Météo capricieuse

Notes de l’auteur : (edit du 9/08/23 : j'ai ajouté un nouveau chapitre juste après le prologue, allez le lire si ce n'est pas encore fait ;)

(matin du 11ème jour)

Elysandre bâilla à s’en décrocher la mâchoire. Face à elle, le soleil dardait ses premiers rayons. Pas de tente-dôme à remballer pour cette fois. Même si les matelas étaient plus confortables que leurs couches habituelles sous les dômes, son dos la faisait souffrir. Elle avait surtout cette démangeaison qui virait à la douleur entre ses omoplates, un peu plus vive chaque jour qui passait. La jeune femme s’étira longuement, prit la pose de l’arbre puis celle de l’enfant.

— Mais que fais-tu dans cette position ? s’esclaffa Sliman tout en essayant de l’imiter.

— J’assouplis mes muscles, c’est du yoga. J’ai de plus en plus mal au dos depuis qu’on a atterri ici.

— Ici ?

— Oui, dans votre monde… Non pas comme ça, tu dois d’abord te mettre à genoux puis glisser lentement vers l’avant mains et bras tendus jusqu’à toucher le sol avec ton nez.

— Comme ça ?

Elysandre éclata de rire en voyant son ami tenter de suivre ses instructions tant bien que mal.

— Arrête, c’est pas drôle ! râla en se bidonnant le Nergaléen avachi par terre. Je n’ai jamais fait de yogla moi…

— Yoga, Y O G A, épela la jeune humaine.

— Oui si tu veux…

Le Nergaléen se déplia et se releva plus vite qu’il ne s’était installé dans la position de la prière. Il partit en une série de pirouettes, riant aux éclats. Elysandre le contempla, amusée, elle était bien incapable de faire pareil, mais admira la souplesse et l’énergie du Nergaléen. Zéphyr qui observait depuis la porte du gîte se rapprocha d’un pas hésitant. Le souvenir de leur intermède de cette nuit lui chauffa encore le ventre et ses mains se firent moites. Il fallait vraiment qu’il se reprenne !

— Bonjour, Elysandre ! tu as mal au dos ? Tu devrais demander à Erin si elle n’aurait pas de quoi soulager ces douleurs dans son attirail. Je suis sûr qu’elle pourra t’aider.

Elysandre rougit jusqu’aux oreilles quand elle réalisa qu’il l’avait certainement vue en train de faire son yoga matinal. Elle tenta de rester digne malgré tout.

— O.K., merci, Zéphyr. J’irai la voir, acquiesça-t-elle avec un grand sourire, pas du tout forcé.

— Nous allons nous mettre en route dès que tout le monde aura fini d’avaler un petit-déjeuner. Viens vite, il t’attend sur la grande table, ajouta-t-il en souriant.

— Le petit-déjeuner ? J’arrive ! s’exclama Sliman qui revenait en sautillant jusqu’à eux.

Elysandre explosa de rire devant cet estomac sur ressort et ouvrit la marche vers le gîte. Zéphyr se retint encore une fois de la prendre par les épaules pour l’accompagner. Il fallait vraiment qu’il arrête de penser à elle de cette façon. Vraiment. Il jalousa même un peu Sliman qui ne se posait pas autant de questions et qui attrapa la jeune fille par la main pour arriver plus vite à destination en l’entraînant dans sa course, laissant sur le carreau leur chef d’équipe blasé. Il se pencha pour ajouter un nouveau caillou à sa collection. Celui-ci était presque bleu, avec des reflets irisés verts et violets, un galet plat iridescent, il n’en avait pas encore vu de si beaux. Un sourire s’afficha sur son visage. Il glissa le caillou dans une de ses poches et entra dans la maison plus détendu.

Sur la table étaient disposés des petits pains de manïan, des bols, un grand chaudron de soupe et quelques fruits dont elle ne connaissait pas les noms. Ergad était déjà attablé avec Tewenn, ils étaient en pleine conversation.

Elysandre attrapa un pain et partit s’asseoir près des deux Nergaléens.

— Bonjour, Elysandre. Un peu de soupe ? proposa Ergad à la jeune fille en lui tendant un bol.

— Merci, Ergad, mais je ne suis pas très potage au réveil, sourit-elle l’air contrit.

— Tu as tort, il est succulent ! D’ailleurs, je vais m’en resservir ! Ces bols sont minuscules ! s’esclaffa-t-il.

— Laisse-la tranquille, Erg, je te rappelle qu’elle n’est pas d’ici, elle a d’autres coutumes…

— T’inquiète, je connais des grands-parents d’amis qui boivent aussi de la soupe au petit-déj, ils y trempent même du camembert ! Beurk !

Les deux Nergaléens se tournèrent vers elle un sourcil relevé.

