Il
En tête à tête avec son verre à moitié plein, il était perdu dans d’obscures pensées. Il revivait l’incident de ce soir. Rien ne s’était déroulé comme prévu. Il ne comprenait pas comment sa nature bestiale avait pu prendre le dessus sur son intelligence. Il avait commis une terrible erreur dont la responsabilité ne lui incombait pas. Au fond, c’était sa faute à elle. Pas la sienne. Si elle s’était soumise comme toutes les autres, il n’aurait pas usé d’une telle violence pour leur première fois. D’ailleurs, il n’avait pas pu conclure puisqu’il s’était retrouvé à devoir l’étrangler pour la maîtriser. Par chance, il avait réussi à s’arrêter à temps.
Ou pas.
Maintenant, il avait un corps dans sa cave. Il ne savait pas quoi en faire. Il hésitait. Sa raison lui dictait de l’achever, puis de brûler son cadavre dans la forêt la plus proche. Ses désirs les plus obscurs lui soufflaient de la garder en vie pour mieux la soumettre. Ce dérapage lui offrait l’occasion parfaite de mettre en application toutes ses connaissances en dressage sans avoir à craindre la moindre retombée. Après tout, elle ne rentrerait pas chez elle donc ne pourrait jamais en parler… Sauf si elle s’échappait.
Il ne pouvait pas nier ce risque, mais il était minime. Cela ne l’effrayait pas, bien au contraire. Il trouvait cela excitant, et il était curieux d’observer les réactions autour de lui. Les gens allaient-ils s’inquiéter pour elle ? Si oui, allaient-ils songer à lui ? Non. Personne ne pouvait penser à lui. Il était le gendre idéal, l’amant parfait et aucune de ses conquêtes ne pouvait dire le contraire. Quoique…
L’autre avait essayé par le passé. L’autre avait osé élever la voix, mais l’avait amèrement regrettée. Il n’avait pas hésité à répliquer. Il avait soufflé aux oreilles de certains individus les désirs les plus sales de son ex. Cela avait permis de détruire son existence et de la réduire au silence. Plus personne ne l’avait crue, si ce n’est quelques idiotes en mal de drames sur les réseaux sociaux, vu qu’elles étaient incapables de les dénoncer ailleurs que derrière leurs écrans. Leurs voix ne suffiraient jamais à lui nuire. Leur hystérie les desservait toujours. Si seulement, elles avaient accepté de se faire suivre et d’arrêter de rêver à une égalité qu’elles possédaient déjà…
– Ah ces féministes, soupira-t-il.
Il porta son verre à ses lèvres. Non, il n’avait vraiment pas de raison de s’inquiéter. Il était même sûr que l’autre finirait par revenir, ramper à ses pieds et le supplier de l’excuser. Il la ferait alors languir avant de lui imposer des épreuves plus dures les unes que les autres. Ensuite, il lui pardonnerait.
Peut-être.
En attendant, il devait s’occuper de son invitée. Il avait tant de choses à essayer sur elle, qu’il en avait le tournis. Il faudrait qu’il prenne des notes afin de rendre l’expérience la plus sérieuse possible. Oh oui ! Il devait se trouver un carnet, qu’il cacherait avec soin. Tout le monde ne comprendrait pas au début. Certains changements nécessitaient du temps. Mais un jour, il pourrait révéler ses tests au grand jour… et il serait célèbre.
