“Après quatre années de combats acharnés, Clytène et ses alliés sortirent victorieux de la Guerre des Chaînes. Les trois cités vaincues payèrent le prix fort de leur défaite. Brynène et Myrthène furent contraintes de signer un traité de tribut, s'engageant à livrer chaque année cinquante hommes et femmes à Clytène, le premier jour du mois de Svena. Ce jour n’est que désolation, amertume d’une défaite cruelle : un jour maudit où la liberté s’effondre sous le poids des chaînes. On raconte que là-bas, les collines résonnent des cris des mères à qui l’on arrache leurs enfants et des sanglots des amants, séparés à jamais.“
Chroniques de l’Archipel, La Voix Errante
Hésione
An 125 après les Premiers Pas
C’était un de ces jours lourds, étouffants, où l’air semblait figé. A l’intérieur du palais de pierre blanche, Hésione avait pu bénéficier d’une fraîcheur agréable. A présent, assise dehors, en face de l’eau, elle avait l’impression de suffoquer. Elle releva ses épais cheveux de jais au-dessus de sa nuque moite et s’éventa d’une main lasse. Devant elle, le port de Clytène s’étendait, vaste et vibrant. Le soleil miroitait à la surface d’une mer endormie, qu’aucune brise ne venait troubler. A cette heure d’affluence, tous s’agitaient comme les abeilles d’une ruche : les marins couraient, les recruteurs hélaient les passants, les capitaines criaient des ordres à tous vas. Des navires accostaient en file, chargés de blé, de fruits et de légumes. Cilo avait été généreux cette année. Personne n’aurait à souffrir la famine lorsque l’hiver viendrait.
Hésione jeta un coup d’œil aux soldats qui les entouraient. Sous leurs lourdes armures, elle se demandait comment ils ne fondaient pas sur place. Elle-même, vêtue d’une légère robe en lin, sentait déjà un filet de sueur couler le long de son dos.
Laïs s’approcha d’elle, posa sa petite main sur la sienne.
- Il arrive bientôt ?
Hésione caressa la joue de la fillette en souriant.
- On attend encore un peu, et si le bateau tarde trop, on rentrera.
Laïs hocha la tête et retourna s'asseoir à côté de sa mère, à l’abri d’un large drap tendu. Cette dernière avait le regard fixe, préoccupé. Elle caressa de sa main droite la joue de Laïs, qui commença à jouer avec ses bracelets scintillants.
Cela faisait quinze ans qu’Hésione servait Aséis. Elle avait assisté à son mariage avec l’Archonte et vu naître Laïs. Hésione se souvenait encore du jour de l’accouchement. C’était le mois de Svena, le plus froid de l’année. Dehors, le vent faisait trembler les arbres, d’une telle force qu’ils semblaient prêts de se déraciner. Le froid parvenait à s’immiscer à travers les murs du palais, malgré les nombreux feux allumés et tous grelottaient sous leur manteaux. On avait installé la mère dans une petite chambre d'habitude inutilisée, qui était la seule à pouvoir garder un peu de chaleur. Celle-ci n’était que très peu meublée, et complètement dénuée de décorations. C’était dans cette vétuste pièce que Hésione assista à la naissance de l’enfant tant désirée. Une nuit entière de douleur et d’angoisse.
L’Archonte tenait la main de sa femme, pâle d’inquiétude, tandis qu’Hésione épongeait le front brûlant de sa maîtresse, sans jamais cesser de lui parler. Le médecin doutait de la survie de la mère comme de l’enfant. Le silence était pesant. On n’entendait rien d’autre que le vent, qui emportait avec lui les gémissements d’Aséis. Hésione l’aimait déjà profondément. Elle s’était pourtant empêchée de pleurer. Pour chasser la peur, elle avait raconté des histoires de sa terre natale, les Cent-Lacs. Elle avait puisé dans ses souvenirs pour narrer la légende des oiseaux dorés, celle de l’ours et du pêcheur, et bien d’autres encore. Au petit matin, Laïs était née. C’était une enfant miraculée. Une jolie petite fille aux grands yeux noisette. Une promesse de bonheur. Hésione était sortie, laissant les jeunes parents à leur béatitude. Elle les avait entendu pleurer de joie.
