(Mise au point)

 

- Je t'ai pourtant prév'nu ! rugit Gabriel hors de lui.

- C'est grave ce que tu dis, tu t'en rends compte ? ! le préviens froidement Uzu, abasourdi par le comportement de son petit ami.

- Youzeu a raison, se mêle Yann en sortant du petit studio.

- Toi, c'est bon tu t'casse, j'veux plus t'revoir !

- Ha bha oui forcément, tu nous rejoues la scène du deux, réplique Yann sans ciller. La voilà la tragédie italienne, ajoute-t-il en levant les bras. Et moi je suis sensé fuir en pleurant, espérant secrètement qu'un con vienne me poursuivre, blablabla ! Et je finirais comme un andouille à me maudire ! Ô comme je suis idiot !

- Casse-toi j'te dis !

Gabriel avance sur lui.

- Et tu vas me faire quoi ? Tu sais très bien que tu n'auras pas le dessus, le menace l'androgyne, torse en avant et petits poings fermés.

Moment de flottement, Gabriel, s'arrête, enrage, hésite.

- Écoute, on perd du temps là, insiste Yann, sérieux. Le studio est loué, on est sensé bosser. Tu veux la vérité ? Est-ce que ton copain me plaît ? Ouiii, là, t'es content ? Je ne saurais le nier. Il est beau, intelligent, doué, tout à fait mon genre. Je t'ai déjà volé tes petits amis ? Oui c'est vrai, je l'ai fait pour tenter de te récupérer ou de t'ouvrir les yeux. C'était stupide ? Ça franchement, je suis le premier à le dire aujourd'hui. Il m'arrive d'être complètement débile. Mais, je t'ai promis de ne pas interférer et je tiendrais ma promesse. Tu ne souhaites pas que je touche à Youzeu ? Je ne le fait pas mon ami ! Je l'admire, j'y peux rien. Et mets toi bien dans le crane, qu'une fois sur scène, je ne serais plus seul à le faire. Alors ta jalousie de macho, va falloir la mettre de côté, sans ça tu vas souffrir chéri !

- Si tu t'approches de lui...

- Tu feras quoi ? Écoute, je vais continuer à faire ce qui été prévu, répéter avec lui, le diriger pour sa voix, le prendre dans mes bras lorsque je serais content et le reluquer avec envie quand on chante, parce que je ne fais rien de mal et que je ne souhaite pas, chaque fois, me demander quel comportement afficher. Ça te plait, ça te plait pas c'est pas mon problème.

 

Étrangement la réplique franche de Yann ne déplait pas au goth, Gabriel serre les poings mais dans son cerveau la tempête se calme déjà.

Yann se tourne vers Uzu, vexé, qui rumine la tête baissée en grinçant des dents.

- Youdzeu, tu dois comprendre que Gabriel tient à toi et que même s'il sait pertinemment au fond de lui que jamais tu ne lui ferais une chose pareille, il a peur de te perdre. Il doute de lui et de moi plus que de toi.

-  Je trouve cette réaction complètement stupide ! rétorque le japonais en fusillant Gabriel du regard.

-  C'est parce que tu ne me connais pas ma poule, insiste le bassiste. Sur ce, faites la paix qu'on retourne travailler.

Il les laisse, espérant avoir réussi à calmer les tensions.

- Ch'uis désolé, j'ai vu rouge, lâche Gabriel.

- Ça va. Je ne m'étais rendu compte de rien, je ferais plus attention.

Uzu reste seul quelques minutes dans le couloir, il réfléchi. La réaction de Gabriel l'irrite même s'il la comprend. Par contre apprendre qu'il plaît vraiment à Yann, a soudain un côté grisant. " Je l'admire, j'y peux rien." Des mots que lui-même pourrait reprendre à son compte. Lui aussi admire Yann.

*

Il fait chaud dans le studio, ça pue la sueur et la vieille basket. Uzu en est un peu incommodé. Il n'y a pas que ça, comme la dernière fois, la peur l'étreints. Étrangement ça ne lui est pas arrivé avec Yann ce coup-ci. Ce qui se trouve fort gênant, en effet, ce qu'il peut se permettre avec Yann est très certainement différent de devant le groupe en entier. Du moins c'est ce qu'il pense. Pourvu qu'il ne perde pas sa voix.

Le lieu est le même que la dernière fois, cependant ce studio-ci est différent : plus grand, doté d'un miroir et d'une console, loin d'être la panacée, moquette brûlé, matos en vrac, caisse claire à changer, il reste malgré tout agréable. Il y a de la magie dans ce lieu. Un petit quelque chose dans l'air.