Ce fut donc avec le sourire aux lèvres qu’il se leva de sa chaise pour aller la rejoindre. Avec de la chance, il pourrait la réveiller à sa façon…
Iel
Lorsqu’iel ouvrit les yeux, l’obscurité l’accueillit. Comme autrefois, iel se crut aveugle. Du regard, iel chercha une source de lumière sans parvenir à la trouver. Iel voulut lever le bras pour partir en quête de l’interrupteur de sa chambre. Sa tentative fut un échec. Quelque chose entravait ses poignets ainsi que ses jambes. Iel essaya de se libérer, mais les liens s’enfoncèrent dans sa chair. Cela lui arracha un cri de douleur qui s’étouffa dans un bâillon…
La panique prit alors le dessus. Iel se mit à bouger frénétiquement malgré la souffrance. Sa respiration s’accéléra. Ses pensées s’embrouillèrent. Pourquoi iel n’était pas dans son lit ? Ou était-iel ? Des larmes d’impuissance commencèrent à couler le long de ses joues. Soudain, une lumière aveuglante vint l’éblouir. Cela ne lae stoppa pas dans ses mouvements. Cela ne lae fit pas arrêter de suffoquer. Non. Par contre ses paupières s’invitèrent dans le ballet, pour papilloter et l’aider à s’habituer à l’éclairage…
Quelque chose lae toucha pour lae secouer. Iel entendit une voix lui donner l’ordre de se calmer. Iel en était incapable. Iel devait s’acharner. Iel devait s’échapper avant d'étouffer… ou pire. Iel se sentit alors soulevé du sol. Iel était plaquée contre un mur. Une pression soudaine apparut sur sa gorge, ce qui lae fit stopper net.
– Je ne me répéterai pas une troisième fois.
Son regard vert rencontra celui de il. Tétanisée, iel se souvint. Sa soirée aurait dû se passer au cinéma avec elle. Iel était en route pour la rejoindre quand sa route croisa celle de il. Alors qu’iel coupait par le parc, iel s’était senti tirer dans un coin sombre. Il n’avait pas parlé, juste tenté de l’embrasser. Iel l’avait repoussé d’un geste. En représailles, il lae frappa à la joue. Iel heurta le sol. Assomée, iel n'eut pas le temps de s'échapper. Il était déjà sur iel, les doigts serrés autour de son cou. Iel avait griffé. Iel ne voulait pas mourir.
Iel s’était vue mourir.
Mais iel était en vie. Sauf que ce n’était pas une bonne nouvelle. Iel était toujours entre les mains de son bourreau qui lae fixait de son regard glacé. Allait-il l’achever maintenant ? Iel avait peur. Et ce sentiment s’accentua lorsque son visage se rapprocha du sien. Ses paupières se fermèrent brutalement pour lae protéger de cette vision. Sa peau ne réussit pas à l’épargner de la sensation humide sur sa joue. Un frisson de dégoût saisit iel, qui empira quand la chose remonta jusqu’à son oreille pour s’y enfoncer…
– Tu es à moi désormais. Rien qu’à moi.
Un murmure. Iel sentit la menace. Son esprit réagit aussitôt et lae déconnecta de son corps.
Pour mieux lae protéger de l’enfer qui allait se déchaîner.
Elle
Cette nuit devait être celle de sa déclaration. Elle allait avouer ses sentiments à iel même si le râteau la terrifiait, même si elle était indigne d’Iel. Elle devait essayer. Il le fallait pour mettre son passé sombre derrière elle et aller de l’avant. Elle était prête, ce qui la poussa à inviter iel à aller voir un film. Son choix s’était porté sur le long métrage Vita et Virginia. Ce n’était pas un hasard. Elle espérait que cela l’aiderait à préparer le terrain, que cela lui donnerait la force de ne pas se défiler à la dernière minute. Elle se connaissait, elle était capable de fuir au dernier moment…
Bien entendu, elle avait envisagé tous les scénarios. Ses rêveries avaient été douces sur certains, beaucoup moins sur d’autres. Elle s’était vue pleurante dans la rue sous la pluie après avoir perdu une amie chère à cause de la non-réciprocité de son amour. Elle s’était aussi imaginée dansant le cœur léger sous une averse après un baiser d’au revoir. Mais il fallait l’avouer, elle avait pensé à tout sauf au scénario en train de se jouer en cet instant.
Iel avait raté la séance. Iel n’était pas venue du tout. Iel lui avait posé un lapin. Sauf que non. Elle ne pouvait pas croire qu’iel déserte sans la prévenir. Ce n’était pas son genre. Leur amitié était réelle. Ensemble, elles avaient vécu des moments merveilleux. Son téléphone était rempli de photos pour le prouver. Alors pourquoi iel n’était-iel pas là ? Elle ne savait pas, mais pouvait supposer, ce qui n’était jamais une bonne chose. Si elle était douée pour s’inventer des histoires, c’était surtout dans les drames qu’elle excellait.
