Nouvelle surprise

Par Sylvain
Notes de l’auteur : N'hésitez pas à jeter un coup d'œil à la carte:
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Cinq ans plus tôt,

 

Toujours perdue sur son plateau venteux, Hélane cherchait l’accès qui lui permettrait de descendre rejoindre les instructeurs. Elle avait hâte de profiter de la tête de merlan qu’afficherait le lieutenant Erwig lorsqu’elle lui remettrait cérémonieusement la dague en main. La perspective de lui faire ravaler sa morgue lui mettait du baume au cœur et lui faisait presque oublier les élancements qui parcouraient son corps. Cet enfoiré de Nik n’y était pas allé de main morte, et elle devrait se contenter de sa pogne gauche pendant un certain temps. Ses doigts étaient violacés, l’annulaire avait tout simplement doublé de volume et son index ne répondait plus. Mais sa plus grosse inquiétude se portait sur le bout de son majeur qui avait adopté une coloration brune. Un simple effleurement provoquait un violent pic de douleur, et elle craignait la nécrose. J’aurais le temps d’y réfléchir plus tard, l’essentiel pour l’instant est de redescendre.

 Malgré tout, elle s’estimait chanceuse, elle avait une lame, et au détour d’un fourré, elle avait débusqué une bête grassouillette à l’air fort sympathique. Jenon avait manifesté une joie sincère à la vue de la jeune fille. Le pauvre arborait toujours un bel hématome au menton, et elle se demandait même si sa mâchoire n’était pas fissurée. Le pauvre garçon s’était caché depuis des heures, et n’avait pratiquement pas bougé tant il était paniqué à l’idée de faire une mauvaise rencontre. Et comble de l’ironie, il arborait fièrement une dague. L’insolent avait dégoté la lame à deux pas de son lieu de réveil. Hélane se demandait encore ce que son ami faisait dans cette galère, il était évident qu’il ne serait jamais guerrier, et que le goulet ne resterait pour lui qu’une notion abstraite. Néanmoins, même s’il ne serait pas d’un grand secours en cas de coup dur, elle devait bien avouer que sa présence la réconfortait. Le seul défaut du rondouillard était son flot de paroles impressionnant. Plus il était angoissé, plus il déblatérait. Autant dire qu’au moment actuel, il avait la parole abondante.

— Je suis heureux de t’avoir trouvé Hélane, tu imagines si j’étais tombé sur Feref ou Eranne ? J’en frissonne rien que d’y penser. Ou sur Bordur ? Ce géant au vocabulaire monosyllabique ?

— Moi aussi je suis content de t’avoir retrouvé Jenon, mais baisse d’un ton par pitié, je ne voudrais pas qu’on se fasse repérer.

— Oh oui, bien vu, tu as raison, acquiesça son compagnon en prenant des airs de conspirateur. Tu as une idée du chemin à prendre ?

— Lorsque je me suis rapproché du bord précipice, il m’a semblé apercevoir un accès à l’autre bout de la couronne, on ne doit plus être loin maintenant.

— Toi et moi, intégrés au Korom, tu aurais imaginé une chose pareille ? La tête qu’ils vont tous tirer quand il nous verrons débarquer avec nos dagues !

Hélane sourit en imaginant la scène, il était vrai  que personne dans tout Kler Betöm n’aurait misé une pièce sur leur réussite. Ils arrivèrent enfin proche du passage. Jenon fanfaronnait toujours.

— Ca va être grandiose ! Ils vont…

Hélane plaqua la main sur la bouche du gros garçon.

— Chut ! Regarde.

Posté à l’abri d’un bosquet, Feref était aux aguets. Plutôt que de se rabaisser à chercher une arme, la crapule attendait patiemment qu’une pauvre victime déboule pour la dépouiller, et en profiterait probablement la passer à tabac au passage. Jenon ouvrit de grands yeux affolés.

— Oh merde ! Feref… heureusement que tu l’as vu… merde merde merde, on fait quoi maintenant ?

— On va attendre, patiemment, et lorsqu’il aura eu ce qu’il voulait, il s’en ira et on passera.

— On va rester là à le regarder ? demanda le garçon d’une voix méfiante, pas enchanté à l’idée de traîner dans le coin.

— Non, trop dangereux. On va essayer de trouver un point d’observation plus éloigné.

Ils étaient revenus sur leurs pas et avaient entrepris d’escalader une butte avoisinante.

— Qu’est ce que c’est que cette odeur ? maugréa Hélane en plissant le nez.