Le couloir sombre entre les différences pièces insonorisées, s'emplit de sons divers, que l'on entend, par intermittence, en longeant la coursive. Des groupes hétéroclites, de jeunes et moins jeunes, mues par une même passion pour la musique, se retrouve éparpillé dans ces espaces, tout le long de cet étroit corridor. L'endroit est si différent des salles de cours de chants du lycée japonais.

L'équipe qui fait tourner l'endroit est bohème, l'ambiance cool, un rien mystique.

Perdu dans ses pensées, Uzu n'entend pas de suite que l'on annonce le titre de la première chanson. Au pied du mur il s'emmêle dans ses notes, ne trouve pas la bonne page et personne ne semble s'en soucier. On donne les dernières recommandations au batteur. Gabriel impose le silence, les guitaristes cessent leurs gratouillis et une boule de nerf s'éveille dans le fond de l'estomac du chanteur stressé.

-  Yann t'as branché l'over head ? demande le leader.

-  C'est fait chef.

-  Aller on envoie le jus ! entonne Math réactif.

-  Attend grande folle, il est pressé celui là ! Youdzeu' ça va ? Tu es bon ?

Yann son sauveur !

-  Je n'crois pas, je trouve pas les paroles.

-  Elles sont là, t'affole pas d'ac' ? On est entre-nous ok ? le rassure Gabriel.

-  Ok...

-  Aller gambatte* ! lance encore ce dernier.

Ça commence, la musique pénètre en lui doucement, son corps vibre et les murs du studio disparaissent. Il fait le vide. La batterie est calme, lourde, lente, profonde comme la nuit. De suite sa voix monte, il l'espère filante et claire.

Yann lui fait signe de se retourner et de viser le batteur, mais ses yeux restent fermés. Quoi, ne peut-il pas rester en lui-même, se concentrer ?

-  Ouais Youz', Yann à raison, stoppe Gabriel. En concert tu pourras pas, là oui, profite, calle-toi sur Jeff. La batterie, c'est comme les battements d'ton cœur, l'son t'aide bien sûr mais y'a beaucoup d'chose qui passent entre toi et les zicos, regardez-vous ! lui indique le leader.

- Il manque pas d'air ! réfléchit Uzu tout-à-coup.

N'était-ce pas lui, qui, il y a quelques minutes, l'égueulait pour avoir, soit disant, dévoré des yeux, son ex ?

 

- Les battements de ton petit cœur ! Roo c'est beau c'qui dit, les mecs !

-  Ta gueule Math ! On r'prend ! râle une fois de plus Gabriel.

Une chaleur étrange envahi le japonais dès qu'il se met à clairement écouter la musique qui monte autour de lui. Il se concentre en pensant aux indications données par Yann un peu plus tôt. Le chant s'envole. Trente sept secondes de duo : batterie pondérée et voix de tête. La chaleur augmente lorsque le la basse les rejoint.

- Non ! Les voilà les battements de mon cœur, cette basse ! estime-t-il.

De nouveau une trentaine de secondes et le son du synthé pénètre la bulle à son tour. Steph envoie des étoiles avec son clavier. Petites paillettes au milieu de cette nuit de sons lourds. Des lumières étincelantes, que la guitare rythmique de Math reprend aussitôt et amplifie. L'appréhension à disparue. Il dépasse le niveau, s'élevant au-dessus du solo de guitare de Gabriel, se battant avec elle pour cette première place, celle-là même qui fait lever le soleil au milieu de la nuit. Plus rien ne parait pouvoir arrêter son ascension. Quand la musique cesse quelque chose en lui, s'apaise. Le calme soudain est vite brisé par les cris satisfaits.

- Putain il la rentre ! J'le crois pas. T'es un bon Youz' ! l'acclame le guitariste rythmique.

- Un ton plus haut ! Je l'avais dit ! se vente Yann fier de lui autant que de son « poulain ».

- On passe à la suivante, si on veut jouer sur scène faut voir c'qui passe facile et c'qui s'ra pas possible à faire si vite, décide Gabriel stoïque.

*

Quelques heures plus tard.

Liam se racle la gorge à son entrée, histoire de faire remarquer à son colocataire venant de passer tout juste la porte, qu'il se tient là et souhaite lui parler. Yann, lui, est fatiguée par cette journée de répétition.

Je voulais éclaircir ce qui s'est passé ce matin, affirme Liam gêné.

