Mois II : Zuasyn - Casse-Fers

Notes de l’auteur : Hâte de vous lire (=

« Toutes les légendes maritimes se construisent autour d’un navire. Pelias commença à écrire la sienne à vingt ans, quand son père consentit enfin à lui confier un capitanat. Alors que Pysctas voulait faire appel aux meilleurs artisans de l’Archipel, lui préféra un chantier rapide, pour construire un voilier léger. À cette même époque, il racheta l’épave d’une trière de Filias le Sanglant, qui avait traversé toutes les batailles navales de la Guerre des Chaînes. 

Il n’en garda que la proue, une représentation en bronze massif de l’Hécate. Un gigantesque narval que les marins dépeignent comme la monture de la déesse Syvyne, qui apparaîtrait parfois avant les tempêtes.  Cette créature mystique donna son nom au navire qui suivit Pelias pendant ses dix années de voyage. »

Chroniques de l’Archipel, La Voix Errante

 

An 125 après les Premiers Pas

— Réfus…

Pelias avait grommelé ce prénom inconnu d’une voix rauque, sans s’éveiller. Allongé sur le sol de sa cabine, la tête contre sa couverture roulée en boule, il avait enroulé ses genoux entre ses bras, comme un nourrisson. Son front perlait d’une sueur qui se mêlait au sang d’une coupure au menton. Malgré les bons traitements, son corps peinait à guérir des tortures d’Ulya : il faudrait de longs vêtements pour le rendre présentable. Casse-Fers posa quelques biscuits secs et un pichet d’eau dans le coin de la remise. Le grincement de la planche sous son pas réveilla le prisonnier.

— Quel jour sommes-nous ?

Sa voix rauque avait résonné sans même qu’il ouvre les yeux. Le capitaine déchu leva ses bras, ébloui par la lumière du matin.

— Le dernier du mois de Zuasyn.

— Déjà… Nous arrivons, n’est-ce pas ?

— L’alizé a gonflé nos voiles toute la semaine. Les côtes d’Asène sont proches.

Casse-Fers s’était adressée à son prisonnier sans animosité, comme à un marin plutôt qu’à un ennemi. Elle le nourrissait tous les jours depuis le départ, lui expliquant l’avancée de l’expédition, lui décrivant les variations de la mer. Ils parlaient un même langage, forgé par d’innombrables voyages. De plus en plus, elle tendait à oublier son nom et ses crimes. Comment haïr l’esclavagiste en un homme enchaîné ?

— Demain ?

— Oui.

— Alors nous ne nous verrons plus, murmura Pelias.

— Qu’en sais-tu ?

— Même si la vénérable Syvyne m’offrait la vie, cela signifierait ta mort. Merci de m’avoir traité avec égard.

— Remercie-moi en obéissant demain.

— Même si je jouais mon rôle à la perfection, cette expédition est vouée à l’échec.

— Vraiment ?

— La Garde Orpheline d’Hyasis ne fera qu’une bouchée de vous. Même si vous preniez la ville, elle n’aura qu’à se réfugier dans son dôme en attendant les renforts de Clytène. Tu entraînes ton équipage à la mort. Renonce si tu veux vivre.

Casse-Fers frissonna en entendant ces mots. Elle connaissait tous les noms et les histoires des hommes et femmes qu’elle commandait. Avec Doros, elle les avait tous libérés de l’esclavage. L’amour qu’elle portait à chacun d’entre eux lui inspirait autant de courage que de peur. Était-elle vraiment capable de les mener à Asène et pour certains à la mort ? Était-elle digne d’être leur capitaine ? Elle répondit à Pelias avec une assurance qu’elle n’avait pas :

 — Je vis pour ce combat. Si j’abandonne, plus rien n’a de sens.

— Tu crois vraiment à un monde sans esclaves ?

— Si tu savais, toi et les tiens, ce que c’est de porter des chaînes, il n’y en aurait plus depuis longtemps. Il n’y a pas de bonheur sans liberté.

— C’est une belle utopie. Mais le monde est gouverné par le chaos, depuis toujours. Notre système organise pour limiter ses horreurs. Mon père me parlait souvent de la Guerre des Chaînes, de ses massacres, de ses charniers. Il vaut mieux la domination d’un que la guerre de tous. Comme Suspiro domine les autres dieux pour maintenir l’équilibre du monde.

Casse-Fers grimaça en entendant de telles aberrations. Les nobles étaient prêts à tout inventer pour préserver leur conscience. Le pire était de voir son interlocuteur convaincu par ce qu’il disait. Elle savait qu’il était inutile de débattre avec un homme élevé par Pysctas Orphane mais l’envie de répondre était trop forte :

—  L’équilibre du monde… L’esclavage n’a jamais empêché de guerres. Rien ne justifie que l’on viole, que l’on tue, que l’on batte à mort ! Que l’on subisse assez de violence pour douter d’être encore humain, pour désirer mourir !

