Cazelain m’avait demandé de le rejoindre dans le vaste hall d’entrée pour accueillir son frère. Après un quatrain d’absence, Sieur Wolf Storm rentrait au Château Lune.
Il était couvert de boue, hirsute et ne portait pas son masque. Je tressaillis sous mon châle, me plaisant à penser que ce n’était qu’à cause du froid. Mon souvenir avait amoindri ce qu’inspirait la moitié mutilée de son visage. Mais cet œil noir n’était-il pas pire encore que cette bouillie couleur chair ? Maintenant que je savais ce qu’il cachait, je ne pouvais m’empêcher de me représenter le Monstre qui s’y tapissait… Un Monstre qui avait mené un père à tuer ses propres enfants, sa femme enceinte, et qui avait pris tant d’autres vies depuis.
— Si cela vous déplait, regardez ailleurs, me gifla Wolf en passant devant nous.
Quelle expression avais-je affiché ? J’étais mortifiée.
— Cher frère, tu nous reviens de charmante humeur, réagit Cazelain d’un ton badin. Mais pourquoi avoir choisi de nous revenir à cheval ? Et sans escorte ? Le temps ne s’y prête vraiment pas.
Il pleuvait et grêlait par intermittence depuis notre retour de la veille par le passage du Pont. Les calèches n’avaient eu de cesse de s’empêtrer dans la boue.
— Ma garde n’a pas tenu le rythme, je te charge de les rabrouer.
Wolf Storm laissa tomber sa cape détrempée à même le sol.
— La seconde Épreuve a lieu demain, je devais rentrer au plus vite, ajouta-t-il d’un ton bourru.
Cazelain lui emboita le pas vers la Grande Salle et ses hautes voûtes. Je les suivis à bonne distance.
— Tu devais bien te douter, Wolf, que celle-ci aurait lieu peu de temps après le Bal du Roi. Il aurait mieux valu que tu y viennes avec nous.
— Plutôt crever, l’entendis-je marmonner en se dirigeant vers l’énorme flambée que son cadet avait mandée en l’honneur de son retour.
Clô, le palefrenier et un autre homme costaud que je n’avais encore jamais vu avait sué toute la matinée pour amener les troncs dans l’âtre et les préparer à se faire dévorer par les flammes. Face à elles, le chef du Clan se débarrassa de façon plus ou moins ordonnée de son pourpoint, de ses guêtres et même de ses bottes.
— Aurais-je au moins droit à un merci pour ce feu et mon accueil chaleureux ?
Wolf se tourna brusquement vers son jeune frère et gronda. Ou était-ce la Bête en lui ? Le son me semblait trop guttural pour n’être qu’humain. J’étais satisfaite de me tenir en retrait. Cazelain souriait toujours, mais je remarquai le pied qu’il avait instinctivement reculé, son poids qu’il dirigeait désormais vers l’arrière, prêt pour un éventuel retrait. Son ainé l’avait-il lui aussi relevé ? Je l’entendis respirer plus fort et observai ses épaules descendre d’un cran.
— Laisse-moi un instant, supplia-t-il d’une voix grave et lente.
Cazelain se fit sérieux. Il m’invita à le rejoindre à table en attendant que son frère se remette de sa folle chevauchée.
****
La table était garnie d’un en-cas léger et d’un service à thé fumant. Mes tempes battaient douloureusement. Me voyant les frotter, Cazelain me chuchota que cela passerait lorsque Wolf se serait calmé. Ainsi, ces douleurs maintes fois ressenties en sa présence étaient à imputer au Monstre qui le parasitait.
Ce n’était pas évident de meubler le temps qui passe avec un Loup à cran quelques pas derrière nous, mais Cazelain était redoutablement doué pour mener des conversations légères. Il dissertait sur la qualité des élevages de crevettes, dont il était friand, louant le savoir-faire séculaire du Clan de l’Hermine Blanche. Je le laissai pérorer en m’imaginant ces Terres de neiges et de glace où les locaux avaient érigé d’immenses cités chauffées où il faisait bon vivre, et ce, presque sans bousculer l’écosystème local.
— La seconde Épreuve aura pour bénéficiaire l’Esprit de la Rivière. Elle aura lieu demain, au Temple des portes.