Ça me semblait pourtant déjà très clair chéri ! répond Yann mimant le bisou d'une manière déplacée et caricaturale en passant devant lui, sa basse sur son dos et ses sacs à bouts de bras.

Je crois qu'une partie de moi te... t'apprécie. avoue Liam avec sérieux.

Visiblement Yann n'échappera pas à la mise au point, il pose rapidement ses bagages à main.

- ...

Mais, tu agis de telle manière que je ne me sens pas assez fort pour supporter ce genre de relation. Je suis désolé de cet écart. J'essayerai de faire en sorte que ça ne se reproduise pus à l'avenir.

Je vois. C'est merveilleux...lance l'androgyne sèchement en haussant les épaules, se baissant pour récupérer son bien. Il commence à monter les marches qui vont à sa chambre sans se préoccuper de l'autre.

C'est tout ? Tu ne souhaites pas en discuter ?

Discuter de quoi ? Tu as tout dis non ?

Mais toi, tu en penses quoi ? l'interroge le blond déconcerté par son manque d'intérêt.

Ha parce que mon avis t'intéresse maintenant ? feint-il de s'étonner en faisant demi-tour pour lui répondre. Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Tu me traites comme si je sortais du caniveau, prêt à croire que je ne suis qu'une raclure qui vend son corps pour le plaisir d'avoir un peu plus d'argent à dépenser. Tu me lorgnes de ton piédestal telle une pauvre petite chose stupide, et tu oses dire que tu... m'apprécies ! Tu n'es même pas capable de mettre des mots vrais et d'être clair sur ce que tu ressents. Nan mais laisse-moi rire ! Tu n'me connais même pas, qui je suis hein ? Qui je suis ?

Tu exagères, c'est toi qui m'as fait croire tout ça ! Jamais je n'aurais pensé une chose pareille si tu ne me l'avais pas raconté ! Et les gens qui se retrouvent à devoir se prostituer ne sont pas tous des...

Haaa ça va !  Sois honnête avec toi-même, pour qui me prenais-tu avant que j'invente ça ? Il ne t'aura suffit que d'une excuse.

Il se rend compte que Yann n'a pas vraiment tort, cette chose qu'il cache, cette sorte de nuage au-dessus de sa vie, Liam l'a interprété comme bon lui semble.

Tu attends quoi de moi exactement ? Poursuit Yann, remonté par une colère jusqu'alors latente. Si tu en avais après mon cul, fallait profiter de ta chance le jour ou je t'ai juré que je ne coucherais plus qu'avec toi. Au lieu de ça, tu as piétinée l'idée dès le lendemain en t'affichant et en passant la nuit avec... Avec... l'autre playboy sans cerveau ! Tu as cru trouver un cul plus intéressant c'est ça ?

- Quoi ?

- Ça ne t'as pourtant pas suffit, le lendemain matin voilà que tu me sautes sur le grappin et je suis assez con pour te laisser faire c'qu'il y a de mieux ! Et maintenant quoi ? Revirement de nouveau, tu trouves une excuse bidon pour expliquer ton comportement ? De nous deux, la salope dans l'histoire, pas sûr que ce soit moi !

Tu es si agressif, tout le temps blessant, c'est dommage... Moi je ne peux pas faire face à ça. Honnêtement, toi avec ce comportement là, tu attends quoi de moi ?

Rien, tu m'saouls !

*

Autres temps autre lieux, Uzu s'agite sous les draps, la sueur perle sur son front, Gabriel hésite à le réveiller. Une nouvelle nuit agitée. Il n'a pas envie que son ami s'inquiète, faut-il le laisser aux prises avec ses cauchemars ? Les aura-t-il oubliés à son réveil, s'il le laisse poursuivre ?

 

Une voix de femme parla très fort dans une langue qu'il ne connaissait pas, un des deux jeunes hommes présents, lui répondit à moitié en français d'une façon très agressive. Lui hurla dessus puis referma la porte sur elle.

 

- Ziva t'es j'té p'tain, elle va appeler les shmits ta daronne, le prévint son invité.

- Ferme ta gueule et lève ton cul ! J'men tape des keufs, répliqua le maître des lieux plutôt excédé.

Uzu allongé remua, pourtant malgré tout ses efforts, un de ses yeux s'ouvrant à peine et l'autre totalement fermé, il n'arriva pas à identifier les personnes parlant à ses côtés. Il devina cependant que l'un deux habitait là, le plus énervé et que l'autre devait être son pote.

-Y va s'casser la gueule en bas d'mon lit s'boufon si y continu, râla-t-il encore.

