Mai | Chapitre 10

Par Hinata

Une étrange sensation l'envahit lorsque la voiture de ses parents disparut au bout de la route. L'air autour d'elle semblait plus léger, les couleurs plus vives. Toujours campée devant le portail, Raph s'accorda une profonde inspiration avant de retourner vers la maison, le sourire aux lèvres.

Après une brève hésitation sur le palier de la cuisine vide et silencieuse, elle s'engouffra finalement dans les escaliers. Théo avait roulé en travers du lit, enveloppée approximativement dans leur grand drap en coton. Sa tignasse ébouriffée donnait tout de suite un côté plus sauvage au motif à fleurs. Pleine de cette énergie qui l'avait saisie un peu plus tôt, Raph grimpa sur le lit et se pencha de tout son poids par-dessus l'épaule de Théo.

— Coucou ! Les parents sont partis, je vais me faire du café, tu viens boire quelque chose avec moi ?

Théo remua un peu, dégagea un bras de dessous elle, puis ce que Raphaëlle avait pris pour un étirement inoffensif se mua en attaque surprise. Elle bascula sur le côté avant de se retrouver clouée sur le matelas, le visage narquois de Théo surplombant le sien. Sa bonne humeur prit un tout nouvel essor.

— Coucou, lui répondit enfin Théo. 

La rondeur un peu râpeuse de sa voix encore ensommeillée fit courir un frisson sur l'échine de Raph.

— Tu en as de l'énergie pour quelqu'un qui vient de se réveiller, dis-moi.

— Et toi, tu es particulièrement magnifique ce matin.

Un sourire irrépressible étira ses joues, sûrement rouges comme deux pivoines à ce stade.

— Tu sais qu'on a la maison pour nous jusqu'à ce soir, hein ? Tu n'es pas obligée de sortir le grand jeu aussi tôt dans la journée.

— Tu as autre chose de prévu, peut-être ? roucoula Théo en réduisant l'espace qui les séparait.

— Maintenant que tu le dis, j'avais bien l'intention de me faire un café…

— Pour ça, il faudrait que tu arrive à te libérer.

— C'est fichu, soupira théâtralement Raphaëlle. Sans café, je n'ai pas l'énergie de lutter contre tes bras délicieusement musclés.

Elle lui caressa le biceps d'un air enjôleur et Théo laissa échapper un rire adorable. Ses yeux pétillaient comme jamais.

— Mince, murmura-t-elle en se rapprochant avec une lenteur hypnotique, tu es obligée de rester ici avec moi, alors.

— On dirait bien…

La seconde suivante, Théo plaqua enfin ses lèvres sur les siennes et ce fut au tour de Raph de l'emprisonner étroitement contre elle. 

 

On lui effleurait du doigt l'avant-bras, si lentement que des picotements lui chatouillaient la peau. Raphaëlle entrouvrit les paupières. Un soleil brillant l'éblouit à travers la porte-vitrée. Elle bâilla à en avoir les larmes aux yeux. La tête calée sur son ventre nu, Théo releva le nez, croisa son regard, puis reprit ses caresses le long du tatouage de Raph. Les yeux fixés sur le dessin, elle murmura :

— Tu vas t'en faire un autre, un jour ?

— Oui.

— Tu sais déjà lequel ?

— Mmh, oui et non…

Raph s'étira paresseusement, puis expira un profond soupir, avant de compléter finalement :

— Je veux me tatouer quelque chose pour Emma. Mais je ne sais pas encore quoi. Ni où.

C'était étrange. Alors que dans la bouche de ses parents, le prénom de sa sœur lui donnait des frissons, le prononcer ici et maintenant semblait presque… agréable.

— Tu pourrais me parler un peu d'elle ?

Son trouble dut se voir car Théo temporisa tout de suite :

— Seulement si tu en as envie.

— Oui, je… justement, je crois que j'en ai envie. Ça m'a surprise que tu t'en sois rendue compte.

— Je ne lis pas dans tes pensées, si c'est ça qui t'inquiète, s'amusa Théo en enfonçant le nez sur son ventre pour y déposer un bisou.

Le geste lui arracha un sourire qui s'attarda sur son visage.

— J'avais pourtant l'impression que si, pas plus tard que tout à l'heure, rétorqua-t-elle en se lovant dans les souvenirs encore vifs de leur matinée.