Hésione croisa le regard d’Aséis. Ses yeux bruns trahissaient son impatience. Cela faisait plus d’une heure qu’ils attendaient le navire qui devait ramener Vétias après quatre années passées à Asène. Vétias y avait parfait son éducation sous la tutelle de Hyasis, sa tante. Ses parents avaient voulu lui donner à voir d’autres horizons, et ils savaient que la sœur d’Aséis serait une figure capable de beaucoup apprendre à leur fils. Il avait désormais quatorze ans.
Le jour de son départ, Vétias n’était qu’un enfant. Il avait souri pour rassurer sa petite sœur et ses parents, mais dès qu’il leur avait tourné le dos pour monter à bord du bateau qui le séparait d’eux, les larmes avaient dévalé sur son visage. Hésione lui avait tendu la main pour l’aider à monter sur le ponton, et il l’avait serrée avec force. “Courage” lui avait-elle dit. Il avait hoché la tête. Une fois à bord, Vétias s’était retourné pour saluer une dernière fois sa famille, sur le quai. Il avait encore souri, ne voulant rien laisser paraître de sa tristesse. Hésione avait été impressionnée par son assurance.
Elle ne l’avait pas vu naître. Fils du premier mariage de l’Archonte, il avait un an à peine lorsque son père s’était remarié. Il se trouvait par conséquent dans une position plus délicate que celle de sa soeur. Cela n’avait pourtant jamais affecté sa bonne humeur : il était aussi rayonnant qu’un soleil. Il avait toujours mille idées : il savait inventer de rocambolesques histoires avec Laïs lors de leurs jeux, et faisait rire tout le palais avec ses farces et traits d’esprit. Hésione se posait mille questions : Avait-il beaucoup changé ? Était-il toujours le jeune garçon espiègle et vif qu’elle avait vu partir ?
Aséis se leva, épousseta sa robe crème.
- Nous avons assez attendu. Hésione, peux-tu raccompagner Laïs à l’intérieur, s’il te plaît ? Je vais rester ici.
Hésione acquiesça et regagna le palais avec sa protégée.
Il fallut attendre le soir pour qu’enfin, on annonce son retour.
Hésione avait passé l’après-midi dans la grande bibliothèque, lisant avec Laïs, à l’abri de la chaleur. Le temps semblait filer en un éclair lorsque toutes deux se plongeaient dans les récits des Premiers Pas. Les Hommes qui avaient découvert l’Archipel, il y a plus d’un siècle, avaient fait le récit de leur arrivée, de leur installation et de la création des cités.
Venus de terres glacées, infertiles, ravagées par des tempêtes de neige, ils avaient trouvé en l’Archipel le berceau d’une civilisation nouvelle. Un paradis après un périple de longs mois, sur des voiliers de fortune à travers l’océan. Hésione aimait raconter leur traversée à Laïs, décrire leur joie lorsque, débarqués sur l’Archipel, ils étaient tombés à genoux, pour embrasser le sable avec ferveur. Cette terre était devenue la leur. Laïs avait appris à lire de sa petite voix ces récits épiques, et elle ne pouvait contenir son émotion en découvrant le périple de ses ancêtres.
Lorsque la nouvelle de l’arrivée de Vétias leur parvint, elles retournèrent dans la chambre de Laïs et Hésione l’aida à se préparer, tressant ses cheveux avec soin.
- Ne bouge pas, murmura Hésione tandis qu’elle agrémentait la coiffure de Laïs de bijoux d’or.
- J’ai hâte de voir Vétias. La dernière fois, il faisait cette taille.
Laïs désigna une encoche sur le mur de la chambre.
- Quelle taille il va faire maintenant, tu penses ? questionna Hésione, attendrie.
- Aussi grand que Papa !
Laïs fronça les sourcils, se reprit.
- Non, plus petit quand même. Mais presque la même taille. De toute façon, ce n’est pas très important. Je veux juste qu’il recommence à jouer avec moi.
Laïs tourna la tête en direction de la fenêtre.
- On joue toujours aux marins. Il a dit qu’il serait capitaine de navire. Comme le capitaine Pelias. Il sera comme lui plus tard. Du moins, c’est ce qu’il m’a dit.
- Et toi aussi, tu seras capitaine?
