Neuvième partie : La rencontre. Chapitre 50 - Une petite voix

Par Keina

Lorsque Ianto se réveilla une première fois, son esprit était trop embrouillé pour percevoir quoi que ce soit de son environnement. Il sentait une chaleur diffuse et agréable, au niveau de ses omoplates. Il grogna, cligna des paupières et tourna le menton, pour reconnaître Jane et Beve à son chevet. Il y avait une autre personne, debout derrière elles. Des cheveux bruns, un manteau de la RAF…

Jack ?

Il voulut cligner des yeux, tenta de se concentrer, mais à la place, s'endormit à nouveau.

 

Au deuxième réveil, il resta conscient un peu plus longtemps. Son corps était encore faible, ses muscles douloureux, et il avait sur la langue un goût de cendre dont il n'arrivait pas à se débarrasser. Cependant, la chaleur, dans son dos, l'enveloppait dans un doux cocon réconfortant. Il papillota, mais resta cette fois-ci conscient suffisamment longtemps pour reconnaître son environnement : l'une des chambres de l'infirmerie du Royaume, où il avait passé tant de temps à réconforter les victimes des Collectionneurs.

Sauf qu'à présent, la victime, la personne à réconforter, à retaper, c'était lui.

 

Le troisième réveil fut accueilli par le visage soucieux d’Angie.

— Hey, salut le warrior. Comment tu te sens ?

— Je ne suis pas un warrior, répondit Ianto dans un souffle à peine audible.

C'est la voix d'Andy, derrière elle, qui lui rétorqua :

— Ben, pour un Gardefé, poignarder son agresseur, c'est une grande première. Angie a raison, « warrior », ça te va plutôt bien.

La tête toujours posée sur l'oreiller, Ianto fronça des sourcils.

— J'ai… quoi ?

On l'a fait, Ianto. On l'a blessé. On a réussi à triompher de Scipio.

Il émit une exclamation étouffée. Etait-ce encore son double qui venait de lui parler en esprit ? Non, c'était différent, cette fois. La pensée venait bien de lui. Du plus profond de lui.

— Je lui ai planté un couteau dans le ventre…

Il eut besoin de se répéter la phrase, à nouveau, pour éprouver sa réalité. De ça, il se souvenait. Le cabinet sordide. Scipio qui parlait du Royaume. Le couteau, sur le vaisselier. Son double, à l'intérieur de lui. Parlant et agissant à travers lui.

Tout cela était… trop. Beaucoup trop pour le moment.

Il s'endormit à nouveau.

 

Au quatrième réveil, il eut l'impression d'émerger d'un sommeil de cent ans. Il avait une sonde dans les narines, un cathéter planté dans le creux du bras, et des fils qui le rattachaient à des machines compliquées. La chaleur n'avait pas disparu. Il commençait sérieusement à se demander d'où elle venait, et pourquoi elle lui procurait une telle sensation de bien-être. Un matelas chauffant, peut-être ?

Jane se trouvait à ses côtés.

— Ianto ! Te sens-tu mieux, aujourd'hui ?

Il grimaça et se redressa légèrement dans le lit. Percevant ses mouvements, Jane vint à son secours pour relever l'oreiller et replacer les draps.

— Je ne sais pas trop. Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment je suis rentré au Royaume ?

— Nous t'avons retrouvé et nous t'avons ramené. Tu étais dans le coma. Mais grâce à Jack et à l'autre Ianto, nous t'avons sauvé.

Dans un geste machinal, Ianto se frotta le front. Trop d'informations pour le moment. Il devait les traiter une à une, en commençant par ses propres questionnements…

— Scipio, vous l'avez attrapé ?

Jane soupira.

— Il a filé juste avant qu'on arrive. Mais ton… double l'a sérieusement blessé, Ianto. Il lui faudra un moment pour s'en remettre.

— Il faut que tu saches : Scipio, c'est un… c'est un…

Soudain, il lui paraissait urgent de dire ce qu'il avait perçu, ce qui était infiniment dangereux chez ce Collectionneur, mais pourquoi les mots n'arrivaient-ils pas à sortir ?

Jane coupa court à sa tentative d'explication.

— Je sais, Ianto. Je l'ai toujours su en réalité, et je n’aurais pas dû te le cacher. J’ignore quelle magie il a utilisé pour cela, mais tu n'arriveras pas à dire le mot. C'est un être double, et c'est pour cela qu'il est si difficile pour nous de l'atteindre. Je ne sais pas grand chose de plus sur lui, pas depuis qu’il a… changé, en tout cas. Mais il a commis sa première erreur en te sous-estimant, et il en commettra d'autres, j'en suis convaincue. Nous le retrouverons.

En l'écoutant, Ianto se souvint de ce que Scipio avait dit… de ce qu'il avait insinué…

— Est-ce que c'était ton… ?

Comprenant immédiatement la question, Jane secoua ses boucles blondes.

— Pas le mien, non. Elle s'appelait Seelje, je te l'ai déjà dit. Mais je… je la connaissais. Sa Gardefée. Et je ne lui pardonnerai jamais ce que… ce qu’elle a subi par… par sa faute. Tout comme je suis à l’origine des Gardefés, il est à l’origine des Collectionneurs. Cela fait des années que je cherche un moyen de le combattre… De combattre le mal qu’il répand.

Il y eut un silence, durant lequel Jane ôta ses lunettes pour s’essuyer les yeux. Puis, alors que Ianto retombait doucement dans l'inconscience, elle ajouta d'une petite voix :

— En tout cas, grâce à ton double, te voilà enfin complet, Ianto.

