Rin vient de me laisser en plan. Encore une fois. Cette histoire
d’oiseau étrange aurait pu être un bon prétexte pour qu’il m’emmène
avec lui. J’aurais enfin pu voir de mes propres yeux ce qu’il fait
lorsqu’il disparaît sans prévenir. Mais non. Comme toujours, il agit
seul.
Un soupir m’échappe alors que je fixe mon téléphone, espérant un
message, un indice, n’importe quoi qui me prouverait qu’il me fait un
minimum confiance. Mais rien ne vient.
Je devrais être habituée à ses absences et à son attitude
insaisissable, pourtant, cette fois, c’est différent. Maintenant que
je sais qu’il est… spécial, j’espérais qu’il commencerait à s’ouvrir
un peu plus. Mais cette attente ne mène nulle part.
Rin ne m’intégrera jamais vraiment à son monde. Très bien. S’il
préfère agir seul, moi aussi.
De retour chez moi après les cours, je pousse la porte de mon
appartement et me retrouve face au chaos habituel : des piles de
dossiers entassées sur mon bureau, des notes griffonnées à la hâte,
des cartes épinglées au mur, retraçant mes enquêtes en cours. Un champ
de bataille d’informations où chaque élément est une pièce d’un puzzle
encore incomplet.
Je jette mon sac sur le lit et m’installe devant mon ordinateur
portable, bien décidée à replonger dans mon travail.
Les heures s’enchaînent, rythmées par le défilement des données sur
mon écran et le bruit mécanique des touches sous mes doigts. Une tasse
de café froid traîne sur le côté, oubliée dans ma concentration.
Ma priorité reste de comprendre ce qui est arrivé à Kana. Cela fait
déjà plusieurs jours que je m’épuise à fouiller dans les dossiers
officiels et les discussions anonymes sur le darknet. Plus j’avance,
plus je remarque des recoupements troublants entre certaines affaires.
Puis, je tombe sur une liste de dossiers qui me fait immédiatement
froncer les sourcils :
➡ "NerveBlaze" : Dossier sur une drogue de synthèse récente.
➡ "Le Fantôme Écarlate" : Mention d’un terroriste actif.
➡ "Projet Aries" : Accès refusé.
➡ "Chimera" : Rapport sur des créatures anormales.
➡ "Disparition d’étudiants" : Une série de cas non résolus.
Je commence par le fichier sur NerveBlaze. Ce que je lis me donne un
frisson.
Il s’agit d’une substance expérimentale capable de décupler la force
et les réflexes de ceux qui l’ingèrent, mais avec des effets
secondaires violents : perte de contrôle, crises de rage et, dans
certains cas, une amnésie temporaire.
Une phrase me fait immédiatement réagir : "Les sujets sous l’effet de
NerveBlaze présentent un comportement erratique et une résistance
accrue aux chocs. Ils sont souvent décrits comme incontrôlables et
extrêmement dangereux."
Tout correspond exactement à l’état des types qui nous ont attaquées,
Kana et moi.
Je me redresse légèrement, mon regard rivé sur l’écran. Ces monstres
qui nous ont poursuivies, ces visages déformés par la rage… Ils
n’étaient pas simplement fous. Ils étaient sous l’emprise de ça.
Si NerveBlaze est en circulation, alors il y a forcément quelqu’un
derrière tout ça.
J’ouvre ensuite le dossier sur les disparitions. Les détails sont
flous, mais plusieurs cas récents concernent des jeunes retrouvés en
état second, incapables de se souvenir de ce qui leur était arrivé.
Les rapports mentionnent que certains ont été retrouvés errant près de
lieux publics, d’autres directement devant des postes de police ou des
hôpitaux. Comme si quelqu’un les laissait là après les avoir utilisés.
Il y a un lien. J’en suis sûre. Et ces réponses, je ne les trouverai
pas derrière mon écran.