— Flatteuse, la réprimanda Théo.

Un doux silence tomba sur elles, enveloppant leurs deux corps nus dans un édredon de calme et de mollesse. Se prélassant au contact de Théo, toujours blottie contre elle, Raphaëlle se mit, presque sans réfléchir, à raconter sa sœur.

Tout avait commencé par un bébé. Celui que sa mère avait gardé si longtemps caché dans son ventre. Une chaleur laiteuse habillait ces souvenirs, teintés malgré elle des récits qu'on lui en avait faits, et des photographies parcourues tant de fois dans leurs albums de famille.

— J'aimerais bien voir la petite Raph de cinq ans.

— J'étais très mignonne, admit-elle. Emma aussi, d'ailleurs, même si la rumeur court que je l'aurais traitée de petit sumo en la voyant pour la première fois. L'ironie, bien sûr, c'est qu'elle a toujours été plus mince et moins typée que moi. Enfin bref.

L'histoire reprit son cours et les yeux rieurs de Théo se firent plus attentifs, mais non moins rayonnants. Leur enfance baignait dans un univers de couleurs vives, les anecdotes affluaient sans que Raph ait besoin de s'arrêter pour y réfléchir. Les gribouillages sur le papier-peint, l'armée de poupées, l'échec de la cabane à oiseaux, le cloche-pied obligatoire sur les passages piétons. Malgré leur écart d'âge, Emma et Raph avaient fait la paire, se serrant les coudes à l'école et imaginant toutes sortes de jeux dans la chambre qu'elles partageaient. Au collège, les choses s'étaient corsées pour Raph. C'est là qu'elle avait réalisé qu'Emma n'était pas seulement sa petite sœur, mais aussi sa meilleure amie. Pourquoi les autres fratries qu'elles côtoyaient ne s'entendaient-elles pas aussi bien ? C'était un mystère pour les deux sœurs.

Et puis au lycée, Raph avait rencontré Daya, son premier coup de foudre amical, dont elles s'émerveillaient encore chacune en y repensant. À peine adolescente, Emma n'avait pas pu rivaliser avec cette jumelle de cœur, et ce n'était pas faute d'avoir essayé. Daya avait également des frères et sœurs, mais aussi un atout de choix pour les garder à distance : sa propre chambre. Quand elles n'étaient pas en cours, Raph et elle s'y enfermaient pour écouter de la musique, bouquiner, parfois réviser, souvent discuter jusqu'à pas d'heures. La seule chose que Raph acceptait de raconter à Emma, c'était les insultes en arabe que Daya lui apprenait. Raphaëlle eut du mal à raconter sans trop rire la fois où Emma, brindille de douze ou treize ans, avait hurlé à leurs parents de lui lécher la chatte, avant de claquer la porte de façon très théâtrale. Évidemment, leurs parents n'avaient rien compris, mais ça ne les avait pas empêchés de lui faire bien savoir ensuite ce qu'ils pensaient de ce genre d'attitude.

— Tu te rappelles comment on dit ? s'enquit Théo, l'air fort intéressé.

— Aucune idée, avoua Raphaëlle en essuyant ses larmes d'hilarité. Honnêtement, ça m'étonnerait même que quelqu'un d'autre que nous ait pu comprendre notre prononciation.

— Ah d'ailleurs, je voulais te demander : est-ce que ton père vous parlait japonais à la maison ?

— Non, pas du tout. Je crois qu'il était bilingue quand il était petit, parce que sa mère lui apprenait la langue, mais ensuite, il a presque tout perdu. C'était un peu un sujet de dispute avec ma grand-mère, parce qu'il ne nous transmettait pas sa culture.

— Et toi, t'en penses quoi ?

Raph haussa les épaules. Chacune à leur tour, Emma et elle s'étaient piquées d'intérêt pour les origines maternelles de leur père. Elles s'étaient rapidement découragées en galérant là où tant de de gens sans le moindre métissage réussissaient bien mieux qu'elles. Et puis, entre la famille de Daya, les langues vivantes en cours et les voisins italiens très amis de leurs parents, le japonais avait peut-être trop de langues rivales pour se faire une place dans leur vie. C'était comme ça.

— Et ensuite ? Est-ce qu'en entrant au lycée, Emma a pu rejoindre le club des grandes ?

