Zoé est assise dans le hall du commissariat de police du quartier et attend son tour. A cette heure de la soirée, il y a un monde fou et le fonctionnaire à l’accueil ne sait plus où donner de la tête.
Lorsqu’elle est arrivée au garage, Louis et Hassan l’attendaient sur le seuil, sous la pluie battante. A l’intérieur, c’était la désolation, la porte avait été défoncée, la plupart des étagères dévastées, une partie des provisions se trouvait par terre, grossièrement écrasée par des pneus de voiture dont on voyait la trace sur les restes de pommes de terre. Le vélo avait disparu. Hassan semblait désespéré, Louis un peu hagard. Après les avoir rassurés et mesuré l’ampleur de leur choc, Zoé a pris des photos avec son téléphone, et est partie aussitôt pour le commissariat.
Pendant qu’elle patientait, elle a appelé Antoinette puis Eugénie pour les prévenir. Antoinette était déjà au courant grâce à Louis. Elle se morfond chez elle à attendre des nouvelles sans rien faire, elle aurait préféré participer aux actions et venir aider. Eugénie est philosophe, elle sait que de pareilles choses arrivent tous les jours, elle se charge d’aller voir Léontine pour lui apprendre l’incident.
- Ne vous inquiétez pas Zoé, conclut-elle au téléphone, on s’en remettra. C’est un crime d’avoir gâché toute cette bonne nourriture quand on pense aux gens qui ont faim autour de nous. Mais il n’y a rien dans la tête de ces vandales, aucun respect ni des choses ni des gens.
- Je crois qu’ils ont fait ça avec une voiture, vous vous rendez compte ? et ils ont volé le vélo, un vieux vélo ! ce n’était même pas un vélo attractif, il n’avait aucun gadget moderne ni un look sportif ! ajoute Zoé encore sous le coup de la colère et de l’émotion.
- Il faut vraiment être bestial pour faire un truc pareil, et encore, bien des animaux sont plus intelligents que ça.
- Eugénie, bon courage et embrassez Léontine, ça va être mon tour pour le dépôt de plainte, on me fait signe. Je reviens juste après.
- A tout de suite, Zoé, termine Léontine.
Zoé suit le policier dans le couloir pour aller faire sa déclaration et entre dans une petite salle où il y a un bureau et un ordinateur. Ils s’assoient l’un en face de l’autre et une fois ses pièces d’identité présentées, Zoé commence à répondre aux questions et expliquer ce qui s’est passé. Elle décrit l’état du garage et montre les photos. Le fonctionnaire passe un appel en interne pour qu’une unité opérationnelle aille faire le constat des dégâts sur place. Le policier est surtout intéressé par le fait que c’est une voiture bélier qui a défoncé la porte. Cela veut dire qu’il ne s’agit pas d’un simple acte de malveillance, mais potentiellement d’une répétition ou d’une préparation pour une effraction de plus grande envergure. Il indique que des patrouilles effectueront des rondes dans les prochains jours et qu’une enquête de voisinage sera menée pour recueillir d’éventuels témoignages.
- Mais pourquoi avoir pris le vélo ? c’est une vieille bicyclette sans intérêt, demande Zoé, à la fois intriguée et satisfaite de voir que le problème est pris au sérieux.
- Il est possible que le vélo ait été volé ultérieurement par une autre personne, propose le policier.
- Peut-être en effet, répond Zoé. Quelqu’un qui passait et qui a vu le vélo après le crash, oui c’est plausible.
Le policier est rappelé par la patrouille arrivée sur place, qui lui transmet les informations.
- Merci, dit-il en raccrochant, puis il poursuit en se penchant vers Zoé. Maintenant Mademoiselle Muid, expliquez-moi un peu plus ces pommes de terre écrasées et toute cette nourriture stockée dans ce garage ? vous y faites quoi ? Je comprends que vous fassiez la déclaration en lieu et place de Mme Léontine Ploquet, trop âgée et choquée pour se déplacer, mais que fabriquez-vous dans ce box ?
- C’est notre réserve pour le Faitout Magique. Nous sommes une association et nous préparons des repas pour les livrer chez nos adhérents, le garage nous sert pour emmagasiner des provisions d’avance, qui viennent principalement des jardins ouvriers de l’autre côté du périphérique.
- Mais oui, maintenant que vous le dites, j’ai entendu parler de votre initiative. Vous avez distribué des prospectus sur le marché et dans les boîtes aux lettres. J’en ai moi-même reçu chez moi et mon amie se tâte pour essayer ! et c’est dans ce garage que vous stockiez votre vélo et vos pommes de terre ?
- Oui, c’est bien ça. Plus d’autres choses.
- Bon, le vélo je ne pense pas que vous le retrouverez, en général ça disparait définitivement. Pour le box, je vous propose d’organiser des rondes pour surveiller les alentours, mais vous allez devoir changer la porte. Etes-vous bien assurée ?
- Oui. Mais nous avons perdu tout le contenu, qui n’était pas assuré.
- Et il faut nettoyer en vitesse sinon ça va attirer les animaux errants, rats, chats, chiens et autres. Et puis ça va pourrir rapidement.
- Dès que vous nous donnerez le feu vert, on jettera tout ce qui a été vandalisé.
- C’est quand même malheureux un tel gâchis.
- Oui, mes deux amis sont complètement bouleversés. Tout notre travail est anéanti, et le vélo nous servait beaucoup, on n’en a plus.
- Alors là, je peux peut-être vous donner un coup de main. On a ici des vélos qui doivent partir à la casse, ils sont vieux, c’étaient des vélos pour nos patrouilles de proximité, mais on nous les a remplacés par des modèles plus récents. Je vais voir s’il y en a un qu’on peut vous donner avant qu’on le jette au rebut. Attendez, je passe tout de suite un coup de fil en interne.
Joignant le geste à la parole, il décroche le téléphone, tape un numéro et expose l’idée à son collègue à l’autre bout du fil. Quelques minutes plus tard, l’autre policier arrive dans le petit bureau et indique qu’il y a deux vélos qui peuvent être retapés au lieu d’être éliminés.