En s’entendant crier, Casse-Fers réalisa combien l’émotion l’avait emportée. Comme par réflexe, elle avait porté la main à ses côtes, là où frappait tous les soirs la ceinture de son premier maître. Elle sentait encore ses blessures brûler sous la pluie, sécher au soleil et saigner dans ses draps. Elle se tut pour retenir autant les larmes qui affleuraient à ses paupières, qu’une colère destructrice. Elle se mordit la lèvre en revoyant Pelias tel qu’il était : une de ces ordures qui permettaient la souffrance et l’injustice.

— Je suis désolé pour ce que tu as subi, répondit le prisonnier d’une voix douce. Mais le fouet n’est pas responsable des coups du maître. La loi interdit de maltraiter les esclaves.

Cette réponse sembla si absurde à Casse-Fers qu’elle demeura bouche-bée, désespérée de faire au moins un peu comprendre à Pelias ce que subissaient ceux et celles qu’il vendait. Il ajouta :

— L’esclavage n’est pas une fatalité. On peut s’en affranchir. Mon arrière-grand-père était un esclave. C’est à force de travail que notre famille s’est élevée.

Pour son interlocutrice, apprendre les origines des Orphane eut l’effet d’un choc. C’était délirant. Les pires oppresseurs de l’Archipel, descendants d’esclave ? C’était incompréhensible. Comment des hommes pouvaient-ils reproduire les horreurs subies par leurs ancêtres ? C’était désespérant. Casse-Fers se demanda quel poids avait son combat face à de telles absurdités.

— Plusieurs matelots de l’Hécate étaient des affranchis. Ils étaient heureux de me servir.

— Seulement après avoir été libérés. As-tu déjà demandé à un esclave ce qu’il ressentait ?

— C’est dans son malheur que l’esclave doit trouver le courage de tout donner pour être libéré.

Une fois de plus, la pirate ne répondit rien. Elle ne pouvait rivaliser avec l’éducation et l’éloquence de Pelias alors même qu’elle savait au plus profond de son âme combien il avait tort. Elle se demanda s’il était seulement possible qu’un homme comme lui parvienne à comprendre le mal qu’il faisait. Écœurée, Casse-Fers fit un pas en arrière. Elle ne pouvait entendre un mot de plus. Son prisonnier la retint d’un signe de main désespérée, redoutant d’être seul.

— Attends ! Je suis désolé que mes paroles t’aient blessées. Je défendais mon opinion mais je comprends ta colère.

— Tu ne comprends rien du tout, répliqua Casse-Fers d’une voix sèche.

— Non, peut-être pas. Excuse ma maladresse.

— Tu ne comprends rien, répéta-t-elle d’une voix sourde, surprise par la reddition de son adversaire.

— Je crois que je n’ai jamais compris personne. Même ma propre femme m’est étrangère.

À ces mots, Pelias partit d’un étrange rire ironique, bientôt étouffé dans un râle de souffrance. La colère de Casse-Fers s’éteignit comme une bougie soufflée par le vent. Ses bras retombèrent contre son bassin tandis qu’elle regardait son prisonnier se tordre de douleur. Elle ne pouvait se réjouir de cette vision pathétique, pas même à cet instant. Pelias toussa de longues secondes, rouvrit une blessure au coude en se couvrant la bouche. Il finit par attraper le pichet d’eau, s’en offrit une longue rasade. Quand il eut retrouvé ses esprits, il se contenta de regarder Casse-Fers sans dire mot. Le silence s’étira comme aucun d’eux ne savait comment reprendre après un échange si absurde. Pourtant, l’un comme l’autre ne pouvaient se résoudre à arrêter là ce qui s’annonçait comme leur dernière conversation. Pelias se décida le premier :

— Parfois, j’entends ton équipage parler de toi sur le pont. Je ne sais pas ce que tu leur as fait pour qu’ils t’admirent à ce point.

— Il n’est pas difficile d’aimer une capitaine qui n’a pas encore essuyé de tempête.

— Si tu survis à celle qui vient, tu seras plus digne que personne de commander mon Hécate.

 

En pénétrant dans la baie d’Asène, Casse-Fers eut l’impression que son navire s’enfermait dans un piège aux allures de paradis. Les dunes de la côte disparurent peu à peu pour laisser place à une terre de roche brune d’où naissaient les remparts. Sculptés à même la pierre, ils s’étalaient en arc de cercle, comme des bras autour des centaines de petits toits de pierre grise. L’eau ne les traversait qu’à deux endroits ; à l’entrée du port située à droite de la baie, et au centre, pour irriguer les piscines. Casse-Fers s’y était baignée plusieurs fois pour surveiller les enfants de son deuxième maître. Derrière la cité, on devinait la vallée, avec sa flore sauvage, puis les montagnes avec leurs cimes acérées.

