Les citoyens d'Equestria ne connaissaient rien aux humains. Et ce n'était pas quelque chose de péjoratif, c'était juste un fait. Parce que les dimensions n'étaient pas les mêmes, parce qu'il n'y avait pas de moyen pour les humains de découvrir le monde des poneys (et vice-versa, bien que ce n'était pas une complète certitude), parce que même s'il y avait quelques personnes qui avaient ne serait-ce que des bribes de connaissance au sujet des humains, ce n'était pas ce qui intéressait principalement les autres… pour plein de raisons. Et il en a toujours été ainsi. Les gens d'Equestria ne connaissaient rien aux humains et vice-versa, point.
Et puis, un jour, quelque chose vint perturber le statu quo.
Personne ne sut exactement quel genre de curiosité bizarre avait poussé Fluttershy à prendre ce disque à la couverture tout aussi bizarre dépeignant cet humain aux yeux noirs ayant le mot « GOBLIN » imprimé sur le visage et qui avait « Le Créateur » dans son nom. Ni même depuis quand elle l'avait trouvé. Tout ce qu'on avait su, c'est qu'elle avait failli le jeter à la poubelle après sa première écoute mais que ce disque dégageait un tel pouvoir de fascination qu'elle avait décidé de le garder et que ça l'avait même bien inspiré pour se mettre à l'écriture. Lesdits écrits étaient quelque chose censé rester discret (surtout pour ne pas traumatiser les gens), mais il y avait des moments où Pinkie Pie ne savait juste pas s'arrêter de parler, dirons-nous (heureusement que sur ce genre de choses, les autres savaient rester discrètes).
Justement, concernant Pinkie, ce fut elle qui découvrit en premier et un peu par hasard ce qui avait été jusque-là un secret. Elle était repartie de chez son amie avec un autre disque (à ce moment-là, la collection de Fluttershy n'était pas très grande, tout au plus une dizaine d'albums) et ne sortit de chez elle que 3 jours après, avec intervention de Rainbow Dash en prime. Le jour suivant, le trio se retrouvait à la forêt d'Everfree pour voir quel nouveau disque était apparu (c'était un mardi et généralement, ils apparaissaient les mardis et, parfois, les jeudis également).
A partir de là, un rituel s'installa entre les trois. A chaque mardi/jeudi, l'une des trois se rendait dans la forêt, prenait le nouvel album qui était apparu, rentrait à la maison avec, l'écoutait puis prêtait le CD aux deux autres. Bon, ce n'était pas exactement comme ça, vu que Pinkie & Dash refusaient d'écouter un disque l'une sans l'autre (quelque chose à propos du fait que c'était plus romantique à deux), mais c'était ce qui se mit en place. Ce fut la routine des trois poneys pendant plusieurs mois et dire que c'était une routine des plus plaisantes était un euphémisme.
Mais comme dit plus haut, Pinkie étant Pinkie, parfois, elle ne pouvait pas tenir sa langue très longtemps quand il s'agissait de quelque chose qu'elle aimait. Ce fut quand Applejack, un jour où elle était venue lui livrer à la boutique des pommes, l'entendit constamment siffloter et, naturellement, lui demanda d'où est-ce que ça venait, que le poney rose ne put se retenir de lui parler de cette chanson sur les flamants roses et sur leurs multiples couleurs par cette personne (Pinkie pensait que les humains qui faisaient de la musique s'appelaient comme leurs groupes ou que leurs pseudonymes étaient leurs vrais noms) au nom qui n'était définitivement pas un nom humain, Kero Kero quelque chose. Après, ce n'est pas comme si c'était un secret, à Equestria, beaucoup de choses fonctionnaient par le bouche-à-oreille. Quoi qu'il en soit, il a juste suffi de 2 minutes pour que le poney orange finisse à son tour par être motivée par la curiosité à son tour.
A partir de là, ce fût la méthode du téléphone arabe : d'abord, ce fut Applejack, puis sa famille, puis Twilight Sparkle & Spike, puis Shining Armor, puis Rarity, puis Derpy, puis Lyra & Bon Bon… enfin, bref, vous aviez compris, il ne fallut que quelques semaines pour que la rumeur des CD apparaissant dans la forêt se répande parmi toute la population. Et, étrangement, personne ne voulait se demander ou poser la question de pourquoi ces albums se mettaient à apparaître ou même s'il y avait même quelqu'un ou quelque chose qui les faisait apparaître. Les gens qui allaient à Everfree étaient surtout intéressés pour entendre ces choses qu'ils n'avaient jamais entendus. Ces mélodies, ces voix, ces personnes qu'ils n'avaient jamais vus et ne rencontreraient sûrement jamais de leur vie, mais les gens étaient curieux, voulaient les écouter. Et ils voulaient se prêter des CD, parler de ça.