D’ailleurs, elle s’imaginait déjà le pire. Elle avait envoyé trois SMS avant de laisser un message vocal avec l’espoir de ne pas passer pour une harceleuse. En même temps, elle était morte d’inquiétude. Quelque chose de grave avait dû se produire sinon iel serait ici. Bon, il était possible que iel n’ait pas pu la prévenir d’un empêchement à cause d’un oubli de portable ou d’une batterie à plat. C’était même hautement probable sauf qu’elle n’y croirait que lorsqu’elle en aurait la preuve. En attendant, elle allait continuer à s’inquiéter.
Et elle prit donc la décision de remonter le chemin jusqu’à chez iel. Elle testa plusieurs itinéraires avant de se résigner à emprunter le raccourci par le parc. Avec la peur au ventre, elle parcourut celui-ci en regardant autour d’elle, mais aussi en se rassurant mentalement. Aucun meurtrier en série n’allait l'attaquer. Aucun chien enragé ne lui sauterait à la gorge. Quant à la main squelettique, elle ne jaillissait du sol que dans les cimetières. Pas ailleurs.
Sauf si… non.
Avec la lampe de son portable, elle scruta les recoins avec l’espoir de tomber sur un indice, et non un cadavre. Elle ne trouva ni l’un ni l’autre, ce qui ne l’incita à poursuivre sa route jusqu’à se retrouver devant l’immeuble d’iel. Elle pressa le bouton de l’interphone sans réfléchir, recommença deux fois sans obtenir de réponse. Iel n’était pas là…
Ou alors iel gisait sur le sol de sa cuisine dans une mare de sang. Elle se réprimanda aussitôt. Si iel avait eu une urgence, il était hautement probable qu’iel ait dû s’absenter de son appartement. Il n’y avait donc aucune raison de rester plantée là. De toute façon, elle ne pouvait rien faire de plus, si ce n’est attendre des nouvelles. La mort dans l’âme, elle se résigna à rentrer dans son studio où elle ne trouverait sans doute pas le sommeil avant plusieurs heures.
En chemin, son portable vibra entre ses mains. Un SMS venait d’arriver. Un d’iel. Le cœur battant, elle le parcourut avant de se sentir plus légère. Iel avait bien eu un empêchement d’ordre familial et s’excusait de ne pas avoir prévenu plus tôt. Rassurée, elle lui répondit dans la seconde, puis rangea son téléphone dans la poche et reprit sa route.
Tout allait bien. Iel allait bien. Personne ne l’avait enlevé ou tué.
À moins que ? Non. Il fallait vraiment qu’elle arrête d’imaginer le pire.
Déjà, ta plume dessert très bien ton propos. L'écriture inclusive est une expérimentation en soi, et autant l'aspect féministe que les impressions que cela apporte à ton histoire m'ont beaucoup touchée. En lisant, automatiquement, j'ai pris les pronoms "il", "iel" et "elle" comme les prénoms de tes personnages (je ne sais pas si c'est voulu, mais ça a le mérite d'être original). D'ailleurs, ce manque de personnalisation autrement que par le genre m'a fait imaginer (attention, théorie folle de cerveau en surchauffe constant, et qui sait pertinemment que cette théorie est folle) que ces trois personnages pourraient représenter trois facettes d'une seule et même personnalité (oui je vois loin et faux ! mais c'est pour dire que cette lecture m'a fait réfléchir).
Pour "iel", j'ai remarqué que tu accordais tantôt au féminin, tantôt au masculin : tu choisis aléatoirement, ou bien tu utilises une règle en particulier ?
Mention spéciale à la phrase "c'était pas son genre", qui crée un parallèle directe avec la notion de genre homme/femme/agenré.