Un rapide coup d’œil à l’horloge m’indique qu’il est bientôt 15 h. Je
pourrais continuer à creuser ici, mais une autre option s’impose à moi
: aller chercher ces informations directement à la source.
Deux des étudiants hospitalisés après leur arrestation sont
actuellement sous surveillance à l’hôpital de Sokatsu Est.
Si j’arrive à leur parler, peut-être que je pourrai enfin obtenir des
réponses. L’idée d’infiltrer un hôpital ne me plaît pas
particulièrement, mais… ce n’est pas comme si j’avais le choix.
Je ferme mon ordinateur portable, attrape une veste et sors sans
perdre une seconde. Cette fois, je ne compte pas rentrer bredouille.
Le soleil brille haut dans le ciel, baignant la ville d’une lumière
dorée. Quelques nuages s’accumulent à l’horizon, annonçant une
possible détérioration du temps plus tard dans la journée. L’air est
encore tiède, mais je ressens une certaine lourdeur dans l’atmosphère,
comme si la ville elle-même retenait son souffle.
Des ambulances déposent des patients, puis repartent aussitôt. Les
visiteurs, certains impatients, d’autres soucieux, entrent et sortent
par les portes automatiques. Les gardes de sécurité discutent
brièvement avant de reprendre leur surveillance. Le personnel
hospitalier est en perpétuel mouvement, allant et venant entre les
services.
Chaque détail compte. J’ai besoin d’un plan.
C’est alors que mon regard vise un chariot de linge sale, poussé par
une aide-soignante. Elle disparaît derrière une porte battante, menant
à un couloir réservé au personnel. C’est ma chance. Mais les gardes
sont toujours là. Il me faut une diversion.
À quelques mètres, un homme d’un certain âge, absorbé dans son
téléphone, marche d’un pas tranquille vers l’entrée. Juste au bon
moment, je tends discrètement le pied. Il trébuche lourdement, son
café s’échappant de son gobelet avant de s’écraser sur le sol dans une
éclaboussure brune.
Vieil homme — Merde, mais faites attention !
Quelques regards se tournent vers lui, mais au lieu de simplement
râler, il se redresse d’un bond et explose de colère.
Vieil homme — Mais c’est quoi ce bordel ?! Vous ne regardez pas où
vous mettez les pieds, c’est ça ?!
Il secoue sa veste, visiblement furieux, et se retourne immédiatement
vers un des gardes de sécurité.
Vieil homme — Et vous, là ! C’est comme ça que vous gérez cet
endroit ?!
Le garde soupire, déjà agacé, et s’approche.
Garde — Monsieur, calmez-vous. Ce n’est qu’un accident.
Vieil homme — Un accident ?! J’ai payé un costume hors de prix, et
maintenant j’ai l’air d’un clochard ! Vous avez une idée du prix du
nettoyage ?
D’autres personnes commencent à jeter des regards curieux. La tension
monte.
Parfait.
Profitant du chaos, je me lève rapidement et me faufile dans le
couloir de service, veillant à ce que personne ne me suive. Mon cœur
bat plus vite, mais je ne ralentis pas avant d’entendre la porte se
refermer derrière moi.
L’odeur du désinfectant et des draps propres m’envahit immédiatement.
Les bruits de l’hôpital sont étouffés ici, remplacés par un silence
froid, seulement troublé par le bourdonnement lointain des machines et
le grincement d’un chariot métallique.
Un peu plus loin, un vestiaire du personnel, momentanément vide. Je
n’hésite pas et referme rapidement la porte derrière moi. Une rangée
de casiers s’aligne contre le mur, et plusieurs blouses et uniformes
d’infirmière sont soigneusement accrochés sur un portant métallique.
Je fouille rapidement. Mes doigts effleurent le tissu, cherchant une
tenue à ma taille.
Kin — Vite… avant que quelqu’un ne rentre.