— Pas le nôtre, en tout cas. Avec Daya, on a toutes les deux déménagé à Lyon pour nos études.

— Mais tu n'habitais pas déjà là-bas ?

— Non, pas du tout, rigola Raph. Mes parents viennent tous les deux de la Drôme, et ils sont restés là-bas jusqu'à ce qu'ils décident d'acheter cette maison.

— Ah, d'accord. C'était bien comme endroit ?

— J'avais hâte de partir dans une grande ville, mais en vrai, oui, on y était bien. Très bien, même.

— Et donc tu as abandonné Emma toute seule dans la Drôme avec tes parents ?

— Exactement. Elle m'en a voulu, je peux te le dire. Et puis il y a eu Ronan, et elle m'a un peu oubliée.

— C'est qui Ronan ?

— Son mec de l'époque, le premier amour de sa vie.

Son ton s'était voulu narquois, mais même l'aura de Théo et le moment hors du temps qu'elles vivaient ne pouvaient dissiper l'amertume de certaines choses. À partir de là, l'histoire prenait un tournant moins folichon. Craignant un peu de se défiler en cours de route, Raphaëlle accéléra le rythme. Elle évoqua brièvement sa licence à Lyon en parallèle du lycée d'Emma, puis son master pendant que sa petite sœur choisissait un BTS dans la ville où son cher Ronan partait étudier. Pendant ces années-là, les seules nouvelles qu'elle avait d'Emma lui venaient de leurs parents, et réciproquement. Raph devait travailler dur pour valider son diplôme, et entre Daya et son nouveau groupe d'amis, elle avait de quoi s'occuper.

— C'est sûr que ce n'est pas évident, quand chacune doit déjà gérer sa vie, surtout dans des villes différentes.

— Surtout qu'Emma n'en avait que pour son couple. Elle passait tout son salaire dans leur loyer et pour des week-ends à la mer Méditerranée. C'était à l'époque où les parents commençaient à chercher une maison en Italie, et je pense qu'elle aussi s'était mise en tête de s'acheter un nid douillet à Marseille, ou quelque chose comme ça.

Pendant ce temps-là, Ronan avait changé de parcours sans arrêt, visiblement incapable de rester plus d'un an dans la même filière. Et puis un jour, un peu avant la Saint-Valentin, Emma avait sonné chez elle. Elle débarquait par surprise, avec une valise et, accessoirement, le poids de deux scoops inédits sur les épaules. Raph apprit d'abord sa rupture : Ronan et elle, c'était fini. Il fallut amadouer un peu Emma avant d'apprendre la suite : elle était enceinte.

Toute cette histoire avait été un bazar sans nom à démêler. Pour Raph, c'était comme de devoir rattraper les quinze premières saisons d'une série dont elle n'aurait vu que le premier épisode. Et encore, pas en entier. Pour faire simple, la grossesse d'Emma n'était pas prévue. En apprenant la nouvelle, son dulciné lui avait avoué qu'il l'aimait très fort, mais qu'il n'était pas prêt à élever un enfant, même avec elle. Cette sagesse inédite lui valut ironiquement d'être traitée par Emma de pauvre gars complètement immature, ce qu'à l'humble avis de Raphaëlle, il était indubitablement de manière générale. Peu importe si Emma avait eu raison ou tort de rompre suite à ça. De toute façon, Ronan n'était pas une grande perte. Ce qui posait davantage question à Raph, c'était qu'Emma comptait bien mener à terme cette grossesse et élever ce bébé comme elle l'entendrait. Elles avaient eu de longues discussions à ce sujet, évidemment, mais au bout de plusieurs jours, la résolution d'Emma était finalement restée inchangée. Il en était allé de même pour une décision non moins anodine : Emma voulait à tout prix que Ronan n'apprenne en aucun cas l'existence de l'enfant.

— Quoi ? Mais je croyais que tu ne savais pas qui était le père de Jeanne ?

Raph se força à expirer lentement l'air qui peinait à quitter ses poumons.

— Désolée, articula-t-elle du bout des lèvres. Emma m'a fait jurer de garder le secret.

— Mais c'est débile, Ronan savait bien qu'elle était enceinte, non ? s'interloqua Théo.

— Oui et non. Emma lui a fait croire à une fausse couche. C'est la dernière fois qu'ils ont été en contact.