— J’n’en sais rien, mais ça empeste !

Les deux compagnons avancèrent prudemment de la source de l’émanation fétide. Ils débouchèrent sur une petite clairière, au centre de laquelle se vautrait une masse sanguinolente.

— Qu’est ce que c’est que ce bordel ? jura la jeune fille en se plaquant la main sur le nez.

 L’exhalaison était à présent insupportable. De grosses mouches virevoltaient de façon désordonnée autour d’un corps.

— Nom de… mais c’est quoi cette cochonnerie ?

La dépouille d’un homme, rabattue sur le flanc, les fixait d’un regard mort. Ses vêtements trainaient dans un coin, et le pauvre gisait, nu, dans une position obscène. Son buste n’était plus qu’un amas de chairs ensanglantées, et des lambeaux de peau formaient un tas à côté. Il avait été dépecé comme une bête. Ses lèvres avaient été découpées, et son visage s’était figé en un rictus atroce, mettant à nu ses gencives. Hélane eut un haut-le-cœur violent, qu’elle ne réprima qu’au prix de terribles efforts.

— Putain mais… Il a été torturé !

Hélane hocha la tête, choquée. Quelqu’un ne s’était pas contenté de tuer le pauvre garçon, il s’était acharné sur lui. Après ou avant sa mort. La jeune fille souhaita de tout son cœur que les sévices aient été post-mortem, mais elle en doutait fortement. Elle chassa d’une main les mouches agglutinées sur le visage du moribond –geste absolument inutile, les insectes revenaient instantanément sur ce repas inopiné en ignorant l’importun qui les dérangeait– afin de découvrir son identité.

— Liam, lâcha-t-elle d’une voix blanche. C’est Liam…

Jenon commençait à paniquer.

— Bordel Hélane, on ne peut rester là ! Faut qu’on redescende !

— Impossible, Feref nous tombera dessus dès qu’on pointera le bout du nez.

— Mais on s’en fout de Feref, on s’en branle ! Eranne traîne dans le coin, et je n’ai pas envie qu’il me tombe dessus !

— Eranne ?

Jenon regarda sa compagne comme si elle était attardée.

— Mais oui, Eranne ! Bon sang Hélane, qui est suffisamment déséquilibré pour faire une chose pareil selon toi ? 

— Tu as raison… c’est forcément lui. Mais on ne peut quand même pas redescendre maintenant. Pas avant que Feref n’ait trouvé sa lame.

— Qu’est ce qui ne tourne pas rond chez toi ! Tu n’as pas l’air de saisir l’ampleur de la situation. On va se faire découper si on reste là ! On va nous retrouver en morceaux ! Un psychopathe rôde dans les parages, et on doit se barrer !

Hélane avisa son ami. C’était bien la première fois qu’il haussait le ton avec elle. La peur pouvait transformer les gens, et Jenon était tout simplement terrifié.

— Jenon, commença-t-elle doucement. Vas-y.

— Hein ?

— Vas-y, descend, je comprends et ne te retiens pas. Moi, je ne peux pas y retourner sans cette lame. Je suis allée trop loin pour abandonner maintenant.

— Hélane, non, tu viens avec moi.

Le jeune homme lui adressait à présent des œillades suppliantes et désespérées. Elle lui prit la main.

— Non, je reste. Je préfère encore tenter ma chance avec Eranne que de subir le déshonneur d’échouer. Je n’ai pas d’avenir à Kler Betöm, personne ne voudra de moi à présent. Je n’ai plus beaucoup d’option. J’en ai trop fait, je me suis opposée au Bras d’Eryon lui-même devant ses hommes, j’ai éconduit son fils. On ne me laissera pas vivre convenablement, je finirai dans les bas-fonds de la cité à me faire tabasser par des maquereaux. C’est trop tard pour moi, mais pour toi… tu peux encore partir, tu reprendras l’affaire de ton père. Il n’y a rien de déshonorant à être chalcier.

Jenon la regarda, une lueur triste au fond de l’œil.

— Hélane… on peut encore affronter Feref ensemble. A deux, on arrivera probablement à bout de cette brute.

La fille de porteur eut un sourire amer.

— Pas dans mon état. Il faut se rendre à l’évidence, on ne serait même pas capable de mater un hongre actuellement. Non, laisse moi-là, et vas-y.

Jenon prit une profonde inspiration.

— Non.

— Pardon ?

— Non. Je reste, tu es mon amie, je t’aiderai, je ne t’abandonne pas ici seule. En plus, il commence à faire nuit, rajouta-t-il en jetant un œil à l’obscurité tombante.