- Venez voir, Mademoiselle Muid. Zoé les suit dans la cour à l’arrière du commissariat, là où se garent les véhicules de police. Il y a un petit hangar au fond où s’entassent des carcasses de vélos, et parmi elles, deux vélos sont posés contre le mur. Voilà les deux vélos qui peuvent être réparés et réutilisés. Là ils ne sont pas en grande forme, mais avec un peu de travail, ça peut vous faire deux vélos utilisables.
- Ah merci, c’est si gentil à vous … Zoé est confuse et en même temps soulagée. En plus deux vélos ! nous n’avions pas vraiment assez avec un seul vélo, il n’y avait qu’une seule personne qui pouvait livrer ou aller chercher les provisions. Alors là … c’est le luxe ! et c’est tellement inattendu ! C’est presque miraculeux !
- Quand on peut aider …
- Ecoutez, déjà vous pouvez m’appeler Zoé, et pour vous remercier, nous vous apporterons des gâteaux maison faits par nos grands-mères. En fait, je viendrai vous les donner moi-même demain, le temps qu’elles vous les fassent.
- Ah, ça c’est une bonne idée, merci ! Vous allez faire des heureux et des heureuses dans le commissariat !
- Est-ce que je peux y aller ? pour les vélos, quelqu’un viendra les chercher demain aussi.
- Très bien, je passe le mot et demain vous serez bien accueillie.
- Merci pour votre gentillesse. J’espère que vous pourrez trouver les vandales.
- Si ce n’est pas nous, ce seront des collègues d’un autre commissariat, ne vous en faites pas, on a déjà des pistes car ce n’est pas leur premier coup. On surveille une bande dont on sait qu’elle est en train de préparer quelque chose dans le quartier.
- Ah, je vois.
- Eh oui, c’est notre monde à nous, pas très reluisant, bien différent de votre monde de la cuisine.
- Oh, nous ne sommes pas réduits juste à faire de la cuisine, il y a beaucoup de solidarité humaine dans notre association. Si un jour vous souhaitez passer …
- Moi c’est Stan, dit le policier qui a reçu Zoé en lui tendant la main.
- Et moi c’est Oliver … non pardon François, dit le second policier en éclatant de rire.
Tous les deux sont trentenaires et bien bâtis, sourire carnassier, cheveux courts et allure sportive, l’archétype de garçons équilibrés et sains. Ils raccompagnent Zoé à la porte du commissariat.
- Au revoir Zoé, on vous attend demain !
- Au revoir, Stan et François, à bientôt, et pensez à adhérer au Faitout Magique, vous verrez que nos papys et mamies savent ce que cuisiner veut dire. Et de plus nous faisons toutes sortes de cuisines, beaucoup de cuisines du monde entier ! vous aurez l’embarras du choix.
- C’est comme si c’était fait. Et en plus on va passer le mot dans le commissariat.
Malgré l’affreux événement, Zoé est rassérénée suite à son passage au commissariat. Elle sait qu’elle a eu beaucoup de chance de tomber sur ces deux policiers compréhensifs et coopératifs, leur posture maîtrisée et leur compassion l’ont aidée à surmonter le choc et à prendre du recul. Elle retourne vite au garage, et de loin voit une voiture de police arrêtée devant l’entrée du box. Deux policiers discutent avec Louis et Hassan. Lorsque Zoé arrive à leur hauteur, ils s’écartent pour la laisser pénétrer dans le garage.
- La déclaration est faite, nous attendons votre feu vert pour démarrer le nettoyage, dit-elle aux deux policiers.
- Nous avons fini de faire nos relevés, répond l’un d’eux, mais nous avons ordre de ne pas bouger pour l’instant. Vous pouvez procéder au vidage.
- Louis, Hassan, poursuit Zoé en se tournant vers ses amis, les policiers nous donnent deux vélos pour remplacer celui qui a été volé, il faudra aller les chercher au commissariat. Demain on fera la déclaration à l’assurance pour la porte, voici le document qu’on m’a remis au commissariat pour l’effraction. Et on mettra une porte plus solide. Allons-y pour retirer tout ce qui est abîmé.
Louis et Hassan ont du mal à accepter le carnage des provisions. Avec réticence, ils prennent des vieux sacs de toile qu’ils remplissent de légumes et de fruits écrasés. Tout ce qui semble consommable est reposé sur les étagères, dans d’autres sacs.
- Comment va-t-on faire pour cette nuit ? on ne pourra plus refermer la porte ?
- Je ne sais pas, dit Zoé, c’est vrai, on ne peut rien laisser ici. Pour l’instant rangeons, on verra ce qu’il faut faire avec ce qui restera.
Zoé est dans l’action pure, l’adrénaline se décharge dans ses veines et lui donne l’énergie pour ramasser les déchets et charrier les sacs pleins dehors pendant au moins une demi-heure. Au moment où ils ont quasiment fini de vider le garage, une voiture arrive à grande vitesse et stoppe dans un crissement de freins devant l’entrée. Ce sont Stan et François qui viennent faire le constat par eux-mêmes, mais ils ne sont plus en uniforme et ce n’est pas une voiture de police.
Ils s’approchent de Louis et Hassan et tous les quatre échangent une poignée de mains en se présentant mutuellement.
- Qu’est-ce qui vous reste ? demandent Stan et François
- Pas grand chose, les deux sacs qu’on a mis sur les étagères, là, répond Zoé. Leur contenu est récupérable. Maintenant il faut qu’on transporte les autres sacs quelque part, il y en a pour la récupération et d’autres pour la poubelle.
- Ecoutez, on vous propose de charger les sacs pour la poubelle et d’emmener les autres où vous voulez avec la voiture, pour vous aider.
- Pour certains, on peut en faire du compost. Et peut être donner un sac ou deux à Eusèbe, qu’en penses-tu, Louis ? Mais il y a des sacs qu’il faut jeter car il y a des débris de verres, c’étaient les pots de miel.
- Quel carnage ! dit Stan en s’approchant du box et en jetant un coup d’œil à l’intérieur.
- Le sac pour Eusèbe, je m’en occupe, dit Louis, en ramassant l’un des ballots.