L’Hécate fendait les eaux turquoise en arborant le pavillon Orphane. Le soleil brillant dans leur dos les couvrait à une observation trop attentive des sentinelles. Il promenait des scintillements éblouissants à la surface. Les pirates pouvaient eux voir les longues traînées de fumée qui s’élevaient de l’intérieur de la ville, autour du palais de Hyasis. Le soulèvement avait commencé. Un regard dans sa longue-vue confirma à Casse-Fers que le port était déserté de bâtiments militaires. Doros avait tenu ses promesses. Tout était en place.

La femme de barre dut manœuvrer avec habileté pour éviter les îlots rocheux qui parsemaient la baie. Tandis que le navire se faufilait vers Asène, sa capitaine ordonna que l’on prépare Pelias. Elle réajusta son manteau de lin, qui devait la faire passer pour une marchande, s’assura que les quelques marins restés sur le pont étaient prêts. Une mouette traversa soudain le pont, jusqu’à frôler son épaule. La frayeur passée, Casse-Fers sourit : Doros lui avait appris que cela constituait un bon présage.

L’entrée du port était formée d’un grand arc de pierre crénelé. Seule une sentinelle y était perchée, elle disparut en courant dès qu’elle reconnut l’Hécate. Le navire passa dans son ombre dans un silence lourd. Seule une poignée d’asenais et de marins se tenaient sur les quais, ils s’approchèrent pour accueillir les nouveaux arrivants. S’ils se montraient surpris de ce débarquement, pas un ne semblait se douter du danger. Casse-Fers essuya son front poisseux tandis que l’on déroulait les ancres. L’Hécate opéra un dernier virage avant de s’immobiliser à quelques mètres de la jetée. C’était l’heure.

La capitaine traversa le pont d’un pas lent, puis avança sur la passerelle que l’on avait installée, suivie par Sylione. La jeune femme avait insisté pour prendre ce risque avec elle, affirmant que personne ne reconnaîtrait son visage. Casse-Fers avait cédé devant sa détermination. Désormais, elle crispait sa main à l’intérieur de sa tunique, prête à sortir son arme. Ses yeux peinaient à dissimuler sa rage intérieure, sa soif de sang. Casse-Fers soupira.

Après s’être d’abord reconnue en Sylione, elle la voyait désormais comme une nouvelle Ulya. Une âme consumée par la haine et la volonté de vengeance. Des retrouvailles avec sa sœur perdue demeuraient le seul espoir d’un potentiel apaisement. Un instant, Casse-Fers songea à sa propre sœur, se demanda si elle vivait encore, si elle ne se trouvait pas parmi les milliers d’esclaves d’Asène. Son esprit chassa bientôt cette chimère : si sa sœur avait survécu par miracle, elle ne la reconnaîtrait même pas.

Deux soldats asenais rejoignirent les débarqués. Malgré les battements effrénés de son cœur, Casse-Fers parvint à leur sourire. Même avec sa vie en jeu, ce n’était qu’un rôle. Ses ennemis des figurants, Asène une gigantesque scène de théâtre. L’homme le plus âgé, un barbu à la peau noire, prit la parole :

— Qui êtes-vous ? Où est votre capitaine ?

— Je suis Imène. Pelias s’est blessé lors d’une manœuvre. Il est alité.

— Pourquoi n’arrivez-vous qu’aujourd’hui ?

— Une épidémie s’est répandue dans le navire. Nous avons mouillé deux semaines au large de Myrthène pour nous ravitailler et isoler les malades. La majorité des esclaves sont morts, nous avons débarqués les survivants. Nous convoyons à la place des tapis et tentures destinés à Hyasis elle-même.

L’asenais ne put cacher un rictus narquois :

— Des tapis ? Voilà qui est original.

— Nous devons décharger la cargaison et nous réapprovisionner au plus vite pour le retour à Clytène.

— Vous n’arrivez pas au meilleur moment. La moitié des hommes a embarqué pour traquer Doros il y a deux semaines, le reste a été réquisitionné la semaine dernière. Des dizaines de gladiateurs se sont soulevés, emmenant des centaines d’esclaves à leur suite. On se bat encore dans les rues.

— Voilà qui est fâcheux. Dans ce cas, ouvrez-moi l’accès à un entrepôt, notre équipage se chargera de l’y déposer.

— Bien sûr. J’ai simplement besoin de l’accord de votre capitaine et d’inspecter la cargaison.

— Suivez-moi.

Le barbu et son camarade suivirent Casse-Fers sans une hésitation, comme pour une formalité. Sur le navire, la tension était cependant palpable : une seule erreur pouvait trahir leur couverture, donner l’alerte et faire échouer leur plan. Les matelots déguisés sur le pont jouèrent leur rôle à la perfection, saluant les nouveaux venus comme lors des répétitions. Elle guida ensuite les asenais vers sa cabine, réaménagée en chambre de Pelias. Le prisonnier était allongé les bras étendus sous une fine couverture blanche, le regard las. Deux femmes se tenaient à son chevet. L’une tenait une lame sous le drap, prête à tuer.

