Nigato

Par Rachael

1653 AÉ, 068ième

Ici et maintenant, et bien longtemps avant sur Nigato.

 

Quand j'ai rencontré l'Autre pour la première fois, j'aurais traité de fou ou de répugnant pervers celui qui m'aurait dit que je le mettrai un jour dans mon lit, lui ou d'ailleurs tout autre représentant mâle plus ordinaire de l'espèce humaine.

On ne se débarrasse jamais complètement de l'éducation qu'on a reçue. La mienne me fut assénée à coup de préceptes, vérités absolues sorties de la sagesse des ancêtres fondateurs de ma lignée.

 

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Sur Nigato, la planète qui m'a vu naître il y a de cela quarante-neuf ans, la tradition s'impose de manière aussi incontestable et inévitable que le climat.

La plupart des visiteurs de Nigato viennent à la rencontre des clichés en noir et blanc : terre noire des volcans aux cônes éruptifs, panache gris des fumerolles et neige à profusion au moins pendant les trois quarts de l'année, d'une durée équivalente à cinq cent treize jours standards. Environ quatre cents jours de blancheur et de frimas d'affilée. Difficile de se soustraire aux stéréotypes. Tout autant qu'au climat, d'ailleurs...

Tout aussi glaciales et impitoyables, les Premières Familles dominent la vie politique ainsi que l'économie et dictent la façon de vivre : rigueur, morale rigide, respect de la tradition et des coutumes. Le carcan serre d'autant plus que la position dans la société est élevée. Directes descendantes des premiers arrivants sur la planète des glaces, les Premières Familles doivent montrer au peuple la voie, afin de maintenir la supériorité de Nigato face aux indigentes cultures des planètes fédérales aux mœurs relâchées et à la morale douteuse.

En tant que cadet d'une des Premières Familles, mon destin était gravé dans la pierre ou plutôt dans la glace, bien plus solide et perpétuelle que la roche volcanique friable de la planète : une éducation donnant le goût de l'effort et du devoir accompli, une carrière dans la flotte fédérale, un mariage au sein de l'aristocratie, quelques enfants pareillement bien élevés, suivant à leur tour le chemin décidé pour eux. Une vie parfaite, rentrant au millimètre dans le cadre défini le jour de ma naissance.

J'ai poursuivi cet objectif pendant près de quarante ans. À cet âge, je détenais l'insigne honneur d'être le plus jeune commandant d'un secteur de l'espace fédéral. J'entretenais une famille que je ne voyais qu'une ou deux fois par année planétaire, une femme ainsi que trois descendants qui m'étaient presque des inconnus. À l'avenir, je pouvais espérer un poste encore plus prestigieux dans la flotte ; qui sait, un jour... jusqu'au commandement suprême des forces de la Fédération ?

Ma rencontre avec l'Autre, voilà environ neuf ans, m'a fait totalement dérailler de cette belle voie tracée. Aujourd'hui encore, je reste incapable de trancher : dois-je m'en réjouir ou le déplorer ?

 

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Un autre aspect distinctif de Nigato généralement incompréhensible aux étrangers est la façon dont y sont considérés et traités les télépathes. Non pas qu'ils soient choyés ailleurs, mais sur Nigato, les spions sont traqués et éliminés par la guilde des chasseurs.

Les croyances de ses habitants portent la responsabilité de ces comportements qui pourraient paraître moyenâgeux à un regard extérieur. La religion, sujet inconvenant, diraient les tenants de la doctrine fédérale officielle ; une question privée, du ressort de la conscience de chacun, qu'on n'aborde pas en public.

Oui, mais, sur Nigato, il n'en est rien. Là-bas, TOUT est sacré, car tout est animé : la terre, le sol, les volcans, les plantes... Le monde des hommes communique avec celui des esprits par mille infimes failles, minuscules passerelles. Les esprits, démons ou âmes célestes nous suivent partout au cours de notre vie, pour le meilleur ou le pire.

Pour les Nigatiens, les télépathes sont des humains qui ont été envahis par des esprits nuisibles. Les en libérer est impossible, l'unique solution consiste à détruire l'individu « infecté » puis à espérer qu'il connaîtra un sort préférable dans l'au-delà. Tout Nigatien en est fermement convaincu ; seuls ceux qui sortiront un jour de la planète comprendront qu'ailleurs on pense autrement. Peut-être alors un processus s'enclenchera-t-il en eux qui mènera, un jour, à la remise en cause de ces croyances ?

