(Marie à Paris)

Notes de l’auteur : Le titre est nul si jamais vous avez des idées....

 

 

La scène se passe dans la cuisine, Yann n'a besoin que de quelques secondes pour comprendre. Un plat brisé à terre, le four ouvert et son colocataire debout, le dos à la table, tenant une de ses mains en l'air, le teint blême.

Yann lui empoigne le bras, le tire vivement vers l'évier et place la main d'autorité sous un jet d'eau froide.

- Laisse-la dessous, qu'est-ce qui s'est passé ?

- Ton gratin était prêt, j'ai mis une manique et je l'ai sorti du four, je n'ai pas compris, le plat a éclaté. J'ai seulement entendu clic clic et le plat c'est séparé en deux d'un coup. J'ai eu un reflexe idiot, je sais. J'ai mis l'autre main en-dessous pour le rattraper. J'ai cru que mes doigts allaient rester collés !

Pendant les explications Yann s'est dépêché de retirer les restes du plat bouillant balancé sur la vitre de la porte du four.

- N'arrête pas le jet, si tu la trouves trop froide met un peu d'eau tiède, je vais chercher ma trousse de premiers soins.

- Il y a tout ce qu'il faut dans la salle de bain !

Les mots de Liam se perdent dans le courant d'air, il se penche vers la porte, Yann est déjà hors de porté de voix.

Lorsqu'il revient, il s'aperçoit que Liam n'est pas loin de tourner de l'œil. La peau de son visage est cireuse, la sueur coule le long de ses tempes et ses yeux se troublent. Il stoppe l'eau et le fait assoir sur un tabouret. Liam le suit des yeux pendant qu'il déballe, silencieux, ses produits.

- Ça va ? s'inquiète le cuisinier.

Les goutes de sueur inondent à présent tout son corps, sa mine est de plus en plus blanche, les lèvres bleuissent. Comme il ne répond pas, Yann lui prend le menton entre les mains. L'obligeant à réagir.

- Hé ?

- Oui... désolé, ça tourne un peu, admet-il dans un souffle.

Yann se penche pour attraper un torchon qu'il glisse également sous le jet d'eau froide. Au contacte du linge humide, le blond sursaute. Il reste bouche bée, fixant un Yann étrangement attentionné.

- Ça va mieux ?

- Oui. Merci, tu es gentil.

Il laisse tomber sa tête sur l'épaule de Yann qui hésite à bouger. Les boucles de cheveux lui chatouillent agréablement le cou. La main valide de Liam s'accroche à sa cuisse. Il a le souffle court et lui rappelle un enfant blessé. Ils restent ainsi quelques instants. Yann applique le torchon mouillé sur la nuque de son hôte, la main sur sa cuisse se fait caressante. Le geste de Liam est innocent mais une chaleur venant du bas de son ventre envahis soudainement Yann qui se recule surpris par la sensation.

- N'essuies pas ta main, dit-il légèrement troublé. Elle séchera toute seule, je vais l'enduire de biafine et protéger avec de la gaze, ça n'a pas l'air trop méchant. Si y'a des cloques demain, on avisera, annonce t-il en prenant de la distance.

- Tu es bien équipé, remarque le blond qui analyse le contenu de la pochette en relevant la tête,.

- Je suis cuisinier, les coupures et les brulures c'est notre lot quotidien très cher !

Il lui enrubanne la main dans un pansement digne d'un professionnel en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

- Alors c'était vrai... C'est un métier dangereux, affirme Liam tout bas en caressant subitement l'épaule de Yann où figure quelques unes des cicatrices repérées plus tôt.

Ce nouveau contacte inattendu, en moins de quelques minutes, provoque aussitôt chez l'androgyne, de nouvelles réactions. Un frison lui parcourt le dos et ses joues rosissent. Très vite, il se reprend et parvient même à afficher son fameux sourire dédaigneux.

-Tu croyais quoi ?

- Je... rien... pardon.

Il regrette aussitôt sa remarque, trop tard, déjà Yann a quitté la cuisine, le laissant de nouveau seul.

Yann bande, voilà que l'autre lui passe une main sur la cuisse et un doigt sur l'épaule et ça suffi pour s'exciter.

- Je suis vraiment en manque !

Ce qui est dingue c'est de ressentir de l'attirance et de la colère en même temps, à chaque fois qu'il s'agit de Liam.

