Je n’ai jamais senti mon cœur. Je n’ai accès qu’à des points de pulsation en surface sur des morceaux de peau choisis. Parfois à une douleur attribuée à la cage thoracique, aux os, aux poumons. J’ignore la taille de mon cœur. Mais je sens le poids et la matière de ma poitrine en entier. Ma poitrine est dense. Ma poitrine est une masse lourde et gazeuse. Ma poitrine est entre le rouge et le mauve pâle, une couleur de la fatigue et de la mélancolie, avec la vivacité du parce que je suis vivante. Ma poitrine est vaste. Ma poitrine est grande. Ma poitrine est doucement discrète, j’ai de la peau, du gras et des vêtements pour la protéger. Ma poitrine se cache. Ma poitrine s’appuie sur mon squelette et mes muscles, et j’attends, comme concernant mes réserves de graisse qui me ralentissent dans les mouvements de ma vie, un inespéré allègement qui serait définitif. Que ma poitrine soit leste, et toujours créative. Que ma poitrine soit une plume qu’il n’est pas nécessaire de retremper dans l’encre pour peindre avec une allégresse nocturne tout ce qui se dit du monde et du mental. Je veux depuis toujours le triomphe du corps et de l’esprit alliés. Et par là même l’anéantissement de ma fatigue. Le triomphe de l’image mais aussi du son. Du toucher. Des tremblements. De la rugosité. De la douceur. De tout le chaos. J’aspire à une dévoration avec style. Avec classe. En virtuose. Je n’ai jamais su danser. Un jour il sera temps d’apprendre. Il sera temps de prendre sa place, d’oser figurer dans l’espace avec ce qu’on nous a donné, avec ce qu’on est. S’accepter. Et le corps matériel, inaltérable, altérable, si peu de chose, beau et laid, mauvais et sacré, peut se contenter d’être, et écarter des parcelles de vide. Occuper. Mais pas longtemps. Bouger. Continuellement. On vit dans le mouvement ou on ne vit pas. On va dans la lumière qu’on traverse. On ne fait pas autre chose que traverser. Mais traverser la lumière. Oser l’abîme de la lumière. C’est ça le monde. C’est l’action à son acmé. Ma poitrine veut une montagne. Ma poitrine retrouve un désir. Ma poitrine veut vibrer comme un archet.
Cette lecture m'a un peu rappelé Christian Bobin avec L'homme-joie, mais je n'arrive pas à mettre des mots sur ce qui, dans ton texte, m'y a fait penser. Peut être la douceur globale, malgré la force de certaines images et la passion qu'elles inspirent.
Peut-être que ce sont certaines répétitions qui font que ce texte te plaît moins ? Ce n'est pas quelque chose que l'on trouvait dans les deux textes précédents. C'est juste une impression comme ça, peut-être que je me trompe.
Je pense que c'est un tête pour lequel je n'ai pas vraiment pris le temps de trouver un rythme ou une "musique" qui fonctionne, comme j'ai essayé de le faire pour les autres. Je voulais précisément fonctionner sur la répétition, mais je sens que je n'ai pas encore saisi ce qui aurait vraiment bien fonctionné. Je pense le retravailler un de ces jours