Je sursautai, je n’avais pas entendu Wolf approcher.
— Cela, nous le savons déjà, dit nonchalamment Cazelain.
— L’Esprit a décidé qu’aucune vie ne serait prise. Notre Invitée en ressortira indemne.
Se disant, il m’avait regardée. Il était compliqué d’échapper à la large pupille noire lorsqu’elle n’était pas cachée. Je tâchai de frémir avec discrétion et souris pour faire passer mon malaise pour quelque chose de peu d’importance.
— Cela aussi, nous le savons.
— Qu’ignorez-vous donc, en ce cas ? soupira le Protecteur du Clan des Loups.
— Probablement ce que tu ne nous as pas encore dit, s’amusa son frère.
Wolf se crispa et contracta ses poings. Je ne comprenais pas pourquoi Cazelain ne cessait de lui envoyer des piques.
— Nous partirons à l’aube. Ça durera moins d’une journée.
Cazelain applaudit l’ajout d’informations. Wolf tira ensuite une chaise à lui et s’y affala. Il avait l’air harassé.
— Tu fais durer le suspense ?
— Ce n’est pas mon genre, s’agaça-t-il. Je ne peux partager le reste.
Puis, il me regarda en fronçant les sourcils.
— Je suis navré.
C’était réellement tout ? Ce matin encore, Cazelain m’assurait que pour chaque Épreuve, un entrainement pouvait jouer en ma faveur. Je déglutis. Je devais prendre les rênes de cet échange.
— Je vous remercie d’avoir essuyé autant de kilomètres en si peu de temps pour pouvoir être là demain, mais, Sieur Wolf Storm, n’y a-t-il vraiment pas même un bon conseil que vous pourriez me donner ?
Il sembla coi de mon intervention.
— Ne s’exprime-t-elle pas mieux qu’avant ton départ ? Elle m’inspire tant de joie ! s’extasia Cazelain en me tapotant le sommet du crâne.
Mes mâchoires se contractèrent ; son trait d’humour me faisait passer pour une enfant alors que je voulais être prise au sérieux.
— Je constate surtout qu’aujourd’hui vous semblez vous entendre comme larrons en foire, ronchonna amèrement l’ainé des Loups.
— Ne sois pas jaloux, chantonna Cazelain.
Wolf se releva en tirant une sombre expression et fixa mon ventre plutôt que de m’imposer le fer de son regard.
— Gardez vos remerciements car en vérité je suis tenu de faire acte de présence à chaque Épreuve. Et en réponse à votre question, voici un unique et bon conseil : veillez à être correctement alimentée et reposée.
Et sans un mot de plus, il nous abandonna en prenant la direction du couloir. Midine entra juste avant qu’il ne s’échappe ; il prit la peine de s’excuser pour la boue et annonça qu’il mangerait dans ses quartiers.
— Vieille âme bourrue, ronchonna Cazelain lorsque la cuisinière fut à portée d’oreille.
— Sans chercher à vous offenser, jeune Sieur, vous savez bien qu’il revient toujours des Frontières dans un grand état d’épuisement physique et moral. Pourquoi toujours lui tomber aussi vivement dessus ?
La bonne Midine le gourmandait gentiment, Cazelain ne paraissait pas le moins du monde offensé.
— Que voulez-vous ? C’est plus fort que moi.
Mais lorsqu’il lui demanda, l’air de rien, si elle pouvait lui envoyer Tom, l’inquiétude se devinait derrière son air désinvolte.
— Pourrais-tu également demander à Clô de relancer les thermes ? Wolf est resté plus longtemps que de coutume auprès du feu.
— Bien, mon Sieur. Et notre jeune Damoiselle, m’interrogea-t-elle en se tournant vers moi, auriez-vous une préférence pour votre repas du soir ?
Cazelain répondit à ma place.
— Quelque chose de léger, Midine. Dans l’incertitude de ce qui l’attend demain, mieux vaut lui assurer un estomac bien accroché.
****
Je faisais route avec Dana.
— Je ne risquerai pas ma vie. Mais… ai-je l’assurance d’en ressortir indemne ?
Pressant la goutte écarlate qui perlait au bord de l’index que je ne cessais de porter nerveusement à ma bouche, je partageais avec ma Compagne cette angoisse qui m’était apparue lors de ma longue nuit d’insomnie.
