours été bénéfique. Ainsi j’avais toujours été première de ma classe, avec des notes toujours supérieures à la moyenne. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer je n’ai jamais connu les brimades de mes camarades, je n’avais jamais été traitée de nerd, d’intello ou par un quelconque surnom offensant. Je n’avais jamais connu le harcèlement. Je n’avais jamais été tentée par la drogue, je n’étais pas accro à la technologie. Je dansais sur le fil de la vie avec une facilité débordante, comme si le monde entier s’était décidé à faire de mon existence un havre de paix. Je ne connaissais pas la haine, possédais une myriade d’amis, ou au moins une myriade de connaissance. J’étais douée dans la plupart des choses que j’entreprenais, n’avais aucuns défauts.
La nature m’avait doté d’une beauté banale. Je n’avais jamais connu cette période disgracieuse constitué de boutons qui poussaient sur la peau d’enfants trop jeunes pour comprendre ce qu’il se passe dans leur propre corps. Ma peau était douce comme celle des bébés qui venaient de naitre. Mon visage était encadré par de jolies boucles blondes. Lorsque je souriais, on pouvait apercevoir des dents aussi blanches que la neige qui vient de tomber. Mes yeux étaient d’un bleu particulier, un bleu océan qui se transformait en gris anthracite les jours de pluie. Mon corps était bien proportionné, je n’étais ni trop grande, ni trop petite. Mon poids était basique, je n’étais ni maigre, ni obèse. Je n’avais pas des formes disproportionnées, une poitrine n’excédant pas le bonnet B. En somme, la vie m’avait toujours épargné des maux qu’elle infligeait aux autres, faisant de moi un être d’une fadeur sans nom.
Je ne lui en voulais pas. Ma vie avait beau être d’une monotonie excessive, je l’aimais de cette façon. Me lever chaque matin, échanger toujours les mêmes banalités avec mes parents. Me nourrir constamment de ces mêmes tartines d’un gout déplorable. Voir et revoir tous les dimanches la même grand-mère accompagnée de son même gratin de lasagnes tout en espérant que sa sauce tomate aurait un gout différent cette fois-là. Pitié qu’elle ait un gout différent. La même phrase chaque semaine qui tournait en boucle. Elle n’avait jamais un gout différent. Mes parents qui me souriaient à chaque fin de repas. Comme pour me dire « c’est bien ma fille, tu as fini ton assiette ». C’est bien ma fille, tu as accepté la monotonie qui t’entoure. Lorsque j’ai essayé de me libérer de toutes ces journées semblables, j’ai échoué. Je voulais faire de moi une enfant exceptionnelle alors j’ai appris mes cours. Quand on me l’a demandé, j’ai compris les lois imparables de l’univers. J’ai appris trois langues différentes, j’ai gagné chacun de mes matchs de ping-pong. J’ai interprété tous les textes de Baudelaire qu’il m’a été donné de lire, j’ai calculé toutes les images des fonctions affines que l’on m’a demandé de trouver. Malgré tout cela, rien n’avait de goût, tout n’était qu’amer, une pâle reconnaissance de la personne extraordinaire que j’ai essayé d’être. Lorsque l’on m’a dit que je devrais faire des études scientifiques, je les ai écoutés. Ma vie n’était guidée que par leur regard supérieur. Je n’étais que le pigeon de ma propre existence. Chaque fois que j’avais voulu me rebeller, crier toute l’intensité qu’il y avait en moi, chaque fois que j’avais voulu expulser les particules de beauté, toutes mes spécifités, toute l’énergie qu’il y avait en moi, l’arc en ciel de mes humeurs, tout, on m’avait dit que ce n’était pas le moment. Ils ont enfermé mon essence dans leur bouteille à coup de « pourquoi fais-tu cela » ou « tu es trop comme cela », « essaye d’être un peu plus comme ceci ». Ils ont récupéré les oiseaux qui volaient encore lorsque j’étais enfant. Ils les ont pris pour les mettre en cages. Lorsque j’ai voulu les libérer, ils m’ont dit que je n’étais plus moi, diabolisant mes pensées. Diabolisant l’être que je suis.
Ils m’ont habillée comme toutes les autres filles, m’ont accroché le même sourire, m’ont nourrie des mêmes rires. Ils ont cassé toute originalité pour me fondre dans leur moule. Aujourd’hui, il n’y a que mes yeux qui reflètent mon âme. Peut-être que si vous le vouliez, mais seulement si cela était votre vœu le plus cher, peut-être alors, y verriez-vous ce que je suis réellement. Vous y verriez la beauté de mes rêves, vous seriez alors transportés sur le voyage onirique de mes pensées.
