Miranda

Cléandre s’était figé, son regard accroché à la petite silhouette qui émergeait des buissons. Là, au cœur de l’obscurité des bois, la petite fille se tenait debout, perdue dans la lumière diffuse. Ses yeux grands, auparavant noirs, brillaient désormais d’une curiosité naïve et d’un bleu cristallin, explorant chaque recoin avec la soif d’une âme qui n’a jamais connu les ombres du monde. Son visage, aussi doux qu’une étoile filante semblait avoir été sculpté par la lumière elle-même, sans la moindre trace de peur ; c'était plutôt une perplexité enfantine, une interrogation muette, suspendue dans l’air autour d’elle. Elle n’était ni perdue, ni inquiète, juste là, sans raison apparente, le corps frêle et immobile ; un oiseau trop jeune pour s’envoler, figé dans l’étrange symphonie du bois. Ce n’était pas un endroit pour un enfant, et pourtant, elle y appartenait, son innocence flottait autour d’elle. On aurait dit un mystère qui ne cherchait pas à être résolu. Cléandre, le cœur dans la gorge, se demanda si la réalité elle-même avait décidé de se jouer de lui, ou si cette rencontre n’était qu’une illusion fragile, à la lisière du possible.

Il s’approcha lentement, chaque pas résonnait dans le silence épais des bois, son instinct lui soufflait que quelque chose n’allait pas. Un frisson traversa sa peau, il dissimula la tension dans son regard, il chercha à maintenir une apparence calme.

— Hé, petite... tu es perdue ? demanda-t-il d’une voix aussi posée qu’il le pouvait, bien que son cœur battît un peu plus fort.

La petite fille tourna la tête vers lui, un léger sourire timide se dessinant sur ses lèvres.

— Je… je crois. Je suis ici, mais je ne sais pas pourquoi.

Elle baissa les yeux, son regard se perdit dans la terre sous ses pieds, cherchant des réponses invisibles. Rien ne s’éleva de ce sol, pourtant le silence lui répondait.

— Je ne me souviens plus comment je suis arrivée ici, ajouta-t-elle, un air d’oubli flottant autour d’elle.

Cléandre sentit un poids s’ajouter à l’étrangeté de cette rencontre. Les cheveux blonds de la petite, ondulés et désordonnés, encadraient son visage. Les boucles tombant sur ses joues dansaient à chaque mouvement, légères et effervescentes, semblables à des pétales effleurant l’air. Ses yeux, d’un bleu clair, brillaient d’une innocence pure, fixés sur le monde avec la curiosité d’un ange qui ignorait mal et peur. Elle dégageait une aura de sérénité, une paix enfantine qui la rendait aussi belle qu’étrange.

Cléandre la scruta, cherchant à déceler un signe, une indication, cependant la petite fille restait douce et sereine. Ses paroles étaient issues d’un monde où les mauvaises intentions n’existaient pas, une simple déclaration d’ignorance, d’une incompréhension totale.

Pourtant, un détail fugace capta son attention et se faufila dans son champ de vision. Aux pieds du petit ange, un écureuil gisait, le ventre ouvert, ses entrailles déversées sur le sol avec une inquiétante nonchalance. La scène était d’un silence choquant. Les entrailles, d’un rouge vif, s’étiraient lentement, un contraste terrifiant dans la quiétude apparente des bois. Il aurait dû être plus choquant encore, et pourtant, tout se passait dans une étrange tranquillité qui ne faisait que renforcer la sensation de malaise qui naissait en Cléandre. L’écureuil n’était qu’un souvenir silencieux, une marque de violence inscrite dans ce paysage innocent ; la nature elle-même, derrière sa beauté trompeuse, cachait des mystères que Cléandre n’osait effleurer.

L'intrépide personnage, habitué à jouer les bravaches dans une foule animée, se trouvait soudainement déstabilisé par l’apparition. Pris entre l'inquiétude et la crainte, Cléandre sentit une étrange fragilité envahir sa voix.

— Comment t’appelles-tu ? Où sont tes parents ?

— Miranda, répondit-elle, sa voix cristalline résonnant dans l’air, tandis qu’un sourire éclatant illuminait son visage. Je ne sais pas où sont père et mère.

Cléandre frissonna et s'efforça de dissimuler la tension qui le tenaillait.

— Tu... tu n’as rien vu de ce qui s’est passé ici ?

Elle leva les yeux vers lui, un voile d’incertitude plus épais sur son visage.

— Non, rien. Je... je ne me souviens de rien du tout.

Elle s’agenouilla lentement, effleurant au passage le cadavre de l'écureuil, son regard flou se perdant dans l’invisible.

— Il n’y a rien ici, n’est-ce pas ?

Un frisson glacial parcourut l’échine de Cléandre. L’écureuil, la dépouille de l’animal, et la façon dont elle l’avait complètement ignoré… Il y avait quelque chose de profondément perturbant dans cette innocence trop parfaite.

Il s’apprêtait à poser une nouvelle question mais avant qu’il n’ait le temps de prononcer le moindre mot, un éternuement brisa le silence de la forêt.