— Je ne suis pas sûre de comprendre.
— Pourrais-je me casser une jambe ? Perdre la vue ? Revenir défigurée ?
Dana pinça les lèvres en soutenant mon regard.
— C’est une manière de me laisser entendre que tu ignores la réponse ?
Elle déposa son point de croix sur ses genoux.
— C’est une manière de te dire oui. Fais attention à toi, où que tu sois envoyée.
Je déglutis en me replongeant silencieusement dans le paysage. Du coin de l’œil, je la vis reprendre sa couture. Devrais-je m’y mettre à mon tour ? J’étais trop angoissée pour me concentrer sur une lecture, mais occuper mes mains dans des gestes méthodiques m’aurait peut-être aidé à apaiser cette marée montante dans ma tête. Je n’avais pratiquement rien mangé, n’avais pratiquement pas dormi. En bref, j’avais lamentablement échoué à suivre l’unique recommandation que l’on m’avait donnée pour mener à bien cette énigmatique deuxième Épreuve. Je savais juste, comme venait de le rappeler Dana, que je serai envoyée quelque part par le biais d’une porte. L’information venait de Cazelain, il avait tenu à combler le peu que son frère nous avait partagé : le Temple des Portes était un Carrefour des Terres unies par le Contrat des Peuples. Il était intimement lié à l’Esprit de la Rivière et son fonctionnement était presque similaire à celui de ses Ponts : passer une porte permettait de se rendre n’importe où dans les Terres Unies. Mais pendant un temps donné seulement. Et le coût était, selon lui, exorbitant.
— Est-ce lui ? finis-je par murmurer après une trop longue attente.
— J’imagine…
Dana découvrait elle aussi son premier Temple des Portes. Trois dômes blancs reposaient chacun sur une tourelle percée d’ouvertures arrondies, elles-mêmes se regroupant dans une base d’un volume plus classique, aux faces rectangulaires, percées elles aussi d’une quantité redoutablement symétriques d’arches en arc brisé. Le dôme le plus imposant était surmonté d’une longue flèche dorée.
— On dirait des boules de glace à la fleur de lait…
— Fais attention, Luce, ce n’est pas un jour à heurter certaines oreilles avec des références étrangères.
Je hochai la tête en me détachant de l’extraordinaire bâtiment pour ses alentours. Le Temple avait été construit au sommet d’une butte de terre où la nature était reine. Un champ d’herbes hautes ondoyait sous la brise. Si j’avais été seule, et non enfermée dans une calèche elle-même encaquée dans une longue file d’autres à son image, j’en étais sûre, j’aurais pu l’entendre chanter. Des fleurs sauvages, essentiellement jaunes et mauve, ainsi que ces graminées aux allures de petits plumeaux que j’aimais tant parsemaient cette gigantesque prairie tel un écrin vivant autour de ce Temple dédié au service des Peuples du Pacte. Cazelain m’avait expliqué que ce lieu n’était pas réservé aux Hommes. Gare aux imprudents qui tentaient de s’y rendre en dehors des lunes qui leur étaient dédiées. Mais pour l’Épreuve du jour, nul autre Peuple n’y serait admis.
****
Équilibre et pérennité.
L’inscription, en relief dans la pierre blonde, surmontait la silhouette d’une balance à deux plateaux. C’était le quatrième insert identique que je repérai depuis notre entrée dans le Temple en plus de celui, démesuré, gravé au-dessus de l’arche principale.
Je suivais les impressionnantes empreintes de Wolf Storm qui nous menait à l’espace dévolu au Clan du Loup. Nous avions dû laisser les calèches au bas de la butte. Un immense hangar aux box de toutes les tailles y avait été érigé ; on accédait au Temple à pied. Et l’unique chemin, usé par une centaine de semelles en ce jour humide de début de saison - ici, le printemps s’éveillait à peine -, était fort boueux. Au début de l’allée dallée du Temple, une petite fontaine avait été aménagée au niveau du sol, permettant de se décrotter pour ne pas souiller les lieux. J’avançais donc sur un labyrinthe de traces humides, la boule au ventre, soucieuse de ne pas trébucher ni de bousculer quiconque.
— Et bien, c’est sommaire comme accueil, bougonna Cazelain qui n’avait pas du tout aimé son escalade boueuse.