Raph vit bien que Théo faisait des efforts pour contenir ses réactions.

— Tes parents savent aussi, je suppose.

— Oui. Ils ont respecté sa décision. Et puis quand la question est revenue, au moment de la tutelle, ils ont tout de suite perçu le danger de mentionner Ronan.

— Le danger ?

— Même déclaré tardivement, le géniteur prévaut sur la famille rapprochée. On ne m'aurait pas accordé la garde de Jeanne, et il aurait même pu nous forcer à couper tout contact avec elle. Ce serait l'exact opposé de ce qu'Emma voulait pour sa fille.

— Tu répètes le discours de tes parents, observa Théo.

— Parce qu'ils ont raison, trancha Raphaëlle.

Elle adorait Théo, mais ça ne servait strictement à rien de relancer tous ces débats qui n'avaient plus lieu d'être. Emma avait pris sa décision et Raph avait juré de la respecter. Ronan n'était rien pour Jeanne, ni pour personne. Il n'existait pas. Point final.

— Et ensuite, Emma est restée à Lyon ? demanda sagement Théo qui avait repris sa position d'auditrice attentive.

Raph prit une grande inspiration avant de répondre plus tranquillement :

— Oui. Elle a pu avoir une rupture conventionnelle pour son travail. Elle a laissé tomber son ancien appart et elle s'est installée pour de bon à Lyon.

Raphaëlle avait gracieusement hébergé sa petite sœur le temps qu'elle trouve un logement. Cette cohabitation passagère avait été l'occasion de rattraper un peu le temps perdu, d'apprendre à connaître les personnes qu'elles étaient devenues, le tout en se délectant aussi du parfum ravivé de leur enfance. N'eût-été la situation bien particulière d'Emma, elles ne se seraient peut-être pas autant rapprochées dans les mois qui avaient suivi. Raph travaillait, bien sûr, mais une grande partie de son temps libre et de son espace mental fut rapidement dédiée à Emma et sa grossesse. Cela rassurait beaucoup leurs parents, qui avaient déjà quitté l'ancienne maison et logeaient tantôt dans leurs familles en Drôme, tantôt en Italie chez leurs amis. Autant dire que ce n'était pas le moment idéal pour s'occuper de leur fille de vingt-et-un ans, enceinte, sans emploi et en plein chagrin d'amour. Emma ne s'en plaignait pas, du reste, peu désireuse de se retrouver à nouveau sous la houlette de leurs parents, ou de qui que ce soit dans leur famille. Exceptée Raph, bien sûr.

Inévitablement, le jour de l'accouchement était arrivé. Raph était restée avec Emma du début à la fin. Leurs parents avaient prévu de venir à Lyon à cette occasion, mais Jeanne était née dix jours avant terme. Ce qu'elles avaient pu stresser, à cause de ces dix petits jours d'avance.

— Bref, si je commence à raconter les péripéties de l'accouchement, on y sera encore demain. Je vais te la faire courte.

Tout bien considéré, ça aurait pu être pire : Emma et Jeanne en étaient toutes les deux sorties épuisées, un peu cabossées, mais en bonne santé. Quand Emma était sortie de l'hôpital, leur deuxième cohabitation avait commencé. Raph dormait chez sa petite sœur, si on pouvait appeler ça dormir, puis elle allait au travail, ramenait du ravitaillement sur le retour, préparait ses cours sur le canapé pendant les tétées, changeait les couches de Jeanne pendant la sieste d'Emma. Daya venait souvent les voir, plus pour les distraire qu'autre chose, ce qui fonctionnait à merveille. Quand leurs parents étaient enfin arrivés à Lyon, Raph leur avait prêté son appart. Jeanne avait fait ses premières sorties, reçu ses premiers cadeaux, distribué ses premiers sourires. Et puis les parents étaient repartis. Raph s'en était retournée aussi, retrouvant les délices de son chez-elle qui lui avait beaucoup manqué. La vie avait repris son cours. Et puis un jour…

Ça n'aurait donc jamais de fin. Elle avait beau croire que la douleur s'estompait, ce n'était qu'un leurre. Raph essuya presque rageusement les larmes qui mouillaient ses joues. Sans mot dire, le visage ému de Théo se fit interrogatif. Raph n'eut besoin que d'un infime mouvement de main. La seconde suivante, Théo l'enveloppait dans ses bras. La houle se leva d'un bond, submergeant les défenses de Raph, et elle dut s'agripper à Théo pour ne pas perdre pied.