Je n'en étais pas arrivé à cette étape de questionnement quand les hasards de la guerre m'ont rendu dépositaire d'un vaisseau rempli de prisonniers télépathes.

C'est durant cet épisode peu glorieux de mon existence que j'ai rencontré l'Autre et que j'ai perdu mon grade et mon honneur.

 

 

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Rimeko
Posté le 23/01/2017
Bonjour à nouveau !
Je continue à poster mes commentaires (parce que bon, en vrai j'ai lu jusqu'au chapitre 10 d'une traite pendant le week-end, j'ai honteusement pris du retard sur la rédaction de mes remarques XD)
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Suggestions :
"Difficile de se soustraire aux stéréotypes tout autant qu'au climat, en effet..." La comparaison me semble bizarre, la tournure peu naturelle.
"La religion, sujet vaguement indécent, diraient les tenants de la doctrine fédérale officielle ; question privée, du ressort de la conscience de chacun, qu'on n'aborde pas en public." Cette phrase non-verbale m'a beaucoup perturbée et j'ai mis un moment à comprendre qu'elle voulait simplement souligner que, normalement, la religion est affaire privée ^^
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C'est intéressant cette présentation de sa planète d'origine, ça explique pas mal sa personnalité, sa raideur polie et son aversion pour les télépathes... Et puis je suis toujours admirative du travail de fond que tu fais sur tes histoires (alors oui, je sais, c'est le même univers que Naelmo, mais j'en découvre un nouveau morceau !), c'est très intéressant à chaque fois !
C'est juste un détail, mais j'aime bien le fait que Sengo ait la cinquantaine, ça change des jeunes héros qu'on retrouve souvent dans la littérature ! (Mais du coup ça lui fait une grande différence d'âge avec l'Autre, non ?)
Ce chapitre-là m'a moins perturbée que le précédent, niveau information, je crois que je commence à y voir plus clair au milieu de toute cette histoire XD Et la phrase finale m'intrigue énormément, c'est une jolie ''formule'' ! Si je devais quand même chipoter un peu, je pense qu'il n'est pas utile de préciser « sur Nigato » (ou quelque chose du genre) à chaque début de paragraphe dans la seconde moitié du texte, j'ai trouvé que ça alourdissait un peu... Ah, et tu reviens souvent à la ligne aussi. C'est pour imiter un journal ?
Bon, allez, je m'attaque au commentaire suivant maintenant !
 
Rachael
Posté le 23/01/2017
Tant mieux si tu y vois plus clair. c'est un peu l'idée, les choses vont s'éclaircir petit à petit, il faut accepter d'être dans le flou au début. 
Merci pour le travail de fond, j'aime bien me plonger (et plonger le lecteur) dans des ambiances un peu différentes à chaque fois  (comme dans Naelmo d'ailleurs).
Sengo est plus dans la quarantaine que la cnquantaine, mais ça fait quand même une grande différence en effet.
Merci pour les remarques, je crois que j'ai abusé un peu sur "nigato" en effet.  
Kittylou
Posté le 26/04/2015
Coucou Rachael :D
 