Je trouve enfin un uniforme et l’enfile en hâte, ajustant la coiffe et
les chaussures pour masquer toute incohérence. Mais un problème
subsiste : mes vêtements. Je ne peux pas les laisser traîner ici.
Je balaie la pièce du regard. Un panier de linge sale traîne à
l’entrée du vestiaire.
Kin — Parfait.
Je plie soigneusement mes vêtements et les glisse sous un tas de draps
usagés. Tant qu’ils ne font pas la lessive dans l’immédiat, mon sac et
mes affaires seront en sécurité.
En ajustant la blouse, quelque chose me gêne dans la poche. Je glisse
la main à l’intérieur et en sors un badge d’identification en
plastique.
Kin — Hana Sakamoto, infirmière de nuit…
Le visage sur la photo ne me ressemble pas, mais tant que personne ne
regarde de trop près, ça fera l’affaire. Je prends une profonde
inspiration et me regarde brièvement dans le miroir.
Ne pas hésiter. Ne pas douter.
Je ressemble à une infirmière comme les autres. Il faut que ça
fonctionne. J’attrape le chariot de linge sale et sors du vestiaire.
Personne ne m’a encore remarquée, c’est bon signe. Pour un plan
improvisé… je ne m’en sors pas si mal.
Le chariot de linge roule doucement sur le sol carrelé, son mouvement
régulier aidant à masquer ma présence. Chaque pas est calculé, chaque
regard évité.
Les couloirs de l’hôpital s’étendent devant moi, un enchevêtrement de
passages blancs et impersonnels, baignés dans une lumière
artificielle. L’odeur du désinfectant et du plastique médical imprègne
l’air, presque étouffante.
Je dois maintenant trouver le bon service.
Kin — Reste concentrée. Agis naturellement.
En marchant, j’aperçois un terminal informatique contre un mur. C’est
là que les infirmières passent leurs badges pour consulter les
dossiers des patients.
Ça tombe bien. Un rapide coup d'œil autour de moi. Personne ne
regarde. Je sors discrètement le badge que j’ai trouvé dans la blouse
et le passe sur le capteur.
Kin — Si ce truc fonctionne, c’est le jackpot.
Je glisse le badge sur le lecteur.
Bip.
Un écran s’illumine, affichant une interface de consultation rapide.
Ça a marché.
J’appuie sur quelques boutons, simulant une routine habituelle.
J’entre une recherche simple : patients sous observation spéciale.
Des lignes de texte défilent. Certains noms sont marqués d’un symbole
rouge, indiquant une surveillance accrue.
Kin — Bingo. Ils sont ensemble.
➡ Nom : Renji Matsuoka
Statut : Observation intensive
Chambre : 315 – Aile C
➡ Nom : Kazuya Saito
Statut : Surveillance renforcée
Chambre : 315 – Aile C
Les dossiers indiquent qu’ils étaient dans un état critique après leur
arrestation. L’un d’eux a tenté de s’étouffer en avalant sa langue, et
l’autre a été retrouvé en état de transe. Peut-être pour faciliter la
surveillance ? Ou alors… ils ont encore peur de ce qu’ils pourraient
dire ?
Je ferme immédiatement l’écran et reprends mon chemin, gardant une
allure professionnelle.
Les escaliers de service sont mon meilleur choix. L’ascenseur est trop
risqué, je pourrais tomber sur du personnel médical qui poserait trop
de questions.
J’abandonne le chariot de linge dans un coin, là où il ne gênera pas.
Il a fait son job : me rendre plus crédible. Mes pas résonnent
légèrement sur les marches métalliques. Je monte rapidement,
contrôlant ma respiration.
Une fois à l’étage, je marque une pause. Rien d’anormal pour
l’instant. Le couloir est plus calme ici. Moins de visiteurs, plus de
personnel médical.
Moins de personnel, mais plus attentif. Les caméras sont bien placées
aux intersections. Il y a également un poste de surveillance vitré, où
un agent vérifie les écrans. Même les portes sont sécurisées pour
accéder au couloir des chambres.