- D’accord répond Zoé qui comprend que cela doit rester entre eux. Pour le compost on va le donner à Gustave et Honoré, et pour la poubelle voici les sacs inutilisables. Hassan, tu peux te charger des deux sacs réutilisables et les amener dans la cour chez nous ? on va se les répartir chez Eugénie et chez nous.
Hassan fait oui de la tête, prend les sacs sur les épaules et s’éloigne vers la rue N. Louis part à son tour avec le sac pour Eusèbe.
Stan et François chargent les sacs restant dans le coffre de leur voiture, et Zoé s’installe avec eux à l’arrière pour leur indiquer l’adresse des jardins. Elle a appelée Gustave et Honoré pour leur expliquer ce qu’il s’est passé. Les deux frères sont désolés d’une telle fin pour leurs récoltes obtenues après tant de soins, mais ils savent que certaines personnes ne respectent rien. Ils sont d’accord pour récupérer ce qui a été écrasé et en faire de l’engrais. Cependant, quand Zoé arrive avec Stan et François, ils ont presque les larmes aux yeux en portant les sacs vers le tas de compost.
- Zoé, vous pourrez revenir bien vite dès que le garage sera opérationnel à nouveau, nous vous réapprovisionnerons, nous allons solliciter les autres jardins et récupérer plus de volume que d’habitude pour compenser les pertes.
- Merci à vous ! on vous recontacte dès demain je pense, on ne peut plus arrêter maintenant pour nos clients, on a des commandes en cours. Au revoir, Gustave, au revoir Honoré, à demain.
Les policiers saluent également les deux frères et ramènent Zoé au pied de son immeuble.
- Merci Stan et François pour tout ce que vous avez fait pour nous ce soir. Je vous suis infiniment reconnaissante. Sans vous nous aurions mis beaucoup plus de temps. Vraiment je suis touchée.
- C’est peu pour nous, c’est beaucoup pour vous, qui n’avez pas de moyens.
- C’est vrai, sans votre voiture ç’aurait été compliqué. Demain je m’occupe de l’assurance et de faire remettre une porte.
- Pour cette nuit, on fera des rondes, il n’y a plus rien dans le garage ?
- Non, tout a été vidé ou jeté.
- A demain alors, on vous attend au commissariat pour venir chercher les vélos.
- C’est promis, à demain.
Zoé regarde s’éloigner la voiture dans la nuit et pousse un gros soupir. Elle ne peut pas rentrer directement chez elle sans avoir revu Louis et Hassan. Elle monte rapidement chez Eugénie et frappe à la porte. La vieille dame et Hassan, la mine défaite l’attendent dans le couloir.
- Venez dans la cuisine Zoé, c’est bête mais je vais faire une tasse de thé. On dit que ça réveillerait un mort. On en a tous besoin je crois tellement on se sent assommés. On a beau essayer de se raisonner, on ne peut pas croire qu’un pareil vandalisme existe encore de nos jours.
- Merci pour le thé, répondent Zoé et Hassan qui se laissent tomber sur les chaises dans la cuisine.
- Tenez, j’ai un bon cake au chocolat pour vous remonter le moral, alors Zoé, racontez-moi. Hassan m’a déjà un peu expliqué, il est bouleversé. Et j’avoue que moi aussi, d’autant que quelqu’un aurait pu être blessé. On vit vraiment dans un monde dangereux, et ici, au pied de chez nous ! Léontine arrive, je l’ai appelée au téléphone. Elle voulait venir nous apporter son soutien et ne pas rester toute seule, c’est tout de même son garage qui a été visé.
Hassan a les yeux exorbités de fatigue et l’air d’être ailleurs, même si ce qu’il a vu ce soir n’est pas comparable à ce qu’il a déjà vécu dans son pays en guerre. Il côtoyait la désolation et la destruction au quotidien dans sa vie d’avant. Avoir découvert le chaos à l’improviste en arrivant au garage a réveillé en lui des cauchemars qu’il croyait enfouis dans sa mémoire à jamais, et a aussi suscité l’incompréhension devant la gratuité du geste. Heureusement, la chaleur du foyer d’Eugénie et l’amitié de Zoé le rassurent et l’aident à se resituer peu à peu dans sa nouvelle existence.
Eugénie distribue à tous des grosses tranches de gâteau, ainsi que des tasses de thé brûlant. Quelques instants plus tard, elle va ouvrir la porte à Léontine. Zoé détaille ce qui s’est passé, la visite au commissariat et la gentillesse de Stan et François, qui méritent un remerciement de la part du Faitout Magique. Aussitôt, les deux grands-mères acquiescent et proposent de faire chacune une préparation pour le lendemain.
- Vous savez Zoé, dit Léontine qui ne semble pas plus émue ou remuée que ça, ce quartier qui était si tranquille autrefois, aujourd’hui il est plein de gens qui ne respectent rien. Alors je suis désolée, mais je ne suis pas surprise. Et puis ce n’est que du matériel. Alors on va faire réparer cette porte et on va repartir, on ne va pas se laisser démonter par un incident. Ce n’est pas un acte de vandalisme infâme qui va nous arrêter pour notre Faitout Magique.
- Combien de provisions nous reste-t-il, demande Eugénie, on peut tenir combien de jours ?
- Il y a deux sacs, peut-être deux jours ? mais on peut retourner chez Gustave et Honoré si besoin, à pied ou bien dès qu’on aura les vélos. Ils nous attendent dès demain, ils vont contacter leurs amis des jardins pour récolter davantage de provisions.
- Ce sont de vrais trésors ! s’exclame Eugénie, on peut dire qu’eux aussi participent au succès du Faitout Magique.
- Je leur ai dit qu’on viendrait demain. Il faudra d’abord récupérer les vélos et a minima en réparer un, dit Zoé.