Bien évidemment, les citoyens ne pigeaient pas 99% des références faites dans les différents albums, quand il y en avait. Cela avait permis la création d'un jeu très rigolo durant lequel les poneys venaient avec leurs propres théories sur qui étaient ces gens cités et sur ce qu'ils avaient fait (ça partait souvent en couille et finissait avec les poneys qui avaient des crampes au ventre à force d'avoir trop ri parce que ces théories étaient bien trop extravagantes. Des fois, c'était des théories qui se révélaient plus tristes ou effrayantes qu'il n'y paraissait). Mais le plus intéressant à analyser était la façon dont, à travers la musique, les poneys se mettaient à voir les humains. Et c'est un euphémisme de dire qu'ils ont pu ressentir tout ce qu'il était possible de ressentir à leur sujet.
Les humains sont offensants. Ils sont drôles. Ils sont stupides. Ils sont profonds et spirituels. Ils en font des montagnes pour pas grand-chose. Ils sont émouvants. Ils sont bizarres. Ils parlent de choses très intelligentes. Ils sont consternants. Ils n'ont pas de problèmes pour se révéler, même si cela inclut de révéler leurs démons. Ils se vantent au sujet de choses dont ils ne devraient pas se vanter, genre vraiment pas. Ils sont vulnérables. Ils se prennent pour des géants alors qu'ils ont des pieds d'argile (pour certains, l'argile menaçait déjà de couler).
En bref, ils étaient complexes. Et étonnamment intéressants. Personne ne s'était rien imaginé du tout à leur sujet, mais leurs espérances/interrogations avaient été complètement dépassées quand même. Bon, ça avait aussi donné lieu à beaucoup d'incompréhension par l'immense variété des profils (les albums qui arrivaient à Everfree venaient d'artistes de tous âges et de toutes époques), ce qui faisait que les poneys avaient parfois des difficultés à essayer de recoller les morceaux de l'Histoire avec un grand « H ». Mais ce n'était pas le plus important. Le plus important, c'était les mélodies et ce qu'ils étaient en train de dire.
Cela ne prit que quelques mois avant que la musique en général ne devienne la principale passion de tout le royaume (quand il se murmurait que même Celestia & Discord auraient fait deux-trois visites à Everfree, c'était bien une preuve que tout le monde s'était mis à aimer ça). Et même si certains esprits chagrins avaient craint que cette passion ne prenne le pas sur le travail et le fait qu'il y avait toujours une ville dont s'occuper, mais tout le monde savait garder la tête sur les épaules donc aucun scénario de ce genre ne se produisit. En fait, il semblait même que cela avait renforcé encore plus les liens entre les différents poneys, beaucoup de personnes n'ayant jamais discuté entre elles avant se mettaient à discuter de leurs dernières écoutes, à s'échanger leurs albums…
Cela avait même créé des emplois, si on pouvait le dire comme ça, vu que la Gazette d'Equestria n'avait pas hésité à surfer sur ce nouvel intérêt de la population en proposant une rubrique musicale ouverte à tout le monde. Elle rencontra beaucoup de succès (quand vous pouviez vous permettre d'avoir de nouvelles personnes contribuant à chaque numéro, c'était ce qu'on pouvait appeler un succès) et, même si aucun poney ici n'était critique musical professionnel, ici, c'était quelque chose où il n'y avait que la passion qui suffisait, même si tout le monde était quand même payé à la fin.
A l'extérieur, rien ne semblait vraiment avoir changé, le royaume était toujours le même, toujours plein de couleurs, de vie, de joie et de gens qui volaient. Mais maintenant, si on fait l'effort de s'approcher ne serait-ce qu'un peu, il est possible d'entendre, entre deux discussions, certains des poneys se mettre à fredonner des petits airs.
Les airs de gens qui, pendant qu'ils sont occupés à composer leurs prochains airs pour des millions d'humains, ne savent pas et ne sauront probablement pas avant longtemps qu'un Etat dirigé et composé de centaines de poneys multicolores les suivaient avec grand intérêt et feraient tout pour pouvoir les voir jouer. Sans se demander au préalable qui est vivant et mort parmi eux, ça, étonnamment, ce n'était pas une question qui avait encore été posée dans le royaume.