Visite en province

Le journal payait le voyage et toutes les dépenses sur place, « dans la limite du raisonnable », avait précisé Aurélie. Le raisonnable, pour elle, devait toucher au luxe : elle lui avait pris un siège en première classe. Axel, chargé d’un petit bagage, retrouva le jour dit Mme de Manze et son mari sur le quai. La femme de chambre était chargée d’un carton à chapeau et d’une petite mallette. Un porteur poussant le chariot des malles suivait.

– Vous voyagez léger, commenta M. de Manze.

– Nous ne partons que pour trois jours, se justifia Axel.

Ils montèrent dans le train. La femme de chambre installa sa maîtresse puis rejoignit son siège de deuxième classe. Le chef de gare siffla. Le train partit. Axel se rencogna dans son siège. Ils traversèrent des quartiers populaires et des banlieues ouvrières, ponctuées de jardins fleuris. Personne ne parla pendant un moment. M. de Manze lisait un journal ; sa femme paraissait plongée dans ses pensées.

– Vous a-t-on mis au courant du but de ce voyage ? Demanda-t-elle soudain.

– Oui. Vous allez voir vos électrices dans votre canton.

Elle approuva.

– Nous logerons dans notre maison de campagne. Je vous ai fait réserver une chambre à l’hôtel.

– Merci.

Elle ne dit plus rien. Il sortit un livre que sa sœur lui avait envoyé en remerciement de ses cadeaux et s’y plongea pour quelques heures.

Ils durent changer de train et quittèrent le confort de l’express pour les compartiments étriqués du réseau local. Ils n’eurent pas beaucoup de temps pour leur correspondance. Essoufflés par leur brève course, ils s’effondrèrent sur des banquettes au tissu passé.

– Parlez-moi de vous, proposa Mme de Manze alors que le train s’ébranlait.

– Je ne suis pas certain que ma vie soit digne d’intérêt, répondit Axel surpris.

– Tout est digne d’intérêt tant qu’on sait le raconter, répliqua-t-elle. Autant que je vous connaisse, si vous devez me suivre dans mes moindres mouvements.

Il débuta d’une voix mal assurée, mais les questions précises de son interlocutrice et son attention manifeste le dégelèrent et il se prit à raconter avec enthousiasme quelques épisodes marquants de son enfance. L’oratrice rit de bon cœur aux anecdotes. Son mari se mit de la partie et expliqua comment, dans son enfance, il s’entendait avec sa sœur pour voler des confitures dans le cellier. Sur ces mots, Violette sembla se souvenir qu’elle avait emporté un repas et déballa son pique-nique. Il y avait du fromage, du jambon, du pain et même de petites tomates rondes qu’Axel n’avait jamais goûté, arrosés de thé et de café. Ils déjeunèrent avec appétit. À la fenêtre défilaient des collines verdoyantes couvertes de vaches et de moutons, de grands arbres solitaires et des ruisseaux serpentants entre des haies. De temps en temps, de petits bois ou des fermes regroupées en village minuscule venaient rompre cette monotonie. Le mois de juin donnait naissance à des brassées de fleurs colorées et à de jeunes agneaux gambadant devant leur mère.

Ils arrivèrent dans une petite gare où ils furent les seuls à descendre. Un attelage les attendait. Les malles furent chargées efficacement. La bonne monta devant avec le cocher ; Axel eut droit encore une fois à voyager avec le couple de Manze. Il fut déposé devant l’hôtel où il devait loger. M. de Manze descendit avec lui.

– Mon épouse vous apprécie, lui dit-il devant la porte. Tâchez que cela continue.

Le portier vint leur ouvrir et Axel n’eut pas à répondre. Il n’aurait de toutes façons pas su quoi dire.

– Rendez-vous à dix heures place de la mairie. Passez une bonne soirée.

M. de Manze ressortit. Axel le vit remonter dans la voiture, qui s’éloigna sur la route dans un nuage de poussière. Le valet le fit monter derrière lui jusqu’à une petite chambre bien tenue. Il lui donna les consignes concernant le repas puis le laissa.

Enfin seul, Axel s’assit sur le lit. La pièce n’était pas très grande. On y trouvait, outre le lit, une petite table portant du papier à lettres à en-tête et du matériel d’écriture et une coiffeuse surmontée d’un miroir. La fenêtre, encadrée de fins voilages verts, donnait sur une arrière-cour où séchait du linge. Les murs étaient simplement blanchis à la chaux. Une petite aquarelle encadrée représentant un paysage quelconque servait à apporter de la couleur.

Il se reprit. Il s’installa à la table et raconta son voyage pour sa sœur. Un peu avant le repas, il descendit au salon. Il n’y avait que deux amies faisant une randonnée à cheval qui devisaient dans une langue étrangère et ne s’intéressèrent pas à lui. Les journaux les plus récents étaient disposés sur une petite table. Délaissant les Nouvelles lidennoises qu’il n’avait déjà que trop lues, il choisit la Messagère du peuple. Parcourant rapidement les annonces diverses, un nom le fit s’arrêter.

« Les familles Langlois et Delange annoncent avec joie le mariage de Mlle Madeleine Langlois avec Meau Jules Delange. La cérémonie aura lieu le 12 juin par un sacrifice donné par Mme Langlois au temple de Junon. »

Elle n’avait pas perdu son temps, jugea Axel. Il la rejetait début mars et elle se mariait trois mois plus tard. Il se demanda si une carte de félicitations serait bienvenue.

Il repoussa la question à plus tard après avoir entendu la cloche signalant le dîner.

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