Elle
Quand elle ouvrit les yeux ce matin-là, elle sut que la fin de son rêve n’en était pas un. Sans s’étirer, elle se précipita dans sa salle de bain. Elle eut tout juste le temps de s’adosser aux toilettes avant que son repas d’hier ne se déverse en un flot saccadé. Au bout de plusieurs minutes interminables, elle cessa et s’écroula tremblante à côté de la cuvette. Elle ferma les yeux et chercha à stabiliser sa respiration. Il fallait se calmer pour espérer réfléchir à ce qu’elle venait de voir…
Pour d’autres personnes, ce songe n’aurait été qu’un simple cauchemar, un reflet de ses craintes les plus profondes. Ce n’était pas le cas. Elle le savait. Elle descendait d’une longue lignée de sorcières du Berry. Derrière les fêtes de sorcières d’aujourd’hui se cachait une histoire nettement moins belle. À une époque pas si lointaine, il n’était pas rare que les habitants jettent des sorts à leurs voisins ou aillent chez des rebouteurs pour soigner leurs proches malades.
Il fallait l’avouer aussi, elle n’avait pas toujours cru à cet héritage. Néanmoins, à force d’assister à des événements inexplicables, de les voir s’accentuer au fil des morts ayant jonché sa vie, elle avait fini par se montrer plus ouverte sur la question. Suivant des conseils de son entourage, sa maison avait été purifiée puis protégée avec des pierres afin de se prémunir de certains dangers. Elle-même portait une obsidienne autour de son cou qui lui servait de véritable bouclier contre les ondes néfastes. Pour beaucoup, ce n’était que du vent, mais aucune de ses personnes n’avait sans doute connu le malaise qu’elle avait pu ressentir au contact de quelques gemmes.
Si autrefois, ce savoir lui était utile pour éloigner les esprits, aujourd’hui, elle en usait pour soulager les autres. Après des années de doutes, elle acceptait son don. En ces temps si sombres, cela lui semblait nécessaire. Elle avait aussi décidé de ne pas être rétribuée, d’agir en toute discrétion afin de ne pas avoir à s’expliquer auprès des sceptiques.
Il l’avait été. Il l’était toujours sans doute. Il n’allait plus l’être.
Elle se redressa, un peu chancelante. Elle tira la chasse et quitta la salle d’eau, non sans s’être promis d’y revenir pour la nettoyer à coups de produits naturels. Suivant son instinct, elle se dirigea vers son armoire d’où elle sortit une boîte dans lequel se trouvait de quoi l’aider. Peut-être devrait-elle téléphoner à un proche, mais elle craignait de l’entendre lui répliquer que sa décision était mauvaise. Il lui aurait fallu toquer à des portes qu’elle n’avait encore jamais ouvertes. Peut-être le ferait-elle ? Tout dépendrait du résultat de sa propre expérience…
Une chose était sûre, justice serait faite pour iel.
Il allait payer les horreurs de cette nuit. Elle n’avait pas d’autres options. La police lui rirait au nez si elle venait leur annoncer qu’il était un être abject qui séquestrait et violait des femmes dans sa cave. Elle avait déjà essayé de le dénoncer par le passé, elle se rappelait encore du rejet de sa plainte et de la honte subie. Cette période avait été un enfer dont elle n’était toujours pas sortie. Elle se souvenait aussi des autres victimes qui l’avaient soutenue en secret et s’excusaient d’avoir peur de franchir le pas. À la différence des séries télévisées et de la réalité, elle ne les avait pas culpabilisés. Elle comprenait et elle ne souhaitait à personne d’être humilié comme elle l’avait été…
Non, la police ne l’aiderait pas. Il fallait régler l’histoire soi-même. Comme toujours. Elle ne comptait pas débarquer chez lui pour lae libérer. Si l’envie était présente, elle ne pouvait y céder. Les risques étaient trop grands, et rien ne lui garantissait qu’elle soit capable d’y pénétrer sans faire une crise d’angoisse à la vue de certaines pièces… Il ne restait plus qu’une solution. Une seule.
D’une main tremblante, elle saisit la petite poupée fabriquée à leur séparation. Combien de fois avait-elle été tentée de s’en servir contre lui ? Beaucoup trop. Sa conscience lui avait soufflé de ne pas céder. Elle souffrait déjà assez. Il fallait attendre. Il allait payer… sauf que la roue ne tournait pas. Alors elle allait lui donner un coup de pouce.