— Mes salutations, capitaine. Votre seconde m’a tout raconté. Que de mésaventures ! Je suis désolé de ne pouvoir vous accueillir dans de meilleures conditions. Si vous saviez ce qui est arrivé !

L’asenais se lança dans un discours interminable où il passa en revue tous les problèmes subis par Asène lors du mois écoulé. Cela eut le mérite d’apprendre à Casse-Fers qu’un dénommé Sarqios avait pris le commandement de la révolte. Ce nom inconnu la surprit : Doros préférait envoyer ses lieutenants les plus fidèles pour ce genre de mission. Quand le barbu se tut enfin, Pelias lui répondit :

— Je suis heureux d’enfin accoster. J’ai besoin de repos. Je vous laisse gérer le débarquement avec Imène.

— Avec grand plaisir !

Casse-Fers poussa un soupir de soulagement : la partie la plus délicate du plan avait réussi. Elle se doutait que Pelias lui obéirait : les gens de son rang aimaient trop vivre. Pourtant, elle n’avait pu s’empêcher de craindre un subit excès de bravoure vengeresse. Heureusement que les Orphane ne connaissaient pas le courage. Elle coupa l’asenais, qui semblait désireux de conversation :

— Le capitaine veut être seul, remontons.

À regret, le soldat la suivit. Elle l’amena à la cale, se hâta d’ouvrir plusieurs caisses et de les refermer. Il ne vit rien des dizaines d’armes cachées sous les tentures et acheva l’inspection d’un signe de tête. Après être sortis de l’Hécate, il donna une lourde clé de bronze à Casse-Fers et la mena aux entrepôts. Ils se situaient à seulement quelques minutes de marche, dans une rue déserte. Parfaite pour opérer. Puis il s’excusa :

— Je vais transmettre la nouvelle de votre arrivée à la Podestà. Je laisse mon lieutenant prêter main-forte. Il vous trouvera une auberge pour ce soir. Bon courage, je reviendrai vous voir demain.

— À demain.

L’homme s’éloigna d’un pas rapide, soulevant un petit nuage de poussière du sol aride. Casse-Fers le regarda marcher vers le dôme du palais d’Hyasis un rictus aux lèvres. Peut-être allaient-ils se retrouver bien avant. Sylione intervint :

— On aurait dû l’égorger pendant que personne regardait.

— Non. Il faut que l’on sache que Pelias est arrivé. Un navire non signalé serait suspect. Allez, dépêchons-nous, ils nous attendent.

Une fois de retour au port, Casse-Fers ordonna de débarquer la marchandise. Tout son équipage descendit les caisses chargées d’armes puis les porta vers l’entrepôt. Déçus de cette cargaison, moins divertissante que des esclaves, les curieux partirent un à un. Seul le lieutenant asenais demeura auprès des pirates, jusqu’à être attiré et tué dans la cale. Un homme et deux femmes restèrent à bord, pour garder Pelias et préparer le navire à une fuite précipitée au cas où les choses tournaient mal. Tout le reste de l’équipage se retrouva dans l’obscurité de l’entrepôt.

Là, ils se débarrassèrent avec joie de leurs lourds déguisements, s’armèrent et formèrent les trois groupes préparés la veille. Glisser une lame sous sa ceinture fut un geste étrange pour Casse-Fers. Cela faisait longtemps qu’elle se tenait à l’écart des combats et abordages. Elle espérait ne pas avoir à se battre. Telle était la mission du premier groupe, composé des meilleurs combattants. Ils attaqueraient directement les baraquements de la milice puis tenteraient de rallier les révoltés. Le second groupe devait mettre le feu au plus de bâtiment possible, pour achever de paralyser Asène. Pendant ce temps, elle mènerait le troisième vers la porte ouest pour l’ouvrir aux autres assaillants. La capitaine enfila avec eux des capes vertes, censées les confondre avec la milice asenaise.

Ce fut étrange de porter ce vêtement aussi familier que repoussant. Son premier maître conviait toujours des dizaines de miliciens lors de ses beuveries nocturnes, pour se garantir leur clémence. Ces soirées chaotiques demeuraient parmi les pires de son existence. Elle donna le signal du départ en tentant de cacher son émotion. Elle ne reverrait sans doute jamais plusieurs des hommes et femmes qui l’avaient suivie jusque-là, peut-être aucun. Dans l’action, elle ne pouvait réaliser ce qu’elle s’apprêtait à perdre.