- Putain Man' tu fais ièche bouge pas ! T'vois pas qu'on t'sort d'là blaireau ! Va y enfile lui ça avant qui s'car.

Les mots du second ne furent pas plus aimables mais le ton différait, plus conciliant. Ils l'habillèrent, le retournèrent. Peut importe la position dans la quelle il se trouvait, il ne réussissait pas à les voir. Il aperçu dans un coin de son œil la fenêtre d'où provenait une pâle lumière. Une moquette grise apparut sous les vêtements jetés à terre, un coin d'armoire en contre plaqué, rien de plus.

 

Gabriel s'assoit, inquiet. Il est perplexe, quelle décision prendre ? Son petit ami se contorsionne et même s'il ne pousse pas de cris comme les autres fois, il est indéniable qu'il ne rêve pas tranquillement.

 

- Radouane bouge de là j'y vois queud', vociféra le plus agressif.

Radouane, le nom résonna aux oreilles de Uzu.

- Ils lui ont fait la mizer à s'gars quand même, déclara l'autre en passant un doigt sur le visage tuméfié du japonais.

Ce Radouane sembla avoir pitié de l'inconnu se trouvant là, sans défense et dépendant d'eux.

- C'est s'qu'arrive quand t'es une tarlouze, répliqua l'autre s'efforçant de ne pas porter attention à la victime gisant sur son lit.

- Tu peux parler ! répondit son pote. P'tain Rachid fait pas l'crevard, c'est trop la dèche, il a même pas d'groles ! ajouta-t-il.

Rachid...  

Le regard des deux jeunes s'arrêta sur lui un moment, Uzu le senti peser.

- Vazi t'as fumé ? J'vais pas non plus lui filler mes godasses ! D'toute façon j'ai pas sa taille. Bon on y Go ?

Rachid, bien décidé à ne pas s'appesantir, n'ayant de toute façon pas le temps pour ça, s'approcha de la fenêtre.

- T'as vu ? Ça craint, téma y'a l'soleil y pointe son zen c'bâ-tard, on va s'faire capter directe, lui fait remarqué Radouane.

- Putain t'es grav' lourd, tu crois quoi ? Qui vont s'lever après la défonce d'hier ? C'est pas des coqs !

- Après ? T'es bien d'bout toi !

- Ouais bha ch'uis pas clair mon gars ! Sur la vie d'oim c'est tous des boloss t'façon, rien à craindre.

-T'es ouf toi, tu prends trop la confiance.

En vérité ce Rachid essayait certainement de se rassurer. Jouant au petit chef, il donna des ordres que l'autre suivit à la lettre sans se plaindre pendant presque une demi-heure.

- Met lui la capuche, si on voit sa face on s'fait niké. C'est bon ? Il est sapé, on l'descend maintenant ou t'es décidé à lui faire la conv?

L'ascenseur de nouveau, la même odeur d'urine. Ses pieds ne touchèrent pas le sol, soulevés de terre, tiré par le haut comme à l'aller. Chaque mouvement lui donna envie de hurler de douleur. Déposé contre un mur dans le hall, il se senti glisser bien qu'une main le cramponnait fermement. Son visage frôla celui du fameux Radouane qui le maintenait. Cette figure passa dans le champ de vision restreint qu'était le sien.

Métissé, plutôt black ou bien vraiment très mate de peau, il ne l'avait jamais vu, c'était certain, cette tête là lui était totalement inconnue. Il s'attendait à reconnaître un de ses assaillants, il n'en fut rien.

 

Gabriel lui caresse la tête en lui parlant tout bas.

- Mon amour réveille-toi, assieds-toi.

Uzu est réveillé mais pas question d'ouvrir les yeux, il doit savoir, il y a trop longtemps qu'il attend la fin de cette histoire.

 

- Va y j'ramène la gova, planque-le, exige soudainement Rachid, prenant de cours son copain.

- Ziva tu m'laisses pas là bâtard, j'vais m'faire tèje !

Mais Rachid les abandonna pour disparaître en courant dehors.

 

Sa respiration s'accélère, ses narines se dilatent, sa bouche s'ouvre. Il suffoque, Il n'y a pourtant aucune raison à ça.

- Youz' ? Qu'est-ce qui t'arrive ?

 

Une porte vitrée, le silence, le sol sale, une nausée lui monta, la peur chez son interlocuteur, fut communicative, il se mit à respirer mal. Il se souvient avoir eut l'impression de se noyer. Ses bourreaux allaient-ils les surprendre ?

- Youz' ! Réveille-toi maint'nant !

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