- Sa pitié, il peut se la foutre au cul !

Le baiser de l'autre matin le tourmente, la mise au point du soir qui à suivit l'exaspère.

- Crys raison faut que je me tire d'ici !

*

Le soleil commence à peine à chauffer l'appartement de Gabriel quand on frappe à la porte.

- Tu as oublié tes clefs ? se moque Uzu avant de se retrouver nez à nez avec une inconnue.

- Heu... Bonjour, excusez-moi de vous déranger si tôt est-ce que Gabriel est là ?

Uzu observe cette fille qui vient de toquer à leur porte dès le matin. Elle lui dit quelque chose, où l'a-t-il déjà vu ?

- Non, c'est pourquoi ? Je peux peut-être vous renseigner ?

C'est une goth, son allure ne laisse aucun doute. Il commence à les reconnaître. Fait rare chez une black, se dit-il tout de même. En quelques secondes, il la détaille des pieds à la tête. Rouge à lèvre noir, maquillage violet sur les yeux, faux cils, des cheveux bouclés magnifiques qui lui descendent jusqu'au milieu du dos, une robe de velours noire courte devant  laissant voir des jarretières en dentelles et longue derrière, trainant presque jusqu'à terre. Le style est joli, il lui va bien. Les chaussures à talons ajoutent de la finesse à un mollet déjà bien galbé. Uzu a beau ne pas être attiré le moins du monde par les femmes, il trouve celle-ci impressionnante, pour ne pas dire superbe.

Elle se penche, embêtée, pour examiner l'intérieur et avant qu'elle ne réponde à la question, la lumière se fait tout-à-coup dans l'esprit du japonais.

- Vous êtes Marie ? Mais oui, vous êtes l'amie de Yann, non ?

- Heu... Oui... Je...

Il lui sourit, elle est plus belle encore qu'en photo.

- Alors c'est lui le nouveau mec de Gabriel, réalise-t-elle.

Marie le trouve juste sublime, étrange que Yann réussisse à rester loin de celui là, soit sa volonté s'est améliorée, soit le colocataire est vraiment super beau, ou bien Yann lui ment, ce qui serait tout à fait possible le concernant.

- Entrez, Gabriel ne va plus tarder, il est descendu faire quelques courses pour le petit-déjeuner.

- En fait, je cherche Yann, je n'arrive pas à le joindre. J'ignore si son portable est égaré ou éteint. Cet imbécile m'a oubliée et je ne connais pas sa nouvelle adresse. J'espérais que Gabriel pourrait me répondre.

- Il a oublié ? Comment c'est possible ? Ça m'inquiète ça ! Et on ne peut vraiment pas le joindre du tout ?

- Yann a un don pour inquiéter les gens inutilement, reconnaît-elle.

- Je vais appeler Liam. Sinon je vous emmènerais directement là-bas. Je sais comment y aller, par contre je ne me souviens plus du tout du nom de la rue, impossible de vous noter l'adresse par écrit.

Marie pénètre dans l'appartement, ici presque rien n'a changé. Gabriel a peut-être juste un peu plus envahi l'espace, la présence de sa sœur n'est plus là. Elle est étonnée de n'y voir aucune photo de celle-ci. Un biberon trône sur la table basse, une bavette sur le canapé. Un ordinateur portable a pris place sur la table. Elle fait un survole de la pièce, étonnamment propre et rangée. Marie se souvient du foutoir que cela devenait lorsque Laurianne laissait l'appartement quelques temps à son frère, les jours où elle devait s'absenter pour son travail.

- Le bel asiatique bien propre sur lui doit certainement y être pour quelque chose, pense-t-elle. Yann lui, n'a jamais été très fort pour l'aider dans ce genre de taches.

À peine a-t-elle posé ses fesses sur le canapé du salon que la porte d'entrée se fait entendre et la voix de Gabriel aussi. Celle-ci la rend de suite nerveuse, elle n'ose pas se retourner pour le voir entrer.

- Marie ? s'étonne le maitre des lieux en pénétrant dans la salle.

- Yann est injoignable, annonce Uzu. J'essais d'avoir Liam mais son portable me renvoie aussitôt sur la messagerie. Et il n'est pas à son travail aujourd'hui, il aurait pris un congé de huit jours.