La petite fille haussa les épaules.
- Je ne sais pas. Vétias a dit que je serai le capitaine Lala.
Hésione sourit et Laïs éclata d’un rire cristallin.
- Ce n’est pas très sérieux !
Une fois la coiffure achevée, toutes deux prirent la direction de la salle des fêtes. Laïs ne cessait de mordiller une de ses tresses, le regard perdu dans le vide. Elle appréhendait le retour de ce frère aîné qui lui avait tant manqué.
Le banquet en l’honneur du retour de Vétias promettait d’être grandiose. Au palais, les fêtes étaient souvent éblouissantes, mais celle-ci le serait encore davantage. Cet événement avait rassemblé la cour toute entière et l’impatience se lisait sur tous les visages, depuis ce matin. Dès qu’Hésione franchit le seuil, elle fut éblouie. La vaisselle, le mobilier, les tentures : tout scintillait d’or. Des centaines de bougies avaient été savamment disposées, et du plafond pendaient de longues guirlandes dorées. On avait l’impression qu’une pluie de lumière tombait doucement sur l’assemblée. Les conversations allaient bon train, les voix se mêlaient aux claquements des sandales des esclaves qui allaient remplir les coupes des convives avec empressement. Hésione sentait l’odeur sucrée du vin d’Asène, mêlée à celle des herbes aromatiques qui brûlaient dans un immense encensoir au centre de la salle. La table de l’Archonte surplombait celles des invités, disposées en U. Laïs sourit, tout aussi émerveillée qu’Hésione.
- C’est beau !
Soudain, un claquement de mains fit taire les conversations. Pysctas Orphane, grand conseiller de l’Archonte, s’avança d’un pas solennel :
- Mes chers amis, permettez-moi d’interrompre vos conversations. Notre cher Vétias est de retour.
Un murmure parcourut l’Assemblée, et les regards se tournèrent vers la grande porte. L’attente se prolongea un instant, puis elle s’ouvrit. L’Archonte, Aséis et Vétias entrèrent d’un pas assuré. Tous les invités courbèrent respectueusement la tête, qu’ils relevèrent bien vite afin d’observer le fils de l’Archonte. Vétias avait changé. Hésione avait quitté un petit garçon joufflu et souriant, elle retrouvait un grand adolescent au visage fin et à l’air dur. Son regard sévère -le même que celui de son père- balayait la salle, sans s’arrêter sur personne.
Pysctas leva le bras. La musique retentit. Une trentaine de musiciens jouaient avec entrain, liés dans une grandiose mélodie. Bien vite, l’assemblée rejoignit les tables. Chacun chercha sa place avec hâte. Les invités qui avaient l’honneur d’être les plus proches de la table de l’Archonte ne purent retenir des cris de joie et sourires satisfaits. Déjà, on disposait les plats à table. Des poissons rôtis au miel, des crustacés, des volailles parfumées, des galettes à l’ail, tant de plats qu’Hésione ne pouvait tous les énumérer. Elle aperçut même des oursins, un mets si rare que seules les familles les plus riches pouvaient s’en procurer. Hésione accompagna Laïs jusqu’à sa place sur la table principale, à côté de sa mère, puis elle s’éclipsa, allant se poster en retrait contre une colonne de marbre frais.
- Hésione.
- Keleon, je ne t’avais pas vu.
- Je ne t’ai pas vu non plus, répondit le vieil esclave avec un sourire espiègle. Mais je reconnais ton pas.
Keleon tenait sa canne de bois dans une main et réajustait le bandage qui couvrait ses yeux de l’autre.
- Comment est-il ? A-t-il changé ?
Hésione posa son regard sur l’intéressé. Il se tenait très droit sur sa chaise, le port de tête haut. Il paraissait être une de ces imposantes statues de marbre du jardin du palais.
- Il est plus grand, plus mince. Plus… sérieux.
- C’est souvent ce qui arrive lorsqu’on grandit, oui. Ne peux-tu pas être plus précise ?
- Je ne sais pas trop quoi te dire de plus, murmura Hésione.
- Je n’ai plus mes yeux, Hésione, alors sois mes yeux pour cette soirée, tu veux bien ?