Zoé regarde Eugénie et Léontine qui grignotent le gâteau et boivent leur thé comme si de rien n’était, comme si la violence et le vandalisme faisaient partie intégrante de leur vie et qu’elles n’en soient pas choquées. Comme habituellement, Zoé est surprise de la force de caractère et de la résilience de ses amies grands-mères. Elles sont bien plus résistantes qu’on ne pourrait le croire, et bien plus battantes que les générations plus jeunes. C’est peut être parce qu’elles ont appris à relativiser du fait de leur longue expérience, ou qu’elles ont connu des époques plus difficiles … En même temps, elles n’ont pas vu le carnage du garage, contrairement à Hassan, Louis et Zoé. C’est aussi bien, peut être que ce serait moins facile d’accepter le saccage alors.
Au bout d’un moment, un pas lourd se fait entendre dans le couloir et Louis fait son apparition dans la cuisine. Lorsqu’il voit que l’ambiance n’est pas morose et que l’équipe s’est remise de ses émotions, il reprend espoir lui aussi et se mêle à la communauté pour une tranche de cake au chocolat et une tasse de thé.
*
Après la collation, Zoé regagne son appartement, elle a hâte de retrouver Lucia et de lui raconter sa journée riche en événements et en rencontres : Marceline, Antoinette et Louis, Olympe, Alphonse, le garage vandalisé, Stan et François, les deux vélos ...
Lucia ouvre la porte, souriante et accueillante, Zoé est heureuse de rentrer chez elles.
- Vieni, cara. Giambattista è qui, abbiamo preparato gli spaghetti al pesto !
- Con un po ‘di parmigiano reggiano, il sole d'Italia, sarà delizioso, ajoute Giambattista depuis la cuisine, è tutto pronto, allora al tavolo ! [1]
- Super, quelle bonne nouvelle, j’ai une faim de loup !
Zoé se précipite dans la salle de bain pour se laver les mains et en passant fait une rapide caresse à Manon, elle a besoin surtout de se replonger dans son milieu habituel, familier et chaleureux. Après avoir supporté un contexte violent et destructeur pendant plusieurs heures, subi le stress d’un interrogatoire de police et vidé le gâchis du garage, elle est heureuse de revoir des visages amis et de manger les pâtes au pistou avec Lucia et Giambattista.
Après le dîner, elle va s’étendre sur son lit avec Manon, et rappelle Alphonse puis Olympe pour s’excuser de son départ précipité. Alphonse ne répond pas, il doit déjà être en train de dormir. Olympe décroche immédiatement.
- C’était quoi cette urgence ? demande-t-elle presque agressivement.
- Notre entrepôt de stockage a été vandalisé. J’ai du aller faire les démarches au commissariat et nettoyer après, répond Zoé sur le ton de la conciliation. C’est un garage qu’on nous a prêté et la porte a été défoncée.
- Et il sert à quoi ce garage ? demande Olympe qui ne sait pas encore grand chose sur l’activité de Zoé.
- Eh bien nous y stockons des provisions de légumes, de fruits, dont on se sert pour cuisiner des plats et des desserts pour le Faitout Magique.
- C’est le nom de ta société ? c’est rigolo !
- Oui. Ne te moque pas s’il te plait, c’est très sérieux.
- Mais non ! et qui fait les plats, des professionnels ou des sorciers ?
- Principalement des grands-mères et des grands-pères, et toutes les personnes qui sont inscrites en tant que cuisiniers. Ce sont des gens qui sont contents d’avoir une petite activité pour ne plus s’ennuyer ni se sentir seuls. Et en fait, ça marche très bien.
- Et alors, du coup avec la vandalisation, vous n’avez plus de provisions ?
- Presque plus.
- Sale affaire … et vous savez qui c’est ?
- Non, mais la police a des pistes, ils vont enquêter. Demain, je m’occupe de prévenir l’assurance pour le remplacement de la porte.
- J’espère qu’ils vont agir vite, que vous puissiez réutiliser votre entrepôt.
- Je crois qu’il faut attendre le passage d’un expert d’abord.
- D’accord, tu me tiendras au courant. Finalement, je suis restée longtemps avec Alphonse, il déprimait tellement. J’y retourne demain, il a insisté pour avoir de la compagnie.
- Très bien, répond Zoé avec un petit pincement au cœur, voilà qu’Olympe a jeté son dévolu sur Alphonse.
- Il m’a tout raconté, son voyage, l’accident, c’est terrible ce qui lui est arrivé.
- Oui, il a eu beaucoup de chance de s’en tirer vivant.
- Tu sais, j’ai un peu insisté auprès du médecin en me faisant passer pour sa petite amie, je suis curieuse … en fait j’ai pas mal insisté pour savoir ce qu’il en était réellement.
- Oui, je te connais, tu es prête à n’importe quel subterfuge pour avoir de l’information.
- C’est assez vrai, ma foi. Et le médecin n’est pas très optimiste pour qu’il remarche …
- Quoi ! explose Zoé, ah non ne me dis pas ça, c’est terrible.
- Apparemment la colonne vertébrale aurait subi des dommages.
- Oh noooon, gémit Zoé
- Il ne faut surtout rien lui dire et attendre le verdict final, pour l’instant les examens continuent, poursuit Olympe.
- Non, non, non, pauvre Alphonse, c’est affreux, ça me ravage. C’est finalement la pire nouvelle de la journée, le garage à côté c’est rien du tout.
Zoé s’est levée et tourne en rond dans sa chambre, incrédule.
- Ne perds pas espoir, on ne sait jamais, dit Olympe.
- Sont-ils certains que la colonne vertébrale est touchée ? C’est irréversible ?
- J’ai cru comprendre que oui.
- Oh là là, ses parents savent quelque chose ? questionne Zoé angoissée
- Non, il n’y a que toi et moi pour l’instant, ce sera notre secret. Je ne vais pas leur dire, tu penses bien. Tu ne me demandes pas des nouvelles de Zebediah ?
Zoé a soudain le sentiment qu’Olympe s’est complètement insinuée dans sa vie privée, elle sait tout sur tout et sur tout le monde autour d’elle, comme un serpent qui petit à petit aurait pris toute sa place dans son intimité. Olympe lui parle de ses amis comme s’ils étaient les siens, avec une familiarité dérangeante.
- Tu l’as vu à Londres ? questionne Zoé
- J’ai essayé de le voir, mais impossible de réussir à le décrocher de son boulot celui-là. A chaque fois que je l’avais au téléphone, il avait quelque chose de très urgent en route, sinon il n’était jamais libre pour un verre le soir. Pas le mec marrant du tout.