Il n'eut pas le temps de lui demander ce que ça signifiait.

 

Nouveau réveil, et Angie, pour changer, qui lisait un magazine à son chevet. Elle était accompagnée de Malik, cette fois-ci. Une infirmière vint lui retirer sa sonde nasale et changer les poches de ses perfusions. Andy attendit qu’elle ressorte pour se montrer, avec Soufia et Mårten. Ianto prit des nouvelles de son équipe, et apprit avec surprise la défection de Paul, qui avait rejoint la Logistique. « La Logistique ! », répéta Angie avec une grimace de dégoût, comme si le mot même lui brûlait la langue, « du coup, tu penses bien, j’ai rompu avec lui. Pas moyen que je sorte avec un de ces crétins de la Logistique. Et puis, je m’étais lassée. Le sexe avec lui était d’un barbant ! »

Ils continuèrent à échanger ainsi, de tout et de rien, riant au rythme des anecdotes des uns et des autres. Ce fut une après-midi fatigante, mais en même temps, satisfaisante.

Jusqu'au moment où Andy lâcha, sans y penser :

— Au fait, Jack n'est toujours pas venu te voir, si ?

Le cœur de Ianto s'accéléra, tandis que tous fusillaient Andy du regard. Jack était ici, au Royaume ? Il n'avait donc pas rêvé, la première fois ? Pourquoi n'était-il pas là ? Et comment diable Andy le connaissait-il ?

Il passa de l'un à l'autre, cherchant une réponse dans leurs regards fuyants.

— Jack est au Royaume ? Mon Jack ? questionna-t-il, anxieux.

— Ton Jack, oui, répondit enfin Angie à contrecœur. Il était avec Beve et Jane quand elles t'ont ramené, et…

Elle voulut ajouter quelque chose, mais l'infirmière choisit ce moment pour s'introduire dans la chambre et faire sortir l'assemblée entière, sous prétexte que « le malade était encore fragile, il y avait bien trop de monde dans cette chambre, et il avait besoin de se reposer ». Mais, à présent, Ianto était sûr qu'il n'arriverait pas à se rendormir, pas après ce qu'ils avaient dit, pas en sachant que…

À peine quelques secondes plus tard, il s'endormit comme une masse.

 

Petit à petit, son corps commençait à récupérer, même s'il avait encore du mal à rester éveillé trop longtemps. Le jour suivant la révélation d'Andy, il attendit anxieusement la venue de Jane, ou de quiconque qui pourrait lui expliquer la présence de Jack au Royaume et les événements qu'il avait manqué.

Ce fut Beve qui se présenta cet après-midi-là sur le seuil de sa chambre, accompagnée de Kat.

— Alors, comment tu te sens ? demanda cette dernière en s'installant sur une chaise. Et tes nouvelles ailes, elles poussent bien ?

Beve roula des yeux.

— Kat ! On ne lui a même pas encore expliqué, et toi tu débarques avec tes gros sabots… Jane s'en veut énormément de t'avoir asséné ça, la dernière fois. Elle aurait dû te préparer…

Ianto secoua la tête sans comprendre. Asséner quoi ? Elle était venue, oui, et ils avaient parlé de Scipio, puis il s'était endormi. Et avant ça… Avait-elle dit quelque chose au sujet de son double, et de ses ailes ?

Il repensa à la douce chaleur qu'il ressentait encore dans son dos, si semblable, oui, à celle qui avait investi son plexus lorsque son double s'y était engouffré.

— Mes ailes, murmura-t-il, comprenant soudain ce qu'on essayait de lui dire – ce que la chaleur signifiait. Mes ailes sont en train de repousser, c'est ça ?

Subitement, il se redressa, cherchant derrière sa blouse d'hôpital à regarder entre ses omoplates, de la même façon qu’Alonso, lorsqu'il était venu chez lui.

— À quoi elles ressemblent ? Est-ce que les médecins les ont vues ? Est-ce que Jane les a vues ?

Beve se pinça une lèvre.

— Il n'y a pas grand chose à voir, pour le moment. Mais elles sont là, c'est sûr. Elles sortiront quand tu seras prêt. Quand tu étais inconscient, ton double…

Ianto la coupa, fébrile :

— Il était là, en moi, il me parlait, quand on affrontait Scipio. C'est lui qui a utilisé le couteau ! Où est-il, maintenant ?

Soudain, Ianto redouta d'entendre sa réponse. Durant toute sa captivité, il s'était accroché à son double comme à une bouée de secours, et finalement, c'était ce qui l'avait sauvé… au sens propre comme au figuré.

Un silence. Kat, un grand sourire sur le visage, désigna de l'index le dos de Ianto, qui fronça les sourcils.

— Il est… dans mon dos ? Je ne comprends pas.

Ce fut Jane qui, apparaissant sur le pas de la porte, répondit timidement :

— Tes ailes, Ianto. C'est lui qui te les a données. Lorsqu'il est mort, c'est ce qu'il est devenu : la moitié qu'il te manquait.

La moitié qu'il lui manquait…

Ianto ferma les yeux, s'efforçant d'assimiler l'information. Alors, ça signifiait qu'il ne pourrait plus jamais lui parler ?

Bien sûr que si, idiot.

Encore cette petite voix, au fond de lui. Pas un esprit étranger, non. Juste… une autre part de lui.

Je suis là. Je ne te quitterais pas.

Pour la première fois depuis longtemps, Ianto se sentit bien.

Vraiment bien.

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