L’hiver s’était emparé de la Brenne, enveloppant les étangs et forêts d’un silence feutré. Les grenouilles et les cerfs s’étaient tût, et même le vent n’avait plus de feuilles dans lesquelles souffler. Plus de libellules virevoltantes et de tortues perchées sur les rochers. Juste le chant de quelques rouge-gorges et les pas crissants des promeneurs gelés.
Le château du Bouchet ne faisait pas exception. Les bonnes odeurs de cuisine et les conversations animées avaient disparus, laissant une impression de vide. Seul le crépitement d’une cheminée, tout en haut de la grande tour médiévale, trahissait la présence des seules humaines restées ici pour les vacances.
Estelle Beaumont, responsable du jardin, et Jeanne Carpentier, directrice de l’école, étaient présentes au poste, comme toujours. Assises au coin du feu, sirotant le thé aux épices préparé avec soin par Estelle, les deux gardiennes du château profitaient d’un repos bien mérité.
C’était la deuxième année qu’elles passaient les fêtes de fin d’année seules au château. Certes elles y étaient contraintes par leurs responsabilités, mais la perspective de passer ces 2 semaines ensemble, sans étudiants et collègues pour les déranger, venait amplement compenser la tristesse de rester loin de leurs familles.
Comme à leur habitude elles parlaient avec passion de magie, argumentant sur les meilleures combinaisons de plantes pour obtenir un effet voulu tout en étant gustativement délicieux. Et comme à leur habitude la discussion finissait par dériver sur tout et rien, laissant les heures filer aussi magiquement que les épices de leur thé les réchauffaient.
La discussion du jour tourna sur l’architecture du château. Les tours et chemin de ronde médiévales, les tours de la Guerre de Cent ans, et la galerie et terrasse classiques contrastaient tellement les uns avec les autres qu’il donnait au château une allure unique, comme coincé entre les époques.
- Tu sais il y a pas mal de châteaux dans lesquels la forme du plafond permet d’entendre un murmure prononcé à l’autre bout de la pièce, dit Estelle. Je me suis toujours demandé si c’était le cas dans cette salle, avec le plafond un peu rond comme ça.
- Ah oui j’ai déjà testé ça dans un domaine en Occitanie, c’était assez bluffant, répondit Jeanne. Ce serait plutôt cool que ça soit le cas ici aussi.
- Tu veux qu’on teste ?
- Allez, pourquoi pas.
Les deux jeunes femmes posèrent leurs tasses et se levèrent, se dirigeant chacune vers un coin de la pièce.
- Allez vas-y, s’exclama Estelle face au mur.
Après un instant d’hésitation, Jeanne s’entendit murmurer « Je t’aime ». Quelques secondes passèrent sans réponse de son amie, laissant la directrice dans la panique absolue. Avait-elle entendue et ne savez pas quoi répondre, ou est-ce que ça n’avait simplement pas marché ? Mais quelle idée elle avait eu de faire une telle déclaration, comme ça de but en blanc.
- Si t’as dit quelque chose j’ai rien entendu, finit par dire Estelle.
- Mince, moi qui t’avais révélé l’emplacement d’un trésor, tu le trouvera jamais du coup, répondit Jeanne avec précipitation.
- Aha. Bon ben pas de bol, la salle des profs a rien de spécial.
À la fois soulagée et déçue qu’Estelle n’ait pas entendu son murmure, Jeanne reprit la conversation comme si de rien n’était. Un jour peut-être elle aurait le courage d’avouer réellement ses sentiments, quand la situation s’y prêterai mieux. Mais pour l’instant, siroter un thé en parlant de tout et de rien jusque tard dans la nuit suffisait à la rendre heureuse.
Un plaisir.