- C’est un vrai consultant, toujours le nez sur son travail. Il doit bosser quelque chose comme dix ou douze heures par jour.
- En effet ce n’est pas le mec marrant, je te confirme. Du coup, au bout d’un moment j’ai renoncé. A croire qu’il ne voulait pas me voir ...
Zoé est soulagée et amusée d’entendre que Zebediah ne s’est pas laissé avoir par Olympe et qu’il a su lui résister. Visiblement la jeune-fille n’a pas pu le convaincre de la rencontrer et par dépit, dorénavant, Olympe le méprise. Ce qu’elle ne peut conquérir, Olympe préfère l’écraser ou l’ignorer, d’où son report d’affection sur Alphonse, en conclut avec justesse Zoé.
- Tu ne me demandes pas pourquoi je suis allée à Londres ? poursuit Olympe.
- Tu me l’as dit, pour ta propre collection !
- Et oui, voilà l’affaire ! Je te raconte. Paolo, depuis quelques temps est souvent absent, il voyage beaucoup pour son inspiration, en Italie, au Japon, en Inde, en Chine, du coup il n’a pas le temps de créer sa collection pour cette saison et il m’a confié le job. En fait, je crois qu’il a une baisse d’inspiration, en ce moment ses idées sont tartes. Bien sûr, il est sponsorisé par une femme riche qui ne jure que par lui et ses créations. C’est pour ça que je suis allée à Londres car elle y habite, pour obtenir le financement, lui il n’a pas eu le courage, il a préféré s’éloigner, sa production est trop nulle. Ainsi j’ai eu le budget dont j’ai besoin pour faire ma première collection. Tu te rends compte ? ma première collection ! cette fois j’atteins la consécration. Je le savais qu’un jour ça m’arriverait. Peut-être pas aussi vite, mais il faut attendre l’opportunité et la saisir quand elle se présente. Et voilà, c’est mon tour, je vais sauter dans le grand bain et bientôt, à moi la notoriété.
Zoé a la sensation, même si elle ne la voit pas, qu’Olympe est en train de danser de satisfaction chez elle. Elle trouve que cette fille est devenue bien prétentieuse, et que le succès à venir lui est vite monté à la tête. Et surtout elle ne comprend pas cette réjouissance indécente quand elle pense à ce qui arrive à Alphonse.
- Et bien, tu as tout le bonheur dont tu rêvais ! réussit-elle à articuler.
- Oui, là je suis en train de créer mes modèles, je cherchais moi aussi l’inspiration, un peu à Londres, et à Paris bien sûr, poursuit Olympe avec emphase. A Londres, j’étais beaucoup trop occupée pour concevoir, mais maintenant que je suis de retour à Paris, je crois qu’Alphonse va être une source d’invention pour moi, je le sens. Bref, tu vois, en ce moment tout me réussit.
- Alphonse handicapé t’inspire ? s’écrie Zoé sans pouvoir y croire. C’est révoltant de dire ça et de profiter des faiblesses des autres.
- Non, ce n’est pas du tout ça, mais tu vois, lui, pour l’instant il est coincé, il ne peut pas m’échapper. C’est ça qu’il me faut, quelqu’un que je peux avoir sous la main quand je veux, Et puis il est si beau garçon … quand je le vois, je sens que mon imagination travaille, que ma créativité se développe ...
- C’est certain, il a un charme fou, répond Zoé, je comprends qu’il stimule ton inventivité.
A cet aveu, Zoé comprend qu’Alphonse est devenu le jouet d’Olympe. Elle a peur qu’il ne se laisse anéantir par la soif de possession de cette créature, qui ne trouve son bonheur qu’en soumettant sa victime. Elle voit Olympe comme une araignée qui aurait attrapé sa proie dans sa toile et la torturerait avant de la détruire. Heureusement, Zoé sait qu’Alphonse n’est pas aussi manipulable qu’il en a l’air, et qu’il est capable d’opposer à toute attaque une force d’inertie incommensurable pour préserver sa liberté. Le combat promet d’être ardu.
- Oui, j’y ai succombé immédiatement, répond Olympe en soupirant sans discrétion, et en exprimant une très grande satisfaction. Ce n’est pas comme avec ton Zebediah tristounet, on ne risque pas d’être séduit, il n’est jamais dispo lui, je te le laisse.
- Ce n’est pas MON Zebediah, corrige Zoé. Il est libre de faire ce qu’il veut !
- Oui, répond Olympe, on verra bien !
Zoé retrouve dans leur échange l’Olympe qu’elle déteste, celle qui ne pense qu’à se servir des gens pour atteindre ses desseins. Le ton est outré et théâtral, Olympe joue un rôle dans lequel elle se met en avant. Zoé a envie de raccrocher rapidement désormais, cette fille malsaine la dégoûte. Et puis elle est si triste pour Alphonse, comment imaginer que ce jeune-homme si adorable et talentueux ne remarchera pas ? Elle le revoit souple et félin se déplacer dans la rue, rire à gorge déployée dans les parcs ou les squares où ils allaient déjeuner ensemble, agitant ses belles boucles dans le vent. Il lui est impossible de croire qu’il sera désormais dans un fauteuil roulant.
- Non je ne peux pas le croire, pas Alphonse, pense-t-elle. Je n’arrive même pas à me l’imaginer.
- Allez salut Zoé, pérore Olympe à l’autre bout du fil en l’interrompant dans ses réflexions, j’ai à faire maintenant, entre Alphonse, ma collection et la boutique, je n’ai plus un instant à moi. On se revoit bientôt ?
- Je crois que j’ai pas mal de boulot aussi, avec tout ce qui vient de se passer, répond Zoé. A un de ces jours, tu me montreras ta collection, ou du moins le début, pour me faire une idée, j’imagine que ça prend du temps à réaliser …
- Oui c’est long, j’ai un certain nombre de modèles à créer. J’ai déjà des idées, et j’ai fait quelques essais. Je t’appelle dès que possible. Ou alors on se verra chez Alphonse.