Il y avait une oriflamme, deux tabourets en bois et un guéridon garni d’un bol, vide, et de cinq gobelets, vides eux aussi. Tom et Dana s’employèrent immédiatement à les remplir avec ce qu’ils avaient emporté du Château Lune.
— A-t-elle le droit de boire et de manger, Sieur Wolf Storm ? interrogea ma Compagne.
— Rien ne va à cette encontre, répondit celui-ci d’une voix absente.
Il ne portait pas son masque. Une aura glaciale l’entourait. Il faisait pourtant déjà bien assez froid entre ces vieilles pierres qui ne voyaient jamais le soleil ; nous étions au cœur du Temple, dans la base du dôme principal. Bien que je n’aie pas vu d’escalier, il devait y avoir un étage. Y avait-il d’autres portes dans d’autres pièces ? Celle-ci en contenait douze, réparties avec symétrie.
Douze portes pour onze Étranger encore en vie.
— Pourquoi cet air incertain ? Votre vie n’est pas mise en jeu, vous-en souvenez-vous ?
Wolf Storm m’observait. Ses traits étaient durs. Je fus incapable de lui répondre. Je prenais soin de me focaliser sur son œil qui, dans cette lumière, tirait sur le bleu marine. Mais je sentais l’iris noir me happer. Un léger mal de crâne s’installa sous mon crâne. Il soupira.
— Vous êtes cernée. Prenez au moins ce que vous propose votre Compagne.
Et derechef, celle-ci me fourra une tasse brûlante entre les mains. Je lui souris. Du thé. C’était parfait.
****
Dans ce lieu sacré commun à tous les Peuples, le Roi Maguiar n’avait pas d’estrade. Mais il n’en avait pas besoin pour écraser une foule de sa présence. Il portait la même redingote gris et or qu’au Bal tenu en son honneur par le Clan de l’Abeille. À son côté, Eryn portait une robe portefeuille échancrée redoutablement féminine.
Toutes les âmes présentes s’étaient alignées en suivant la courbe des murs, formant une sorte de large demi-cercle autour du couple royal. Neuf Clans et deux Maisons étaient représentés. Si j’éprouvais du plaisir à revoir Myosotis - dont le visage demeurait couvert d’un voile -, c’est un dégoût profond que fit naitre en moi la vue de Dreadlock et son bras raccourci.
— Pour cette deuxième Épreuve, tonna Maguiar, point de prédateur, point d’attaque. Vos moteurs seront l’observation et la ténacité. Le hasard déterminera votre porte. L’esprit de la Rivière choisira un jour du temps passé. Vous ne croiserez pas âme qui vive en dehors de la faune et de la flore locale. Et maintenant, voici en quoi consiste votre défi : dès que vous aurez franchi cette porte, marchez, droit devant vous, sans vous souciez d’où se trouve le Nord ou le Sud. Marchez, sans jamais vous arrêter, même si votre impression est que vous tournez en rond. Marchez droit devant. Jusqu’à ce qu’apparaisse l’autre porte. Mais celle-ci ne surviendra pas si vous vous arrêtez de marcher.
Un silence pesant fit place à son annonce, chacun prenant le temps d’assimiler sa consigne… Était-ce simplement cela que mon Protecteur ne pouvait me divulguer ?
Eryn s’approcha de Maguiar pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Il était évident que cela lui déplut ; le Roi semblait cramoisi et il jaugea Eryn d’un air… je ne savais dire. Était-ce de l’horreur ou de la colère ? Il se reprit avant de revenir face à son public. Quelqu’ait été la question, Eryn n’avait pas eu sa réponse.
— Que la Reine choisisse sa clé ! vociféra-t-il en tendant un bras vigoureux vers l’immense roue de charrette suspendue à l’horizontale au centre du plafond.
De longues ficelles en pendaient. Il suffisait de tendre le bras pour les attraper. La roue était reliée à un mécanisme en métal noir. Dès l’annonce du Roi, le héraut s’était approché d’une manette. À présent, il l’empoigna fermement et se mit à tourner vivement de ses deux mains. Au plafond, la roue suivit le mouvement par un jeu d’engrenages, emportant les cordelettes dans sa danse dont les bouts se confondirent.