Tant d’instants de camaraderies sur le navire, de solidarité et de courage. Cette volonté partagée d’aller au bout de ce plan fou, dans l’espoir de changer les choses. Toutes et tous rêvaient comme elle d’un monde meilleur, où l’on pourrait vivre sans chaînes. Certains la voyaient comme une sauveuse, d’autre comme une mère ou une grande sœur, elle les considérait tous comme ses amis. Son émoi était partagé et les étreintes se multiplièrent pendant ce dernier moment ensemble. Puis ce fut le départ.

Ils s’élancèrent dans les rues d’Asène avec discipline, avançant comme une troupe pressée par une urgence. Casse-Fers prit la tête, elle connaissait cette cité mieux que personne. Ils empruntèrent des ruelles étroites, loin des beaux quartiers du bord de mer, gravissant des marches inégales, piétinant des orties brûlées par le soleil. Ils devaient parfois se baisser pour éviter les fils où séchait le linge mouillé, s’écarter pour croiser les rares passants. Ils rencontrèrent plusieurs enfants, qui cessèrent leur jeu, médusés.

Asène n’avait pas changé en quatorze ans. Toujours ces maisons asymétriques avec leurs longs colombages, ces étages qui mordaient sur la rue pour gagner de l’espace, ces innombrables pigeons dont les défections teintaient le pavé de gris, ces misérables échoppes où l’on ne voyait jamais de client, ces ruelles aux toits noircis. Les incendies étaient fréquents ici, loin de tout point d’eau. Seules les plus riches habitations s’offraient le luxe d’une brique importée d’Andène. Quelques gerbes de fleurs fanées demeuraient aux balcons, derniers vestiges de la grande fête de Cilo.

La progression jusqu’à la porte ouest fut une formalité. Les regards soupçonneux de quelques vieillards furent le seul point d’alerte avant de paraître sur la place du fort. L’ancien cœur d’Asène, noyau historique de ses remparts, n’était plus qu’une curiosité historique. Son chemin de ronde tombait en ruines, sa tour ronde était désertée et le pavé se fissurait sous les pas. Seul un morceau de rempart était entretenu : celui autour de la porte. Cette construction de chêne massive, plus épaisse que la muraille, cerclée de cuivre au dessin liseré, constituait une merveille architecturale, élevée par les enfants des Premiers Hommes lors d’un chantier gigantesque. Elle était actionnée par un mécanisme complexe, unique dans l’Archipel dans de telles dimensions, qui permettait de la baisser et la soulever à l’aide de dizaines de chaînes. Doublée d’une herse massive, elle semblait destinée à repousser des hordes de guerriers alors qu’elle n’avait jamais subi d’assaut.

D’un coup d’œil, Casse-Fers estima le nombre de défenseurs : une quinzaine tout au plus. Certains ne portaient même pas d’armes. Deux somnolaient même au soleil. La vitesse de leur attaque serait décisive. Cette partie du plan mettrait à l’épreuve pour la première fois leur capacité d’improvisation : elle ne gardait de cette place qu’un souvenir lointain. En quelques gestes, elle répartit les assaillants. Il y avait deux escaliers autour de la porte, un autre trente mètres plus loin. Ses deux archers se postèrent derrière un tas de gravas. Savos et Valane étaient les meilleurs tireurs de l’équipage de Doros. Leurs traits s’étaient déjà révélés décisifs pendant des dizaines d’abordages.

Elle s’élança avec quatre personnes sur le premier escalier, ses armes dans le dos pour maintenir l’illusion, encore un peu. Les asenais les regardèrent monter en s’esclaffant. Comment pouvaient-ils se méfier après des années de service dans la garnison la plus calme de la cité ? Leurs regards devinrent inquiets lorsque Casse-Fers prit pied sur le chemin de ronde. Un éclat de vent souleva sa cape, dévoilant sa lame.

— Que se passe-t-il ? cria l’un d’eux. Les gladiateurs approchent ?

Il reçut pour réponse une flèche dans l’épaule. Son hurlement donna le signal de l’attaque. Les trois groupes de pirates coururent en même temps vers la porte, massacrant les sentinelles sur leur passage. Dispersés, les défenseurs ne purent opposer la moindre résistance. Seul leur capitaine parvint à fuir, il se replia derrière le mécanisme du pont mobile, entre les deux colosses qui y étaient enchaînés. C’était une vaste structure de bois et de bronze, usée par des décennies de soleil, avec trois grands treuils sur une dalle de cuivre. Il tenta de hurler mais la panique étouffa son cri. Désespéré, il ne tenta même pas de se défendre, enfonça sa lame dans les côtes d’un esclave avant d’être tué à son tour d’un jet de poignard.