- D’accord, très probablement chez Alphonse; répond Zoé, salut.
- Salut.
Zoé est furieuse contre Olympe, et peinée pour Alphonse. Pour se consoler et se changer les idées, elle décide d’écrire un petit sms à Zebediah. ‘Salut Zebediah, je viens de passer un moment au téléphone avec Olympe. J’ai compris que tu as réussi à lui échapper. Félicitations ! elle est vexée. A bientôt, bises’
Elle a à peine envoyé le texto que son téléphone bipe en retour, c’est Zebediah : ‘Salut Zoé, je ne traite pas avec les punaises moi, j’espère que tout va bien pour toi, bises.
Zoé sourit imperceptiblement, c’est bon d’avoir de vrais amis qui pensent comme elle et ne la trahissent pas. Et elle aime bien qu’ils se parlent tous les deux aussi librement. Même si Zebediah est loin d’elle, les messages qu’ils échangent le rendent proche comme s’il était là en face d’elle. Et c’est réconfortant de sentir cette proximité, surtout en ce moment où tout se qui se passe est compliqué. Alors elle répond ‘c’est cool ! bonne nuit biz’
Enfin décontractée, elle s’étire dans son lit, éteint la lumière et roule sur le côté. Un petit boum lui indique que Manon n’est pas ravie d’avoir été dérangée, mais rien ne saurait désormais gâcher sa bonne humeur retrouvée, Zoé ferme les yeux et s’endort aussitôt.
Dans l’immeuble en face de sa fenêtre, Eugénie et Hassan se sont assoupis depuis bien longtemps. Louis est remonté chez lui et cherche le sommeil, il est contrarié par l’incident du garage. Il culpabilise car il avait noté que la porte n’était pas solide, il aurait dû insister pour la faire réparer. Il se trouve négligent, même s’il sait que personne ne viendra lui faire de reproches.
Et surtout, depuis qu’il a rencontré Antoinette, il voudrait que les choses se passent bien, Il s’imagine enfin un avenir avec quelqu’un, il a définitivement oublié l’épisode malheureux avec Soledad. Il a repéré dans les yeux d’Antoinette une petite lumière qui lui fait comprendre qu’il y a réciprocité. Mais il n’a pas envie de se précipiter et de se déclarer tout de suite, il y a du plaisir aussi à faire durer les bons moments, à mériter vraiment les sentiments de l’autre. Et il sait instinctivement qu’ Antoinette va aimer cette période de conquête, que les mots ne seront pas vraiment dits mais que les intentions seront comprises, c’est délicieux.
Enfin, même s’il n’éprouve plus de sentiment amoureux pour Soledad, il est inquiet pour elle, il l’a vue ce soir en apportant le sac de provisions écrasées, il la trouve de plus en plus fragile, de plus en plus diaphane, de plus en plus lointaine.
*
Grâce à l’intervention efficace de Stan et François, la porte a été réparée rapidement. L’expert de l’assurance s’est déplacé dès le lendemain du carnage, puis les deux policiers ont fait appel à un artisan agréé pour remplacer l’accès. Antoinette a eu la surprise de voir sur la page Facebook du site un appel à dons pour aider au financement de la nouvelle porte, et les adhérents ont répondu en masse à la sollicitation.
Zoé a enquêté et les deux policiers ont fini par avouer qu’ils étaient à l’origine de cet appel. Grâce à leur sponsoring dans le quartier et au lobbying au commissariat, le nombre d’adhérents a augmenté de manière significative ces derniers jours. Beaucoup de gens ont été scandalisés par la brutalité de l’agression et se sont inscrits sur le site du Faitout Magique par solidarité et pour montrer leur soutien à l’association.
Heureusement, en parallèle, plusieurs nouveaux grands-pères et grands-mères se sont inscrits dans la catégorie cuisine. Ils vont permettre de répondre au nombre croissant de plats à produire et d’assurer le service en continu. Isidore et Casimir, qui ont des origines moscovites, vont apporter des recettes traditionnelles russes comme le bœuf Strogonoff, le Koulibiac, et les blinis. Joséphine est experte des soupes les plus originales et les plus incroyables, mais elle sait faire aussi le potage au pistou ou le minestrone ou encore le gazpacho. Wilhelmina aime tous les plats à base de saucisses et de choux, y compris la choucroute, et enfin, beaucoup plus exotique, les chinois Bao et Hu qui savent cuisiner toutes sortes de spécialités chinoises et Cho et ses recettes coréennes ont hâte de rejoindre le Faitout Magique pour faire découvrir la vraie bonne cuisine de chez eux aux Parisiens.
La collecte de dons a permis de financer une porte sur mesure, réalisée par le menuisier mandaté par Stan et François, M. Dju. La porte est épaisse et peut s’ouvrir soit en grand, soit par un portillon. La serrure est solide avec plusieurs points d’ancrage, et pour éviter une autre effraction une borne anti bélier amovible a été installée par la municipalité sur le trottoir devant la porte du garage.
Zoé et Louis sont encore surpris de l’efficience des deux policiers qui leur ont apporté une aide précieuse. Le garage a été repeuplé d’étagères et de vivres, une solidarité sans précédent s’est manifestée de tous côtés pour faire oublier l’incident : don d’outils, fourniture de planches, conseils en tous genres. Et surtout chacun a compris que s’il voulait voir vivre et prospérer le Faitout Magique dans le quartier, il était impératif de lui prêter main forte.
Hassan a réparé les deux vélos, avec l’aide d’un petit grand-père bricoleur, Théophraste, qui s’est adjoint à l’équipe des adhérents bénévoles pour toutes sortes de petits travaux. Et Théophraste qui s’ennuyait chez lui à cent sous de l’heure, est si content de participer à l’association qu’il seconde depuis Hassan dans les expéditions aux jardins ouvriers et la distribution des plats préparés.
Pendant la période de réparation, Zoé, Hassan, Léontine et Louis ont préparé la fête pour l’anniversaire d’Eugénie. Léontine s’est chargée de faire le gâteau, Louis d’envoyer les invitations avec l’aide d’Antoinette, et Zoé a convaincu Marceline de chanter et Olympe de trouver une belle étole, ou de la confectionner.
