Mon pauvre Florian!

Mon pauvre Florian!

 

      Que j'aie, que j'aie pitié de toi!

 

      Toi qui considères l'amour comme une « ineptie du mortel », quel arrogant fais-tu, quel nigaud es-tu de dénigrer  ce sentiment qui n'a rien d'une chimère! L'amour n'a rien de vain, ne possède rien d'une bêtise. Ses engrenages dans lesquels je m'empêtre sont favorables aux délectations éphémères auxquelles tu te soumets. Je préfère souffrir mille morts que de m'être privé de ce sentiment,  de m'être arraché de ma belle...

 

      Je dois cependant te concéder une chose, mon pauvre ami.

 

       Il est vrai que la mortalité de ma tendre moitié m'a souvent troublé. L'idée de la transformer en l'une des nôtres a maintes fois traversé mes pensées, mais j'ai bien tôt compris  que cela  détruirait l'essence même de l'attrait principal sous lequel ma belle m'a subjugué.

 

       Sache qu'il existe plusieurs âmes dans ce monde pour qui la  mort  n'est pas une calamité, et celle qui détient maintenant mon cœur fait partie de ceux-là. Elle vénère la vie telle qu'elle l'est;  avec ses débuts boiteux, ses chemins rocailleux, ses détours inopinés, ses joies et ses misères, ses surprises et ses caprices.

 

       La mort ne l'effraie nullement puisqu'à ses yeux, elle est aussi naturelle que naître, elle confère à la vie  cette épice, ce pétillant, cette volonté de chérir chaque journée supplémentaire comme une pierre précieuse.

 

      Ainsi, l'immortalité est un concept qui la répugne.

 

      « À quoi bon? » me disait-elle souvent. « Les secondes, les minutes, les jours et les années ne possèdent plus de saveur lorsqu'on les sait perpétuelles. Je te plains, Lasfalt. »

 

      Et je me plains également.

 

      Je nous plains.

 

       J'ai accepté de marcher sur cette « corde raide » entre la vie éphémère et la mort éternelle, Florian, j'ai accepté d'aimer cette femme jusqu'à son dernier souffle, j'ai accepté de plonger dans la géhenne lorsqu'elle ne sera plus de ce monde, lorsqu'elle me glissera entre les doigts.

 

       Jusqu'à cet instant fatidique, je profite pleinement de sa présence, de ce temps que le destin daigne bien nous accorder.

 

      Chacune des  minutes qui nous rapprochent de notre lugubre séparation m'est une source de joie. Cela ne rend le sentiment que davantage puissant et sublime. 

 

       Et toi, si je comprends bien, tu as frôlé cette expérience inouïe.

 

      Tu as refusé cette offre fortuite et dérobé la vie à cette innocente à coups de ruse et de perfidie. Tu te lasseras bientôt de cette nouvelle damnée.

 

      Soit.

 

      Voilà en quoi nous sommes devenus  si différents l'un de l'autre, Florian.  Je respecte cette différence, puisqu'il fut une époque où j'étais exactement comme toi.

 

      Ma belle et douce chérie est également en stage à Paris (quelle coïncidence macabre!) et je me languis de son retour, tout en sachant que la revoir après cette brève absence ne sera que plus réjouissant encore.

 

      À cet instant-là, je n'aurai plus de pensés pour toi, j'en suis navré.

 

      Ne m'en veux pas. Notre amitié a comblé un passé sur lequel je dois fermer les yeux. Cette missive est véritablement, incontestablement, la dernière que je te lègue.

 

Lasfalt de Malte

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