J’observe la configuration en marchant d’un pas assuré, un dossier
médical à la main pour me fondre dans le décor.
Un médecin discute avec une infirmière près du poste de surveillance.
Médecin — … toujours sous sédatifs. Le deuxième, par contre, montre
des signes de réveil.
Infirmière — Il est agité ?
Médecin — Pas encore. Mais je préfère qu’on reste prudents.
J’arrive devant la porte d’accès de l’aile C. J’espère que le badge a
les accréditations valides pour cette zone.
Ici, l’ambiance est encore plus étrange. Le silence est pesant, juste
interrompu par le bip des machines et les bruits de ventilation.
J’avance lentement, sentant mon propre rythme cardiaque s’accélérer.
Je repère enfin la chambre 315.
Par précaution, je glisse une main dans mes cheveux et retire
discrètement une barrette. Entre mes doigts, l’accessoire se déploie
avec fluidité, ses segments métalliques s’animant jusqu’à prendre la
forme d’un mille-pattes miniature.
D’un simple mouvement du poignet, je le laisse tomber au sol.
L’automate s’active immédiatement, rampant silencieusement le long de
la plinthe avant de trouver un point stratégique à l’entrée du
couloir.
Je jette un rapide coup d'œil à ma montre. L’image en direct s’affiche:
un angle parfait pour surveiller tout mouvement suspect. Je pose une
main sur la poignée en inspirant profondément.
Puis j’entre.
À peine la porte refermée derrière moi, l’atmosphère lourde de la
chambre me frappe. Une odeur de désinfectant flotte dans l’air, mêlée
au bourdonnement constant des machines de surveillance. La lumière
artificielle éclaire deux lits d’hôpital.
Les murs, d’un blanc fade, sont dépourvus de toute décoration,
renforçant l’impression d’isolement. L’équipement médical est
omniprésent : moniteurs cardiaques, perfusions, écrans holographiques
affichant des constantes vitales.
Mon regard se pose immédiatement sur Kazuya Saito. Il est allongé,
totalement immobile, son visage pâle marqué par une expression figée
entre le calme et l’épuisement. Son torse se soulève lentement sous
l’effet d’une respiration faible mais régulière. Sa posture est trop
parfaite, trop artificielle. Comme s’il était là sans vraiment l’être.
À ma surprise, À côté de lui Renji. Contrairement à ce que les
dossiers indiquaient, est éveillé. Je me ressaisis rapidement et
prends soin de jouer mon rôle d’infirmière, espérant qu’il ne me
reconnaîtra pas.
Je m’approche lentement, observant les moindres détails. Sa peau est
moite, son front perlé de sueur, comme s’il venait de sortir d’un
cauchemar. Ses yeux, cernés et fatigués, semblent vides, comme si
l’éclat de vie qui l’habitait autrefois s’était éteint.
Je prends doucement son poignet pour vérifier son pouls, puis
m’approche de son visage avec une petite lampe de poche, dissimulant
mon trouble en reconnaissant l’un des agresseurs où Kana et moi avons
failli être kidnappés. Pourtant, il n’a pas l’air de me reconnaitre ;
son état est confus, probablement en raison des effets persistants du
Nerve Blaze.
Renji se redresse lentement, son corps tremblant sous l’effort alors
qu’il tente de s’asseoir sur le lit. La machine cardiaque émet un
léger bip d’alerte face à son changement de posture, mais il l’ignore
complètement.
Je m’arrête net, surprise par son geste. Ses bras, maigres et marqués
de traces d’injections récentes, soutiennent à peine son propre poids.
Il lutte, ses muscles crispés, son souffle déjà court.
En m’approchant, je pose doucement une main sur son épaule comme une
infirmière l’aurait fait.