Toute l’équipe se retrouve le jour J derrière la porte de l’appartement d’Eugénie, et tout le monde pouffe et est joyeux quand Hassan ouvre la porte et les laisse entrer. Eugénie est dans la cuisine, occupée à tourner une cuillère en bois dans une casserole où mijote une sauce aux épices et aux herbes.
- Hey, Eugénie, joyeux anniversaire ! s’écrient tous les convives en pénétrant dans la cuisine les uns après les autres.
Eugénie se retourne vers eux, les larmes aux yeux. Hassan lui tend un gros bouquet de fleurs apporté par Gustave et Honoré. Chacun a prévu une petite attention pour Eugénie. Il y a là outre les deux frères, Léontine, Lucia, Sarah et Rose, Louis et Hassan, Antoinette, Anselme et Nino, Emilie, Théophraste, Marguerite et Marceline qui s’avance toute intimidée. C’est la première fois qu’elle voit Eugénie dont elle a beaucoup entendu parler. Ce n’est pas tout à fait dans son habitude de venir dans ce type de fête. Zoé la pousse doucement en avant pour qu’elle entonne la chanson universelle, reprise par toute l’assemblée.
La glace est brisée, Eugénie s’assoit, Léontine pose le gâteau sur la table, avec toutes les bougies allumées (ça s’est fait discrètement dans le couloir entre Hassan et Louis). Et Eugénie souffle pour éteindre toutes les petites flammes qui dansent sur la pâtisserie.
- Vous savez, cela fait bien longtemps que je n’avais plus fêté mon anniversaire. Je crois que je ne sais même plus mon âge à force. Et puis quelle importance ! Si je vous faisais une bonne tasse de thé ?
- Eugénie, ouvrez vos cadeaux ! disent les convives impatients
- Vous vous rendez compte ! cela fait des années que je n’ai pas reçu de cadeaux, …. et de gâteaux … c’est Eugène qui m’avait offert mon dernier cadeau, ça remonte à de nombreuses années ! fait-elle avec un soupir, comme si elle n’y croyait pas, oh, comme c’est gentil à vous.
Pendant que Léontine et Hassan préparent le thé et découpent le gâteau, Eugénie ouvre ses cadeaux et s’enroule dans l’étole qu’Olympe a finit par consentir à réaliser elle-même. C’est une étole grise, faite dans un tissu de laine légère et fine, chaude et élégante. Eugénie est parfaite, son petit visage rose d’émotion est comme une fleur enveloppée dans l’étoffe moussante.
- Ah mes amis, dit Eugénie d’une voix attendrie, vous m’apportez tous tant de joie, ma vie était si terne avant !
- C’est comme moi, dit Léontine avec son bon sourire bienveillant.
- Et moi c’est tout pareil, poursuit Marceline et elle éclate de son rire communicatif. Ah la la, dire qu’il y avait tant de gens intéressants si près de moi et que je ne vous connaissais pas ! Et tous nous aimons la bonne cuisine !
- Allons, buvons ce thé et dégustons ce gâteau, et merci Marceline, on est bien contents de vous connaître. Tu as fait ta préparation magique, Léontine ? demande Eugénie.
Le gâteau est fait d’un biscuit aérien, couvert d’une crème légère et mousseuse, mêlée à des poignées de fruits frais et parfumés, c’est une œuvre rare, réservée pour des occasions exceptionnelles.
- Oui, c’est le gâteau des fées, dit Léontine. Tu peux faire un vœu, il s’exaucera.
- Alors, Eugénie réfléchit quelques instants puis annonce que son vœu est fait. En fait, j’en ai fait plusieurs, un pour chacune des personnes ici présentes, et qui sont toutes mes amis.
- Ca ne va pas marcher, dit Marceline, c’est juste un vœu !
- Mais si, ne vous inquiétez pas Marceline. Et dites-moi, c’est quand que vous me faites goûter à vos spécialités ?
- Ah mais quand vous voulez ! ha ha ha !
- Topez-là !
- Léontine, je crois bien que Marceline nous a invitées pour goûter à la gastronomie sénégalaise. Qu’est-ce que tu en dis ?
- Je dis que c’est une très bonne idée.
- Marceline va nous chanter quelques romances de votre époque Eugénie, dit Zoé. Marceline se lève, fait une révérence et avec un art consommé de la représentation, enchante toute l’assemblée avec de vieux refrains cultes que tout le monde adore. Ils sont repris à l’unisson quand les paroles sont connues des convives, entrecoupés d’éclats de rires en cascades dont Marceline a le secret et l’exclusivité.
Eugénie est aux anges en écoutant ces ritournelles de sa jeunesse et Marceline est toute émue de l’admiration que sa voix provoque chez les spectateurs.
Zoé et Lucia se réjouissent de cette soirée réussie quand elles quittent l’appartement d’Eugénie pour retourner chez elles, un peu plus tard.
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Le mercredi suivant, Eugénie et Zoé se rendent chez les MacRury. C’est un couple d’Ecossais installés à Paris pour une année, qui ont souhaité organiser une fête originale pour l’anniversaire de leur petite fille, Fenella. Les enfants vont participer à la confection du gâteau avec Eugénie, qui leur lira ensuite des histoires. Zoé est venue aider Eugénie car il y aura dix enfants à manager.
Moira et Lachlan MacRury ont choisi un gâteau d’origine écossaise, un gros cake aux raisins secs et aux fruits confits, avec de la mélasse et des épices, une sorte de Dundee Cake. Eugénie a conseillé de faire aussi un gâteau au chocolat pour les enfants qui n’aimeraient pas le cake. Des grands torchons noués tiennent lieu de tabliers de cuisine pour les petits apprentis pâtissiers.
Patiemment, Eugénie conseille et aide les enfants à peser les ingrédients, les mélanger dans un bol, beurrer le moule, allumer et programmer le four. Une équipe réalise le cake écossais, l’autre le gâteau au chocolat.
A la fin de l’après-midi, lorsque les gâteaux sont prêts, après la lecture de contes et des jeux plutôt éducatifs, Zoé et Eugénie sont surprises de constater que le cake a autant de succès que le gâteau au chocolat. C’est peut être la fierté de l’avoir fait eux-mêmes qui motive les enfants à goûter ce dessert peu commun.