Les deux corps s’affaissèrent l’un contre l’autre, soutenus par les chaînes, mêlant leur sang sur la rouille. Casse-Fers jura : elle devait miser tous ses espoirs sur le survivant. Ce géant, à la peau séchée par le soleil jetait un regard éberlué sur les nouveaux arrivants. Sa mâchoire tombait, aussi inanimée que ses bras ballants. Il ne pouvait comprendre ce qu’il se passait, absurdité après tant d’années de servitude. Les pirates le pressèrent de question sur l’ouverture du mécanisme mais il ne leur répondit rien. En même temps, Savos souffla dans son cor à trois reprises pour annoncer la prise de la porte. La réponse ne se fit pas attendre. Les renforts seraient là d’un instant à l’autre. Il fallait ouvrir. Casse-Fers rangea son arme et ordonna :

— Reculez !

Elle avança vers l’esclave d’un pas doux, avança lentement sa main vers son bras. Il se laissa caresser la main, immobile.

 — Tu es libre, murmura-t-elle. Nous avons besoin que tu ouvres. Montre-nous.

Le colosse baissa la tête vers son interlocutrice, la regardant pour la première fois. Après quelques instants, une étincelle se ralluma dans ses yeux et ses muscles se remirent en branle. Il déverrouilla les cadenas un à un et commença à s’échiner sur un levier. Casse-Fers s’empressa de l’imiter avec sa troupe. Elle tira de toutes ses forces, de tout son poids, jusqu’à entendre enfin le mécanisme gémir. Avec des cliquetis secs, les engrenages commencèrent à cracher des maillons de chaîne et le pont à s’abaisser. Une fois lancées, les manivelles devaient plus être retenues que poussées. De la cité, des feux d’alerte et le cri des buccins alertaient de leurs coups d’éclats. On pouvait aussi deviner la fumée des incendies du deuxième groupe.

Il y eut de longues minutes d’attente, où personne ne savait si les premiers à paraître seraient amis ou alliés, seulement rythmées par la longue descente du pont. La porte finit par se poser sur le sol rocailleux, ouvrant un passage sur la route dont le tracé se perdait dans les montagnes. Enfin, les assaillants parurent. Une troupe hétéroclite, qui portait autant de couleurs que l’arc-en-ciel, composée de cavaliers, de fantassins mercenaires, de pirates armés jusqu’aux dents, et, à la grande surprise de Casse-Fers, de nombreux esclaves libérés. Ces derniers arboraient des faux, des fourches, des pioches et des marteaux. Leurs vêtements étaient déchirés, leurs corps salis par la traversée du col mais leurs yeux brûlaient de détermination vengeresse. Ils allaient pouvoir s’en prendre à leurs oppresseurs.

Alors qu’ils traversaient le pont en poussant des hurlements rageurs, Casse-Fers sentit son cœur se serrer. Elle ne pouvait plus l’ignorer : son action ouvrait la voie à un gigantesque carnage. Le sang coulerait à flots, allié comme ennemi. Doros lui avait répété que c’était le prix nécessaire au changement, le prix juste pour libérer des milliers d’esclaves et renverser le tyran. Ces arguments ne purent chasser sa nausée grandissante : était-il vraiment impossible qu’il ait existé un autre moyen ? Moins violent ? Ces combats ne pervertissaient-ils pas la justesse de leur combat ? Elle jura, maudissant les enseignements de son dernier maître. L’heure n’était pas aux bons sentiments.

Savos, Valane, Sylione et tous les autres poussèrent de grands cris de joie alors que les renforts pénétraient dans la cour, se divisant en une vingtaine de troupes avec leurs chefaillons. Ils furent bientôt assez nombreux pour faire disparaître le pavé. Jamais Casse-Fers n’avait vu tant de guerriers et de guerrières amassés au même endroit. Doros avait dû sacrifier le butin de dizaines d’expédition pour financer une telle armée. Après quelques minutes d’attente, les envahisseurs avancèrent à travers les rues d’Asène. Ils s’y infiltrèrent comme la pluie dans un toit vétuste. Leur vacarme couvrait la sonnerie des buccins.

L’agitation retomba à mesure que s’éloignaient les soldats. Casse-Fers félicita les siens ainsi que le colosse, toujours penché sur le mécanisme, avant de s’asseoir contre un engrenage. Elle se mordit les lèvres, songeant que rien ne serait plus jamais comme avant. Ce ne pouvait être que pour le mieux. Pendant l’attaque, de nuages noirs annonciateurs d’orage s’étaient levés, comme si le ciel s’accordait à la tournure des évènements. Un premier éclair illumina l’horizon. Comme son regard cherchait le prochain, Casse-Fers ne vit d’abord pas des dizaines d’esclaves et de mercenaires battre en retraire.

Quand elle s’en aperçut, elle crut d’abord à un repli stratégique, à une réorientation des troupes. Puis elle l’entendit. Ce chant de bataille aux consonnances gutturales. Les hommes et femmes qui l’entouraient se relevèrent, reprirent les armes en échangeant des regards paniqués. S’ils n’avaient jamais entendu cet air, ils la connaissaient tout aussi bien que le reste de l’Archipel. Il annonçait le sang, le monstrueux, la mort.