Keleon était aveugle depuis aussi longtemps qu’il était esclave. Il faisait partie du tribut d’esclaves que Clytène réclamait chaque année des cités vaincues. Il avait été repéré quelques années plus tôt pour son haut niveau d’instruction et était devenu le précepteur des enfants de l’Archonte.
Hésione l’appréciait. Il percevait les choses auxquelles personne ne faisait attention.
- A-t-il le visage d’un enfant qui retrouve sa famille ?
- Non. Plutôt celui d’un conquérant qui revient de guerre.
Keleon laissa échapper un petit rire.
- Il a un rôle à tenir.
Il y eut un silence, puis Keleon se lança sur un autre sujet :
- Tu as accompagné Aséis lors de l’offrande à Cilo ?
- Oui. Je n’étais jamais rentrée dans la Tour des Miracles.
- Je ne suis jamais allé plus haut que le rez-de-chaussée, alors dis-moi comment c’est, plus haut.
- Magnifique.
Hésione raconta ce qu’elle avait vu, puis le sujet dériva sur les Jeux à venir. Ils restèrent ensemble, à l’écart du tumulte, parlant à voix basse tandis que s’enchaînaient le repas, les conversations et les danses. Hésione finit par bâiller.
- Il se fait tard.
- Très tard, rectifia Keleon. Tu devrais aller coucher Laïs.
Hésione s’avança vers la table principale et s’accroupit derrière la fillette :
- Tu es fatiguée ? On peut y aller si tu veux.
- Je regarde papa et maman danser, répondit l’enfant avec un sourire rêveur.
Aséis tourbillonnait, gracieuse, son voile s’enroulant autour d’elle comme une brume de soie. Son mari la tenait par la main, leurs pas en parfaite harmonie. Par moments, il l’attirait contre lui, leurs visages si proches qu’un murmure aurait suffi à briser le silence. Puis ils s’écartaient, comme séparés par une force invisible. L’Archonte était le soleil en habits d’or ; Aséis, la lune en robe blanche. Autour d’eux, les danseurs n’étaient que poussières, gravitant autour des deux astres resplendissants.
Hésione souriait encore lorsque son regard croisa celui de Vétias. Il ne dit rien. Ses yeux s’arrêtèrent sur elle une seconde, puis glissèrent jusqu’à Keleon.
- Keleon ! s’écria-t-il d’une voix qui avait commencé à muer, incertaine encore, mais déjà autoritaire. Viens ici.
Le précepteur s’avança lentement, appuyé sur sa canne et s’inclina.
- Je suis heureux de ton retour, Vétias.
Un rictus tordit la bouche du jeune adolescent.
- Tu n’as pas changé, Keleon. Quoique, tu as un peu vieilli. Tu marches comme un vieillard, désormais.
Keleon sourit.
- Mon corps me rappelle le temps qui passe. Mais mon esprit, lui, reste vif.
Vétias ne répondit pas. Son air était devenu moqueur. Il leva sa coupe, qu’une esclave remplit aussitôt de vin. L’adolescent la saisit, l’observa un instant – puis la laissa tomber. Le métal heurta le sol dans un grand fracas, éclaboussant la tunique de Keleon. La musique couvrit cependant le bruit.
- Oh.
L’esclave qui avait servi la coupe se précipita pour la ramasser mais Vétias l’arrêta d’un simple geste.
- Non. Keleon. Peux-tu ramasser ma coupe ?
- Je crains de ne pas pouvoir me baisser si facilement.
- Ramasse-là, répéta Vétias, plus fort.
L’esclave eut une expression étonnée, et bégaya quelques phrases incertaines. Les quelques personnes encore attablées observaient la scène sans vraiment y prêter attention. Keleon attendit, s’imaginant peut-être que son jeune maître allait se raviser. Cependant, Vétias le toisait avec sévérité. Il ne plaisantait pas. Il ordonnait. Hésione serra les poings, avança d’un pas, médusée. Elle ne comprenait pas cette demande ridicule. Qu’est-ce qui lui prend ?
Lentement, douloureusement, Keleon tenta de plier les genoux. Ses doigts tremblaient autour de sa canne, son souffle devint court. Il descendit, centimètre par centimètre, comme si le mouvement de chaque articulation lui était pénible. Son dos se voûta. Ses jambes faiblirent.
