Nous changerons l'histoire si l'histoire ne nous plaît pas.

Notes de l’auteur : Avant-dernier chapitre...
tinbinlinbinlintitintintin...
(C'était un essai de roulement de tambour à l'écrit) 
 

« Elle arrive. Elle monte. Enfin.

Mais elle est en bas.

Elle va monter, je te dis, elle arrive !

Ca va trop lentement.

Peu importe, laisse-moi tranquille, j’attends.

Tu as attendu assez longtemps. Il est temps que les choses s’accélèrent. »

 

La robote se jette par la fenêtre, déplie ses longs bras et plane jusqu’à Elle, en bas. La voir en vrai, c’est quelque chose. C’est comme un vide comblé, une donnée manquante enfin récupérée. Enfin, ce qui manquait à son maître est à portée de main, enfin, ce qu’il lui fallait.

La robote attrape les poignets qu’Elle lui tend, et Robert, qui ne veut pas être en reste, accepte qu’Elle lui monte dessus. Ils s’élèvent lentement jusqu’au balcon.

Elle frissonne, brûlante. Il lui semble que ses organes se dissolvent en elle, sa tête est vide et lourde, sa vision s’altère, elle a l’impression de ne plus pouvoir fixer son regard sur rien. Ses paumes ruissellent de sueur et elle se sent terriblement mal à l’aise.

Elle est déposée en douceur sur le balcon. Elle passe une main dans ses cheveux, au comble de la nervosité, et les juge désespérément plats et gras. Elle jette un regard derrière elle, à travers la vitre, devine un mouvement à l’intérieur, se détourne prestement, terrorisée. Elle passe en revue les raisons qui l’ont menée ici. Mais elle ne trouve plus rien.

- Mais qu’est-ce que je fais là ? Robert, dis-moi, qu’est-ce que je fais là ?

Sa voix. Sa voix. Sa voix en vrai, tout près. C’est un chuchotis. Il se sent liquéfié. Elle est là, derrière la vitre. Une vitre juste entre eux.

      Une vitre entre toi et moi, je voudrais murmurer. Je ne peux pas. Je voudrais me pencher vers elle et très tendrement, lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Je ne sais pas quoi. Quelque chose d’important peut-être, ou quelque chose d’inutile, quelque chose de futile, l’heure qu’il est ou la couleur du ciel. Je voudrais simplement que ce soit quelque chose qu’on ne lui aurait jamais dit, et qu’elle puisse se dire que c’est la chose la plus merveilleuse qu’elle ait jamais entendue. Sauf qu’elle ne l’entendra pas cette chose, puisque je ne peux pas parler. Elle la devinera seulement, il faudra bien qu’elle la devine. Je n’ose plus m’adresser à elle. Je n’ose pas la rejoindre sur le balcon. J’ai l’impression que nous pourrions rester ainsi pour l’éternité, à hésiter l’un et l’autre, chacun d’un côté de la vitre… Mais non, définitivement non. Ce n’est pas pour ça qu’elle est venue jusqu’ici. Ce que nous voulons, c’est nous rencontrer, nous toucher, nous parler… Et ça nous est possible, enfin ! Merveilleusement possible. Il ne reste plus qu’à trouver le courage… J’entends quelque chose. Elle murmure sur le balcon.

    - Moi, je me sens comme une actrice après le « coupez ! » traditionnel. J’ai l’impression d’émerger d’un rêve, avec la sensation d’avoir joué un rôle jusqu’au bout, jusqu’à me faire dévorer par ce rôle, jusqu’à être devenue ce rôle jusqu’au bout des doigts. Est-ce que c’est moi qui parle, Rob ? Ou est-ce que je dis ça parce que c’est ce qu’il veut, est-ce moi qui ai l’idée de parler ou bien sont-ce ses propres idées, qu’il m’envoie pensivement ?

Elle esquisse un mouvement pour se retourner, mais se reprend immédiatement.