Hélane esquissa un sourire. Courageux, mais pas téméraire. N’empêche que les paroles de son acolyte lui firent chaud au cœur. Elle n’avait pas franchement l’envie de passer la nuit seule dans ce désert, et la présence de Jenon lui procurait un faux sentiment de sécurité.

La nuitée fût longue pour les deux compères, sursautant au moindre bruit, maudissant les quelques bestioles nocturnes qui paradaient à proximité et s’effrayant du sifflement du vent dans les branches. Ils accueillirent l’aube avec soulagement. Leurs traits étaient tirés, et le manque d’eau et de nourriture commençait à être un problème. C’est le ventre vide et l’humeur maussade qu’ils se dirigèrent vers le précipice dans l’espoir d’y apercevoir Feref avec les lieutenants. Malheureusement pour eux, le scénario différait légèrement de celui escompté. Un troisième individu tenait effectivement compagnie à Erwig et Neher, mais ce n’était pas Feref. Impossible de se méprendre sur la haute stature au corps façonné à la hache, épais comme un tronc. Bordur était reconnaissable entre mille.

— On a un souci là Hélane…

— Oui, comme tu dis. Les deux dagues restantes sont en notre possession, ce qui signifie que Feref ne quittera plus son nid. Il va falloir y retourner.

— Je te suis, on va y arriver, affirma Jenon sur un ton qui se voulait rassurant, mais dans lequel tout indiquait une profonde angoisse.

Ils refirent le trajet de la veille en sens inverse, et s’approchèrent prudemment pour ne pas alarmer le butor. Hélane risqua un œil et découvrit un Feref en ébullition. Il exhibait une coupure nette de l’oreille à la lèvre inférieure, et trainait la jambe. Il paraissait dans une rage folle. Ses gestes étaient brusques, il s’évertuait à tailler des branches en pointes à l’aide d’un coutelas sortant de Jaénir-sait-où, et ponctuait son activité de grognements de colère.

— Aïe, commenta Jenon. Il n’est pas content, il a dû se prendre une nouvelle déculottée par Bordur.

- Oui, non pas que la chose me déplaise, j’aurais même beaucoup apprécié assister à la chose, mais il faut bien reconnaitre que ça ne nous arrange guère. Et nom d’un chien, mais d’où est-ce qu’il sort ce couteau ?

— Bon, on fait quoi alors ?

— On ne peut pas foncer tête baissée, on va se préparer, essayer de trouver de quoi se défendre.

— Et si on croise les autres ?

— On avisera, Liam mort, Bordur en bas et Feref ici, il ne reste que Nik, que j’ai quand même bien amoché, son frangin Vack, et Eranne.

Jenon acquiesça gravement.

— En route.

Ils crapahutèrent une bonne heure lorsque Jenon se stoppa net.

— Heu Hélane ?

— Oui ?

— Je pense que le problème Nik ne se posera pas finalement, déclara-t-il placidement.

— Comment ?

Un nouveau cadavre se tenait devant eux, et il avait salement morflé.

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Sebours
Posté le 13/04/2022
J'aime bien ces chapitres cours et dynamiques. Ils collent parfaitement à l'ambiance d'urgence que tu racontes.
Attention, lorsqu'on a une nécrose, on n'a plus de sensation car le segment est mort, il me semble! Et toi tu dis l'inverse.

Eranne a aussi un couteau pour commettre ses meurtres? Sinon comment le corps de Liam serait-il dépecé?
Sylvain
Posté le 13/04/2022
Je ne suis pas un pro sur les nécroses, je vais me documenter, histoire de ne pas mettre n'importe quoi. Merci!
En ce qui concerne Liam, la suite au prochain chapitre^^
Edouard PArle
Posté le 09/04/2022
Coucou !
Eh ben, ça prend une tournure assez surprenante ce flashback, je voyais les personnages qui s'en prenaient à Hélane comme des tourmenteurs mais pas des meurtriers... Peut-être qu'il y a un ennemi supplémentaire mais à ce stade, ses motivations me paraissent bien obscures.
Je ne me souviens d'avoir vu de Jenon dans le présent donc j'ai un peu peur pour le sort de l'ami d'Hélane...
Mes remarques :
"Ce géant au vocabulaire monosyllabique ?" à l'oral, ça passe moyen pour moi "j’aurais même beaucoup apprécié assister à la chose," -> y assister (répétition chose)
Trop de suspense, obligé d'enchaîner avec le chapitre suivant^^
Je poursuis...
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