Mais cela ne sera pas aujourd’hui. Malheureusement nous sommes dimanche et j’ai beaucoup à faire. Je me suis revêtue de cette robe bleu que ma grand-mère aime tant. Un bleu légèrement clair, qui rappelle le ciel d’une douce journée d’été. Le col rond ne montre pas la peau de ma poitrine. Quel genre de fille serais-je si je portais un décolleté ? Je ne me maquille pas, un mascara aurait pour effet de faire ressortir mes yeux. Que se passerait-il si ma grand-mère y lisait ce que je pense de ses lasagnes. Elle serait beaucoup trop blessée. A onze heures trente tapantes, me voilà dans la voiture, prête à partir. La route est sans embuche. Nous prenons les chemins habituels et croisons les mêmes maisons. On pourrait presque croire que les habitants se sont tous accordés à notre famille. Il y a cet homme qui tond sa pelouse à 11h32, cette femme qui récupère le journal surtout pour espionner ses voisins, une tasse à la main à 11h35, cet enfant qui joue à la balançoire avec son grand-frère à 11h38. Comme tous les dimanches, ils se répètent tous inlassablement. Parfois, j’ai l’impression que tout cela n’est qu’une triste comédie. Comme si un jour je pourrais me réveiller pour m’apercevoir que je ne suis qu’un personnage de plus du Trueman Show. Une actrice qui n’a pas été prévenue du rôle lambda qu’elle tient. Je vois mon existence défiler de la même manière, encore, encore et encore. 11h42, c’est au tour du vieux monsieur de sortir pour récolter les roses de son jardin, 11h43, sa femme sort sur le porche pour lui donner un sourire ravissant. 11h46 le garçon de la maison rose sort pour jouer au basket. Ou peut-être est-ce 11H47 ? Nous passons devant sa maison mais il n’est pas là. Où peut-il bien être ?
Je passe les minutes suivantes de mon trajet à me demander où se trouve ce garçon. Je ne me souviens pas correctement de son allure. Il porte constamment ce pull orange, dans lequel il flotte légèrement, comme si ce pull ne lui appartenait pas. Ou bien peut-être espère-t-il qu’il cachera ses muscles inexistants ? Non, je ne peux pas dire ça. C’est méchant. Je n’ai pas le droit d’être méchante, on m’a appris que je devais être une enfant adorable. Sourire, couettes et chouchous roses. Quelle adorable jeune fille éduquée comme cela pourrait être méchante. Sois une gentille fille. Tu le dois.
Perdue dans mes pensées, je n’ai pas pris le temps d’observer le petit garçon de 11h52 lancer son ballon sur sa petite sœur. Oui, il fait réellement cela tous les dimanches matin, aussi fou que cela puisse paraître.
Parfois je me demande ce que deviendra ce quartier lorsque tous ses protagonistes auront connu les effets du temps. Que se passera t’il quand cet homme n’aura plus de femme qui le pousse à tondre sa pelouse ? Une fois que leur mariage aura connu l’échec cuisant connu par chaque mariage de notre siècle. Que fera cette femme, lorsque le journal ne sera plus que digital, lorsqu’elle n’aura plus à ouvrir sa porte chaque matin pour le lire. Comment observera-t ’elle ses voisins ? Que fera ce jeune homme, qui aime tant passer du temps avec son petit frère, lorsque celui-ci sera devenu trop vieux pour les balançoires ? Lorsque son seul intérêt sera la drogue ou l’alcool. Les soirées à répétitions. Que fera cette vieille dame quand son mari ne pourra plus se baisser pour ramasser des roses ? Que fera ce vieux monsieur lorsque sa femme aura été bouffée par son cancer des os ? Que fera ce garçon au pull orange lorsqu’il aura compris qu’il est trop mince pour le basket. Peut-être l’a-t ’il déjà compris. Où était-il ?
La maison de ma grand-mère n’a rien de bien différent de toutes celles du quartier. Un jardin avec des fleurs tellement jolies qu’on pourrait croire qu’un jardinier professionnel l’entretient tous les jours. Une petite allée créée avec des galets polis naturellement pour donner l’impression que l‘on est écolo. Ma grand-mère est loin d’être écolo. Une façade blanche, sans fissure, entretenue comme s’il s’agissait d’un bien du patrimoine mondial. Tout est beau, tout est lisse, tout est semblable. Comme si le charme avait quitté les lieux. Comme si elle était incapable de se rendre compte de la fadeur de son endroit.