— Du quoi ? s’exclamèrent-ils en même temps.

— Du camembert ! Un fromage qui pue… Au réveil, dans leur soupe et aussi dans leur café…, frissonna de dégoût la jeune fille. Même ma grand-mère mange de la soupe le matin quand il fait bien froid.

Voyant que les deux la regardaient avec une expression d’incompréhension sur leur visage, elle leur lança elle aussi un regard interloqué.

— Quoi ? J’ai dit un truc bizarre ?

— Qu’est-ce donc du camenpert ? Et du fromage ? Et le dernier là…, le cafflé ?

La jeune fille se retint d’éclater de rire devant leur mine interrogative.

— Sérieux ? Vous ne connaissez pas le fromage ? Le camembert est une variété de fromage. Et le café ? Vous ne connaissez pas non plus ? Wow ! Moi qui pensais que c’était parce qu’on était en voyage que vous n’aviez pas ce genre de bouffe avec vous…

— Bouffe ?

— Oh My God !

— Gode ?

Elysandre partit dans un fou rire inextinguible devant ce dialogue de sourds ubuesque. Les deux Nergaléens finirent par la suivre et se bidonnèrent tellement que le géant aux cheveux blancs en tomba de son tabouret. Les autres qui n’avaient pas suivi la conversation, mais qui étaient témoins de leur fou rire, ouvrirent de grands yeux et finirent par rire aussi.

Tewenn tendit la main à son compagnon pour l’aider à se relever, mais riait tellement fort qu’il finit par terre lui aussi.

Le lutin qui entra dans la pièce n’en crut ni ses yeux ni ses oreilles et son chat qui le suivait fila se cacher derrière les rideaux.

— Eh bien, mes amis ! Vous me semblez d’excellente humeur ce matin, sourit-il en déposant quelques galettes supplémentaires sur la table déjà bien garnie.

Elysandre tourna des yeux larmoyants de rire vers lui et rit encore plus fort. Elle s’essuya les yeux d’un revers de manche et essaya tant bien que mal de reprendre son souffle et un air plus sérieux.

— Nous parlions cuisine, réussit-elle à articuler. Et Ergad et Tewenn ne connaissant aucun des aliments que je venais de citer, ça m’a fait un choc et c’est parti en fou rire, rit-elle encore.

— Nous avons beaucoup à apprendre de toi jeune fille, sourit Ergad. Il faudra que tu me fasses goûter tout cela un jour, si c’est possible.

— Ouiii bien sûr ! J’espère bien pouvoir retourner chez nous ! Et revenir vous voir en vacances ! s’enflamma-t-elle. Donc, le café c’est une boisson chaude un peu comme le thé, ça réveille le matin et ça tient éveillé quand on a un coup de mou. Les fromages sont fabriqués à partir du lait de vache, de chèvre ou de brebis. Mais je n’en ai encore jamais vu chez vous… Mais vous avez du lait de rennes. Vous ne faites pas de fromage avec ?

— On ne sait même pas ce que c’est, répondirent en chœur les deux acolytes en riant.

*****

Bagages repliés et esprits retrouvés après ce fou rire collectif, la pluie les cueillit à leur sortie du gîte. Ils rabattirent leurs capuches, peu ravis par cette météo capricieuse. Sliman était le seul à trouver cela amusant et avançait en sautillant cheveux libres.

— Tu fais le malin, Sliman ! Mais qui dit pluie dit limaces ! lança Ergad rendu bougon par ce temps.

— Oui, c’est vrai…, si seulement nos amis Ensi étaient là…, soupira Erin qui tira un peu plus sur sa capuche noire.

Puis elle remonta plus haut ses cuissardes, des fois qu’une limace tenterait l’ascension d’une de ses jambes fuselées. Margod fit de même en grimaçant de dégoût. Elysandre ne put s’empêcher de sourire sous sa capuche, se rappelant ce que son frère et ses amis faisaient comme jeux atroces avec les pauvres gastéropodes orangés qu’ils trouvaient dans la forêt, ou au bord de la rivière… Un pincement au cœur l’arrêta dans ce souvenir. Son frère ? Que faisait-il ? Allait-il bien ? Où la nymphe rousse le retenait-elle prisonnier ? Toutes ces questions sans réponses lui tournaient dans la tête dès qu’elle repensait à sa vie. Cette vie encore normale même pas deux semaines plus tôt… Le brusque changement d’ambiance et de texture des précipitations la tira de ses pensées. La neige avait remplacé la pluie en quelques secondes. La température chuta de quinze degrés. Margod s’approcha rapidement d’elle pour lui donner un manteau plus chaud, un gros bonnet et des gants faits du même tissu gris qu’ils utilisaient un peu pour tout. Quand elle les enfila, ils s’ajustèrent de façon parfaite à ses mains. Même Sliman en avait mis une paire.