Et tant pis si elle perdait des plumes au passage.
Il
En silence, il nettoyait les différents ustensiles dont il s’était servi sur iel. Il respectait un protocole à la lettre afin d’assurer l’hygiène irréprochable de ses outils de plaisir. Il n’était pas question de tomber malade à cause de ces derniers. Résultat quand l’un d’eux semblait trop douteux, il les jetait sans le moindre état d’âme. Il avait un stock de remplacement, et si le jouet n’était pas dedans, il en commandait un nouveau tout simplement. Parfois, il ne pouvait pas, car certains n’étaient plus vendus. Il en trouvait alors un autre du même genre ou se résignait à lui faire ses adieux. Heureusement, son instrument préféré, le fouet, n’était jamais en rupture de stock.
Cette nuit, il n’avait pas pensé s’en servir. Il ne le sortait jamais les premiers temps où il se contentait de sexe vanille avec ses partenaires. C’était la meilleure façon d’amadouer les femmes. Oh bien sûr, il y avait quelques exceptions. Celles-là, il n’en était pas très fan. Il n’aimait pas leur manière de jouer les gentilles filles avant de montrer un tout autre visage au lit. Elles mentaient sur leur vraie nature pour piéger les hommes entre leurs griffes. C’était navrant, mais c’était mieux que celles qui voulaient dominer. Il les détestait encore plus même s’il était jouissif de les remettre à leur place de soumise. Non les femmes n’étaient pas là pour donner des ordres, mais pour obéir. Elles étaient de bien mauvaises dirigeantes, il suffisait de regarder l’Histoire pour le comprendre. Oh bien sûr, il existait quelques exceptions, mais il n’en croyait rien. Il était sûr qu’un homme se cachait dans leur ombre.
Il laissa échapper un soupir. Nettoyer était ennuyeux. Avec le temps, il réussirait peut-être à déléguer cette tâche à sa petite esclave. Peut-être. Après trois soirs, un doute avait commencé à s’insinuer dans son esprit. Normalement, les effacées ne mettaient pas longtemps à céder à ses charmes, mais celle-ci était plus rebelle qu’il ne l’aurait cru. Si elle ne criait pas quand il lui donnait des plaisirs, elle demeurait juste amorphe. Il avait l’impression de faire l’amour à un cadavre, et c’était tout sauf romantique. Il aurait largement préféré la voir le griffer, lui cracher dessus plutôt que subir cette indifférence dont elle semblait incapable de se défaire…
Résultat, il avait à nouveau perdu son calme. Il s’était retrouvé à saisir le fouet pour la frapper avec. Elle n’était pas restée silencieuse très longtemps. Il se souvenait encore du cri strident qu’elle avait lâché et qui l’avait poussé à remercier le ciel d’avoir insonorisé sa cave. Oh ! Il aurait pu s’arrêter là, mais il s’était mis à lui hurler dessus, lui reprocher d’être si inerte et lui ordonner de faire plus d’efforts. Il ne s’était pas laissé attendrir par ses larmes. Non, il avait continué à frapper jusqu’à voir le sang couler sur sa peau nue. Alors seulement, il avait stoppé la punition. Il avait aussi achevé leur petite séance nocturne.
Il l’avait abandonné. Il était remonté se coucher. Il s’était levé de mauvaise humeur avec un point dans son dos. D’ailleurs, ce dernier ne passait pas. C’était désagréable, mais ce n’était pas la première fois qu’il souffrait d’une lombalgie. Il faudrait sans doute qu’il change son matelas. Ce n’était pas prévu dans son budget. Il ferait avec. Il n’était pas pauvre après tout, mais c’était dur de vivre avec trois mille euros par mois.
Sa morosité lui déplaisait. Il aurait préféré se réveiller de bonne humeur. Son regard se posa sur sa montre. Il avait encore une ou deux heures avant de se rendre au travail. Peut-être téléphonerait-il pour bosser depuis la maison ? Il hésitait. Ou alors il irait chez le médecin se faire porter pâle. Il verrait. En attendant, il fallait s’occuper de son esclave. Maintenant que ses outils étaient nettoyés, il pouvait les redescendre. Il le ferait après. D’abord, il alla chercher le repas de la demoiselle, mais aussi de quoi panser ses plaies.
Car il n’était pas un monstre.