Pendant que Zoé et Eugénie font la vaisselle, les parents viennent rechercher leurs enfants.
- C’était une bonne expérience, dit Zoé les mains pleines de savon plongées dans l’eau chaude, pas trop fatiguée Eugénie ?
- Non, ça va. Je crois que je prendrais bien une tasse de thé avec une tranche de Dundee Cake ! répond Eugénie qui essuie les assiettes et les petites cuillers.
- On a bientôt fini, on va pouvoir rentrer et nous faire cette tasse de thé !
- On est en plein dans les fêtes d’anniversaire en ce moment ! Juste avant Fenella, c’était moi il y a quelques jours. Qui est le suivant ?
- Je crois que c’est Alphonse. Il ne va pas tarder à rentrer chez lui, alors on le fêtera là bas.
- Ce Dundee Cake c’est bon, mais rien ne vaut le gâteau des fées de Léontine !
- C’est vrai. Mais les MacRury sont attachés à leurs traditions écossaises et ils voulaient une fête différente des célébrations habituelles pour leur fille, une fête qui se rapproche de ce qui se fait dans leur pays.
- C’est une bonne idée ces fêtes d’anniversaire ! quel plaisir de faire un gâteau avec des petits et des petites, ils sont intéressés par tout ! Et je crois que les petits loups apprécient particulièrement de cuisiner avec des grands-mères car on est très patientes ! Dites Zoé, vous avez vu que Moira attend un heureux événement ?
- Non ! vous avez un œil de lynx Eugénie, je n’avais rien remarqué !
- Eh oui, répond malicieusement Eugénie ! ça aussi c’est l’apanage des mamies ! Bon, quelle est notre prochaine étape ?
- La prochaine étape, c’est une matinée de cuisine à l’école primaire. L’institutrice Madame Vasseur nous a proposé de venir pour cuisiner le repas de midi avec les enfants. On apportera des légumes frais pour les montrer avant de les travailler. Nous allons choisir avec Valentine Vasseur le menu qui sera préparé.
- Hum ! c’est aussi une très bonne idée, c’est très formateur pour les enfants.
- Je crois que c’est très formateur aussi pour les parents et les professeurs !
- C’est vrai que les adultes posent tout un tas de questions, ils sont passionnés par les recettes et tout ce qui est nutriments, bio et aliments sains. Ils font aussi attention aux allergènes, pesticides, glucides, lipides et autres colorants ! C’est très compliqué pour eux, de mon temps on ne se cassait pas autant la tête et tout allait aussi bien !
- Il y avait peut être moins de tout ça avant, non ?
- C’est bien possible. Comment va-t-on s’organiser pour l’école ?
- Je pense qu’on ira avec vous, Léontine, Sarah et Rose pour faire plusieurs petits ateliers.
- Ah Zoé, quel travail tout cela vous donne ! mais il y a tant d’idées à exploiter ! Dire que toutes ces bonnes choses n’existaient pas avant !
- Il fallait juste rassembler les gens ! On a aussi le devoir de former les enfants et les parents à la bonne nourriture, et d’être exemplaires dans nos conseils et nos actes : faire des recettes de saison, limiter la viande et inciter à devenir flexitarien, utiliser toutes les ressources dont on dispose et limiter le gâchis. Nous aussi on doit suivre ces bonnes pratiques, pour pouvoir les enseigner aux autres.
- Ne vous inquiétez pas Zoé, nos générations ont été élevées dans cet esprit là, il ne fallait jamais rien perdre, même pas les fanes de radis qui pouvaient servir pour la soupe, ou bien les orties du jardin !
- Et en plus ce sont de bons légumes !
- Et on mangeait le pain rassis sans en perdre une miette !
- Super, ce sont de bonnes habitudes de vie, à promouvoir encore aujourd’hui. Il faudra qu’on mette des indications sur ces sujets dans notre site.
- Antoinette va avoir du pain sur la planche !
- Elle adore s’occuper du site ! elle s’est découvert une véritable vocation ! Je croyais que ce serait mon rôle, mais elle le fait bien mieux que moi.
- Ah Zoé, vous êtes beaucoup trop modeste !
- Mais non Eugénie, juste réaliste !
- Allons, vous avez tellement de talent ! vous savez donner l’envie aux gens !
- Merci Eugénie, c’est un beau compliment, dit Zoé en se séchant ses mains.
Quand elles ont terminé de ranger la vaisselle et les ingrédients, Zoé et Eugénie se faufilent dans le couloir d’entrée. Les MacRury discutent avec les autres parents qui attendent de récupérer leurs bambins. Moira s’approche quand elle aperçoit Zoé et Eugénie. Zoé ne peut s’empêcher de baisser des yeux incrédules sur le ventre plat de Moira, et celle-ci rougit sous le regard, se trahissant aussitôt.
- C’était vraiment très bien, merci à vous ! dit Moira avec son accent chantant, masquant son embarras par la vivacité de son ton. Les enfants se sont bien amusés, et en même temps ils ont goûté à une recette écossaise et participé à un atelier de cuisine. Et merci pour la lecture, une grand-mère qui raconte une histoire, c’est si merveilleux pour les petits !
- Tout le plaisir était pour nous Madame MacRury. Au revoir et à bientôt.
- See you soon, répond Moira en refermant la porte de chez elle.
- Vous voyez Zoé, dit Eugénie, vous ne me croyiez pas ! j’avais raison pour le bébé !
- Mais oui Eugénie, je sais bien que vous avez des pouvoirs magiques de divination !
Et riant de leurs facéties après leur mission éducative, Zoé et Eugénie rentrent directement chez Eugénie, pour se faire la bonne tasse de thé dont elles ont rêvé tout l’après-midi.
- [1]Viens, ma chère, Giambattista est ici, nous avons préparé les spaghettis au pesto !
- Avec un peu de parmesan reggiano, le soleil de l’Italie, ce sera délicieux, ajoute Giambattista depuis la cuisine, c’est tout prêt, alors à table !