En entrant dans cette demeure, elle m’enlace de ses bras spaghettis. Elle dépose des bisous sur mes joues comme si j’étais un toutou que l’on a besoin de cajoler. Elle fait glisser sa main sur ma joue pour me dire à quel point mes parents ont fait une enfant magnifique. Je devrais les remercier, sûrement.
Elle me dit qu’elle m’a fait des lasagnes, parce qu’elle sait que j’adore cela. Merci mamie, si tu savais comme je ne m’y attendais pas à tes lasagnes. Mon grand-père se tient dans le salon, droit comme un pique. Parfois je me dis qu’il va finir par se transformer réellement en pique. Son regard comme une lance, il pourrait nous trancher la gorge sans qu’on ne s’en aperçoive. Il ne me reçoit pas comme ma grand-mère. Il me regarde de ses yeux si, impénétrables. Je m’y suis noyée de nombreuses fois depuis que je suis enfant. Mon grand-père était un spécimen différent du reste de la famille. Il était habile dans son mensonge, il jouait la comédie, lui aussi. Mais je voyais son océan, profond, intrépide, comme des milliers de vagues que l’on apercevait dans son regard. Pour qui acceptait de le voir. Avait-il déjà vu mon océan, comme moi j’avais vu le sien ?
J’aimais beaucoup mon grand-père. Je savais qu’il comprenait. Lui aussi la voyait, la comédie du monde qui nous entoure. Les schémas, qui se répètent. Les acteurs, toujours les mêmes. Lui aussi était enfermé. Comme moi. Peut-être était-ce génétique ?
Je ne lui avais jamais demandé, s’il ressentait tout cela lui aussi. S’il le voyait comme moi. A la place, je lui donnais la même réplique, tous les dimanches, sans exceptions. Il me répondait la même réplique, chaque dimanche, sans exceptions.
Une demi-heure après notre arrivée, ma grand-mère nous installait à la table pour gouter à ses délicieuses lasagnes. Le supplice de tous les week-ends qui recommençait. Tu en prenais une fourchette pour connaître premièrement le fondant de ces pates, digne du pire chef cuistot italien. Puis ta langue entrait en contact avec une sauce tomate presque faite maison, à partir de tomate en conserve et de viande hachée de supermarché discount. Boire de l’eau aurait tout autant de goût que de gouter ces lasagnes. Ensuite venait le moment de la béchamel, mal cuisinée, mal préparée, mauvaise. Les jours de chance, elle avait un gout acceptable. Aujourd’hui n’était apparemment pas un jour de chance, puisqu’elle avait ce gout affreux de farine qui vous reste collé au palais. Cet ensemble de trois caractéristiques en faisait le plat le plus insipide que je n’avais jamais gouté. Pourtant, je continuais à le redécouvrir chaque week-end, comme si je n’arrivais pas à me faire à l’idée.
Une fois le supplice du repas terminé, l’ensemble de la famille décidait de jouer au même jeu de société. Je gagnais tout le temps, puis j’étais honorée de nombreux compliments pour me dire à quel point j’étais intelligente et toujours la même chose. Puis toute la famille se dirigeait devant la télé pour regarder la rediffusion de la dernière émission en date de cuisine. Si seulement ma grand-mère pouvait prendre des notes à certains moments. Elle ne le faisait jamais. Une fois tout cela terminé, il était temps de rentrer chez nous. « Oh, il fait froid à cette heure-là du soir » disait alors mes parents. Moi, je me demandais tout le temps pour quelle raison le soleil s’était couché avant nous. Comme si ce spectacle soporifique était tellement ennuyeux qu’il n’avait pas voulu rester jusqu’à la fin. Comme si nous n’étions qu’une mauvaise pièce de théâtre dans laquelle j’étais enfermée jusqu’à la fin de mes jours.
