Mon cota d’eau chaude va prendre cher !

Par Selma

Thomas venait de rentrer Petit Robert à l’écurie. Il poussa la porte en bois massif du chalet et pénétra dans la pièce de vie. Il se débarrassa de ses chaussures et de son mentaux avant de rejoindre Emmanuel Tellier qui demeurait sur le canapé, l’air pensif. Il leva la tête à l’approche de Thomas.

_ Irène est en train de montrer à la gamine comment fonctionne la douche, annonça t-il. Ah, mon cota d’eau chaude va prendre cher ! Déjà qu’on se le partage difficilement à trois ! Mais bon, elle avait l’air frigorifiée, alors soit !

_ Mais tu sais qui est cette fille ?

Thomas avait attendu Irène dans les écuries et en entendant le pas du cheval, il était sorti pour aller voir. Il avait alors tout juste eu le temps d’apercevoir Blanche avant qu’elle ne disparaisse dans le chalet et qu’Irène lui demande de rentrer Petit Robert.

_ Aucune idée, souffla le vieil homme en haussant les épaules. Tout ce que je sais c’est …

Il interrompit sa phrase pour se tourner vers Irène qui était apparu derrière le canapé. Elle avait la mine impassible. On ne pouvait pas deviner ce qu’elle ressentait en ce moment.

_ Merci Thomas pour Petit Robert, et merci papa pour l’eau chaude, dit-elle avec raideur avant de faire le tour du canapé pour s’y assoir.

_ Vous voulez un thé ? Demanda t-elle ensuite, comme si une subite envie venait de la prendre.

_ Je n’ai pas encore eu le temps de préparer le mien … Commença Emmanuel Tellier.

_ D’accord.

Irène se leva et se dirigea vers la cuisine, partie intégrante de la pièce de vie, située à gauche de la porte d’entrée.

_ Toi aussi Thomas ?

Il répondit par la négative. Pendant qu’elle s’affairait, le jeune homme, qui s’était assis dans le fauteuil à bascule, se pencha vers Emmanuel Tellier,

_ Qu’est ce que tu voulais dire par, tout ce que je sais … ?

Le vieil homme fronça les sourcils, et songea un instant avant de se souvenir.

_ Ah ! Je disais que tout ce que je sais, c’est que son visage était bleuit par le froid. Elle a dû se perdre dans la montagne.

Irène revint avec les deux tasses de thé et reprit la place qu’elle venait de quitter.

_ Je pense que je vous dois quelques explications, dit-elle en regardant le liquide vert pâle dans sa tasse, et se mit à raconter.

 

Irène était assise sur un tabouret près du lit qui avait autrefois appartenu à Sissi et où à présent, Blanche reposait. Elle avait été submergée par la fatigue suite à son accident, et se sentait lasse comme si elle venait de passer une nuit blanche. Irène lui avait trouvé de vieux vêtements chauds et lui avait monté une tasse de thé. Blanche était adossée à un gros oreiller et la moitié de son visage était dissimulé par la tasse. Irène la regardait avec sympathie.

La chambre était la plus spacieuse du chalet, car un autre lit se trouvait à l’opposé de celui de Sissi ; il s’agissait de celui d’Éléanore, qui avait quitté le foyer quelques années après leur emménagement pour aller étudier. Pourtant ses affaires n’avaient pas bougé, tout comme celles de Sissi. La chambre semblait figée. Leur bureau respectif se tenaient toujours côte à côte, la bibliothèque de Sissi était toujours derrière sa tête de lit, et la vitrine avec toutes les peluches d’Éléanore se dressait à côté de son bureau. Leur grande armoire commune, séparé formellement par un Masking Tape coloré, se logeait près de la porte.

Blanche posa sa tasse sur la table de chevet. Elle rendit son regard à Irène et soudain, sans crier garde, sa bouche se déforma en une grimace et elle se mit à sangloter. Elle s’empressa de cacher son visage sous la couette.

_ Je suis si méchante, fit la voie étouffée de Blanche.

_ Quoi ?

Le visage rougi de Blanche apparut. Elle tentait de respirer calmement mais les sanglots ne cessaient de la rattraper. Enfin, elle prit le mouchoir que lui tendait Irène et évacua sa tristesse.

_ Quand je suis tomber dans le ruisseau, je croyais que j’allais mourrir parce que personne ne venait me secourir alors que je soufflais comme je pouvais dans mon sifflet. Et alors j’ai pensé que tout était de ta faute. Que tu portais malheur, que lorsqu’un enfant t’aime bien, il finit noyé, parce que c’est comme ça, non, que ça s’est passé ? Ton fils est mort à cause de l’inondation ? Eh bien j’ai espéré à tout prix que tu ne rencontres plus jamais d’enfant, que tu n’ai plus d’enfant dans ta vie et que tu restes isolé dans la montagne et que c’était ça ton destin. Mais tu es la seule qui est venu pour me sauver …

N’y tenant plus, Blanche se mit à pleurer de plus belle. Elle s’adossa au gros coussin et se moucha à nouveau, sans pouvoir arrêter le flot de larmes. Irène la prit dans ses bras et la serra contre son cœur. Elle ne lui en voulait pas. Elle même s’était abandonné un peu plus tôt à d’étranges croyances. Elle s’était imaginé que Blanche s’était laissé engloutir volontairement par la neige en sachant qu’elle, Irène, viendrait la sauver et que cela lui permettrait de racheter son bonheur. Mais elle avait vite refouler cette pensée absurde.