Iel
Quand la lumière jaillit dans la cave, iel gémit. Se réveiller lui était insupportable. Iel savait que le cauchemar allait reprendre. Il revenait à chaque que l’obscurité disparaissait. Pour la première fois de son existence, iel s’était mis à aimer les ombres. Avec elles, iel se sentait à l’abri du monstre qui lae retenait prisonnière et qui lae torturait sans relâche. Iel ne voulait plus les quitter, ce qui lae poussait à fermer les yeux quand il lae faisait souffrir. Iel partait loin de cet enfer.
Mais hier, il l’avait brutalement fait revenir à lui. Ce souvenir fit trembler iel à moins que ce ne soit la peau du monstre sur la sienne.
– Regarde-moi.
Péniblement, iel rouvrit les yeux pour croiser le visage du monstre. Il lae fixait avec une gentillesse feinte. Il le faisait toujours quand il lui rendait visite après l’avoir torturée. Il se montrer doux et prévenant comme si cela effaçait tout le mal, comme si iel pouvait passer l’éponge. Iel n’était pas dupe. Iel ne pouvait pas se laisser attendrir par ce monstre qui ne lae respectait pas, qui ne l’écoutait pas. Il faisait juste semblant. Il n’entendait que ce qui l’arrangeait.
– Je suis désolé pour hier, mais c’est ta faute aussi.
Dans d’autres circonstances, iel aurait répliqué. Iel n’en fit rien. Iel avait retenu la leçon. Le contrarier le poussait à enlever et à torturer. Mieux valait se taire. En plus, cela éviterait à sa voix de trembler, car iel aurait été incapable de l’insulter avec assurance.
– Si tu n’avais pas fait semblant de ne rien sentir, je ne t’aurais pas frappé. Tu comprends ?
Iel voulut hocher la tête, mais son corps résista.
– Tu comprends, n’est-ce pas ?
La menace se fit ressentir dans sa question. Toujours aussi raide, iel parvint néanmoins à lâcher un faible oui. Il parut s’en contenter. Il détourna son regard, ce qui lui offrit un répit dont iel ne se plaignit pas. Iel sursauta quand il toucha ses cuisses abîmées. Sans prévenir, il désinfecta ses plaies. Il y mit une application qui obligea iel à se mordre la lèvre pour ne pas crier. Iel était sûre qu’il y prenait du plaisir. Il recommencerait, incapable de comprendre le pourquoi de sa torpeur.
– Tu ne devrais pas avoir de cicatrices.
Cette fois, songea iel. Parce qu’il y en aurait d’autres. Son corps se figea brutalement. La main du monstre était en train de glisser au niveau de son entrejambe. Par réflexe, iel rapprocha ses cuisses. Une erreur. Une douleur cuisante frappa sa joue droite avant qu’un étau n’enserre son menton.
– Sois gentille.
Son regard ne put soutenir le sien.
– Regarde-moi !
Iel ne parvint qu’à se mettre à pleurer.
– Pitié, murmura iel. Je n’aime pas ça.
Sa voix était si basse, qu’il n’aurait pas dû l’entendre. Et pourtant…
– Ne t’inquiète pas, je vais te guérir de ta maladie.
Il s’adoucit en prononçant ses paroles.
– Je vais te faire aimer ça. Je vais te guérir de tes traumatismes.
– Je n’ai aucun traumatisme.
Non, iel n’en avait aucun. Iel avait le droit de ne pas ressentir le désir sexuel. Iel avait le droit de s’en passer, d’aimer sans lui. Pourquoi était-ce si difficile à accepter ?
– Ne nie pas.
Iel n’en fit rien, mais cela ne suffit pas. Il écarta ses cuisses avec brutalité, plantant sa tête dans son entrejambe. Quand la limace entra en contact avec sa peau, iel sentit l’effroi l’envahir. Iel ferma aussitôt les yeux cherchant à ignorer le dégoût qui l’envahissait face aux mouvements hasardeux et désagréables de la limace. Son supplice dura de longues minutes avant d’être interrompu.
– Eh merde, maugréa-t-il.
Il sembla se redresser avec difficulté.
– Nous reprendrons plus tard.
Iel le vit poser une main dans son dos et le masser. Il allait quitter la pièce quand il fit volte-face pour lui rapprocher son plateau-repas d’un coup de pied rageur. Sans surprise, tout se renversa, ce qui l’énerva davantage.
– Oh et puis zut, jeûner ne te fera pas de mal. Tu es un peu grasse par endroits.