      - Je n’ose pas regarder. Je n’ose pas. Je n’entends plus rien, Rob, je crois que la toile bugge. Alors c’est comme s’il avait disparu…

Elle reste silencieuse, attentive au moindre bruit venant de l’intérieur.

      - Tu es là ? souffle-t-elle. Je ne veux pas me retourner, j’ai bien trop peur. Si tu n’es pas là, je préfère encore rester ici pour toujours et me statufier sur ce balcon. Sois là. Je t’en supplie. Si tu n’es pas là, je ne vois pas comment continuer.

Silence.

      - Si tu pouvais parler, tu me dirais peut-être qu’il me suffit de me retourner pour savoir. C’est comme si j’étais Orphée et toi Eurydice. Si je me retourne, je sais enfin, mais je te perds… Je te perds, sanglote-t-elle. Et là, tu me dirais que je n’en sais rien. Que tu es peut-être là, réellement là, derrière moi, et qu’en me retournant je ne perdrais rien, je te gagnerais au contraire. Tu me dirais ça d’une voix très calme, convaincante, très grave aussi, et serrée à cause de l’émotion. Merde, mais qu’est-ce que je fabrique ? L’imagination me rattrape. Je ne veux plus imaginer ! Je veux juste que tu sois là ! Il faut que tu sois là !

Retourne-toi, Orphée… Retourne-toi, nous changerons l’histoire si l’histoire ne nous plaît pas. Retourne-toi, et toutes les histoires d’amour se termineront bien. Retourne-toi, Lucestellare. C’est ça que je lui dirais. Je lui dirais Lucestellare. C’est ça qu’il faut que je lui dise.

Il s’approche de la vitre. Une pression de main dessus la fait disparaître sans un bruit. Il la regarde. Son dos et ses cheveux longs. Il la voit, il distingue en elle le combat de sa peur et de son espoir. Il ouvre la bouche, et il essaye encore, encore une fois.

      Lucestellare.

      Lucestellare.

Hélas, un muet reste un muet. Tout comme un brillant reste un brillant. Tout comme le robot d'un brillant reste infiniment supérieur aux autres robots. Et justement, la robote est à côté d’Elle, sur le balcon, les caméras braquées sur son maître. Sa détresse lui parle. Elle se concentre sur ses engrenages et bloque tout, fait des calculs improbables et finit par produire un étrange déclic. Alors, la robote s’exclame :

        - Lucestellare !

Mais ce n’est pas une voix de robot, ni de robote. Ce n’est presque pas une voix, c’est un minuscule filet de voix, mais surtout, ce n’est pas sa voix à elle. C’est la voix de son maître. C’est lui qui a pensé, c’est elle qui a parlé, et elle-même se demande encore comment. Robert émet un sifflement surexcité et se pose sur le balcon. Les robots s'écartent de quelques pas. Maintenant, il faut laisser la place aux humains. Maintenant, il faut que les humains laissent la place à leur humanité.

Elle respire à grands bruits, incapable de se retenir. Elle est sans voix ! Il est là. Il est vraiment là, quelques pas derrière elle. Ce n’était pas une voix idéale comme elle les aime, graves, profondes, absolument pas, loin de là. C’était une voix maladroite et terrifiée, désagréable à l’oreille, mais réelle… Fabuleusement réelle ! Une voix étranglée, aigüe, comme le sont les voix réelles. Réel. Il est réel, ils sont réels tous les deux.

      - Maintenant, je dois me retourner, pas vrai ? Maintenant, je dois faire face. J’ai toujours eu l’impression de faire face à tout, de me rebeller contre tout, de tout combattre à la fois. Mais toi… Contre toi, je… Comment je vais faire ? Comment je vais faire, face à toi ? Tu vas me voir cette fois, m’apercevoir en vrai, avec tous mes défauts, toutes mes imperfections, mes réalités. Tu vas voir mes dents écartées et la bosse de mon nez. Tu vas te rendre compte que je ne suis pas la même que lors de notre voyage en fusée, tu vas te rendre compte que je ne suis pas parfaite. J’ai tellement peur…

Il avance d’un pas. Elle entend le léger bruit de son pied qui se pose par terre.