- Gabriel, excuse-moi de venir ici à l'improviste, je n'ai pas sa nouvelle adresse, s'explique Marie pas très à l'aise.

- J'ai proposé à Marie de l'accompagner, comme je passe par la défense ce matin. Je sais y aller mais je suis incapable de me souvenir du nom de la rue.

Gabriel muet quelques instant, plisse le front, pose la nacelle du bébé à terre, il encaisse les nouvelles, avant de répliquer.

- Yann n'répond presque jamais à son téléphone, il est tout l'temps injoignable en c'moment.

Il s'aperçoit que ces deux là s'inquiètent, lui bizarrement ne s'inquiète plus. Ça l'agace seulement.

- Oublier son amie, je ne crois pas que se soit dans ses habitudes si ? l'interroge Uzu. Et puis Liam manque rarement son travail c'est pas normal.

- Ho vous envisagez un souci ? l'interroge Marie alertée.

Cela n'était pas venu à l'esprit de la jeune fille.

Gabriel soupire.

- Ch'ais rien à propos d'ton ex, pour Yann c'est sans doute rien, t'sais bien qu'il a la tête ailleurs dernièrement, Steph l'a dit l'aut' jour. Il a l'air complètement perturbé.

- Je vais vous accompagner là-bas, la rassure le japonais serviable. Je préfère m'assurer que tout va bien.

- Je croyais qu'on devait déjeuner ensemble ? grince Gabriel mécontent.

- Toujours aussi égoïste celui-là ! juge aussitôt Marie.

- Tu ne peux pas sortir sans avaler quelque chose, je vais m'inquiéter toute la journée sinon, ajoute-t-il plus doucement.

Sa main glisse dans le dos de son petit ami et son regard aimant se pose sur lui.

- Et va-y de ton chantage affectif !

Marie ne le supporte plus.

- Tu as raison, concède l'asiatique. Je vous sers quelque chose ?

Elle les observe depuis quinze minutes, en buvant le thé gentiment offert par le japonais. Il lui plait bien, elle le trouve particulièrement sympathique et doux. Quand à Gabriel, il l'ignore et elle fait presque de même, lui adressant le moins possible la parole mais épiant tout ses faits et gestes, l'air de rien. Il est passablement contrarié par sa présence, elle n'en a cure. Il fut une époque où elle l'appréciait, cette époque là est révolue. Même si elle conçoit facilement que Yann soit un personnage compliqué et dure à vivre, après tout, elle est bien placée pour le savoir. Pour autant, elle ne pardonne pas le mal que Gabriel a pu lui faire. Pour elle qans un couple si ça ne va pas bien, il y a forcément deux responsables. Et si Yann reconnait ses erreurs, il n'en va pas de même pour Gabriel. Ce garçon qu'elle considère comme étant égoïste et lâche n'accepte pas la partie de responsabilité qui lui incombe. Le résultat donne un Yann qui se méprise et se noie dans la culpabilité et un Gabriel qui reste totalement désinvolte et sans l'ombre d'une remise en question.

- Il a bien de la chance ce con, se dit-elle en contemplant Uzu.

Elle imagine facilement Yann intéressé.

- Il est mignon.

Mignon lorsqu'il embrasse Gabriel en lui disant : - A tout à l'heure, je te préviens si y'a un souci avec Yann.

Mignon quand, souriant, il s'adresse à elle au moment de partir.

- Allons-y je vous emmène retrouver notre garnement.

Mignon également pendant tout le trajet où il lui fait la conversation.

- Vous êtes sûr que ça ne posera pas de problème pour votre voiture ? se soucie-t-il.

- Je préfère ça que devoir traverser Paris avec. Moi le périph' me fait flipper et puis comme ça on va pouvoir parler.

- Parler ?

- Déjà c'est possible de se tutoyer ? Parce que les "vous" c'est pas trop mon truc. Tu m'as reconnu tout de suite, Yann a parlé de moi ?

- Yann entre autre... Gabriel aussi.

- Ha... Et qu'est-ce qu'on raconte sur moi ?

- L'un des deux t'adore, l'autre te respecte.

- C'est tout ? Haaan je suis déçue.

- Je suis inquiet pour Yann en ce moment, avoue-t-il à sa passagère.

- Tu le connais depuis peu de temps n'est-ce pas ?

- Septembre.

