Maintenant, on se dit adieu mon pote !

Comment ai-je réussi à écrire un morceau dans mon état, le mystère reste entier. Avec une gueule de bois de l’enfer, ça me paraît surréaliste. Il me faut de l’aide. La réception de l’hôtel pourrait me sauver peut-être. Ou un médecin. Ou une plaquette de fentanyl.

— Ne t’inquiète pas pour ça m’sieur Leone, dans quelques minutes, tu retrouveras la force de tes vingt ans !


Je fais volte-face et me retrouve nez à nez avec le vieux rappeur. Je cherche quelque chose à dire, et ce en dépit de la douleur qui me gifle, et tout ce qui me vient, c’est de lui demander quel est son putain de nom.

— Écoute petit, je n’ai pas trop le temps de m’occuper de ta mémoire qui fait des bonds, surtout que d’ici deux minutes... tout ça n’aura plus d’importance... je pourrais bien m’appeler Annie Cordy que ça changerait rien à l’histoire... J’adorerais continuer à bavasser avec toi m’sieur Leone mais je suis à la bourre pour ma prochaine intervention. Direction la Bretagne éternelle dit-il en s’esclaffant magistralement.
— La débandade du siècle... des bretons qui font du rap, tu le crois ça ? je m’en vais te les renvoyer dans les tréfonds de leur vallée et adios les guignols de Dana ! Bref, maintenant, on se dit adieu mon pote !
— Attends un peu, pas si vite. Deux secondes mec, tu le vois ce bout de papier.
J’attrape la chanson que je lui tends aussi sec. « La voilà ta putain de chanson»
— Petit, je vais être direct avec toi, je m’en fous de ton papelard, t’as raté le train... on peut même dire que tu l’as pris dans la tronche à en juger par ta gueule de déterré. C’était HIER le deal, c’était HIER qu’il fallait me balancer ta ritournelle... mais HIER m’sieur Leone chassait le dragon, stone jusqu’à la mort et moi j’ai des principes, tu l’as eue ta chance, tu ne l’as pas saisie... fin de l’histoire, et vaya con dios Leone
— Arrête de m’entuber le vieux, j’avais jusqu’au coucher du soleil, regarde donc par la fenêtre, tu trouves que ça ressemble à la nuit ? Cillant à peine, il poursuivit stoïque.
— M’sieur Leone, je vais rester cool et mettre ça sur le compte de ta parano post défonce. Le deal c’était hier, et aujourd’hui c’est demain, t’as comaté mon vieux, ou peut-être bien que tu es allé te faire les ongles à Chinatown, je m’en tape, ce que je sais c’est qu’on s’est vus mardi et qu’aujourd’hui c’est jeudi.
Interpellé par son assurance et sa précision clinique, je finis par me demander si je n’ai pas merdé au bout du compte. Aurais-je pioncé deux jours d’affilée ? Tout à fait vraisemblable sinon possible. Quand on ne dort plus, et que l’on cumule des nuits blanches à la pelle, l’endormissement ressemble à s’y méprendre à l’évanouissement. Et l’on peut faire le tour du cadran sans s’en apercevoir. Je ne compte plus les fois où cela m’est arrivé. La panique aux yeux, j’attrape mon téléphone. Baisé ! Je suis baisé ! On est jeudi. Mon obscur pressentiment se réalise : j’ai cuvé pendant quarante-huit heures.
— Tu es prêt mon grand pour ton come-back en banlieue ? dit-il. Allez, on va démarrer. Compte avec moi jusqu’à cinq...
« Fous-moi la paix deux secondes ». Il faut que je gagne du temps. A toute berzingue, je me creuse les méninges pour trouver l’argument qui bloquera le compte à rebours. Putain, y a rien qui vient, et entendre le vieux égrainer les chiffres, m’empêche de fixer mon attention. De grandes tâches lumineuses apparaissent dans la chambre. La couleur de la pièce change brutalement. Tout ceci n’est pas réel ! ... TROIS... J’entends de la musique... vite... C’est Esquivés par ... Esquivés par... Merde, je n’arrive plus à me rappeler du titre complet. Fuck, je suis en train de disparaitre. Je me vois dans le miroir derrière Joey. Sourire si désemparé, si hésitant. DEUX... On est jeudi en juillet, c’est mon mois préféré, je suis né le quatorze juillet... UN je suis VIP Spotify, je touche cinquante mille euros par mois rien qu’en streaming... ADIOS LEONE !

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