      - Là, tu me dirais que je ne dois pas avoir peur.

Silence.

      - Non, ce n’est pas ça que tu me dirais. Tu me dirais que je peux avoir peur, mais que je dois me retourner, qu’il est temps de montrer mon courage. Ce courage que j’ai toujours mis en avant, sans me rendre compte qu’il n’était là que pour cacher d’autres angoisses. Il est temps de montrer du vrai courage, c’est ça que tu me dirais ?

Il avance d’un nouveau pas. Ils sont tout proches, séparés par moins d’un mètre seulement.

    - Ce foutu courage. Celui dont j’ai fait preuve en restant seule toute ma vie jusqu’ici, tu me dirais. Sauf qu’avec le recul j’ai l’impression que c’était par peur plus que par courage, à moins que ce ne soit la même chose. Être seule, c’était comme jouer le rôle qu’on attendait de moi. Plus maintenant, tu me dirais. Maintenant, je peux me défaire de mon rôle, c’est bien ça ? Parce qu’on peut être ensemble, maintenant. Je veux être avec toi, même si j’ai tous les défauts du monde, même si je ne suis pas courageuse. Je veux vraiment me retourner.

Que diras-tu de mes propres défauts ? Je suis muet. Est-ce que ce n’est pas le pire de tous les défauts ? Une fois l’Abstraction mise en marche, je ne pourrai plus partager ce que je ressens. La toile me colle à la peau. Mais c’est pour ça que j’ai besoin que tu m’acceptes, pour être libre, j’ai besoin de toi et je veux qu’on soit libres ensemble. Parce qu’on a besoin l’un de l’autre. Retourne-toi, Lucestellare.

      - Je vais me retourner, prévient-elle.

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Diogene
Posté le 09/08/2014
Ah Ery,il y a un je en sais quoi vers la fin qui me brouille, mais sans doute ne suis-je pas assez éveillé.<br />
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En tout cas je suis émerveillé par ce texte, qui est d'une richesse insoupçonné. Je sais qu'il ne me reste qu'un seul chapitre et j'aurai presque des remords à le lire. <br />
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Merci Ery pour ce formidable moment de rêverie.
EryBlack
Posté le 09/08/2014
Non, tu as peut-être raison pour ce qui te brouille ; ces trois derniers chapitres ont été écrit à toute vitesse, et même si ça leur a permis d'avoir quelque chose de spontané que je trouve assez chouette, ils sont aussi plein d'imperfections et de confusions que j'aimerais bien corriger. D'où la réécriture, encore une fois ^^
Merci infiniment, woah, c'est vraiment trop gentil. 
Sierra
Posté le 19/12/2013
Me revoilà, comme promis :)
Maintenant que je suis sur ma lancée, je pense que je vais engloutir la fin dans le même mouvement ! C'est vraiment insoutenable cette tension qu'il y a à la fin de ce chapitre ! Le suspens est à son comble, et j'espère vraiment que tes personnages n'ont qu'une toute petite ressemblance avec Orphée et Eurydice, parce que je détesterai les voir disparaître >_< Bon, s'ils venaient à ne pas être réels, je l'accepterai parce qu'il le faut, mais au fond, j'ai très envie qu'ils se voient enfin ! C'est encore un très joli chapitre en tous cas, bravo :)
J'ai trouvé une toute petite faute d'inattention : "J’ai toujours au l’impression de faire face à tout,".
Bon allez, maintenant on respire, et on lit la toute fin ! 
EryBlack
Posté le 19/12/2013
Ton enthousiasme me fait trop plaisir -^^- J'aurais jamais eu le courage de finir cette histoire comme ça, avec des personnages qui n'existaient pas, j'aime beaucoup trop les happy ends pour ça ! Mais c'est quand même vachement prévisible, du coup... Ca me donne envie d'écrire une histoire qui a tout pour bien finir et qui finit terrrrriblement mal :D (Faut croire que les plumes sadiques ont de l'influence sur moi xD)
Merci pour la faute ! C'est corrigé ! :) 
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