Nouvelle rencontre

Le lendemain, levé à l’aube, il eut un instant de flottement avant de se rappeler où il se trouvait. Il fit sa toilette et descendit prendre son petit-déjeuner.

À l’heure prévue pour le discours, il était dehors. La réunion avait lieu en plein air, sur la place principale déjà noire de monde. Il se faufila jusqu’au rang réservé pour les journalistes et prit la dernière place assise libre.

– C’est un rang réservé, le rabroua sa voisine, une femme d’un certain âge mal coiffée.

– Je sais. Je suis là pour les Nouvelles lidennoises.

– Elles engagent des hommes, maintenant ? On aura tout vu !

Il ne répliqua pas. Une voix claire déclara dans son dos :

– Ne faites pas attention à elle. Elle est là pour le compte de la feuille de chou locale et veut se rendre intéressante.

Il se retourna. Une jeune femme aux cheveux noirs assise de l’autre côté lui accorda un sourire éclatant, au grand dam de la voisine.

– Oh, et vous êtes, puisque vous êtes si passionnante ? lui répliqua celle-ci, furieuse.

Elle secoua la tête d’un air amusé.

– Je viens rétablir l’équilibre des partis, lança-t-elle en roulant ses « r ». Nous étions certaines que les Nouvelles allaient se précipiter pour raconter les faits et gestes de leur championne, alors ma patronne m’a mise sur le coup. Vous n’auriez pas des histoires de toitures d’école à faire reboucher dont le financement est bloqué depuis des années parce que Madame estime que la cause n’est pas assez élevée ?

– Vous êtes odieuse, siffla l’autre.

Elle se tourna ostensiblement de l’autre côté, leur décernant de temps en temps des regards noirs.

– « Rétablir l’équilibre des partis ? » répéta Axel à voix basse. Quel parti représentez-vous, madame ?

– Mademoiselle, corrigea-t-elle mécaniquement. (Elle sourit à nouveau.) Oh, je ne suis qu’une messagère, vous savez.

– Ce sont souvent les mieux informées.

– Tandis que les nouvelles ne sont plus très fraîches, hein ?

– Je me dois de vous détromper sur ce point. Nous publierions les nouvelles avant qu’elles n’arrivent, si nous avions une bonne devineresse. En l’état, nos lectrices sont informées des quatre coins de l’empire… Ce dont les vôtres ne peuvent se vanter, mademoiselle.

Elle fit une moue.

– Vous êtes douées en recopiage, je vous l’accorde, mais jamais un son discordant ! Vous êtes un troupeau de brebis aux pieds de notre très chère Impératrice. Et pourtant, c’est vous qu’on envoie. (Elle le détailla un instant d’un œil critique.) Vous avez réussi à obtenir les faveurs de cette prude de Malaterre ?

– Je vous demande pardon ?

Leur voisine leur adressa un bref regard scandalisé. La foule eut un mouvement vers l’avant. L’oratrice venait de sortir de la mairie. Les applaudissements qui éclatèrent empêchèrent Axel de répliquer plus en détail.

– Simple proposition, fit-elle en haussant les épaules. Pas la peine de me regarder comme ça.

– Et après ça, c’est vous les progressistes ! siffla-t-il, alors que Mme de Manze montait sur l’estrade.

– Oh, n’en faites pas tout un cirque, répliqua-t-elle, mais elle avait l’air gênée. Tout le monde aurait eu la même idée.

Il n’eut pas le temps de répondre. Le silence se fit soudainement.

Ce discours-là ne changeait pas beaucoup du précédent. L’accent fut cette fois mis sur les travailleuses infatigables de la terre, qui composaient, pour ce qu’Axel pouvait en juger, la majorité du public. Les réactions se montraient franchement positives. Leur voisine était extatique. La messagère auto-proclamée ne dissimulait pas son agacement.

– Elle l’a déjà dit au moins trois fois ! souffla-t-elle au bout d’un moment.

– Chut ! répondit la journaliste locale.

Axel sourit. Lorsqu’à la fin du discours, la foule se répandit en exclamations, il applaudit chaleureusement.

– Mais enfin, vous vous rendez bien compte que c’est du vent ? protesta sa voisine.

– Je vous plains, lui répondit-il en se levant. Vous devez être totalement insensible à la poésie

Elle en resta stupéfaite.

– Dautrieux ! le salua M. de Manze en le voyant de loin.

– Vous m’excuserez, on m’appelle. Bonne journée.

Il rejoignit les de Manze sans un regard pour ses voisines. Monsieur l’interrogea sur son installation. Madame lui demanda comment il avait trouvé son discours avant de poursuivre sa discussion avec la mairesse. Il s’efforça de se montrer poli, mais s’éclipsa vite rédiger, puis télégraphier son article à la rédaction.
Quelle ne fut pas sa surprise de tomber sur sa collègue en sortant du bureau de poste.

– Je vous cherchais, déclara-t-elle sans ambage. Voulez-vous dîner avec moi ? Entre collègues…

– Ne pensiez-vous pas que j’avais obtenu le poste en couchant avec Madame ?

– Je suis désolée pour ça. Je n’ai pas assez réfléchi avant de parler. Ce repas, c’est une manière de m’excuser.

– Je ne connais même pas votre nom !

– Viviana Francanella, journaliste à la Messagère. Acceptez-vous ?

– Pas aujourd’hui, je dois rentrer.

– Comme vous voudrez, fit-elle sans parvenir à cacher sa déception. Bonne journée, Dautrieux.

– Au revoir, Francanella.

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