— Désolée, murmura-t-elle doucement, un sourire gêné sur les lèvres, avant qu'un nouvel éternuement ne ponctue son excuse.

Il survint dans une pure retenue, à peine un souffle suspendu. Un frémissement parcourut les épaules de Miranda, une légère secousse qui s’arrêta avant même d’éclater. Ce n’était qu’un murmure, un frôlement de vent. Un instant, tout se figea, l’éternuement résonnait avec la délicatesse d’un souffle inachevé.

Cléandre sentit l’atmosphère se modifier autour d’eux, un lourd pressentiment émergeait de la forêt elle-même. Il n’eut pas le temps de réagir. En un instant, les traits de la petite fille se transformèrent. La douceur de son visage se dissipa, remplacée par une expression déformée. Ses yeux, autrefois clairs, se remplirent d’une lueur sombre et animale, déstabilisant toute impression de candeur.

Ses mains, qui étaient si fragiles, se métamorphosèrent en griffes cruelles, leurs doigts se tordant, prêts à saisir et détruire. Son visage se tordit en un rictus dégoûtant, effaçant les traits enfantins pour révéler une monstruosité d’une violence effrayante. Avant que Cléandre ne puisse réagir, la petite fille s’élança, rapide et sans contrôle, dans un tourbillon de furie. Ses griffes frappaient tout ce qui se trouvait à sa portée et martelaient l’air dans un chaos implacable.

Cléandre ne pouvait que regarder paralysé par une terreur sourde, alors qu’elle se jetait sur le corps du vieillard. Dans un silence absolu, elle engloutit les restes du malheureux avec une sauvagerie sans égale. Aucun cri, aucun bruit ne perça l’épaisse quiétude de la forêt. La scène se déroulait sous ses yeux, un acte de dévoration acharnée qui effaçait toute trace du vieil homme.

Puis, aussi soudainement qu’elle avait changé, la petite fille revint à son état initial. Elle se releva, son visage se parant à nouveau de son expression douce et enfantine. Un sourire radieux illumina ses lèvres, et dans ses yeux brillait cette innocence éclatante, sans la moindre mémoire de ce qu’elle venait de faire.

— C’est amusant ici, murmura-t-elle, la voix légère, oubliant toute horreur, tout soupçon de ce qui venait de se produire.

Le cœur de Cléandre battait à tout rompre. Le vieillard avait disparu, un problème apparemment réglé, voilà que se dessinait une nouvelle énigme. Comment gérer cette petite créature, aussi adorable qu'effrayante, sans vraiment savoir si ses pouvoirs étaient plus terrifiants que son sourire innocent ?

 

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RedFuryFox
Posté le 04/08/2025
Yo Clem !

Ok, le passage de l’être angélique au démon assoiffé de sang, clairement je ne m’y attendais pas ! Dans quel monde nous as-tu projeté ? Alors cette petite fille du début qui parlait de démon, ce n’était pas juste les démons issus des histoires à dormir debout ?! Bien joué en tout cas, cette scène est vraiment très vive, imagée, viscérale et il faut le dire, un poil effrayante. Transformer ce petit visage innocent en un dévoreur de cadavre… j’ai encore son petit sourire horrible en tête 😱

Alors Cléandre, ne te méprends pas, tu sembles avoir retrouvé un peu de chance avec ton souci de vieux brisé qui disparaît mais je pense que tu te paies un bien plus gros problème !
En note, je dirais que tu pourrais accentuer l’après festin de Miranda. Une fois qu’elle retrouve sa tête d’ange, elle doit être sacrément couverte de sang et la panse bien ronde. Un petit morceau de la chemise du vieux entre les dents ? 🤭 Et ta dernière phrase est je trouve un poil superflue ou gagnerait à être plus incisive.

Merci pour ce chapitre aussi surprenant que glaçant ! 😈
ClementNobrad
Posté le 05/08/2025
Coucou Fury, (un coup Red, puis Fury, viendra Fox ! Et si je suis un peu foufou, les trois en même temps !)

J’adore surprendre mes lecteurs, alors savoir que tu l’as été me réjouit comme un Cléandre devant un buffet gratuit !
Miranda, ah... Miranda… Elle va devenir un gros caillou dans la chaussure, un pépin coincé entre les dents, un bouton mal placé avant un rencard. Bref, une vraie plaie, surtout pour Cléandre, qui, décidément, accumule les problèmes en si peu de temps.

Il lui reste une option : fuir, vite et loin, en mode « tout ça n’a jamais existé ». Après tout, ce serait typiquement… Cléandrien.
Lui, qui ne prend rien au sérieux, à part son estomac et l’inclinaison dramatique de son chapeau (ça lui donne ce petit air ténébreux-mystérieux) pourrait très bien s’évaporer vers le bourg voisin, sifflotant un air innocent, prêt à noyer ses galères dans des pintes tièdes et des blagues douteuses, entre deux ivrognes qu’il plumerait sans la moindre gêne. Un héros, quoi.

Je te laisse découvrir ce qu’il adviendra de cette épopée qui mériterait même pas une ode…

Je note ta remarque sur mon côté superflu et en manque d'incisives. (Entre nous, j’ai toujours eu un faible pour les canines.)