L'orage fut moins long qu'elle ne l'aurait cru, mais non moins terrible. Elle qui s'était sentie si présente, si vivante, si entière quelques heures plus tôt, elle se retrouvait maintenant vidée, naufragée sur la peau chaude et salée de Théo qui la berçait. Une mélodie chantonnée à mi-voix se promenait quelque part, la guidant vers un ailleurs qui ne semblait pas trop redoutable. Au bout d'un moment, elle réalisa presque par hasard que le silence était revenu. Raph amorça un geste, mais sa chair amorphe rechignait à suivre, trop agrippée à celle de Théo, trop effrayée par le contact inhabité de l'air. Au prix d'un irrépressible frisson, l'esprit vainquit et Raph se redressa, quittant l'étreinte où elle s'était réfugiée. Reniflement. Yeux brûlants. Soif. Elle claudiqua hors de la chambre.

Raphaëlle n'accorda qu'un œil morne à son reflet, trop concentrée sur l'eau qui s'écoulait du robinet. Elle vida le verre d'une traite et, la main encore un peu tremblante, le reposa sur le bord du lavabo. En ressortant de la salle-de-bain, il lui sembla entendre le ronflement imperceptible de la maison assoupie. Depuis le couloir, elle aperçut Théo assise en caleçon au bout du lit, le nez dans un vêtement roulé en boule. L'épaule appuyée sur l'encadrement de la porte, Raph se racla un peu la gorge et annonça doucement :

— Je vais me faire un café.

Théo sursauta imperceptiblement.

— Ah, tiens, j'ai retrouvé ton tee-shirt sous le lit.

Elle lui tendit son haut de pyjama Pinocchio, atrocement froissé, mais que Raph enfila tout de même. Tandis qu'elles quittaient la chambre, elle ne put s'empêcher de lui demander :

— Est-ce que t'étais en train de le renifler ?

— Bah voyons, lâcha Théo en descendant les escaliers. Comme si j'étais tellement accro à ton odeur que je devais la chercher dans tes vieilles fringues qui traînent par terre. Allons bon…

— T'as raison, il faudrait être carrément désespérée pour faire ça. Ce serait quoi la prochaine étape, se prêter nos habits ? Comme si j'avais envie de porter un de tes débardeurs pour avoir l'impression que tu es toujours avec moi.

— Ce serait absurde.

— Ridicule.

En bas des escaliers, Raph annonça :

— Je veux le gris over-size.

— Oh non, pas celui-là…

— Mais c'est le seul qui m'ira !

— Mais non, j'en ai plein d'autres qui t'iront.

Raph avait assez observé la morphologie et les tenues de Théo pour savoir que le choix serait plus limité qu'elle semblait bien vouloir le croire.

— Je vois bien que tu ne me crois pas, s'amusa Théo en ouvrant le frigo, mais je t'assure que c'est vrai. Tu ne connais pas encore les pépites que je porte seule chez moi, voilà tout.

Se rappeler qu'elle avait encore un tas de choses à découvrir sur Théo avait toujours ce petit quelque chose de grisant, un peu effrayant, mais vraiment excitant. En ce moment précis, Raph aurait adoré être déjà de retour à Lyon et pouvoir entrelacer à nouveau leurs quotidiens. Les vacances, c'était le rêve, mais justement, elle craignait un peu, au fond, de se réveiller et réaliser que rien de tout ça n'était réel.

Raph chassa cette pensée en entamant le ballet de gestes qu'elle commençait à connaître sur le bout des doigts. Attraper la cafetière, la dévisser, la démonter. Robinet, placard du haut, trois cuillères de café. Remboîter, revisser, reposer. Petite flamme bleue, regard sur l'horloge. Bientôt seize heures. Prise de lassitude, Raph s'adossa au comptoir, juste à temps pour voir Théo terminer ses emplettes. Bouteille de jus sous le bras, assiette de fromages dans une main, yaourt et bol de carottes râpées dans l'autre, elle referma le frigo d'un mouvement de bassin qui manquait d'élégance, mais pas d'efficacité.