Eryn s’avança tel une danseuse étoile s’accaparant une scène. S’arrêtant sous la tempête de cordes, elle souleva une main aux ongles peints. Sa manche évasée glissa jusqu’au creux de son coude, dévoilant une marque en forme de patte similaire à la mienne ; la protection que nous avions gagné vis-à-vis des Bêtes. Elle pinça habilement un cordage et le tira vers elle. Un sachet tomba du sommet de la roue, entrainant toute la longueur de la corde dans sa chute. Il s’écrasa au sol dans un tintement métallique. Eryn plia les genoux pour le ramasser. Elle dénoua le nœud qui le maintenait fermé et versa son contenu dans le creux de sa main. Quand la clé entra au contact de sa peau, elle la rejeta sur le sol dallé en poussant un cri.
— Porte Soleil, hurla le héraut, faisant sursauter une partie de l’assemblée.
Maguiar, l’air mécontent, somma à l’autre invité de son Clan d’aller choisir sa clé. Warner s’approcha et répéta le processus - si ce n’est qu’il rattrapa le sachet au vol et brandit stoïquement sa clé au héraut après l’en avoir extrait.
— Porte Bois !
— Que l’invitée du Clan du Loup s’approche à son tour, rugit Maguiar.
Il fallut une main sur mon épaule pour que je réalise qu’il s’agissait de moi. Je ne m’attendais pas à passer aussi vite. J’étais prise de court. La main, agréablement chaude, se retira.
Reprends-toi, il n’y a rien de sorcier dans ce que tu dois faire, me secouai-je.
Alors je m’avançai. Mes paumes étaient moites, je sentais la plante de mes pieds trembler et je détestai cela. Je détestai plus encore tous ces regards posés sur moi. N’aurai-je pas été plus simple de piocher ces fichues clés à l’avance ? Pourquoi en faire une ridicule pièce de théâtre ?
Sous la roue et sa danse folle, je fus prise d’un doute. Heureusement, sur la pointe des pieds, je pus agripper un bout de corde. J’étais certaine d’avoir entendu quelqu’un pouffer, quelque part. J’eus un coup de chaud et je tirai un peu trop fort. J’échouai à rattraper mon sachet au vol. Quand je le ramassai, comme Eryn, je fis tomber la clé dans ma paume. Elle était petite et joliment ciselée. Elle était également douloureusement glaciale. Un cristal de neige surmontait l’embase. J’utilisai le sachet comme une manique pour la présenter au héraut.
— Porte neige ! hurla-t-il.
— La pauvre petite va s’enfoncer dans une congère, se gaussa une voix féminine à proximité.
Je regagnai ma place le plus dignement possible. Pourquoi fallait-il que certaines personnes aient besoin de se moquer pour se sentir être ? Maguiar sommait à présent l’invitée du Clan de l’Abeille : Deirdre.
— Faites-moi voir votre clé, me chuchota la voix grave du Protecteur des Loups.
Je la lui présentai. Il l’observa sans la toucher et, de ce ton insaisissable qui m’agaçait, m’annonça qu’il avait, dès son retour au Château, demandé à Dana de préparer trois tenues ; une pour chaque porte potentielle.
— Cela, au moins, nous pouvions le faire. Tu seras donc habillée en conséquence. Ne lui en veux pas de ne pas t’en avoir parlé, je le lui avais interdit.
— Sieur Wolf Storm…, dis-je hésitante - je réalisai que je ne l’avais encore jamais appelé par son nom -, … combien de temps devrons-nous marcher ?
— Je ne peux vous le dire, trancha-il. Mais il se peut que cela soit long. Contentez-vous de faire de votre mieux et n’ayez crainte si vous échouez, personne ne vous en tiendra rigueur au Château Lune. Vous n’avez pas été invitée dans ce dessein.
J’en fus profondément vexée ; il semblait partir du principe que je n’y arriverai pas… Toutefois, j’avais une autre question en tête.
— Mais, si cela dure longtemps, est-ce un problème de s’arrêter pour boire, ou enlever une couche, ou quelque chose dans le genre ?
Il fronça les sourcils sans rien répondre. Avais-je manqué une information donnée par Maguiar ?
Quand je fis mine de reporter mon attention sur les tirages en cours, il posa brièvement une main sur mon bras - elle était chaude.