Premier round du triptyque, me voilà !
Tout d’abord, je voulais te dire que j’ai beaucoup aimé ta plume et que ton style est très agréable à lire =)
Alors, pour faire dans l’ordre :
Prologue : ton prologue est intéressant dans la mesure où il permet de se poser pas mal de questions sur ce monde futuriste. J’ai bien aimé cette ambiance SF avec l’État fédéral et les télépathes qui sont considérés comme des monstres et enfermés par les autorités. Au début, à la première phrase, quand j’ai lu « sarcophage », j’ai imaginé Toutankhamon mais après en lisant la suite, je me suis dit « ah non, c’est plus un caisson métallique » xD
L’Autre est un personnage qui m’intrigue, surtout qu’on sent entre lui et le narrateur une certaine ambiguïté. S’il est télépathe lui aussi, c’est intéressant de voir qu’il semble bénéficier d’un certain régime de faveur.
J’ai bien aimé aussi la dernière phrase du prologue avec ce « presque » qui laisse sous-entendre qu’ils vont probablement avoir besoin de l’un de ces télépathes. Bref, je trouve que ce prologue remplit très bien son rôle puisqu’il donne envie de connaître la suite !
L’Autre : Concernant la relation entre le narrateur et l’Autre, j’ai été un peu surprise que leur lien soit révélé aussi rapidement. Après, c’est un choix intéressant puisqu’il permet d’en apprendre un peu plus sur la personnalité du narrateur. Personnellement, je le trouve assez dominateur puisqu’il semble utiliser l’Autre et « jouer » avec lui.
En tout cas, je suis curieuse d’en savoir plus sur les pouvoirs des télépathes. J’ai bien aimé cette impression de dédoublement que ressent le narrateur, comme s’il était deux personnes à la fois.
Nigato : Ah, ce chapitre répond précisément à la question que je m’étais posée sur les télépathes. Je me demandais s’ils étaient humains ou s’ils appartenaient à une autre espèce. Je suis curieuse d’en apprendre plus sur ces « esprits nuisibles ». Est-ce qu’il s’agit d’une sorte de virus ou d’une forme de mutation ? C’est chouette aussi de découvrir un peu plus la planète et le mode de vie qui semble assez codifié.
Sa relation avec l’Autre m’intrigue de plus en plus, c’est intéressant de voir comment tu arrives à distiller des éléments, notamment que le narrateur a perdu son grade et son honneur ^^
Cette lecture m’a beaucoup plu et je suis contente que le triptyque m’ait permis de découvrir ton texte =) Tu sembles avoir créé tout un monde avec ses règles. Quant à la lutte contre les télépathes, je me suis demandé s’ils étaient vraiment des ennemis ou s’ils étaient plus les victimes de la société. J’ai passé un super moment devant mon écran =)
À bientôt !
Rachael
Posté le 26/04/2015
Hello Kittylou,
C'est un Toutankhamon un peu futuriste en effet. XD
Ca me fait grand plaisir que tu apprécies cette lecture :-)  
Sur la relation entre le narrateur et l'Autre, c'est un choix de la révéler tout de suite,car elle est centrale à l'histoire du narrateur, et pas mal de choses vont tourner autour de leur relation (je ne parle pas uniquement du côté sexuel, hein !). Et le fait qu'il ait envie d'en parler avant toute autre chose est révélateur, non ?
Dominateur, oui, tout à fait, et aussi assez sûr de lui, voire arrogant, et par ailleurs coincé (question d'éducation)
Sur les questions que tu te poses, bien sûr je ne vais pas répondre (hi hi hi), les réponses viendront en leur temps... Mais je dirais que tu te poses les bonnes questions au bon moment, alors de mon point de vue, tout va bien !
Merci et à bientôt ! 
Toluene
Posté le 25/01/2015
Je viens de dire que ce monde était obscur. Le chapitre a rectifié ça. En quelque ligne tu nous donnes une image intéressante de cette planète et surtout de l’influence qu’elle a eue sur Sengo
Rachael
Posté le 25/01/2015
Hello,
Oui, ce n'est pas un endroit très facile à vivre ! On y reviendra plus tard... 
Jupsy
Posté le 09/04/2016
Coucou !
Je poursuis mon avancée dans ton histoire. Je dois dire que j'apprécie ce chapitre, qui permet d'expliquer d'où vient Sengo. En tout logique, s'il était resté fidèle à ses racines, il n'aurait sans doute pas dû se retrouver dans le même lit que l'Autre dans le précédent chapitre. L'Autre est donc le grain de sable venu troubler sa vie tranquille et tristounette. Enfin, de mon point de vue, c'est triste de ne pas vraiment connaître sa famille. Je trouve ça aussi terrible de considérer les télépathes comme des êtres possédés par des esprits nuisibles. En tout cas les pierres sont posées pour expliquer pourquoi Sengo cherche à avoir un contrôle dans sa relation avec L'Autre, qu'il n'appelle pas son nom. Il doit bien avoir un quand même ? Ou un petit surnom attachant au moins.
Bref je suis curieuse d'en apprendre plus sur leur rencontre, sur tout ce qui lui a fait perdre son grade (j'avais écris gras, honte sur moi) et sur son honneur ! Continuez donc encore un peu l'aventure avant de retourner à des tâches moins drôles de la vie courante !  
Rachael
Posté le 09/04/2016
Eh oui, l'Autre c'est un sacré grain de sable, comme tu le verras par la suite... Vie tranquille et tristounette, pas tellement, c'est surtout qu'elle ne correspond pas à ses aspirations ou au moins qu'il ne l'a pas choisie (on y reviendra...) 
Un ptit surnom ? Non, franchement, je ne le vois pas s'appeler chouchou ou loulou ! ^^
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