Raph leur sortit deux verres et des couverts, puis le crachat de la cafetière la rappela à sa mission première.

— Je vais tellement en acheter une comme ça quand je rentre, s'extasia-t-elle d'un air rêveur en se versant une tasse d'où s'élevait déjà une odeur divine.

Théo leva les yeux au ciel avec un sourire.

— Je sais, je sais. Il faut que j'arrête de le dire tous les jours. Mais c'est si bon !

La moue sceptique de Théo parlait d'elle-même, ainsi que la lampée de jus qu'elle aspira avec une expression de délice à peine exagéré.

— Ça te fait un point commun avec Emma, tu sais. Elle n'a jamais bu une seule tasse de café. Mais tu vois, je l'aimais quand même.

— Quelle bonté d'âme, commenta Théo en se coupant une tranche de fromage.

Elles prirent leur temps autour de la table, discutant notamment de ce qu'elles feraient du reste de leur séjour.

— Ah, on n'a pas envoyé de photos hier ! releva Raphaëlle.

— Mais si, à la plage, quand on était sur la digue.

— Ah oui, j'avais oublié. Et pour aujourd'hui alors ?

— Envoie le petit smiley qui a chaud… avec deux petits émojis pêche.

— T'es bête, la rabroua-t-elle en lui lançant un copeau de carotte. Je te rappelle que le but c'est de les faire un peu rêver.

— Justement, persista effrontément Théo.

Comme à chaque fois, l'entendre dire à sa manière que Théo était contente d'être ici avec elle fit naître une agréable chaleur au creux de son ventre.

— Allez prends la pose, au lieu de dire des bêtises. Je vais leur envoyer une photo de notre brunch improvisé, et puis voilà.

Avant de prendre la photo, elle rappela quand même à Théo qu'elle était torse nu.

— Oh, t'inquiète, Arthur et Solène ont l'habitude. Mais si ça risque de déranger Daya, je peux m'habiller ! 

— Non, aucun risque.

Raph envoya la photo sur leur conversation de groupe en écrivant dans la description : « Meilleure journée à la maison sans parents ni bébé ». Un pincement de culpabilité la prit par surprise en relisant le message. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi elle-même que pendant cette journée, et comme par hasard, c'était en l'absence de Jeanne. En quelques heures, elle avait partagé des moments incroyablement forts avec Théo, pour le meilleur et pour le pire, si l'on peut dire. Cela n'aurait pas été possible dans d'autres circonstances. Et si Raph voulait continuer de vivre des moments pareils avec elle…

— Bouge-toi un peu.

Raph leva un regard interloqué vers Théo debout près d'elle.

— Recule un peu ta chaise, s'il-te-plaît, je voudrais une petite place.

Elle obtempéra et Théo s'installa sur ses genoux, un bras passé autour de son cou. Raph enroula ses propres bras autour d'elle et nicha sa tête au creux de son épaule. Théo pesait plus lourd qu'elle l'aurait pensé, mais c'était loin d'être inconfortable.

— C'est pas le moment de rêvasser, marmonna Théo, je t'ai entendu gargouiller tout à l'heure. Qu'est-ce que tu veux grignoter ? Tiens, un petit morceau de fromage.

— C'est lequel ? 

— Brebis. Tu l'aime bien celui-là, non ?

Raph hocha la tête et mangea gentiment le bout qu'elle lui présentait. Un adorable sourire fendilla le masque un peu soucieux de Théo et Raph sentit son cœur voleter dans sa poitrine. Tant d'attention, de vitalité, de bienveillance, et tout ça pour elle. C'était dingue.

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AudreyLys
Posté le 07/07/2023
Coucou !
Ah comme je comprends Raph qui fait la fête sans ses parents j’aurais fait pareil XD
C’est agréable d’apprendre à connaître Emma je trouve on s’attache plus au lien qu’elle avait avec notre héroïne ! Je suis intriguée par cette histoire avec Ronan, et comme Sorryf je trouve que ça ne se fait pas de ne pas lui dire qu’il a un enfant… Je ne comprends pas trop pourquoi Raph est si hostile envers lui mais peut-être que ce sera expliqué plus tard. Je me dis qu’il va revenir à un moment parce que tout se passe trop bien pour l’instant x)
Hâte de revoir bébé Jeanne c’est qu’elle commence à nous manquer !
À bientôt ~
Hinata
Posté le 09/07/2023
Coucou !
Oui ça y est, Raph rompt un peu le silence et le personnage d'Emma prend un peu plus vie (sans mauvais jeu de mots) !
Haha, yess, c'est normal d'être intriguée et sceptique sur toute l'histoire avec Ronan, effectivement c'est un sujet qui risque de revenir sur le tapis tôt ou tard...