Merci encore pour ton retour, et à très vite !
Isapass
Posté le 09/06/2025
Rhooo génial !
Alors déjà le premier paragraphe est vraiment top, j'aime énormément tes métaphores, le rendu est très poétique et délicat. Et très évocateur, encore une fois : j'ai vraiment les images dans la tête. Peut-être une ou deux petites virgules en trop ? ;)
La description de l'écureuil est parfaite : glauque à souhait dans cette atmosphère pure et cristalline XD Du coup, j'avais bien compris que la petite n'était pas tout à fait ce qu'elle semble être, mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle se métamorphose aussi vite. Ce serait les éternuements qui déclenchent les transformations ? Ou ils sont juste un signe qui montre que ça va arriver ? En tout cas, ça a réglé le problème de Cléandre avec le cadavre du vieux ! Bon peut-être pas en termes de dignité.
Petit détail :
"— Hé, petite... tu es perdue ? demanda-t-il d’une voix aussi posée qu’il le pouvait, bien que son cœur battait un peu plus fort." : le subjonctif est obligatoire après "bien que" (donc : "bien que son cœur batte/battît un peu plus fort" selon que tu utilises le présent ou l'imparfait du subjonctif)
A très vite !
ClementNobrad
Posté le 09/06/2025
Hey !

Ravi que cette petite Miranda t’ait plu. Je suis certain qu’elle formerait un duo mémorable avec Henriette, non ?
Oui, ce sont bien ses éternuements qui déclenchent la transformation. Cléandre va ensuite mobiliser toute sa matière grise pour tenter de contrecarrer ce déclencheur apocalyptique… Reste à voir s’il y parvient !
Merci au passage pour le subjonctif, je viens de corriger ça dans mon document original.
Le prochain chapitre sera enoccre tourné vers l’introspection, sans humour. Mais la légèreté reviendra plus tard, promis !
Merci encore pour ta lecture !
Syanelys
Posté le 18/05/2025
Carton rouge sang !

Cette adorable enfant, trop idéalisée par des descriptions angéliques jusqu'à ne surprendre personne lors de son éternuement, a de très mauvais réflexes ! Non, ça sonne faux ! Elle débarque avec son amnésie innocente, se demande le quatuor "Coucou ? Comment ? Pourquoi ? T'es qui toi ?" en ignorant son jouet éventré et ses yeux sur Cléandre et...

L'attention directement sur le cadavre alors que le sien n'a rien tâché sur elle. Non, je refuse. Elle doit attaquer le Cléandre, se prendre ses racines narratives et tomber ! Là, elle trouve le vieux figurant et prend enfin son petit-déjeuner !

Tu t'en sors avec cet avertissement : on va garder la notion de pacte de sang entre eux ! Par pitié, insiste sur son pendant obscur, ta balance penche trop sur la version immaculée, pas assez sur la créature dévoreuse notoire.

J'aime beaucoup le prénom Miranda !
ClementNobrad
Posté le 27/05/2025
Miranda est un petit trésor ! Ah l'innocence, faut toujours s'en méfier. Mais tout ça, c'est bien malgré elle, la pauvrine n'a aucune conscience de ce qui lui arrive. Elle est pardonnée, et à l'avenir elle remettra plusieurs fois Cleandre à sa place. Son petit minois peu devenir très sévère quand elle veut ! Son côté obscur sera développé promis. Ça risque d'être sanglant. Je veux juste que le lecteur s'attache à cette petite d'abord. Laissons-lui une chance. Si elle n'était pas angélique Cleandre s'en débarrasserait et je n'aurais plus d'histoires :(
Cléooo
Posté le 28/04/2025
Hello !

Ce chapitre est intéressant, mais je l'ai trouvé un peu forcé par moment. Toute la façon dont tu dépeins l'aura de la petite fille est un peu "too much" à mon goût, dans le sens que je n'ai pas eu de vraie surprise en la découvrant sa métamorphose à la fin. Je me demande si tu pourrais alléger tout ça afin qu'on partage la surprise de Cléandre davantage à la fin, que la majeure partie de la mystique qui l'entoure soit plus prononcée à ce moment-là.
Après, ça reste intéressant, et la chute laisse deviner qu'il va faire de Miranda sa responsabilité. Je m'interroge aussi sur la raison pour laquelle elle épargne Cléandre pour se jeter sur la dépouille du vieux.

Une petite remarque :
"Ses yeux grands" -> j'aurais plutôt tendance à mettre l'adjectif avant

À bientôt.
ClementNobrad
Posté le 28/04/2025
Hello,
Merci pour ton retour. Je comprends ton ressenti sur ce chapitre, je le partage en partie. Tu mets le doigt sur une incohérence dont j'espérais que peu de personne l'aperçoive : effectivement elle aurait pu se jeter sur Cleandre. Disons que le sang frais qui coulait du cadavre du vieillard a d'abord attiré son instinct bestial :) Le prochain chapitre reste un peu dans ce ton avant de revenir à plus léger. J'espère que ça te plaira !
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