Au milieu de la forêt cévenole se dressait le panneau « Brûmes-sur-Loir ». Enfin, je me disais, plus de forêt. Ça faisait sept heures qu'on roulait sur une route entourée d'arbres. Enfin, les premières maisons apparaissent, petites et colorées, comme un dégradé de teintes qui tranche avec la forêt. Nous passons devant la fontaine que j’avais vue sur Internet, avec sa sculpture de Calliope, l'une des huit muses de la mythologie grecque. Juste en face se trouvent la boulangerie et la librairie. Notre nouvelle maison est plus loin. J’essaie de mémoriser le chemin, mais tout est vert, avec des arbres de variétés différentes, à perte de vue, sans aucun point de repère.
Mon père se gare devant la maison. Une grande bâtisse en pierre, à deux étages, avec des volets colorés qui se fondent dans l’architecture du village. Le jardin s’étend derrière, collé à la forêt, comme un prolongement naturel du paysage. Je me fais un effort pour ne pas paraître trop perdue, mais, trop impatiente de sortir, je me prends les pieds dans la ceinture et tombe par terre. Résultat : je me retrouve avec la joue contre le sol humide, les jambes encore coincées dans la voiture. Bien joué, Ariana ! Je me relève vite et me tourne sur moi-même pour voir si quelqu’un a remarqué. Rien. Ouf, RAS. Il pleut légèrement, le bruit des gouttes tombantes me berce et l’odeur de la forêt humide m’enveloppe.
J’entends les pas de mon père se rapprocher :
— Tu verras, tu finiras par l’aimer, me dit-il en me donnant un coup de coude. Il affiche un sourire malicieux, comme s’il savait déjà que je finirais par craquer. est bien plus grand que moi avec des petits yeux souriant et c’est de lui que je tiens mes cheveux châtains et ondulés.
— Ouais, c'est pas mal… mais je suis pas encore convaincue. Je lui adresse un sourire un peu forcé, histoire de ne pas lui donner raison.
— Je suis sûre que tu la trouves super, me taquine-t-il en me donnant un léger coup de coude. Ça me fait sourire malgré moi.
— Bon, d’accord, je veux bien aller voir la forêt. Mais c’est vraiment pour toi, hein !" Je roule des yeux, même si un petit sourire m’échappe malgré moi.
Je ne veux pas lui dire que je voudrais rentrer à la maison mais je me rends compte qu’elle est devant moi notre ‘’ nouvelle maison’’.
Il lève les yeux au ciel avant d’aller aider à décharger. Je suis triste d’avoir quitté mon ancienne vie, mais mon père n’avait pas le choix. Heureusement, je reste en contact avec mes anciens amis. Même si ici tout est… vert. Et je n’ai aucun repère. Mais bon, je l’aime bien ce village, avec les oiseaux qui malgré l’hiver chantent à tut tête et le léger brins de vents qui souffle dans mes cheveux. Et le bruit des feuilles qui craque sous mes pieds m’apaise.
J'entre dans notre habitation déjà meublée en traînant mes deux seules valises. Les chambres sont à l’étage, et en bas, se trouvent le salon et la cuisine. La maison sent l’humidité, une odeur persistante de bois ancien et de poussière. L’air est presque glacial, et chaque pas fait gémir le parquet, comme s’il protestait. Le chauffage grésille dans le coin, mais sa chaleur peine à réchauffer l'atmosphère glacée. Un frisson court le long de ma nuque.
Je viens de finir de monter tous mes cartons. Les escaliers en bois grincent sous mon poids et les marches sont raides, si bien que j’ai manqué de tomber plusieurs fois. Mais bon, au moins, rien n’est vert à l’intérieur ! La première chose que je déballe et arrange : ma bibliothèque. Avec tous et je me surprends à toucher doucement les pages, appréciant leur texture lisse. pour calmer ma tristesse. Je suis déjà un peu plus chez moi, avec ce repère dans cette pièce où il y a seulement : une armoire, un bureau et un lit. Je le sens avant même de le voir. Un regard lourd et insistant me perce l’âme, un peu comme une lame glacée. Je me retourne brusquement et, à travers la fenêtre, je croise le regard d’un garçon de mon âge. Il me fixe avec une telle froideur que ça me coupe le souffle. Je me touche les cheveux, nerveuse, mais je vois bien que tout va bien. Pourtant, il ne détourne pas le regard. Il soutient mon regard un instant, puis disparaît sans un mot. Pas le moindre signe de gêne. Pas le moins du monde gêner de m’observer en train de rangé ma bibliothèque comme si je l’offenser directement ! Génial ! Je tire violemment les rideaux, serrant les poings et les dents. Je bouillonne intérieurement. Non mais pour qui il se prend, celui-là ?! Je me re-penche vers ma bibliothèque énervé et continu de rangé les livres. En ruminant.
Puis je descends manger et prépare mes affaires pour le lendemain, collège. Mes parents se sont dit : « Ben tiens ! Pas assez de changement comme ça, demain tu vas dans ton nouveau collège. » sans que le voisin sorte de ma tête.
Le lendemain, je me réveille bizarrement. Je pense que c’est parce que je n’ai pas dormi dans mon lit. Je mets ma musique à fond dans mes oreilles en me préparant. Avant de partir, je me regarde une dernière fois : mes grands yeux marron clair, mes fossettes sur ma peau légèrement bronzée et mes cheveux ondulés de la même couleur que mes yeux.
Je lance un « au revoir » à mes parents et je prends une pomme qui traînait sur le comptoir, en sortant de mon nouveau chez-moi.
Hier, en arrivant, j’ai repéré le chemin. Comme c’est un petit village, tout se fait à pied, et tout dans la forêt ! Je ferme la porte derrière moi, ferme les yeux un instant et prends une grande bouffée d'air frais. Je traverse le jardin, et, comme il est tôt et que nous sommes fin novembre, l’air légèrement brumeux me fait frissonner. L’odeur de la forêt et des feuilles mortes se mélangent et m’accueillent doucement. Je marche sur le chemin, écoutant le chant des oiseaux du matin sifflant dans le vent frais, jusqu’au portillon, et je m’éloigne de la maison.
Perdue dans mes pensées, je ferme le portillon. En sortant je ne remarque pas tout de suite la silhouette devant moi, surtout avec la brume qui voile ma vision. Et bam ! Je me heurte à un large dos, un choc qui me fige un instant, réalisant que je viens de rentrer dans quelqu’un. Je m’écarte précipitamment et m’excuse aussitôt, craignant d’avoir gâché ma première rencontre sociale de la journée :
— Pardon, pardon, je… je ne t’avais pas vu, désolée !