Le vent se mit à souffler très fort, la neige tourbillonnait.

— Une tempête se lève ! Trouvons un abri le temps qu’elle passe ! préconisa Zéphyr, qui attrapa par la main la jeune femme hébétée par la fulgurance du phénomène météo. Viens, Elysandre ! Ne reste pas plantée là.

— Regardez ! Par-là ! lança Tewenn. Il y a une avancée rocheuse, je pourrais la barricader de rochers avec ton aide, Ergad !

Tous se mirent à courir dans la direction indiquée, la neige furieuse leur fouettant le visage. Elysandre sentit ses lèvres craqueler petit à petit, ses joues brûlaient aussi sûr que si elle avait mis le nez devant des flammes. Des larmes de douleurs perlèrent à ses yeux, mais elle devait continuer, Zéphyr ne l’aurait pas lâchée de toute façon. Elle vit Margod chuter à côté d’elle et se relever tant bien que mal, de la neige plein le visage. Elle aussi avait les yeux larmoyants et bleuis par la douleur. Erin avait perdu de sa superbe, courant courbée, au ralenti, ce qui tenait du tragi-comique façon Buster Keaton dans un vieux film qu’elle avait vu en classe et dont elle ne rappelait plus le titre. Elle ne put rire qu’intérieurement, son visage étant complètement pétrifié de froid.

Quand ils atteignirent enfin l’abri, Tewenn fit sortir des rochers du sol. Ergad les empilait au fur et à mesure quand une immense brèche se fit au milieu de la tempête de neige.

— Bonjour, chers Nergaléens, et jeune humaine. La dernière fois que l’on s’est croisés, il faisait meilleur temps, s’amusa-t-elle d’un rire cristallin qui donna la chair de poule à Elysandre.

— Bonjour, ô Groënleenne nymphe des Terres Glacées, répondit poliment Zéphyr. Pourquoi cette soudaine tempête à notre approche ? Aurions-nous fait quelque chose de mal ?

Elysandre jeta un œil interrogateur à Zéphyr concentré sur la nymphe. Elle observa celle-ci avec discrétion. Elle remarqua sur sa cuisse découverte un long tatouage mouvant, elle sursauta quand elle reconnut le monstre qu’ils avaient croisé il y a quelques jours… Un salmalion crachant du feu, mais dont les flammes étaient bleues comme celle de la vieille cuisinière à gaz de sa grand-mère…

— Le temps, le temps…, le temps est changeant, mon garçon, répondit leur hôte avec un demi-sourire. Ne traînez pas trop longtemps par ici jeunes gens, et ramenez cette jeune fille à la porte de son monde au plus vite !

Une énorme bourrasque fit apparaître une vieille femme à la longue natte blanche !

— Laisse-les tranquilles, ordonna celle-ci à la nymphe.

Elysandre reconnut la vieille sorcière qui les avait accueillis chez elle, Baba la blanche.

— Baba ! Comme cela faisait longtemps… Je te rappelle que je suis sur mes terres, lança-t-elle mielleuse.

— Et alors ! Ces jeunes gens ne t’ont rien fait de mal. Arrête cette tempête et va voir ailleurs si j’y suis !

Elysandre ouvrit des yeux ronds en entendant Baba oser parler ainsi à une nymphe de deux fois sa taille et qui semblait bien plus puissante qu’elle. Elle remarqua que même Sliman ne bougeait pas un cil, pétrifié par la scène qui se jouait devant eux.

De longues secondes de silence de la part de la nymphe s’écoulèrent. Le visage inexpressif, elle restait de marbre, seul son tatouage s’agitait encore.

— Au revoir, mes jeunes amis, déclara-t-elle de nouveau du miel dans la voix.

La nymphe disparut dans un ultime tourbillon de neige mêlée de glace. La neige cessa de tomber de façon anarchique pour laisser place à de légers flocons.

 

 (matin du 12ème jour)

Elle observait le chalet du vieux Klaus, après ces longues journées de marche, elle se réjouissait de retrouver toute sa joyeuse tribu de lutins bien plus gentils que ce Héron de malheur ! Un bras ami lui entoura les épaules avec chaleur.

— Allez, ma jolie, on est bientôt arrivés, je rêve d’un bon lait chaud comme celui de l’autre jour, déclara celle qui la serrait chaleureusement. Et puis peut-être que cet Ancien pourra réparer les vilenies que tu as subies, lui chuchota-t-elle encore à l’oreille.

Elysandre sursauta en entendant cette phrase.

— Vraiment ?

