21 février 2050
Irène était en train de finaliser l’archivage des dossiers médicaux. Elle avait affaire à ceux qui n’avaient pas été alimenté depuis quelques années. Elle les avait gardé pour la fin comme si elle aurait pu les éviter. Mais ils étaient bien là, les dossiers des défunts. Le mot trottait dans sa tête, il ne voulait pas s’en aller. Il y en avait même plusieurs, au choix. Défunt, décédé, mort …
5 février 2050
Irène et Thomas avait contacté les urgences pour signaler que leur maison était inondée, mais elles étaient déjà au courant : des hélicoptères avaient été envoyés pour évacuer les habitants du quartier. Il y avait quelques bateaux gonflables aussi, qui tentaient de se frayer un passage parmi les décombres. Irène et Thomas remplirent alors leur unique valise et un sac à dos, plus d’équipement n’était pas toléré.
Ils attendaient, la mort à l’âme, serré l’un contre l’autre, comme pour éviter de se perdre aussi. Ils se tenaient sous la partie couverte de leur balcon qui surplombaient la rue inondée bientôt jusqu’au premier étage. Ils ne disaient rien, mais jetaient de temps à un autre un regard sur le corps de Emilio qui reposait à quelques pas, entouré de ses deux peluches.
Un petit bateaux gonflable rouge s’arrêta à la hauteur de leur maison.
_ Geben sie ihre Tasche runter* ! Les héla la femme aux commandes.
Thomas s’exécuta prestement. Il se pencha comme il put du balcon pour tendre la valise à l’un des passagers. La pluie le giflait en plein visage, intrépide et féroce. Puis ce fut au tour du sac à dos qui fut également transféré. Enfin, il se tourna vers le corps du petit garçon. Il semblait hésiter et soudain, il se pencha, le prit dans ses bras et le souleva au dessus de la balustrade. Irène ramassa les deux peluches.
_ Ist das ihr Kind* ? Demanda la femme aux commande, d’une voie toujours aussi tonitruante pour couvrir le bruit de la pluie.
_ Ja ! Répliqua Thomas et ajouta, könnten sie es mir abnehmen, bitte !*
Il se tenait toujours au dessus de la balustrade, Emilio dans les bras.
_ Nehmen sie es unter den Armen damit es in das Bot steigen kann !*
_ Es geht nicht*, articula Thomas.
On entendait à sa voie qu’il se retenait de pleurer mais les passagers du bateaux ne semblaient pas s’en apercevoir. Ou du moins, ils n’en avaient rien à faire.
_ Warum*? Lui cria à nouveau la femme aux commandes.
_ Es ist TOT, verstehen sie nicht ?* Hurla Thomas, alors que des larmes de rages jaillissaient de ses yeux.
_ Mein lieber Mann, wir nehmen hier nur lebendige Menschen, lassen sie es im Haus und kommen sie Jetzt, wir haben keine Zeit mehr !*
_ Ich lasse meinen Sohn nicht hier !* Gronda Thomas.
_ Dann bleiben sie hier.*
Il ramena le corps de Emilio sur le balcon et rejoignit Irène.
_ Qu’est ce qu’on fait maintenant ? Demanda t-elle, inquiète.
Thomas serrait les dents et regardait fixement la passagère qui avait intercepté leurs affaires, les lancer sur le balcon. Le bateau s’éloigna.
_ Dummköpfe, cracha t-il.
Ils durent attendre vingt minutes supplémentaires pendant lesquelles la pluie continuait à tomber drue dans leur rue et que les voitures se faisaient emporter par le courant cependant bien plus faible que lors de la première vague.
Au bout de ces vingts minutes, un hélicoptère laissa descendre une corde et Irène portant son sac à dos, suivie de Thomas tenant fermement la valise, s’y attachèrent et furent acheminé dans l’engin. Ils avaient renoncé à emmené leur enfant. Son corps gisait dans les ruines de leur maison avec pour seul compagnie ses deux peluches.
21 février 2050
Irène secoua la tête pour effacer la vision de Emilio se faisant de plus en plus petit au fur et à mesure qu’on la montait vers l’hélicoptère. Cette image était sûrement la plus cruelle de toutes celles qu’elle avait gardé en mémoire de cette journée.
_ Attention ! Ne secoue pas la tête comme ça ! S’exclama Blanche.