Un genou toucha le sol dans un craquement à peine audible. Puis l’autre. Il posa une main tremblante au sol pour garder l’équilibre. Mais cela ne suffit pas. Dans un gémissement de douleur, il s’effondra à quatre pattes, sa canne tombant dans un bruit sec contre la coupe, qui roula sous la table. Keleon, maintenant à genoux, chercha la coupe à tâtons, ses mains frottant le sol avec une lenteur désespérante. Laïs, indignée, voulut se lever, mais la voix sèche de Vétias la cloua sur place.
— Ne bouge pas.
Personne ne voulut prêter attention à cette cruelle scène qui contrastait avec la joie des danses et des heureuses discussions.
Pendant un moment qui sembla une éternité, Keleon continua à remuer le bras sous la table, le dos courbé. Hésione n’y tint plus. Elle s’avança d’un pas ferme.
— Je ne t’y autorise pas, déclara l’adolescent.
Hésione l’ignora. Elle s’accroupit à son tour, attrapa la coupe et la posa devant Vétias avec fermeté. Puis elle ramassa la canne, la glissa dans la main de Keleon et l’aida à se relever.
- Je t’ai dit de ne pas l’aider !
- C’est ridicule, Vétias. Et cruel.
Vétias se leva. Plus grand que Hésione d’une tête, il la toisa avec sévérité.
- As-tu oublié qui tu étais ? Te crois-tu privilégiée ?
- Non, répondit Hésione. Tu es mon maître. Mais tu as été injuste.
- Il ne t’appartient pas de juger mes actes.
- Les dieux les jugeront. Tu as tort de te croire tout permis.
Vétias leva la main, et gifla violemment Hésione. Ce geste fit pivoter sa tête de quelques centimètres. Elle ressentit aussitôt une vive brûlure et se mordit les lèvres. Surtout, ne pas pleurer. Surtout, ne pas riposter. L’esclave recula d’un pas, les yeux rivés sur le sol pour que Vétias ne voit pas son regard noir.
- Excuse-toi, lui intima le jeune garçon en se rasseyant.
Hésione resta immobile. Elle ne pouvait pas s’excuser. Ce n’est qu’un gamin prétentieux, gâté. Je ne m'abaisserai pas devant lui. Elle pensa à quitter la salle, mais elle savait que Vétias ne la laisserait pas en paix. Ce dont elle avait réellement envie, c’est de lui rendre sa gifle. Il le méritait. Elle se figura l’expression qu’il aurait, si elle osait ce geste impensable. Peut-être que cela lui remettrait les idées en place. Puis elle se souvint du sang qui coulait dans ses veines. Une telle riposte était impossible, elle était condamnée à subir passivement les caprices de cet enfant, en espérant qu’il se lasserait de son silence.
Hésione se sentait humiliée. L’acte de Vétias venait de cruellement lui rappeler sa condition d’esclave. Pourtant, elle ne pouvait le servir. Elle ne le respectait pas. Il n’est pas mon maître.
Elle fut sauvée par l’arrivée de l’Archonte. Ce dernier revint s'asseoir et saisit les épaules de son fils.
- Vétias. La fête te plaît ?
Le garçon acquiesça, les lèvres pincées. Keleon profita de l’arrivée du père de Vétias pour s’éloigner, chancelant légèrement. Vétias le regarda partir, les lèvres serrées. Hésione se rapprocha de sa jeune protégée.
- Viens, Laïs. Il est temps de dormir.
La petite fille se leva sans un mot, serra la main d’Hésione, les yeux embués. Sans un regard en arrière, elles partirent.
Hésione s’assit sur les marches qui menaient aux splendides jardins du palais. Laïs s’était endormie avec difficulté, troublée par la scène à laquelle elle avait assisté. Elle s’était glissée dans ses draps, puis une larme avait roulée sur sa joue. Elle ne pouvait comprendre pourquoi le grand frère qu’elle adulait tant était devenu ainsi. La cruauté était un concept qui lui était encore inconnu, et que son coeur innocent ne parvenait à accepter. Hésione l’avait serrée dans ses bras plusieurs fois, tout en la rassurant, en lui promettant que tout cela n’était qu’un malheureux incident, qui ne se reproduirait jamais.
Les invités avaient tous quitté les lieux. Hésione soupira. “Paix, Ashnari.” murmura-t-elle. “Paix.” Elle ne devait pas laisser la colère l’envahir. Elle essayait de se calmer, mais cela lui était impossible. Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Pourquoi est-il devenu…mauvais ? A chaque fois que sa respiration commençait à s’apaiser, elle repensait à la douleur de Keleon, à l'humiliation que l’adolescent lui avait fait subir. Elle ne savait tolérer une telle injustice. Plus que la colère, c’est de la déception qu’elle ressentait. Penser que l’amusant petit garçon qu’elle avait vu grandir était devenu un tortionnaire l’attristait.
Hésione entendit un bruissement d’étoffe derrière elle. Dans la pâle lueur de la lune, l’ombre d’une femme se découpait. La brise soulevait doucement le voile qui recouvrait ses épaules.
- Je te cherchais.
Aséis sourit.
- Veux-tu bien m’accompagner sur la terrasse ?
La terrasse était l’endroit favori d’Aséis. Elle y passait des heures à jouer de la harpe seule, à l’abri des regards. En effet, l’endroit était couvert par un enchevêtrement de glycines qui grimpaient sur une pergola de bois. Leurs longues fleurs violettes pendaient comme des rideaux, dissimulant la terrasse aux yeux de quiconque passait dans les jardins en contrebas. C’est dans ce cocon délicatement parfumé que la jeune femme aimait s’isoler. Seule avec sa harpe, Aséis y trouvait la paix.
Hésione se sentait privilégiée lorsque sa maîtresse lui en accordait l’accès. Aséis s’assit en et invita Hésione à faire de même. Ses yeux se voilèrent de chagrin.
- Il a tant changé.
Hésione hésita à parler. Elle ne voulait la pas peiner davantage.
- Lorsqu’il est arrivé, qu’il est descendu du bateau… il a… il n’a pas souri. Il ne m’a pas embrassée. Il était si…formel.
- Il vient à peine de rentrer, souffla Hésione, il faut lui laisser le temps de se…réadapter à Clytène.
- Non, c’est plus grave que ça. J’ai su ce qui s’était passé, Hésione.
- Je…
- J’ai été embrasser Laïs toute à l’heure. Elle ne parvenait pas à dormir. Elle m’a raconté ce qui s’était passé.
Hésione resta silencieuse, tandis que le regard d’Aséis s’attardait sur sa joue.
- Je suis désolée.
Aséis saisit les mains d’Hésione.
- Jamais je n’aurais pensé qu’il deviendrait ainsi. J’avais confiance en Hyasis mais je me rends compte que son influence a été mauvaise. Je croyais pourtant connaître ma sœur. Hésione, Vétias n’est pas de mon sang, mais il est mon fils de cœur. Je veux le retrouver.
Les deux femmes plongèrent un instant dans leurs pensées, leurs regards perdus. Aséis baissa les yeux. Elle semblait au bord des larmes. Elle passa ses mains dans ses cheveux crépus, tenta de retirer l’ornement qui les retenait en chignon, sans succès. Hésione se leva et l’aida avant de déclarer :
- Ne t’inquiète pas. Vétias deviendra un bon garçon. Nul doute que grâce à ton exemple, il sera changé.
- Je l’espère, mais…
Sa voix se brisa. Hésione se hâte de réconforter sa maîtresse.
- J’en suis certaine. Je m’en assurerai personnellement.
Cela sonnait comme une promesse. Aséis sourit doucement, se tourna vers sa harpe.
- Merci.
Cette parole s’évanouit dans un murmure tandis que les notes de la harpe s’épanouissaient dans l’air, portée par le silence de la nuit. Le regard de la musicienne se perdit quelques instants dans le vague alors que ses doigts dansaient sur les cordes. Au grand regret d’Hésione, elle s’interrompit soudainement, la regarda :
- Mais je ne sais pas si tu en auras le temps.
Hésione fronça les sourcils, intriguée par ces mots étranges.
- Tes jours près de moi sont comptés.
Et pas le dernier xD C'est bien d'avoir de la variété dans les persos pdv (=
Vive les persos féminins, t'as raison !! Il y en pas mal ici ah ah
J'espère qu'Hésione ne va pas trop le souffrir, elle a l'air si droite et humaine.