Et pour finir, j'aime le fait que tu inscrives ton histoire dans une temporalité aussi proche de la nôtre. Le film Vita et Virginia évoque le thème du genre (je ne l'ai pas vu, mais étant cinéphile, bibliovore, fan de Virginia Woolf...) et nous plonge dans une histoire ayant eu lieu, bah... il y a trois semaines, ou hier, ou encore maintenant.
Bref. Bravo à toi et à très vite pour la suite !
Je trouve ton analyse sur les pronoms intéressante. Je vois que je ne suis pas la seule à partir loin... et qui sait ?
Pour iel, oui j'alterne. Ce n'est pas une règle, c'est juste que je n'ai pas trouvé de terminaisons satisfaites pour faire un neutre. Comme il n'y a aucune véritable règle pré-établie et que je ne voulais pas alourdir à coups de petits points, j'ai fait le choix d'alterner. Si une solution satisfaisante se présente un jour, je corrigerai tout. En attendant je me suis dit qu'un coup féminin, qu'un coup masculin, cela ferait l'affaire. Et je le fais un peu à l'instinct en fait.
Pour le film Vita et Virginia, je dois t'avouer que ma frustration a aussi parlé. Je voulais tellement le voir mais pas un ciné ne l'a projeté près de chez moi. J'étais dégoûtée. Quant à Virginia Woolf, je dois préciser que je l'ai découverte sur le tard, grâce à un podcast de France Culture. J'ai lu son essai "Une chambre à Soi" et j'ai justement Orlando qui m'attend. Bref j'avais vraiment envie de lui faire un clin d’œil à elle parce que j'ai eu un coup de cœur en découvrant sa vie !
En tout cas merci pour ton commentaire et à bientôt pour la suite !
Pour le genre de l'histoire, c'est quand même marqué drame. Après y a une pointe de romance... Enfin c'est pas le dominant quoi. Ah et j'ai ajouté un brin de fantastique aussi mais ça se voit pas encore. En même temps je ne sais pas écrire sans une part de mystère :P
Je dois t'avouer que iel, ma tête le prononce elle parfois du coup je me plante en cours de route. Du coup si tu vois un vrai elle se baladait où il ne faut pas, tu sauras que c'est mon cerveau qui peine parfois et qui confond. T_T
Sinon je pense que la troisième va tenter d'alerter après il faudra qu'elle attende un peu. Là c'est trop léger, j'ai envie de dire :P Elle va passer pour quelqu'un d'un peu trop inquiet pour son bien.
En tout cas merci pour ton retour :)
On arrive à rentrer comme il faut dans les trois points de vue. Il n'y en a pas un que je préfère à un autre, pour l'instant. Tous m'intriguent, tous me donnent envie d'en savoir davantage.
Même Il. Le fait qu'il évoque des tests m'a beaucoup intrigué. Intrigué dans le sens "je sais pas ce que je vais découvrir, ça me fait peur, mais je veux savoir quand même". Oui, intrigué comme ça !
Je me suis aussi quand même demandé si Elle n'était pas comme Il. De manière un peu plus subtile. Sauf qu'Elle a l'air sincère dans son inquiétude et pas poussée par un désir de possession malsain.
Le résumé sous-entend que Il et Elle vont interagir. J'ai hâte de savoir comment. J'ai hâte de voir si Iel va s'en sortir. J'ai hâte de savoir ce que cache Il. Bref, j'ai hâte de savoir la suite ! :D
L'alternance de point de vue devrait rester la même. Après la longueur va dépendre de ce qu'ils ont à raconter. Parfois ce sera plus court d'un côté quant la fois suivre il aura plus de choses à dire. Tout dépendra de ce qu'ils ont à partagé.
Quant à Elle, je ne l'ai pas voulu comme lui. Après ça ne l'empêchera pas forcément d'avoir des comportements limites comme cela peut arriver à tout le monde. Mais elle n'agira sans doute pas comme il... Ou alors pas pour les mêmes raisons. Non parce que si j'y réfléchis, elle fait aussi son lot de choix contestables... Enfin bref tu verras. Non non je tease pas :P
Quant aux interactions de Il et Elle... Surprise !
Merci encore Dédé :)