Elle avait entrepris de tresser les longs cheveux d’Irène en une forme particulière, et le brusque mouvement de tête de cette dernière avait décalé l’œuvre d’art.
_ Aïe aïe aïe, j’espère que je vais pouvoir réparer ça, dit-elle en défaisant quelques mèches.
_ Excuse moi, souffla Irène en replongeant son nez dans les dossiers médicaux des défunts pour en finir au plus vite.
Elle ne réussit pas à pousser son travail bien loin car on sonnait à la porte.
_ Je pense qu’on va avoir un petit problème …
_ Non non, pas du tout, tu tiens ça, fit Blanche en lui mettant la main sur une mèche de cheveux, et je vais ouvrir.
Elle se précipita vers la porte d’entrée. Mr Tellier apparut dans l’encadrement, un peu courbé sous le poids d’un panier qu’il tenait à bout de bras. Il était allé faire les courses avec Thomas au village, puisque celui-ci avait finalement renoncé d’y aller la veille. Après être rentré avec les bagages de Blanche, accompagné d’une religieuse qui voulait s’assurer que la petite était entre de bonne mains, il avait dû la ramener au couvent et n’avait pas eut le courage de continuer jusqu’au village, midi ayant déjà sonné.
_ Oh, tiens jeune fille, je te passe les provisions, dit Mr Tellier avec un clin d’œil.
_ Oui, bien sûre ! Je les mets dans la cuisine ?
Mr Tellier s’était vite accoutumé à la présence de Blanche dans son chalet.
_ Ma foie, ça fait plaisir d’avoir un peu de vie chez soi, en ces vieux jours, avait-il déclaré le matin même, en croisant Irène qui sortait de la salle de bain.
Ils acheminèrent les trois paniers remplis de leurs achats puis Blanche rejoignit à nouveau Irène.
_ Fini vite, il faut que j’aide mon père à ranger.
_ Oui, attends, je vais consolider tout ça et te mettre un élastique provisoire.
Pendant qu’Irène fermait l’ordinateur portable, Blanche défit et refit quelques mèches, et les attacha enfin ensemble. Irène se leva, une partie de ses cheveux ondulant librement dans son dos. Elle rejoignit son père dans la cuisine et ils s’activèrent.
Un courant d’air froid les surpris. Irène se retourna pour voir entrer Thomas, qui revenait des écuries où il avait dételé Petit Robert. Quand il l’aperçu, il se dirigea vers elle en quelques enjambées.
_ Il y avait du courrier pour toi au bureau de poste, dit-il en tendant une enveloppe à Irène.
Elle l’intercepta avec un froncement de sourcil. Elle était brune, en papier recyclé. C’était le genre d’enveloppe qu’on pouvait trouver dans chaque bar-tabac.
_ Une lettre pour moi qui arrive chez mon père ?
_ Tu as peut-être prévenu certaines personne que tu n’es plus chez toi, suggéra Thomas.
Irène acquiesça ; il avait raison, mais d'un autre côté, qui privilégiait encore le courrier au SMS ?
Elle ouvrit et tira de l’enveloppe un fin papier blanc plié en trois. Un autre en tomba. Elle commença à lire le premier.
*
- Geben sie ihre Tasche runter. = Faites descendre vos sacs.
- Ist das ihr Kind = Est-ce votre enfant ?
- Ja, könnten sie es mir abnehmen, bitte ! = Oui, pouvez vous l'intercepter s'il vous plaît ?
- Nehmen sie es unter den Armen damit es in das Bot steigen kann !* = Prenez le sous les bras pour qu'il puisse monter sur le bâteau !
- Es geht nicht = Ça ne marche pas
- Warum ? = Pourquoi ?
- Es ist TOT, verstehen sie nicht ? = Il est mort, vous ne comprenez pas ?
- Mein lieber Mann, wir nehmen hier nur lebendige Menschen, lassen sie es im Haus und kommen sie Jetzt, wir haben keine Zeit mehr ! = Mon cher monsieur, nous ne prenons que des personnes vivantes ici, laissez le dans la maison et venz maintenant, nous n'avons plus de temps !
- Ich lasse meinen Sohn nicht hier ! = Je ne laisse pas mon fils ici !
- Dann bleiben sie hier. = Alors restez ici.