Ce soir-là, je n’avais pas envie d’observer les habitants de la même façon. Les revoir, sans cesse effectuer les mêmes actions, C’était plus qu’ennuyeux. A la place, je laisse des notes s’emparer de mes pensées. M’emmener dans un autre monde, comme si je pouvais flotter avec elle. Je vois cette femme, qui lève le bras puis le baisse. La voilà qui fais maintenant une pirouette avant de ramener ses bras au creux de sa poitrine, comme si elle voulait les cacher aux yeux du monde. C’est la première danseuse de ma tête. La chorégraphe en cheffe. Personne ne la connait. Excepté moi. Pour la remercier, j’invente des sons pour elle, des musiques sur lesquelles elle peut déposer des pas. Merci chère chorégraphe, de rendre cette ville moins fade. Alors qu’elle entame son premier grand jeté, les sirènes de la rue me ramène à ma réalité. Ou plutôt à leur réalité. Nous sommes en train de passer devant la maison du garçon au pull orange. Il y a plusieurs voitures de police garées devant chez lui. Il me semble que ces deux personnes sur le perron sont ses parents. Ils ont l’air bouleversés. Nous, nous ne nous arrêtons pas. Notre voiture continue sa route encore et encore vers le même destin. Notre maison parfaite remplie d’amour. Mais moi, je suis incapable d’enlever cette image de ma tête. Il y a une fracture dans leur matrice. Si je m’engouffrais dans la brèche ?
Alors que je me dirige dans ma chambre, j’ai l’impression que toute ma vie est sur le point de changer. Je monte les escaliers, marche par marche, avec l’intuition que cette maison est prête à m’offrir une nouvelle identité. Chaque nouvelle marche est un nouveau pas vers ce qui me semble ma prochaine victoire. La main sur ma poignée de porte, j’ai le cœur qui bat la chamade. Puis je me rends compte que je suis en train de devenir folle. J’ouvre la porte, je dépose mon sac dans la penderie, je me retourne vers mon lit et il est là. Le garçon au pull orange qui joue du basket tous les dimanches à 11h46 se tient devant moi, dans ma chambre. Non, j’hallucine, il n’est pas réellement là. N’est-ce pas ? Peut-être que ma grand-mère a mis du LSD dans ses lasagnes, pour une fois peut-être a-t ’elle voulu improviser. N’est-ce pas mamie ? Pas vrai, mamie ?
-Robe bleue de 11h46 à la voiture rouge vif. Je savais que je ne m’étais pas trompé. Je savais que c’était ta chambre.
-Putain de merde mais t’es qui toi et qu’est-ce que tu fous dans ma chambre espèce de pervers !
J’ai crié sans même le vouloir. Les mots sont sortis de ma bouche sans raison. Peut-être suis-je un peu plus ce qu’ils disent que je suis. Plus que je ne le crois en tout cas.
-Eh oh, du calme, je ne voulais pas t’inquiéter. J’habite dans la rue que tu traverses tous les dimanches matin à la même heure, 11h46 précisément. Je sais que tu me connais déjà, tu me regardes sortir de ma maison pour faire des paniers chaque semaine à la même heure. Je sais que tu trouves ça étrange toi aussi, cette habitude qu’ils ont tous à faire toujours la même chose toujours au même moment dans ce quartier.
-Je, comment tu sais ça ?
J’entends ma mère monter les escaliers. Je sais que mes cris l’ont inquiétée.
-C’est ta mère qui monte, c’est ça ?
-Oui
-Tu vas la laisser me trouver ?
Je n’ai pas le temps de lui répondre, je le cache dans l’armoire de ma chambre. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’intuition que ce garçon pourrait changer ma vie. J’ai aussi l’intuition que ma mère ne doit pas savoir qu’il existe.
Elle arrive derrière la porte, elle presse la poignée. Moi, je n’arrive plus à respirer. Elle ouvre la porte. Son regard est indescriptible. Je ne l’avais jamais vu observer ma chambre de cette façon. Elle me demande si tout va bien. Je lui réponds que oui. Elle me demande si je mens. Je lui dis que non. Elle finit par s’en aller.
J’ouvre la porte de mon armoire. Je tombe sur ses deux yeux noisette. Qu’est-ce que ce garçon fait chez moi bon sang !
-Explique moi tout maintenant, lui dis-je.
-Alors voilà, je suis en fugue. J’allais me barrer de ce quartier empreint de tous ses mensonges et puis, je me suis dit que tu devais venir avec moi. Parce que je suis sûre que tu l’as vu, toi aussi. Tous ses mensonges, toi aussi tu les vois.
Evidemment, que je le voyais moi aussi. Ce quartier, cette vie qui manque tellement d’énergie, comme si le monde entier était faux, comme si tout n’était qu’une mise en scène. Le voyait-il réellement ?
-Si tu le vois toi aussi, alors viens avec moi. Viens, on se barre de ce mensonge.
-Tu as faim ?
-Oui, mais c’est pas le moment de…
-Je vais te chercher à manger.
J’ai besoin d’air, un tout petit peu d’air. Je passe dans la cuisine, récupère du pain de mie, du nutella et je retourne vers ma chambre. Sur le chemin, j’entends ma mère au téléphone avec quelqu’un. C’est étrange, jamais elle ne téléphone le soir. Je m’approche de la pièce pour entendre ce qu’elle dit.
-Maman, je sens que ça recommence encore… Non maman, tu ne comprends pas, il y avait la police chez lui ce soir… Oui j’attends un peu… Non écoute moi maman, je pense que tout va repartir à nouveau…
Elle parle à ma grand-mère. Il faut que je me tire d’ici. Je retourne dans ma chambre.
-Je te suis, on se casse.
*
Cela fait trois jours que nous avons quitté ma chambre. Je me suis teint les cheveux pour cacher mon joli blond. Partout où nous allions, dans tous les bars où nous récupérions de quoi déjeuner, il y avait nos têtes aux infos. Nous étions constamment happés par la peur d’être retrouvés. Au cours de ces trois jours, j’en avais découvert beaucoup sur le garçon qui m’accompagnait. Tout comme moi, il y avait un arc en ciel dans sa poitrine. Quand il riait, je voyais des étoiles. Comme une constellation qui brillait derrière ses yeux. Nous dormions dans la rue, sur un bout de carton trouvé dans une benne. Nous avions trouvé une vieille couverture abandonnée dans une vieille maison et nous l’utilisions pour nous réchauffer. En trois jours, nous avions eu le temps d’élaborer un plan. Nous avions décidé de récupérer autant de nourriture que possible pour survivre dans la forêt quelques temps. Assez de temps pour apprendre à chasser. Nous voulions ensuite gravir une montagne et construire un joli chalet à son sommet. Une fois le chalet construit, nous voulions créer un petit potager pour survivre tous les deux. Notre plan était complètement fou. J’aimais beaucoup cela. Depuis quelques jours, j’avais l’impression qu’un feu s’était de nouveau activé à l’intérieur de moi. Lorsque je m’endormais, j’entendais la suite de ma musique. Je ne connaissais pas ce garçon, mais chaque fois que nous faisions une chose plus folle que la précédente, je voyais une danseuse se réveiller en moi. Ses pas venaient s’ajouter à ceux des précédentes. Elle s’élançait dans des pirouettes, ouvrait les bras en grand puis les refermait sur elle-même. Une pirouette, puis une seconde et ce grand jeté avant de retomber sur genoux puis de se lever une nouvelle fois. Elles recommençaient, encore et encore, me donnant de plus en plus de puissance. Après plusieurs jours à faire les poubelles, nous avions récoltés un bon nombre de boites de conserves. Nous avions ce qu’il nous fallait dans nos sacs à dos pour partir à l’aventure. Nous avions même réussi trouver une canne à pêche. La forêt nous attendait.
Au fur et à mesure, je regardais notre aventure différemment. Lui aussi, me semblait-il. Dans la forêt, nous avions trouvé une petite rivière abondante en poisson. Heureusement pour nous, pull orange avait appris à pêcher avec son père. Lui aussi avait connu une enfance assez répétitive. Tout comme moi, ses activités avaient été encadrées à la minute près. Tous les samedis, à 13h52, il se retrouvait à cet étang avec son père pour pêcher les mêmes poissons encore et encore. Il avait toujours détesté cette activité, mais aujourd’hui, il se disait qu’elle était bien pratique. Au moins, nos réserves de nourritures descendaient beaucoup plus lentement que ce à quoi nous nous attendions.
Chaque jour, nous marchions plusieurs jours pour rejoindre notre montagne. Nous avions une boussole pour nous repérer. Nos cours de géographie respectifs nous avaient appris que la montagne la plus proche se trouvait au Nord de notre ville pourrie. C’est là que nous allions.
Le soir, je me prenais à apprécier le regarder, avec sa minceur apparente et son énorme sourire. Comme si la joie le transperçait de part en part chaque fois qu’il faisait cuire son poisson. Nos discussions étaient sans fin. Nous parlions de milliers de sujet. Jamais je ne m’étais sentie aussi bien avec quelqu’un. Je crois que lui non plus ne s’était jamais senti aussi bien. Qu’est-ce que ça faisait du bien. N’est-ce pas ?