Iel ne broncha pas. Iel le suivit du regard, attendit qu’il éteigne la lumière et qu’il claque la porte. Quand iel fut sûre qu’il était loin, iel s’autorisa à pousser un soupir de soulagement avant de se recroqueviller. Malgré la faim, iel ferma les yeux pour oublier et se réfugier là où ce monstre ne pourrait plus lui faire du mal…
Tout d'abord désolée, je dois admettre que j'ai lu ce chapitre la semaine dernière mais que, étant sur mon téléphone, je ne commente que maintenant (depuis mon ordi) afin de te faire un retour plus étendu.
Parce que ce que tu nous proposes là, c'est vraiment enthousiasmant ! Enfin, le sujet et les actions sont horribles, hein, mais avec du recul critique, j'adore.
Je garde la même impression que sur le premier chapitre : pour moi, dans ma lecture, Il, Elle et Iel s'imposent comme des prénoms. Et je "m'enfonce" dans mon idée qu'ils représentent chacun un contexte, des notions, des combats : Il, le conservatisme, la misogynie, la violence genrée (me lance pas la dessus, je suis dans une période "documentaires de serial killers américains" - la faute à la série Mindhunter -bref...). Iel représente tout ce vers quoi notre société devrait tendre : un flou entre les genres, la liberté de choisir son propre corps, sa propre sexualité, et toutes les notions à tendance féministe qui en découlent (jusqu'à l'asexualité qui, je trouve, est de plus en plus évoquée dans les groupes que je fréquente). Et Elle, pour moi, serait justement une sorte d'allégorie du combat progressiste, féministe, qui part se rebeller contre Il.
... Bon, je crois que je pars loin, aussi, hein. Tu as sans doute compris que dans ma tête ça tournait très vite xD Mais en tout cas, que tout cela soit volontaire de ta part ou non, ça fonctionne parfaitement !
A très vite pour la suite (ou pour toute discussion sur ce genre de thèmes)
Liné
Merci pour ton commentaire. J'aime quand tu pars loin. Je ne me vois pas te dire que tu as tort parce que tu es proche de la vérité.
Quand j'ai écrit le prologue, je voulais dénoncer tout ce qui n'allait pas dans le "il", celui que l'on glorifie encore dans certaines romances et dont rêve vraiment certaines jeunes filles. Non parce que je l'avoue... entendre ma soeur qu'elle rêve que le gars de You entre dans sa vie... ou que l'enfance de Grey pardonne toutes ses erreurs... ça m'agace un chouilla. Le pire c'est quand on me dit, mais non, les filles savent faire la différence sauf que pas toujours...
A un moment donné faut admettre que la fiction n'est pas que de la fiction, et qu'elle peut renforcer certains schémas. Ce n'est même pas moi qui le dit, ce sont des études qui le disent. Mais là je crois que je dérive un peu moi-même et que je laisse parler mon petit moi féministe.
Dans tous les cas ton commentaire me fait vraiment plaisir surtout que j'ai eu du mal à écrire la suite. Cela ne venait pas et mon IRL ne m'aidait pas. J'ai quand même réussi et je me suis dit tant pis si ce n'est pas parfait... J'y reviendrai plus tard pour améliorer mais je dois avancer sinon je n'écrirai jamais la fin et je vais me maudire ! Bref MERCI Liné !
Et à bientôt :)
Bon courage à toi pour l'écriture !! Je viendrai bientôt lire le chapitre que tu viens de poster ;-)
Pour la suite, je ne sais pas. Non, en vrai, je suis juste allée me documenter sur la sorcellerie en France, et notamment dans la région du Berry. Du coup j'ai fait une pause documentaire pour aborder la suite au mieux.
Elle et il se connaissent. Ou alors j'ai mal écrit le résumé de Haine.
"Hier, il séduisait elle. [...] Elle déteste il au grand jour."
Après il ne l'a pas torturé de la même façon. Ce n'était pas la même relation, mais elle était clairement toxique. Il a déjà parlé d'Elle sauf qu'il n'utilise pas ce pronom. Il la qualifie autrement. C'est voulu pour marquer le fait qu'ils ne sont pas quittés en bons termes, mais aussi pour éviter un doublon avec iel. (vu qu'il lae mégenre en employant le pronom elle)
Et il a déjà évoqué elle. Il n'a pas fait que ça d'ailleurs puisqu'il la torture un peu à distance aussi. Je ne sais pas si cela clarifie des choses, mais j'aurais essayé. Si tu as des questions n'hésite pas !
Merci encore Keina !