Nina

Par Bruns

Dude, Robinsonville 

1869 

* * *      6      * * * 

Personne ne nous a appris à jouer le blues,  

il est simplement né en nous. 

Bill Big Bronzy 

* * * 

 

 

Sam repartait au camp. Dude errait dans les rues de Robinsonville et cherchait un refuge pour la nuit. Il décida de retourner au club dans lequel ils avaient passé la soirée. Lorsqu’ils en étaient partis, il restait quelques buveurs qui traînassaient et qui s’amusaient encore. Avec sa belle gueule, il pensait avoir une chance de faire quelques connaissances. 

Quand il arriva au bar, il y avait encore de la lumière. Il était excité de sa décision. Il était impatient de faire ses preuves, de monter sur scène et de devenir une légende. 

Le club était immense. Il était certainement un des plus grand qu’il eut jamais visité. Il y avait quatre salles. Chacune avait son bar et une scène sur lesquelles des groupes de blues essayaient de rivaliser de talent et de bruit, pour s’attirer les faveurs de la foule.  

Certains soirs, le club, si bondé de bruits de verres, de verbes, de rires et d’artistes agités, dégingandés et habités, prenait vie. Il vibrait de ses propres pulsations et forçait les musiciens à tant d’efforts pour exister et survivre dans ce tumulte de vie. Parfois il pouvait y avoir plusieurs groupes par salle jouant chacun leurs morceaux le plus fort possible, pour que le son de leurs guitares puisse emmener les corps déchaînés, suants et vibrants sur les accords de bastringue. Seul l’alcool et sa douce griserie pouvaient vous aider à supporter cette ambiance surchauffée. 

A l’heure avancée à laquelle il arriva, le club était quasiment vide. Mais ce genre de boîte ne fermait jamais. Tant qu’il y avait quelques bières à vendre et des michetons avec la dalle suffisamment en pente pour les payer, le club, même apaisé se soumettait à leur volonté. Il y avait encore un bluesman dans un coin, qui finissait ses heures en balançant un douze bar blues intime et endormi. Il donnait l’impression de ne jouer que pour lui-même. Quelques tables étaient encore occupées de petits groupes qui buvaient et riaient dans une ambiance étouffée par les fumées, les vapeurs l’alcool et de sueur refroidie. Dude se dirigea vers le bar le plus proche et commanda une « Devil Head ». C’était une bière brune brassée sur place. Elle était tellement épaisse que certains disaient qu’elle pouvait remplacer un steak, ce qu’elle faisait souvent quand les pauvres bougres n’avaient pas assez d’argent pour se payer l’une ou l’autre.  

Dude buvait sa bière tranquillement, en observant la salle. Il y avait décidément peu de monde à cette heure-ci et il voyait ses chances de dormir dans un lit au plus bas.  Alors il héla le barman. 

– Dis voir mec, tu ne saurais pas où je pourrais trouver une chambre pour dormir ce soir ? 

– Ca ne va pas être évident, jeune homme, tout le monde est parti à cette heure-ci ! Dit-il en scrutant la salle. 

– Il y a peut-être …. ah, la voilà ! Tu peux demander à Nina. Elle est là-bas, dit-il en pointant du doigt une femme à quelques mètres de là. Elle possède une maison pas très loin d’ici et elle loue des chambres. Il lui en reste peut-être une pour toi. 

Nina était appuyée contre un mur de planches. Elle fumait une cigarette fine et observait le bluesman d’un air absent. Elle avait une bonne quinzaine d’années de plus que Dude, mais était toujours désirable. Légèrement forte, sa robe à fleurs la boudinait légèrement et exhibait un décolleté qui s’ouvrait sur une poitrine accueillante et laissait deviner un cul qui pourrait tenir dans une main, mais une main de géant. Elle était trop maquillée. Certainement pour dissimuler les premières traces du passage de ses plus belles années et celles des soirées et des nuits passées dans des endroits comme celui-ci. Dude était intimidé. Il était habitué à la dureté des rapports de force avec ses compagnons du rail, mais il avait en face de lui, une femme. Une vraie femme. Une femme sûre d’elle. Qui montrait ses formes avec du plaisir, et du caractère. Et qui, certainement, savait en jouer et en profiter. Le puceau qu’il était se dit que cette femme en savait plus que lui, sur à peu près tout ! 

Dude finit sa bière et se dirigea vers cette femme. Il l’aborda sans manière. 

– Bonsoir m’dame ! Vous êtes Nina ?  

Nina le dévisagea des pieds à la tête et un sourire apparut derrière son rouge à lèvre trop rouge quand son regard se posa sur le visage de Dude. C’est vrai qu’il était plutôt beau gosse avec son allure adolescente. Il n’avait pas un rond mais il aimait les belles sapes et quand il sortait, il enfilait toujours sa plus belle tenue. Son visage lisse et toujours souriant affichait un regard éclatant de naïves certitudes, de rêves de réussites, de l’innocence de celui qui vient de naître et à qui tout est encore permis. 

Nina tenait une maison dans laquelle elle louait des chambres à des musiciens de passage, des voyageurs et même parfois à quelques amies qui faisaient commerce de la seule chose qui leur appartenait. Elle savait profiter des opportunités. Elle savait profiter tout simplement. Alors quand elle vit ce jeune mecton pas encore fini, elle n’eut pas envie que de profiter, mais elle voulut le posséder, le prendre dans ses bras, sous sa protection. Elle voulut le faire grandir. En un regard Dude avait éveillé en elle ses instincts de mère qu’elle n’avait jamais pu être. Et Dude avait aussi l’âge d’être un amant. 

– Oui mon chou ! Qu’est-ce que tu lui veux à Nina. Dit-elle en essayant de prendre des grand airs. 

– Je cherche une chambre, madame. J’ai de l’argent et je ne sais pas où dormir. Le barman m’a dit que vous louiez des chambres. 

– C’est possible mon bonhomme, mais si tu me payais un verre d’abord ? Nous pourrions en discuter. 

Ce n’était pas une question et ils retournèrent au bar. 

Le serveur les regarda s’installer et leur demanda ce qu’ils voulaient boire. 

– Sers moi un Gin, Will, 

– Et moi, dit Dude, je vais reprendre la même bière. 

Et ils discutèrent un bon moment avant que Nina n’accepte de lui louer une chambre. Elle lui proposa même de ne pas payer cette première nuit. Ce soir ce serait à ses frais, ce soir elle allait profiter. Ce soir, ils allaient profiter. 

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