Au bout d’une semaine dans la forêt, nous sommes arrivés en bas de notre montagne. Nous étions tous deux fatigués mais cela n’avait aucune importance. Après tout, nous avions réussis à briser nos chaines. Etrangement, ce périple ne me semblait pas fou. J’avais l’impression d’avoir accompli ce que je devais accomplir. Chaque seconde passée avec lui, tout me grandissait un peu plus.
J’avais l’impression que l’on enlevait ma carapace un peu plus. Comme si la jolie peinture dorée qui me recouvrait s’effritait. Avant de grimper cette montagne, alors que nous étions en grande conversation sur la théorie d’Einstein, il me prit la main. Il me regarda dans les yeux avant de me dire que j’étais magnifique. Sa main passa dans mes cheveux. Puis il posa ma main sur son cœur. Enfin, je ressentais tout l’intensité de cet amour naissant. Comme des milliers d’étreinte autour de mon cœur. Comme des milliers de baisers au creux de mon cou. Comme si ma vie était la sienne. Puis, enfin, il prit la délicatesse de poser ses lèvres sur les miennes.
*
Il nous fallut un jour entier pour grimper en haut de cette montagne. Nous savions que nous voulions aller dans cette clairière, située au creux de la montagne. Il nous restait cette montée, puis nous y serions.
A ce moment-là, je réalise l’immensité du chemin que nous avons parcouru ensemble. Comme si je replongeais dans la réalité qu’ils ont voulu me donner. Je lui prends la main, la sers fort entre mes doigts. Je veux rester avec lui, je ne veux pas partir de ce monde que nous nous sommes construits. J’ai peur que cela ne me fasse trop mal. Alors que nous avançons, je me persuade de l’importance de notre réalité, celle que nous avons construit ensemble. Je le regarde dans les yeux et je vois de nouveau les constellations. Je n’ai pas à m’inquiéter. Me voilà qui libère mes danseuses. Elles sont des milliers maintenant, et elles dansent avec tellement d’énergie. Comme si rien ne pouvait les arrêter. J’ai l’impression qu’elles crient de toute leur force. Finalement je n’ai pas peur. Plus qu’un pas de cette montée, et je verrais le creux de notre montagne. Notre endroit. Je fermais alors les yeux, assez longtemps pour m’accorder un peu de notre réalité. Puis je franchis ce dernier pas.
Ma mère est là, en haut de la montagne, et toutes les danseuses disparaissent, instantanément. Elle me regarde de son regard d’agelaste. Son rire transperce mes os et brise mon âme. Elle le pointe du doigt, avec ses griffes pointues. Elle le désigne avec tant de dédain et ses yeux se transforment en noirceur impénétrable.
« Ma pauvre fille tu es complètement frappa dingue. Ce garçon-là, tu l’as inventé de toute pièce. Redeviens toi-même mon enfant, car tu es loin de qui tu es. Ma fille, arrête tes élucubrations, ce n’est pas le moment. Redeviens toi-même, s’il te plait. »
Ces paroles me font l’effet d’une immense claque. Elle n’a jamais compris. Elle ne comprendra jamais. Ce que je suis, ce que je veux, ce que je vaux. C’en est assez. Je dois exploser. Alors j’explose.
« Non ! Je ne serais jamais ce chat apeuré que vous essayez de faire de moi. Je ne serais jamais cette fille faible dont vous essayez de me donner l’apparence. Je serais moi, avec chacune de mes élucubrations comme tu les appelle. Je serais grandiose et je donnerais au monde entier ce que je suis. Je leur donnerais mes étoiles et mes arcs-en-ciel. Je leur crierais qui je suis, ce que je suis et je leur cracherais à la gueule ce qu’ils ne veulent pas voir de moi. Je danserais chaque fois qu’ils essayeront de me rattraper. Je prendrais les mains de tous les pauvres qui le voudront dans la rue et je chanterais ma joie dès que l’occasion se présentera. Je pleurerais aussi, à chaque rupture, chaque fois que j’en aurais besoin. Je danserais, je danserais sur les vagues de mes humeurs, en haut des vagues des océans et au plus près du sol s’il le faut. Je m’écraserais dès qu’il le faudra et je ramperais pour continuer à avancer. Vous ne ferez plus jamais de moi votre pantin. Vous n’en avez plus le droit, plus l’occasion. Je ne vous laisserai plus faire. »
Je me retourne vers lui, le prends par la main et j’avance vers le creux de la montagne. Mais je le sens résister. Il ne bouge pas. Sa main devient froide comme du marbre. Les étoiles ont quitté ses yeux. Où sont-elles passées ? Ma main se pose sur son cœur mais il ne bat plus. Puis il disparait, comme de la poussière qui glisse entre mes doigts. Où est-il passé ? Où est-il passé ?! Où est-il ? Où est-il putain !