Leur chef parut le premier, sa longue épée déjà couverte de sang. Son masque lui protégeait la moitié du visage, comme le disait la légende. Derrière-lui, tous portaient la même armure sombre, le casque de cuivre orné de deux traits rouges.

Celui de la Garde Orpheline.

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Bleiz
Posté le 12/08/2025
Salut Maëlys et Edouard,

L'avantage de lire deux chapitres en rapide succession, c'est qu'on a toutes les infos en tête ! Voyons voir ce que Casse-fer nous prépare…

"lui préféra un chantier rapide, pour construire un voilier rapide et léger" --> répétition de rapide. En vrai, je me demande si ça ne pourrait pas passer, à condition de changer légèrement le style de narration. Je pense notamment à la manière de raconter des Anciens dans les classiques grecs, où il y a des répétitions mais ça fait partie du style et ça ajoute au contraire un certain poids et de l'authenticité.

"Filias le Sanglant" --> ah carrément, Cheveux d'Algues mais aussi sanglant. Pas le souvenir que ce surnom soit là dans le chapitre précédent, mais ça ajoute une nuance au personnage pas encore vu.

J'ai vu le nom de Réfus, j'ai dû vérifier l'en-tête du chapitre. J'aime quand les fils se mêlent comme ça !

"Comment haïr l’esclavagiste en un homme enchaîné ?" --> Il me semble qu'elle se faisait des réflexions similaires dans son dernier chapitre. Mine de rien, elle est pleine de compassion et d'empathie, elle cherche à comprendre ce que d'autres préfèrent ignorer. C'est peut-être le personnage le plus ouvert de tout le livre, compte tenu des circonstances de chacun. En revanche, j'ai un peu oublié à quoi elle ressemblait, des éléments de description physique (couleur de cheveux, d'yeux, allure générale) par-ci, par-là pourrait être sympa !

"La Garde Orpheline d’Hyasis" --> Ce nom claque. Fin de l'observation

" Mais le monde est gouverné par le chaos, depuis toujours. " --> Je me faisais la réflexion que votre histoire avait des traits commun avec Vinland saga. Je vous le recommande si vous ne connaissez pas

"L’esclavage organise pour limiter ses horreurs." --> Je comprends ce que vous voulez dire, mais la construction de la phrase ma parait un peu étrange

"Mon père me parlait souvent de la Guerre des Chaînes" --> Ah mais c'est vieux, c'est passé ! J'étais persuadée que la Guerre des Chaînes se préparait, et que les morceaux racontés par la Voix Errante était le récit du conflit qu'on lisait actuellement. Je me demande comment je me suis faite cette idée

"Je crois que je n’ai jamais compris personne." --> Je trouve que la vraie force de votre histoire est de parvenir à des échanges pareils. Une vulnérabilité qui perce par moments, de personnages où on ne s'y attend pas. Même avec ce qu'il a dit à Casse-fer juste avant, je suis touchée par ce qu'il dit, parce qu'on est tous un peu pareil au fond.

"Elle réajusta son manteau d’étoffes," --> J'ai un peu de mal à visualiser ce que vous voulez dire ici. Rajouter des couleurs, peut-être, ou les types d'étoffes ?

"Ses yeux peinaient à dissimuler sa rage intérieure, sa soif de sang. Casse-Fers soupira." --> Je sais que le moment est sérieux, mais j'ai un peu rigolé. Casse-fer en mode "here we go again", il y a un petit côté cocasse

La révolte des gladiateurs me surprend parce que je ne crois pas en avoir entendu parler avant. La difficulté avec les multiples PdV, c'est qu'on a un peu de mal à retenir tous les noms et les évènements, surtout qu'ils ont lieu loin les uns des autres… Mais c'est aussi ce qui rend les connections si agréables à lire.

"Elle espérait ne pas avoir à se battre." --> Avec une telle mentalité, est-ce que Casse-fer ne risque pas de rencontrer Vaïos et son nouveau groupe ? Ou est-ce que je me fais des idées ? En tout cas, je me dis qu'ils pourraient peut-être s'entendre.

"Ils rencontrèrent plusieurs enfants, qui cessèrent leur jeu, médusés." --> Le détail qui tue, le calme avant la tempête, les enfants qui sans le voir sont témoins d'un grand évènement. Top !