— Je réfléchis, pardon. J’ai simplement peur d’en dire trop. Un arrêt, un retour en arrière, tant que cela reste dans l’intention mentale de continuer votre avancée, cela ne posera pas de problème pour la réussite de l’Épreuve.
Tant de soin pour une simple réponse…
— Que se passerait-il si vous m’en disiez trop ?
Il regarda Adam approcher sous la roue et répondit d’un air absent.
— Vous pourriez en mourir. Ainsi que moi.
— C’est la vérité ? murmurai-je avec un doute non dissimulé dans la voix.
Il plongea ses yeux dans les miens le temps d’une dernière réponse.
— Partez du principe que je vous serai toujours honnête.
Une vague me parcourut l’échine tandis que le héraut s’époumonait d’un dernier Porte Soleil ! et que Wolf Storm reportait son attention sur Maguiar.
— Que nos invités écoute bien! clama la Roi. Si votre vie n’est point en jeu, des récompenses sont à quérir.
Je sentis la foule se tendre. Même Eryn cessa de faire sa moue pour se faire plus attentive.
— Celles et ceux qui réussiront à marcher sans abandon vers la deuxième porte auront l’honneur de ramener la victoire à leur Clan ou Maison hôte. L’Esprit de la Rivière choisira et offrira deux récompenses exceptionnelles ; l’une vous appartiendra, l’autre sera au service du domaine de votre Protectrice ou Protecteur. Et maintenant, permettez-nous de vous accompagner jusqu’à votre porte.
La tension se fit lourde et électrique entre les murs de pierres. Maguiar guida personnellement Eryn devant la porte associé à leur espace. Lorsque la jeune Reine glissa sa clé dans la serrure, le panneau prit une teinte bouton d’or.
— Luce, il est temps, tu dois vite te préparer, me chuchota Cazelain en glissant une main dans le creux de mon coude.
Il m’entraina devant notre porte. La serrure était sise au centre du battant. Il n’y avait aucune poignée. Toutefois, le reste était bien là : chambranle, paumelles, traverses… C’était bien une porte.
— Introduis ta clé dans la serrure. Ne la tourne pas encore, m’ordonna la voix grave de mon Protecteur.
Ma clé était si petite… mais la serrure était peu profonde. Lorsque je l’y abandonnai, du givre s’échappa de sous la ferraille du mécanisme, il se démultiplia en une multitude de cristaux jusqu’à recouvrir d’un blanc étincelant l’entièreté du panneau.
— C’est magnifique, s’extasia Dana.
Personne ne la contredit.
— Tom ? s’enquit Wolf Storm, rompant cet instant hors du temps.
Son Compagnon se débattait silencieusement avec une structure encombrante que je ne compris qu’une fois qu’il l’eut déployée ; il s’agissait d’un paravent cylindrique à structure métallique. D’autres se dressèrent dans la salle - bien que certains se contentassent de tendre au moyen de leurs mains un grand tissu opaque. Dans un état un peu second, je me changeai à l’abri des regards. Dana me pressait sans arrêt de me dépêcher. Elle m’avait préparé plusieurs couches, dont certaines en laine compacte. Je reçus également des bottes fourrées aux semelles épaisses, des gants, une écharpe, un bonnet me couvrant les oreilles et une partie du front…
Il n’y a pas de mauvais temps, que de mauvais vêtements.
Ou avais-je entendu ce vieux dicton ? En tout cas, avec toutes ces couches, j’espérais ne pas avoir à souffrir du froid.
Quand je fus prête, Tom laissa la structure s’effondrer sur elle-même. Curieuse, je balayai la salle et les autres concurrents du regard. Deirdre et Armand étaient aussi rembourrés que moi. À l’inverse, les autres étaient plutôt dépouillés. Comme moi, Awa était accompagnée d’un comité plus restreint - et non d’une quinzaine de personnes comme l’était Deirdre -, j’eus la visibilité nécessaire pour détailler sa combinaison couleur feuillage avec ses renforts aux coudes et aux genoux. Elle portait aussi des mitaines qui lui remontaient sur les poignets et un large bandeau maintenait en arrière ses cheveux que quelqu’un tressait avec empressement. Elle avait tiré la Porte Bois ; des racines sinueuses avaient recouvert son battant sur toute sa hauteur.
