Me voici en ce monde, j’existe.

Par Fifrou

Je m’éveille à présent, petit à petit, je m’ouvre et apprends de ce monde d’apparence si complexe, j’évite de dormir pour observer mais la faim est avertie dans l’instant où le sommeil ne s’exerce pas et se fond sur moi en l’espace de quelques secondes. Voilà que j’en pleure de douleur, cette faim qui me pourfend, je pleure pour qu’on me nourrisse, je pleure pour qu’on m’aide à vaincre cette dernière. Et l’on me porte, et l’on me berce, et l’on me parle, et l’on m’observe, et l’on me sourit, et l’on me porte surtout déjà beaucoup d’attentes. Les nuits sont longues car je dors que peu, les repas le sont également car j’ai encore du mal à savoir manger. Et je pleure, j’entends pleurer, parler, crier; j’ai du mal à tout gérer. Mais j’avance dans l’obligation de me laisser porter car c’est apparemment beaucoup trop compliqué de le faire de soi-même, le temps passe mais ma flamme ne cesse de se rallumer.

J’apprends à me servir de ce corps emprunté que l’on m’aide à utiliser ; pas après pas je m’élance, pas après pas je m’avance, toujours avec ce même soutien de ces mêmes êtres qui m’éduquent, qui me forment à cette réalité. Je les regarde, je souri. J’y ressens l’amour, la joie, l’émerveillement d’entrer dans cette vie, d’apprendre à la connaître, à la dompter et, même si elle me donne du mal, je saurai la contrôler ; du moins c’est ce que je croirai. Ce sont ces êtres qui me nourrissent, et c’est maintenant de moi-même que j’avale, je joue avec ma langue afin de faire glisser cette nourriture fluide à travers ma gorge, à travers mon corps, je ressens cette dernière descendre lentement vers mon estomac, je sent que mon corps s’active à chaque bouchée et qu’à chaque fois que je referme mes lèvres, un embrasement d’énergie se permet d’apparaître au fond de moi.

Mais je me pose toujours autant de question, si ce n’est pour les autres alors pourquoi suis-je maintenant là ? Cette vie ne me plaît guère, l’incarnation perpétue grâce à l’action mais je n’ai pas l’envie de faire, je n’ai pas l’envie d’être. En restant mort je n’avais le besoin de vivre. Et pourtant me voici là à marcher, à voir, à entendre, à tenter de communiquer par les mots, comme eux. Le temps continue son chemin, et je grandis en apprenant de plus en plus de choses, à retenir.

Mamaeu.. Mag-man.. Mam.. Mam-an.. Maman..!

J’ai réussi à énoncer ce mot qu’elle répétait sans arrêt, c’est fatiguant, est-ce son nom ? Elle me le disait en se désignant, je suppose que ça l’est ; et lui, lui, qui est-il ? Malgré les maux, malgré les mots, tout sonne faux, c’est illusoirement réel car on lui donne un sens qui reste propre à chacun, mais dans mon monde à moi, tout ceci, n’existe pas.

Et maintenant que j’ai faim, j’appelle maman pour me nourrir.

Et maintenant que j’ai froid, j’appelle maman pour me couvrir.

Et maintenant que je suis fatigué, j’appelle maman pour me bercer.

Qui est cet homme ? Quel est ce sentiment d’abnégation qui me submerge spontanément à chaque plongeon dans ses yeux âpres d’existence, comment puis-je savoir et comprendre seulement en observant cet espace d’apparence si joyeux ? Je sent quelque chose, une odeur particulière qui donne l’envie à mon estomac de jouer de son propre instrument, ça sent bon, vraiment bon, celle d’un repas bien consistant. Un vrai repas, mmh cette odeur unique jusqu’à lors, je suppose que mon odorat s’éveille lui aussi dès à présent et j’en découvre de multitude format supplémentaire en ce monde. Les fleurs, l’air, la nourriture, et même ces êtres ; ils ont tous une odeur prédéfinie à la manière d’une signature. Cette odeur m’enveloppe par sa bonté, par son envie de se faire dévorer avec envie, et c’est avec plaisir et reconnaissance que j’accepte son offre. Mais ces êtres, que savent-ils de moi devant leurs airs plus ahuris les uns que les autres, est-ce mon sourire qui les font penser que je le ressens réellement ? Est-ce mon rire qui les rends fiers d’eux ? Est-ce mon calme qui les rends heureux ? C’est à la fois complexe mais simple ; pourtant je ne comprends pas, je ne comprends toujours pas.

Je suis encore en pleine découverte, alors j’attends d’apprendre, j’attends de découvrir alors j’avance, j’avance dans ce monde de mes propres pas, de ma propre force, j’avance et je parle, je dis « maman ».

L’accomplissement.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Miyuki
Posté le 03/10/2019
Cet « accomplissement » est tout aussi intéressant à lire. Je retrouve ces phrases interrogatives – moins présentes que précédemment, ce petit être commencerait-il à comprendre certaines choses ? – alors je ne peux qu’être amenée à en lire davantage encore. C’est intéressant de suivre les premiers instants de ce narrateur à travers la découverte des sens. J’aime beaucoup l’utilisation que tu fais de l’odorat en donnant une odeur particulière à tout ce qu’il peut rencontrer. Hâte de continuer à suivre ses premiers pas.
Fifrou
Posté le 03/10/2019
🖤🖤🖤🖤🖤🖤
Vous lisez