"Toujours ces maisons asymétriques avec leurs longs colombages, ces étages qui mordaient sur la rue pour gagner de l’espace, ces innombrables pigeons dont les défections teintaient le pavé de gris," --> Rien à voir avec le texte, sinon que ces descriptions m'ont fait penser à Rennes x)

"derniers vestiges de la grande fête de Cilo." --> Encore une fois, c'est moi qui imagine des choses ou il y a eu un chapitre avec la fête de Cilo ? Si c'est le cas, bien joué, ça ajoute un marqueur temporel utile

"Leurs regards devinrent inquiets lorsque Casse-Fers prit pied sur le chemin de ronde, quand un éclat de vent souleva sa cape, dévoilant sa lame." --> Petit problème de rythme ici, j'aurais dit faire une phrase séparée pour le vent dévoilant la lame

"Il reçut pour réponse une flèche dans l’épaule." --> Simple et efficace x)

"Elle jura, maudissant les enseignements de son dernier maître. " --> Je reviens à ce que je disais à propos de Vaïos, est-ce qu'il n'existerait pas un lien entre les vieillards qui le mènent et l'ancien maître de Casse-fer ?

La fin, avec l'arrivée de la Garde Orpheline, est top : ça installe un sombre carnage dont on ne verra sans doute pas le déroulement, compte tenu du rythme des chapitres, mais on se doute de ce qui va se passer. On sait, même, tout, sauf l'issue du combat. J'ai hâte de savoir la suite!!!

À bientôt :)
Maëlys
Posté le 23/08/2025
Coucou !
yes c'est Filias cheveux d'algues/le sanglant (il a de la ressource)
On note pour les descirptions physiques, on en rajoutera !
On a vu ensemble la première saison de Vinland Saga oui ! Marrant que tu relèves ça !
En vrai c'est pas forcément spécifié que la guerre des chaînes est passée, donc c'était pas impossible d'imaginer qu'elle arrivait ! mais du coup non, elle est bel et bien passée !
La révolte des gladiateurs est peu (pas du tout en fait) mentionnée avant, donc ne t'inquiète pas ! D'ailleurs les connections vont se faire de plus en plus nombreuses, c'est vrai que c'est cool quand les choses se relient entre elles !
C'est vrai qu'Andophane/Vaïos et Casse fers pourraient s'entendre... à voir...
Oui en effet, le premier chapitre prenait place à Ansène où il y avait la grande fête à Cilo ! Bien vu ;)
Merci pour ton commentaire !!
A très vite !
Edouard PArle
Posté le 01/09/2025
Coucou Bleiz !
"Mine de rien, elle est pleine de compassion et d'empathie, elle cherche à comprendre ce que d'autres préfèrent ignorer. C'est peut-être le personnage le plus ouvert de tout le livre, compte tenu des circonstances de chacun." Content que tu notes ça, CF a effectivement une évolution différente de ce qu'on aurait pu envisager au vu de son passif. On note pour la description physique !!
"Ce nom claque. Fin de l'observation" Eheh
" Je me faisais la réflexion que votre histoire avait des traits commun avec Vinland saga. Je vous le recommande si vous ne connaissez pas" Je viens de finir la saison 2, c'est vrai qu'il y a des thématiques communes assez évidentes !
Ah oui, la Guerre des Chaînes est passée, après vu qu'on en parle (pour l'instant) peu dans le présent, je comprends le flou.
"Je trouve que la vraie force de votre histoire est de parvenir à des échanges pareils. Une vulnérabilité qui perce par moments, de personnages où on ne s'y attend pas." Tu peux difficilement nous faire un plus beau compliment !
"Je sais que le moment est sérieux, mais j'ai un peu rigolé. Casse-fer en mode "here we go again", il y a un petit côté cocasse" Oui xD
"La révolte des gladiateurs me surprend parce que je ne crois pas en avoir entendu parler avant. La difficulté avec les multiples PdV, c'est qu'on a un peu de mal à retenir tous les noms et les évènements, surtout qu'ils ont lieu loin les uns des autres… Mais c'est aussi ce qui rend les connections si agréables à lire." Pour le coup c'est un élément 100% nouveau.
"Avec une telle mentalité, est-ce que Casse-fer ne risque pas de rencontrer Vaïos et son nouveau groupe ? Ou est-ce que je me fais des idées ?" Théorie intéressante...
"Rien à voir avec le texte, sinon que ces descriptions m'ont fait penser à Rennes x)" Pourtant on connaît pas trop xD
"ou il y a eu un chapitre avec la fête de Cilo ?" Oui, le tout premier.
Content que tu apprécies la chute, quant à savoir si on verra le combat ou pas, je te garde la surprise !
Merci beaucoup de ton commentaire <3
adelys1778
Posté le 11/08/2025
OH !! Quel chapitre ! Et s'arrêter comme ça en plein milieu de l'attaque, oh mes aïeux c'est terrible à quand la suite !
Je suis trop contente de lire la suite de Casse-Fers même si je crains pour sa survie là !
Maëlys
Posté le 23/08/2025
Coucou !
Ah ah, le suspens est à son comble ! Cool que tu aies été prise dans l'action !
A très vite !
Edouard PArle
Posté le 01/09/2025
Coucou Adelys !
La suite arrive xD Merci de ton commentaire !!
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