« Rentre à la maison à présent. »
*
« Je t’avais dit que ça recommençait. Tu aurais dû m’écouter… »
*
« Je ne sais pas si elle va aller bien. »
*
-Où est-il ? m’écriais-je en me réveillant.
La salle est blanche, et il y a cette femme près de moi. Non, pas cette femme, ma mère. C’est ma mère. Mais ses yeux ne sont plus noirs. Ais-je rêvé de tout, tout le long ?
-Calme-toi, me dit-elle. Tu as oublié tes médicaments hier.
Est-ce une camisole que je porte ?
-Mes médicaments ?
-Oui, tu as fait une crise. Tu as crié qu’il fallait que tu t’en ailles, que les lasagnes n’avaient pas de gouts, que tu devais partir. Que le garçon orange t’avait demandé de partir avec lui.
-Une crise ? Je n’ai pas fait de crise, maman que raconte tu ?
-Je ne suis pas ta maman, je suis l’infirmière Jeanne, et ça c’est l’infirmière Colette tu te rappelles ?
Cette femme au trait de ma grand-mère est l’infirmière Colette. Ce, qu’est-ce qu’elle me raconte ?
-Je… non…
-C’est la psychose, ne t’inquiète pas, les médicaments t’aideront. Tiens prends-les.
Une crise. Cette femme n’est pas ma mère. Peut-être suis-je réellement folle. Mais, ta main, comme si tu avais saisi le livre de mon cœur. L’avais-je rêvé cela aussi ? Oui, tout n’est que mensonge. Je m’en souviens à présent. Je suis folle et en hôpital psychiatrique. Toi, tu n’avais jamais existé. Je récupère les médicaments qu’elle me tend, les mets dans ma bouche, récupère le verre d’eau je m’apprête à avaler et… Le pull orange, c’est toi cette ombre que j’ai vu passer par cette fenêtre, c’est toi n’est-ce pas. Je, j’ai avalé le médicament, je…
Avant de m’éteindre, j’entendis la voix de mon grand-père. Il me disait ce qu’il ne m’avait jamais dit. « Ne t’inquiète pas mon enfant, un jour, tu libèreras complètement tes danseuses. Un jour tu brilleras, mais ce n’est pas le moment. »
Nous sommes dimanche matin et je dois me préparer pour aller chez ma grand-mère, …
Bon... ben ... alors... Je n'ai pas aimé. On est dans tout ce que je déteste de l'utilisation de la maladie mentale en fiction. Profiter de la levé d'incrédulité pour nous mener en bateau et à la fin, paf, "ha ha je vous ai bien eu, elle est juste folle."
Sinon côté écriture, j'ai bien aimé quand même la première partie de découverte de l'univers parfait et répétitif, le garçon en pull orange... ça faisait un bon début d'une unchronie/Sf/fantasy (selon la direction qui aurait pu être prise ensuite)
La deuxième partie est un synopsis des chapitres qui aurait pu suivre, on sort de l'histoire pour l'observer de l'extérieur et ça m'a sortie du truc... et j'ai commencé à deviner que ça allait finir par un "tout ça c'était dans sa tête"
Sinon, je n'ai pas compris son délire avec les danseuses.
Côté écriture, la première partie est bien, fluide, on s'attache au personnage... après c'est juste un synopsis, donc pas particulièrement agréable, il est frustrant car on ne nous raconte pas ce passage, on a droit juste à un résumé.
La fin respecte le trope du "tout ça c'était dans sa tête.", rien à dire (en dehors que je déteste ce trope de toute mon âme...), ça fonctionne.
Je suis désolée, je ne te serais pas d'une grande aide pour le coup. Je ne suis pas le bon public pour cette nouvelle.
J'attendrais d'autres commentaires pour avoir plus d'aides. Merci néanmoins de ton retour!