Kin — Hé, doucement…Vous êtes encore faible. Vous devriez éviter de—
Renji — Ça ne sert à rien…
Sa voix est rauque, usée comme du papier froissé. Je l’observe. Ses
yeux, hagards et voilés par l’épuisement, portent pourtant une lueur
de détermination. Il s’assoit enfin complètement, prenant une
respiration tremblante avant de lever son regard vers moi.
Renji — Vous n’êtes pas une vraie infirmière.
Le choc manque de me faire reculer, mais je me rattrape rapidement,
gardant mon expression aussi neutre que possible. Il esquisse un
sourire fragile, amer, le rictus d’un jeune qui a vu trop de choses
pour se tromper.
Kin — Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
Renji — Parce que les vraies infirmières… elles ne posent pas
ce genre de questions.
Un silence pesant s’installe. Son regard s’attarde sur moi, intrusif,
comme s’il essayait de lire en moi. Puis, il baisse légèrement la
tête, et son expression se fissure sous une ombre de peur sourde.
Renji — Peu importe qui vous êtes. De toute façon, vous ne pourrez
rien y changer…
Kin — Rien changer à quoi ?
Il tourne la tête vers Kazuya, toujours aussi immobile, le fixe
longuement, comme s’il cherchait à puiser du courage dans cette simple
vision. Puis, il inspire profondément, sa gorge se serrant, sa voix à
peine plus qu’un souffle.
Renji — Il… il a essayé de parler. Juste quelques mots… et…
Sa main effleure son propre cou comme si la douleur était encore là.
Un frisson désagréable me traverse la colonne.
Kin — Et quoi ?
Il ferme brièvement les yeux, ses doigts crispés sur son drap. Son
propre corps… il a refusé. Son souffle est saccadé, irrégulier, et je
perçois une panique contenue dans sa posture.
Renji — Si je parle… il m’arrivera la même chose.
Sa voix n’est plus qu’un murmure. Il baisse la tête, évitant mon
regard, comme si même le fait d’exister était une menace.
Renji — Ils nous surveillent… tout le temps…
Chaque mot semble peser sur lui comme une condamnation. Je garde le
silence un instant, analysant chaque détail, chaque signe de peur
imprimé sur son corps. Puis, une idée me traverse l’esprit.
Kin — Et si tu me l’écrivais ?
Il se fige, son regard dérivant vers le bloc-notes posé sur la table.
Ses doigts tremblent légèrement. Il hésite. Longuement. Puis, dans un
geste précipité, il tend la main vers le carnet… et s’arrête. Son
visage se tord sous une angoisse viscérale.
Renji — Non… même ça… Il nous a donné un cadeau… et si
on trahit ce cadeau… il nous reprend tout.
Mais avant que je puisse poser la moindre question, un léger signal
vibre contre mon poignet. Je baisse discrètement les yeux vers ma
montre : l’image de mon drone-millepatte affiche plusieurs silhouettes
approchant dans le couloir.
Merde.
Je redresse aussitôt la tête, tentant de garder mon calme. Je n’ai
plus le temps. Je dois partir, et vite.
Kin — Reposez-vous. Je repasserai plus tard.
Je me détourne et me dirige vers la porte, mais à peine ai-je fait un
pas que quelque chose agrippe mon poignet. Surprise, je me fige.
Renji.
Ses doigts sont faibles, tremblants, mais sa prise est ferme, comme
s’il rassemblait ses dernières forces pour me retenir. Ses yeux
s’accrochent aux miens, emplis d’une peur sourde. Il ne dit rien. Il
tend simplement la main.
Dans sa paume, un morceau de papier plié en quatre.
Je n’hésite pas. Je saisis le message et le glisse discrètement dans
ma poche. Renji relâche aussitôt son emprise, son bras retombant
mollement sur les draps. Il détourne le regard, comme si ce simple
geste l’avait vidé de son énergie.
Je sors d’un pas mesuré, refermant la porte derrière moi. À peine
dehors, des bruits de pas lourds résonnent dans le couloir. Ils
approchent. Trop tard pour faire demi-tour.