- Quand on passe du temps avec, on s'inquiète à temps complet pour lui, tout le temps, sept jours sur sept, vingt quatre heures sur vingt quatre, jusqu'à ce qu'on en puisse plus et qu'on craque. Il ne nous demande rien de tout ça. Le tout, c'est de ne pas lui reprocher ensuite. Certain le trouve ingrat, la vérité c'est que personne n'est obligé de s'en faire pour lui.

- C'est vrai.

- Ta raison à toi c'est quoi ?

- Je l'aime bien, c'est un problème, toi aussi non ?

- Je te trouve sympa, alors je vais te donner un conseil, prend soin de Gabriel, cet égoïste irresponsable a besoin qu'on s'occupe de lui. Laisse Yann le plus possible en dehors de ta vie si tu ne veux pas qu'il s'imagine autre chose et surtout si tu as envie d'en avoir une de vie.

Uzu la toise un peu dépité.

- Nous sommes amis, il n'y a rien d'ambigu, jure-t-il.

- Personne ne peux être "juste" ami avec Yann, personne, même pas moi. Fais-moi confiance. Nous sommes des lumières vers lesquelles il fonce. Au début ça le réchauffe et l'éclaire, au final, il s'y brûle.

- Je n'ai pas l'intention de lui faire du mal tu sais, déclare-t-il déconcerté par la mise en garde.

- Il est très bien capable de faire ça tout seul va ! lui assure-t-elle.

- J'ai une tendresse particulière pour Yann, c'est vrai. Je crois qu'avant lui, je n'avais jamais eu d'ami.

- Jamais ?

- Non, c'est fou n'est-ce pas ? Jamais je n'ai ressenti cette complicité, Yann est attachant.

- C'est vrai, énervant, chiant, totalement immature, manipulateur et ouai, attachant, c'est ça le pire haha !

La route est longue pour traverser Paris, Uzu apprécie cette fille avec qui il se sent à l'aise pour parler. Ainsi de nombreux sujets de conversations sont entamés mais celui qui revient sans cesse en boucle, reste Yann.

- Je t'envie Marie.

- De quoi ?

- D'avoir tant partagé avec lui et de tout ce temps que vous avez eu déjà.

Marie se demande s'il se rend compte de l'ambigüité de la façon dont il parle de Yann.

- Toi aussi tu as cette sorte de tendresse pour lui je me trompe ? ajoute-t-il. C'est presque de l'amour entre vous non ? Je ressens la même chose.

- Presque ?

- Oui, de l'amour sans le sexe.

Marie l'observe sous le nez, il a l'air de croire ce qu'il dit.

- J'aime être en sa présence, argumente-t-il. Il m'apaise, je me reconnais en lui, je suis heureux si je sais que je vais le voir, j'ai un pincement quand on se quitte, c'est tellement plus...

Sa phrase reste en suspend, il ne trouve pas ses mots.

- Tellement plus quoi ? cherche-t-elle à savoir.

- Hé bien, l'amour c'est sauvage un peu, c'est une chose que je découvre aussi, ne me juge pas trop durement, je peux me tromper. Avec Gabriel je ressens le besoin d'être avec lui et lui aussi. C'est comme l'air pour respirer, l'eau pour boire, c'est ça ou je meurs.

- Ha haha !

- Je sais c'est ridicule et en vérité sûrement pas vrai, mais c'est ce que je ressens.

- C'est mignon.

- Tu vois tu te moques !

- À peine !

- Du coup il est si important pour moi, que j'ai peur. Je ne suis tranquille que dans ses bras ou tant dis qu'on fait l'amour. J'ai besoin qu'il soit près de moi, presque constamment. En cas de séparation même rien que quelques heures pour le boulot ou autre, je ne vis pas vraiment, je suis dans l'attente. Celle d'être avec lui. Et c'est un sentiment qui grandi chaque jours un peu plus. C'est presque effrayant. L'amitié c'est tellement plus tranquille.

- Ce que tu décris, ça n'est pas de l'amour, avance Marie.

Uzu frissonne, tourne la tête un instant, hésitant, alerté. Puis il fixe son attention sur la route, en fronçant les sourcils.

- Est-ce que ce genre de sentiment pour Gabriel te rend heureux ? lui demande-t-elle. Je veux dire VRAIMENT heureux ?

 

 

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