Trop bien, ça fait plaisir de lire ça ! Quant au devenir d'Hésione, je te laisse lire la suite...
Merci de ton comm (=
Super qu'il ait eu son petit effet ah ah ! Je t'invite à suivre les aventures d'hésione dans ses prochains chapitres...
je voulais mettre en avant mes citations préférées de ce chapitre, il y a beaucoup de phrases poétiques que je trouve très belles :)
"On avait l’impression qu’une pluie de lumière tombait doucement sur l’assemblée."
"L’Archonte était le soleil en habits d’or ; Aséis, la lune en robe blanche. Autour d’eux, les danseurs n’étaient que poussières, gravitant autour des deux astres resplendissants. "
"- Mon corps me rappelle le temps qui passe. Mais mon esprit, lui, reste vif."
"Alors qu’elle s’éloignait, les notes de la harpe s’épanouirent dans l’air, portées par le silence de la nuit. "
une petite faute de frappe que j'ai repérée :
"Hésione se hâte de réconforter sa maîtresse." => se hâta ?
bref merci pour ce chapitre, à bientôt ;)
Merci pour ton commentaire !!
Merci de ton retour !
Je saute sur ce nouveau chapitre - pour être franche, je rôdais ces derniers jours sur PA dans l'espoir que vous le publiez bientôt. Je vous fais mes commentaires au fil de la lecture :
Nouveau point de vue, nouvelle atmosphère, nouveaux enjeux. Je suis allée relire les chapitres précédents pour vérifier que je n'oubliais pas des noms, mais si je ne me trompe pas, ils sont tous nouveaux sauf la figure de l'Archonte. L'atmosphère est différente, ça fait une nouvelle page colorée qui s'ouvre.
“Courage” lui avait-elle dit. + "Hésione avait été impressionnée par son courage. " --> Ça fait doublon.
J'aime bien qu'on en apprenne plus, de manière indirecte, sur les premiers pas. Pas que les annotations compliquaient la lecture, mais c'est agréable de mieux comprendre l'univers et la chronologie.
Par ailleurs, je trouve qu'il y a pas mal de personnages présentés dans ce chapitre, quand on les additionne aux précédents surtout, et j'avoue que j'ai un peu de mal à retenir qui est qui (un comble, compte tenu de ma propre histoire). Je pense qu'en lisant les chapitres directement les uns après les autres, la lecture en serait facilitée, mais je me demande quand les différents fils vont se rejoindre. Même si déjà ici, on a l'Archonte qui fait le lien, et bien sûr la réflexion sur l'esclavage.
" L’Archonte était le soleil en habits d’or ; Aséis, la lune en robe blanche. Autour d’eux, les danseurs n’étaient que poussières, gravitant autour des deux astres resplendissants. " --> Jolie image !
Vétias est devenu cruel, lors de ses années d'apprentissage… Et le fait est que, malgré toute la gentillesse que Hésione a pu recevoir, elle reste une esclave. C'est une vérité qui ne change pas : une cage dorée reste une cage…
"- Mais je ne sais pas si tu en auras le temps." --> Phrase énigmatique qui laisse présager le pire. Je reconnais bien la patte d'Édouard ! X) En tout cas l'atmosphère de fin est très douce, malgré les évènements et la tension qui s'installe. Un chapitre qui se lit sans faim - mais qui donne envie d'en savoir plus.
À bientôt !
Très content de voir ton intérêt pour cette histoire !!
Les chapitres sont en effet majoritairement nouveaux, même si Hyasis, la soeur d'Aséis, est évoquée dans le pdv de Phaèbe. Et bien sûr l'Archonte, un des liens évidents entre la majorité des pdvs du récit (=
Oui, c'est vrai que ce chapitre peut être un peu plus compliqué à ce niveau, avec pas mal de nouvelles têtes, notamment les enfants de l'Archonte et d'Aséis. On va réfléchir à un moyen de rendre tout ça plus digeste.
Oui, Hésione est brutalement ramenée à sa condition...
Quand à la chute, tu peux l'interpréter à ta guise...
Merci beaucoup de ton retour !!
A très vite (=
En effet, il y a pas mal de nouveaux personnages, on va arranger ça.
A très vite !