Mon cœur s’accélère. Je repère immédiatement la porte du placard de
service que j’avais notée en entrant, située juste en face de la
chambre. Sans hésiter, je m’y faufile et referme la porte derrière
moi, retenant mon souffle.
À travers l’interstice, je distingue plusieurs silhouettes s’arrêtant
devant la chambre. Mon instinct avait raison.
Les voix des hommes se rapprochent, devenant plus distinctes, leurs
échanges étouffés résonnant contre les murs. Mon cœur bat à tout
rompre, chaque battement résonne dans ma cage thoracique comme un
avertissement. Je me force à respirer lentement, silencieusement.
Mercenaire 1 — Tu penses qu’ils ont commencé à parler ?
Mercenaire 2 — Peu importe, le boss a dit qu’il ne veut aucun témoin.
Pas de témoin. La phrase me frappe de plein fouet. Une vague de
panique monte en moi, s’accroche à ma gorge, m’empêche de respirer.
Ils vont les tuer.
Je serre les poings, m’efforçant de rester lucide, mais une part de
moi hurle d’agir, de faire quelque chose. Je veux foncer dans cette
chambre, les arrêter, empêcher l’inévitable. Mais je ne peux pas. Si
j’interviens, je ne ferai que les rejoindre.
Un léger courant d’air me chatouille la nuque. Je lève doucement les
yeux et repère une grille de ventilation juste au-dessus de moi. L’air
y circule faiblement, mais surtout, elle laisse filtrer les sons
provenant de la chambre.
Un coup de chance. Je retiens mon souffle et tends l’oreille. Un
bruissement de vêtements. Le cliquetis métallique d’un objet manipulé.
Puis une voix brise l’attente.
Mercenaire 1 — C’est réglé.
Mercenaire 2 — On dégage.
Un silence. Puis, un bruit sourd. Quelque chose vient de heurter le
sol. Non, plutôt quelqu’un. Le bruit d’une chaise qu’on repousse
lentement. Un léger grincement de semelles sur le sol. Puis plus rien.
Ils… les ont tués.
Un frisson incontrôlable me parcourt l’échine. Une boule de froid
s’installe dans mon ventre, un poids glacial qui m’écrase. J’essaie de
contrôler ma respiration, mais mon corps entier tremble, incapable
d’ignorer l’horreur de la situation.
Renji savait. Il savait que c’était inévitable. C’est pour ça qu’il
m’a donné ce papier. Parce qu’il savait qu’il n’aurait pas le temps de
parler. Je sens ma gorge se serrer, une douleur sourde m’envahir la
poitrine. Tout mon être hurle de sortir, de courir, de faire quelque
chose. Mais je suis coincée.
Si je bouge maintenant, si je fais ne serait-ce qu’un son… je serai la
prochaine. J’appuie ma main sur ma bouche, luttant pour ne pas céder à
la panique. Les voix des hommes continuent, calmes, presque détachées,
comme s’ils n’avaient rien fait d’inhabituel.
Mercenaire 1 — Ça s’est fait proprement.
Mercenaire 2 — Comme d’habitude.
Comme d’habitude !!! Une vague de nausée me submerge. Combien de fois
ont-ils fait ça ? J’ai l’impression d’étouffer, comme si l’air
lui-même refusait de circuler dans mes poumons. Je dois rester
concentrée. Ce n’est pas le moment de flancher.
Je jette un regard inquiet vers la porte du placard, tendant
l’oreille. Ils sont encore dans la chambre. Si j’attends qu’ils
sortent, je risque d’être piégée ici trop longtemps. Je dois partir.
Je prends une inspiration tremblante et glisse ma main vers la
poignée, chaque mouvement mesuré, maîtrisé. Le froid du métal contre
ma peau me ramène brutalement à la réalité. J’ignore la panique qui me
noue l’estomac.
Et lentement… Je commence à ouvrir la porte.