— C’est possible, oui. Les Anciens ont de grands pouvoirs et de grandes connaissances, que les générations de Nergaléens ont perdues au fil des siècles. On ne peut même (pas) imaginer toutes ces pratiques perdues. Seuls les Anciens savent…

— Ô, Margod ! Si seulement tu pouvais avoir raison !

La Nergaléenne frictionna les épaules de sa jeune protégée puis la relâcha avec douceur.

— Allez ! Dépêchons-nous, les autres ont déjà pris suffisamment d’avance ! Viens, on court ! Ça nous réchauffera ! ajouta-t-elle en riant.

 

*****

— Ho ! Ho ! Ho ! Vous voilà déjà de retour ! Venez, venez ! Entrez vite vous réchauffer !

Elysandre souleva un sourcil en entendant de la musique sortir par la porte grande ouverte. Elle retomba immédiatement en enfance. La bonne odeur des aiguilles du sapin qui trône dans le salon. L’odeur du kouign-amann et des roulés à la cannelle. L’odeur du thé de Noël que grand-mère Griselda leur servait à leur retour d’école. Toute cette ambiance parfumée l’enveloppa de manière instantanée. Elle frissonna de plaisir, un grand sourire aux lèvres. L’image de Morgan cherchant dans les placards une boîte de chocolats de Noël oubliée s’imprima sur ses rétines. Elle se revit cachée sous la table à l’observer. Elle s’était glissée dessous en l’entendant arriver. Elle aussi quelques secondes plus tôt farfouillait dans le même but. Deux gourmands invétérés, voilà ce qu’ils étaient. Son sourire finit en grimace en revenant à la réalité. Son frère. Son double, son Morganou comme elle l’appelait petite, avait disparu. Elle voulut retenir ses larmes, mais c’en était trop, trop de souvenirs d’un coup. Tous ses barrages émotionnels s’effondraient. Elle chancela.

 

*****

 

Elysandre ouvrit les yeux, les referma. Elle ouvrit un œil, le deuxième suivit. Elle remua les doigts de pieds. Pas de chaussures. Elle était allongée, dans un vrai lit, semble-t-il. Elle n’y voyait rien. Elle bougea la main droite et sentit la couverture soyeuse sur le dessus. Elle était donc couverte. Elle tenta de se tourner, elle s’enfonça dans un matelas tel qu’elle n’en avait jamais eu. On aurait dit…, Oui, on aurait dit quoi ? Elle s’embourbait dedans comme sur une sorte de matelas à eau pas bien rempli, mais hyper moelleux et doux. Oui ! Ça lui revenait : le ventre d’un chat ! Voilà ce à quoi ça lui faisait penser. Elle était si bien, ni trop chaud ni trop froid, comme dans un cocon de douceur. Elle sortit les mains de sous la couverture pour se frotter le visage. Elle se frotta les yeux, les joues. Elle commença à se passer les mains sur le crâne, mais arrêta son geste. Les sourcils froncés, elle reprit son geste. Au bout de ses doigts, des cheveux ! Elle explora toute sa tête, des cheveux, des cheveux partout ! Elle sortait d’un cauchemar ! Mais oui ! Elle tâtonna en dehors du lit pour trouver sa table de nuit et allumer sa lampe de chevet. Celle avec des licornes à paillettes que sa meilleure amie lui avait offerte pour leur anniversaire. Rien. Le lit n’avait pas retrouvé une texture normale.

— Morgan ? Mémé ?

Une porte s’ouvrit en grinçant, accompagnée d’un rais de lumière mouvante.

— Elysandre ! Tu as bien dormi ?

Une bonne odeur de thé aux épices lui arriva aux narines. Aveuglée par la lumière, elle ne voyait pas son décor. Ni qui lui parlait. Cette voix ?

— Mais ?

— Attends, je vais ouvrir les volets, on y verra plus clair !

Un son de boîte à musique sortit de nulle part et la lumière embrasa la pièce où elle se trouvait. Elle aperçut enfin qui lui parlait. Klaus ! C’était Klaus ! Elle ne sortait pas d’un cauchemar ! Elle y était encore… Des larmes coulèrent sur ses joues, irrépressibles.

— Ho ho ho, ma jolie, ne pleure pas. Tout va finir par s’arranger. Tout s’arrange toujours dans la vie. La roue tourne. Toujours !

Klaus s’assit sur le bord du lit et la prit dans ses grands bras.

— Là, là…, tout doux ma petite.

Quand elle eut vidé tout son soûl de larmes, elle s’essuya les yeux. Elle sentit de nouveau la présence de ses cheveux pendants de part et d’autre de son visage humide. Elle les palpa tout en regardant Klaus les yeux ronds.

— Oui, je ne pouvais pas te laisser dans cet état lamentable ma jolie. C’est signé Héron ce genre de méfait…

— Oui, sanglota-t-elle. Merci, Klaus.

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