_ Tu as bien fais d’emmener ce sifflet avec toi, lui chuchota Irène à l’oreille, c’était très malin.

Elle entendit Blanche rire entre ses larmes.

_ Oui, c’est Léon qui me l’avait offert pour mon anniversaire, et il m’a dit que je pourrais en avoir besoin, en venant ici … Il avait raison.

_ Est-ce que tu veux rester ici, le temps que t’ailles mieux ? On pourrait aller chercher tes affaires au couvent.

_ Je sais pas … Il ne faut pas que ça vous dérange.

Blanche se dégagea doucement de l’étreinte pour la regarder d’un œil inquiet.

_ Si je te le propose, c’est que ça ne me dérange pas, et ça ne dérangera pas non plus mon père, je te l’assure.

_ Ma mère viens me chercher dans trois jours, se rappela Blanche.

_ Tu peux rester jusque là.

Sur ce, on frappa à la porte de la chambre. Irène et Blanche se tournèrent d’un même mouvement vers Thomas qui poussait prudemment le battant. Il sourit, un peu mal à l’aise. Suite aux explications d’Irène, il ressentait une pointe de jalousie à savoir que la petite l’avait côtoyé tandis qu’elle prétendait être seule.

_ J’ai attelé Petit Robert, je m’en vais au village pour les courses et le courrier, annonça-t-il.

C’était en effet la raison pour laquelle ils s’étaient occupé du cheval de bonne heure, mais comme les circonstances avaient boulversé leurs prévisions, Irène l’avait tout à fait oublié.

_ Oh, est-ce que tu ne pourrais pas passer au couvent pour récupérer les affaires de Blanche ? Je ne sais pas si c’est une bonne idée qu’elle y retourne tout de suite par ce froid.

Il y eut un court silence, puis Thomas lâcha,

_ Si tu veux, j’y vais. C’est effectivement une bonne idée de prévenir ses responsables qu’elle est ici.

Irène hocha la tête. Elle ne savait même pas si elle croyait elle même à ce qu’elle venait de prétendre. Peut-être n’y aurait-il eut aucun inconvénient pour Blanche de rentrer au couvent un peu plus tard dans la journée, mais Irène sentait qu’elle devait rester. Comme il ne lui restait plus grand chose en dehors de ses sentiments, elle avait appris à s’y fier.

Elle se leva pour rejoindre Thomas.

_ Je t’accompagne jusqu’au traineau, dit-elle, puis en se tournant vers Blanche, je reviens tout de suite.

La fillette acquiesça avec un demi sourire avant de se laisser retomber sur l’oreiller.

Pendant qu’Irène et Thomas descendaient l’escalier, Blanche séchait ses larmes. Elle avait du mal à réaliser ce qui lui arrivait, et ce qui lui était arrivé. La seule chose dont elle était certaine, c’est qu’elle avait un besoin impérieux de tout retranscrire dans son carnet. Alors, elle en était sûre, tout dans son cœur et son esprit allait reprendre sa place initiale. Elle réfléchit un moment à un tas de choses lui venant pèle mêle à la tête, puis l’envie lui prit de se lever pour jeter un coup d’œil par la fenêtre qui occupait les trois quarts de la largeur de la chambre. Elle était séparée en trois battants dont le cadre était du même bois roux que les murs. Blanche grimpa sur le bureau en face de son lit pour regarder dehors. Elle aperçu deux silhouettes se profiler sur la neige éclatante. L’une tenait un cheval par les rennes, l’autre marchait à ses côtés. Le cheval tractait une luge. Elles s’arrêtèrent une trentaine de mètres avant la forêt. La silhouette qui tenait le cheval par les rênes entoura le coup de l’autre silhouette avec son bras et leurs visages se rapprochèrent l’un de l’autre. Puis elle monta sur la luge, où elle resta immobile quelques instants.

_ Je reviens vite, dit Thomas à Irène.

Elle acquiesça avec un sourire presque apaisé avant de faire volte face, laissant tournoyé son mentaux noir constellé ça et là de broderies, autour d’elle. Alors que le départ au trot de Petit Robert ébranlait le traineau, elle rentra au chalet, et songea qu’elle avait pour la première fois omis son petit pèlerinage quotidien : le soleil était déjà haut dans le ciel, bien que caché par intermittence par les nuages gris entrainés par des bourrasques rudes et soudaines.

 

 

 

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez