Déjà quelqu’un d’autre attendait de prendre la place d’Andréa. Une femme brune d’une quarantaine d’années s’avança vers moi et se présenta d’une voix sympathique.
- Bonjour! Je suis Nelly, votre anesthésiste. Je voudrais revenir avec vous sur le déroulement de l’opération.
- Enchantée de faire votre connaissance.
Elle s’assit sur le siège qu’Andréa venait de quitter et tira un carnet de sa poche.
Puis, au coin du rideau, apparu un gros bonhomme en tenue de bloc et sous le calot bleu je reconnus le visage familier de Mr. C.
Mr C. était le chirurgien en chef du service de neuro-oncologie mais rien dans sa manière d’être ne trahissait sa position hiérarchique. Il mettait un point d’honneur à s’impliquer dans les aspects humains de son travail autant que son emploi du temps chargé le lui permettait. D’un naturel enjoué, placide même, il était visiblement dans son élément à l’hôpital, auprès de ses patients. J’avais relevé qu’il mettait beaucoup de fierté dans son travail, et en particulier, à ce que la vie de ses patients soit le moins perturbée possible par ses interventions. Il devait s’agir de cette satisfaction qu’expérience une ménagère méticuleuse lorsqu’après s’être saisie un objet pour le dépoussiérer, elle le repose exactement à sa place sur l’étagère. Il m’avait été donné de le lire une fois, dans l’un de ces rares moments où il avait manifesté un semblant d’irritation. C’était le jour où je lui avais demandé comment il fallait que je me coupe les cheveux avant l’opération.
- Non non, il n’y a rien à faire. Avait-il d’abord répondu calmement. Puis, ne pouvant se retenir d’exprimer une contrariété passagère, il avait ajouté:
- N’allez surtout pas vous faire faire une coupe de cheveux fantaisiste, laissez vos cheveux tels qu’ils sont !
Mais ce type d’incident, aussi insignifiant puisse-t-il paraître était très rare. Mr C. avait d’ordinaire une parfaite maîtrise de son expression. Son accent et le timbre de sa voix, qui trahissent en Angleterre une appartenance non seulement géographique mais aussi sociale, était celui de la classe moyenne supérieure du sud de l’Angleterre, et avec lui, toute une manière d’être. La brillance de son regard laissait percer une curiosité qu’il ne se permettait cependant jamais d’exprimer.
Ce qui était singulier chez lui, c’était cette constance d’attitude qu’il cultivait. Il pouvait vous annoncer les choses les plus tragiques ou les plus rassurantes sans changer quoi ce soit dans le ton de la voix. Ce n’était pas un ton monocorde, ni à l’inverse un apitoiement forcé. Sa bonne humeur naturelle rendait cette compassion qu’on pourrait lire dans son regard d’autant plus convaincante qu’elle semblait tout à fait authentique. D’ailleurs il ne s’agissait pas seulement de sa physionomie ou du ton de sa voix. Son choix de vocabulaire était assorti à son attitude. Il ne manquait pas dans chacune de ses remarques, de rappeler l’incertitude qui entourait chacun de ses jugements. Sans doute pour cette raison il ne disait jamais plus que le strict nécessaire pour vous contenter. Et comme j’allais le découvrir plus tard, il me faudrait vraiment le pousser dans ses dernières retranchements pour qu’il livre enfin son intuition sur un diagnostic, ou un verdict.
- It’s a little bit odd looking, m’avait-il confié la première fois qu’il m’avait montré les images de l’IRM.
- Il y a une large zone d’inflammation, avait-il dit en pointant vers une zone gris foncé qui occupait un tiers de mon hémisphère gauche. “Cela pourrait possiblement faire partie de la tumeur. Mais je ne suis pas sûr. J’en discuterai avec mes collègues demain.”
- Et puis il y a ce petit truc rond. En montrant un petit cercle blanc avec un point sombre au centre, situé à la jonction des trois lobes, dans le sillon latéral. “Ces choses-là tendent à devenir mauvaises au bout d’un moment.”
Si je n’avais pas eu sous mes yeux par hasard, et sans qu’elles me soit destinées, les notes qu’il avait envoyées au radiologue par la suite, je n’aurais jamais deviné que son diagnostic à ce moment-là était celui d’un glioblastome multiforme, cette forme foudroyante de cancer cérébral.
Jusqu’à maintenant j’avais toujours vu Mr C. en manches de chemises. Il portait d’ordinaire des chemises blanches ou à petit carreaux gris, dont les manches retroussées jusqu’au dessus des coudes, laissaient paraitre la peau claire et lisse de ses bras couverts de taches de rousseur. Son abdomen rond et de taille franchement impressionnante tendaient dangereusement ses boutons de chemise. Comment était-il possible de manier le scalpel avec un ausssi gros ventre tant il vous tenait à distance des choses ? avais-je immédiatement songé, lors de notre première rencontre, deux semaines plus tôt. Il faut dire qu’il m’avait toujours paru étonnant qu’on puisse être à la fois à la pointe de la médecine et d’apparence en aussi mauvaise santé.
L’apparition de Mr C., de si bon matin, me surprit. Je ne pensais pas le voir avant de monter au bloc. A ce moment là, je ne savais pas encore que passer voir ses patients au ward avant de les opérer faisait parti du rituel journalier d’un neurochirurgien. Certains d’entre eux préféraient faire leur ronde la veille au soir parce qu’ils avaient besoin de la nuit pour séparer la personne de cette masse de chair, d’os, et de neurones à l’intérieur de laquelle ils allaient devoir pénétrer. Mais Mr. C. était visiblement un matinal. Il ne semblait pas sujet aux états d’âme ni troublé par un excès de psychologie.