Mais ouuui tout un chapitre sans Jeanne, n'est-ce pas terrible ? XD

Vraiment trop cool que ça te plaise, merci de commenter c'est trop-gé-nial, et à la prochaine ! ^-^
Sorryf
Posté le 07/07/2023
Revoila bébé Jeaaaaanne !!! Enfin, techniquement, revoila tout le monde sauf elle, dans ce chapitre, haha !
C'est un plaisir de retrouver Raph et Théo, leur relation est si chou ! Et enfin on sait tout ce qui s'est passé ! c'était un super chapitre tout tendre et néanmoins instructif ! J'ai quand meme quelques critiques :

Le mépris de Raph pour Ronan, pourquoi comment d'ou il vient ? C'est le petit ami lycéen de sa lycéenne de soeur, qu'il soit immature c'est normal, elle qui est plus agée elle peut vraiment le mépriser sur ça ? Ou alors il est plus vieux ? C'est peut-être le fait qu'il ait pas voulu de l'enfant qui énerve Raph, mais elle dit à ce moment là qu'il est étonamment mature justement. C'est pas comme s'il avait largué Emma en apprenant qu'elle était enceinte : c'est elle qui l'a dégagé et lui a meme fait croire qu'elle avait perdu le bébé pour qu'il ne la connaisse jamais (je trouve ça vraiment pas cool. Compréhensible de la part d'Emma, mais ses parents sont vraiment mesquins, tant pour le papa qui n'est au courant de rien que pour la petite, qu'ils privent de leur père juste parce qu'ils la veulent tout pour eux)(bien sûr, si je manque d'infos comme quoi Rohan aurait été un père abominable, violent ou que sais-je, ça remet tout ça en question, mais là il a juste l'air d'un gamin de 20ans qui a répondu comme ça à chaud qu'il ne se sentait pas prêt à avoir un enfant. Il aurait surement aimé la voir un peu, et Jeanne aurait surement adoré le connaitre)
Peut-être qu'il y a une part qu'on ignore encore ? que même Raph ignore ?

Le selfie les seins à l'air aux copains, on est bien certains que ça dérange pas Daya ? ça me rassurerait une petite ligne de développement : "Aucun risque, elle milite pour la visibilité des tétons sur insta", "Aucun risque, on s'en envoie tout le temps", "Aucun risque, elle fait du topless meme dans les parcs à Lyon", parce que si ça se trouve la pauvre Daya n'a rien demandé et Raph veut juste avoir l'air cool devant sa meuf beaucoup trop cool !

La suite ! la suite ! la suite ! je veux revoir Jeanne, et maintenant je suis curieuse de savoir si Ronan ne va pas réapparaitre pour reprendre sa fille (ça me fait un peu peur... que dit la législation en cas d'enfant non reconnu car pas informé volontairement, et déjà adopté par la belle-famille?)
Hinata
Posté le 09/07/2023
Hahaha, yess, pauvre Jeanne se fait voler la tête d'affiche dans ce chapitre XD

Ah, niquel, le "tendre mais néamoins instructif" c'était exactement mon objectif pour ce passage ! ça me ravit !

Alors, dans l'idée, à ce stade il y a pas mal de choses que Raph (et nous par la même occasion) ignorons sur la relation et surtout la rupture entre Emma et Ronan. Cela étant, je suis d'accord que la prise de position de Raph n'est pas méga justifiée/cohérente... Je me repencherai sur ce qui transparaît dans ce chapitre une fois que j'aurais mieux défini cet arc dans la suite, merci d'avoir relevé !

Ah yes, pour la photo top-less, tu confirme un doute que j'avais, finalement j'ai opté pour une réplique courte mais du coup comme je pensais, c'est une peu trop expéditif et pas très rassurant comme réponse, donc je vais la modifier, et merci pour ces suggestions très cool !

Huhu, la suite arrive ! Merci merci pour ton commentaire <3
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