En face de moi, à l’opposé de la pièce, Adam était affublé d’une robe longue et ample ainsi que d’un turban qu’il s’entrainait à nouer et à dénouer avec méthode. Il avait tiré la porte soleil. Je me remémorai l’immense tableau au paysage de désert dans la petite galerie du domaine des Abeilles. J’eus peur pour lui.
Et moi, aurais-je une version glaciaire de ce désert derrière ma porte givrée ?
J’avais également peur pour moi.
Tu n’y mourras pas, me rappelai-je une énième fois. Et tu vas leur montrer, à tous, que tu en as dans le ventre.
Car il n’était pas question que je m’arrête. Je ferai en sorte d’y arriver.
****
Histoires d'Or terminées, hop, je reviens à ton histoire avec beaucoup de plaisir !
Ce chapitre est vraiment chouette, Wolf est de retour ! Comme Dramallama j'adore ce personnage, j'ai hâte de pouvoir en découvrir plus sur lui. C'est d'autant plus fort qu'il n'est pas souvent là, haha, tu sais nous faire saliver pour les infos : P
J'ai bien aimé qu'il semble un peu agacé de l'entente entre Luce et Cazelain, haha, Wolf qui a été tout le temps absent se rend compte que la vie au château continue sans lui : P
Arrive ensuite la seconde épreuve, ouah c'est hyper mystérieux, je me demande quelle sera la difficulté à "avancer", est-ce que l'environnement sera hostile ou est-ce que ce sera juste méga long (genre plusieurs jours ?). Je suis d'accord avec Luce, la règle n'est pas hyper claire en l'état. Est-ce qu'elle pourra simplement s'arrêter pour se reposer par exemple ?
Et qu'est-ce que la Rivière a à voir avec tout cela, je me demande aussi ^^
Je découvrirai tout cela dans les prochains chapitres, haha : P
En tout cas je suis trop contente que Luce ait tiré la clef neige, j'adore ce genre d'esthétique, ça va être trop beau je parie ! Et puis hey, clan du Loup et neige, ça va bien ensemble ; )
Vivement la suite !
Mais prends tout ton temps. Je te fais de très très gros câlins bien doux et plumeux et te souhaite tout le courage nécessaire pour affronter ton IRL.
De grosses bises Lily,
A plus ! :hug:
Encore un merveilleux chaudoudou que ton message <3 Lu un jour où c'était bien compliqué, donc merci puissance trois vers toi.
Je suis contente que le personnage de Wolf te plaise ^^ Il va y avoir un peu plus d'interactions avec lui ici. J'ai hâte de voir s'il sera pareillement apprécié en avançant dans l'histoire. ^^
J'ai adoré écrire le chapitre qui suit, dans la neige... J'espère qu'il te plaira. J'aime beaucoup aussi cette esthétique, j'ai essayé de la faire passer.
Merci pour tes doux mots pour mon kaboum IRL <3
Je prends et ça fait grand bien <3
À bientôt !
C'est vraiment un super chapitre qui donne vraiment hâte de lire la suite! Surtout que le Protecteur est de retour (et en toute franchise j'adore ce perso, je me demande même si je ne le préfère pas à Cazelain! Il a ce ressenti bourru, franc, mais aussi quand il discute avec Luce, c'est rare mais c'est toujours pour la rassurer/l'aider/la défendre).
Très curieuse de ce qu'Eryn a demandé au roi. J'ai du mal à la 'tirer au clair', lors de la première épreuve, elle était assez détestable mais ensuite,,, difficile de ne pas ressentir de la compassion pour elle, je suppose qu'elle essaie de naviguer autant que mieux ce fait sa situation.
Bref, hâte de découvrir la suite de cette superbe histoire :)
à bientôt!
Merci pour ce retour, un chaudoudou quand je l'ai reçu. Je me remets doucement en selle pour la suite <3
C'est un si grand plaisir de lire ce que tu penses de ces personnages <3 ça leur donne de la vie ^^ j'adore, merci pour cela !
Encore un super chapitre, on arrive à la fameuse deuxième Épreuve.
Je me demande aussi ce qu'Eryn a bien pu dire au Roi...
J'ai hâte de découvrir véritablement cette Épreuve <3