Mr. C. s’excusa d’interrompre l'anesthésiste, et me demanda poliment comment je me sentais ce matin.
- Oui, parfait. Répondis-je en souriant. J’étais heureuse de sa visite.
Il m’expliqua que je devais passer un IRM pré-opératoire, car il avait besoin de données récentes.
- Il aurait fallu que cet IRM soit fait vendredi, mais je ne sais pas pourquoi, ils se sont embrouillés dans la prise de rendez-vous. Puis il ajouta avant de partir :
- Je vous verrai dans le théâtre après l’IRM. Good luck!
Alors qu’il s’éloignait, la discussion avec l’anesthésiste reprit de plus belle.
- J’en était où déjà? Oui voilà. On va commencer par vous anesthésier. On vous installera un cathéter urinaire, toutes les sondes etc.. et on vous gardera sous anesthésie jusqu’à ce que l’on ait localisé la lésion, et effectué les tests moteurs. Puis on vous réveillera lorsque Mr. C. sera prêt à cartographier la zone du langage. À ce moment-là on vous présentera une tablette avec les questions que vous avez préparé, n’est-ce-pas?
J’acquiesçai.
- Le problème c’est qu’une fois que les tests sont finis, on préfère ne pas vous remettre sous anesthésie générale. Pourquoi? parce que faire deux anesthésies coup sur coup, ça augmente trop les risques liés à la deuxième anesthésie. Donc si tout va bien vous serez éveillée pour le restant de l’opération. Il y a aura des anesthésies locales au niveau du cuir chevelu et partout où c’est nécessaire, donc vous ne devriez pas sentir quoi que ce soit.
- Par contre, généralement les gens deviennent très grincheux vers la fin de l’opération. Ce sera mon rôle de vous divertir à ce moment là, pour que le temps passe plus vite.
- Pourquoi grincheux?
- Parce qu’ils en ont marre, ils sont fatigués.
Cette remarque me fit sourciller. Grincheux. Au point de devoir être divertis par leur anesthésiste?
- Il me faudrait des sujets de conversation qui vous intéressent. Vous permettez que je vous pose quelques questions?
Elle ouvrit son carnet et commença à m’interroger.
- Quel est votre passe-temps favori?
- Je fais de la danse classique indienne.
- Quel sport suivez-vous?
Elle commença à griffonner dans son carnet tout en poursuivant son interrogatoire. Un peu surprise par l’exercice, je lui répondais du tac au tac, sans réfléchir.
- Le tennis
- Votre athlète préféré?
- Naomi Osaka
- Naomi qui?
- Osaka
- Quelle musique aimez-vous écouter?
- La musique classique indienne
- Votre chanson préférée?
- Thillana
- Comment ça s’écrit?
- T-I-L-A-N-A
Avec un air de satisfaction, elle referma son carnet, et pris congé. Je me demandai ce qu’elle allait bien pouvoir faire de ces informations et regrettai un instant de ne pas avoir eu la présence d’esprit de lui donner des réponses plus standard.
Exemple:
- It’s a little bit odd looking…
- Il y a une large zone d’inflammation…
- Et puis il y a ce petit truc rond…
Quelques remarques et coquilles:
sous le calot bleu je reconnu--> reconnus
les notes qu’il avait envoyé--> envoyées
« Jusqu’à maintenant j’avais toujours vu Mr C. en manches de chemises. Il portait d’ordinaires des chemises blanches … boutons de chemise » --> vous utilisez 3 fois le mot « chemises » et deux fois « manche », peut-être conviendrait-il des synonymes.
toutes les sondes etc.. et on vous gardera --> toutes les sondes, etc. et on...
avec les questions que vous avez préparé, n’est-ce-pas? --> préparées
Je ne comprends pas trop le « n’est-ce pas » dans cette phrase (un anglicisme ?). C’est dans le sens de « d’accord » ?
J’acquiesçai. --> j’acquiesçais
Je me demandai ce qu’elle … et regrettai un instant de ne pas avoir eu la présence d’esprit
--> demandais et regrettais
En attendant la suite!
Pour les différents tirets quand c'est la même personne qui parle, l'idée est de mettre un tiret par tirade plutôt que un par personnage. Et c'est au lecteur de deviner qui parle (il faut évidement que le contexte ne soit pas trop ambigüe. C'est un truc d'Hemingway utilise souvent dans Pour qui sonne le glas, et j'aime beaucoup.
Vous pensez que ça serait mieux d'utiliser l'imparfait ?
es bras couverts de tâches de rousseur. --> taches
J’en était où déjà? Oui voila. --> étais - voilà
danse classique Indienne --> indienne : jamais de majuscule aux adjectifs en français
Je ne vois pas ce qui justifie le temps passé de cette phrase : “Comment était-il possible de manier le scalpel avec un ausssi gros ventre tant il vous tenait à distance des choses ?” J'
Sinon, toujours la même progression intrigante...
Pour la phrase dont vous parlez, je pense que si j'enlève les guillemets le problème ne se pose plus, qu'il qu'il s'agit alors d'un discours rapporté. Je n'aime pas la sonorité de cette phrase au présent.