Nouvelles instructions

Nouvelles instructions

 

Un autre message apparut. Je fus surpris même si c’était prévisible, l’espace d’un temps, l’oubli m’avait fait paraître la chose improbable malgré toutes les manifestations de sa réalité. Je pensais que tout s’arrêterait à cette étape et que je n’aurais plus aucune nouvelle, le spectre s’étant désintéressé de moi. Par je ne sais quel miracle, un papier cette fois-ci inconnu fut posé sur la table de mon salon. Il ne présentait aucun trait distinctif particulier. C’était du simple papier comme on en trouvait partout, sans artifice, sans ornement. Il était ancien, mais neuf, comme s’il venait d’être sorti d’un emballage après des décennies de stockage dans un vieux grenier poussiéreux. Il était impossible de déterminer sa provenance. Il n’avait pas transité par une forêt, une scierie et une papeterie pour venir à ma rencontre. L’écriture étrangement belle y figurait toujours. Elle était empreinte d’une certaine bienveillance et d’une joie non dissimulée qui, je l’appris ensuite, était purement feinte et trahissait une grande impatience. En voici le contenu :

« Tu m’as fidèlement servi et accompli la première étape avec succès. Je te félicite pour ta confiance et suis favorablement surprise par le déroulement des événements qui annoncent une progression sous les meilleurs hospices. Je compte sur ton dévouement pour la suite. J’ai une nouvelle exigence à te soumettre, elle te semblera étrange encore une fois, mais agis avec foi et de nouvelles portes te seront ouvertes. Nous pouvons nous entendre, j’en ai la certitude. Je serais ravie de te rencontrer, quand il me le sera possible ».

La suite du message évoquait les instructions suivantes. Je n’avais point été félicité comme cela depuis le secondaire. Visiblement, la chose qui se prétendait femme s’était adoucie et aucune menace, même implicite, ne transparaissait. Je n’en fus pas rassuré pour autant, bien au contraire. Elle ? C’était une femme ? Ou bien pensait-elle l’être ? L’avait-elle été ? Elle désirait me voir. Cela voulait-il dire qu’elle ne le pouvait pas encore ? Ou parlait-elle de se rencontrer physiquement ? Dans quelle mesure s’étendait sa surveillance ? S’il y a bien une chose que je redoutais, c’était de rencontrer ce qui avait écrit, voir ce qui dégageait cette présence malsaine. Je frémissais à l’idée de découvrir la forme de son visage, si elle en avait un. Quel regard me porterait-elle ? Quelle serait la couleur de ses yeux ? Je les imaginais bleus et profonds, comme la couleur du lac au milieu des bois reflétant le ciel azur. Un regard carnassier, empli d’un mélange de haine, d’envie et d’intelligence.

Les nouvelles instructions permettraient-elles de la faire apparaître ? De lui donner une consistance, de la matérialiser ? Serait-elle élégante, douce et jolie comme son écriture ou effroyable, directive et implacable comme le choix de ses mots ? Elle pouvait également être une chose glougloutante, putride et en décomposition. Un cadavre fraîchement sorti du tombeau, assez longtemps pour que l’épouvante soit à son apogée et assez récemment pour conserver des lambeaux de chair précairement attachés à ses os couleur ivoire.

Après que quelque temps se soit écoulé, je retrouvais mes esprits faisant fi de toutes ces interrogations inquiétantes. Rien de bon n’en ressortirait, si je bloquais mes pensées en inutiles suppositions qui seraient toutes très éloignées de la réalité.

 

Il était temps de s’intéresser aux nouvelles instructions elles-mêmes. Il n’était plus question de se procurer des livres, des connaissances ou des matériaux, mais de rencontrer diverses personnes. J’en avais toute une liste. Les noms, les adresses et l’ordre dans lequel je devais les visiter étaient soigneusement inscrits. Ces personnes habitaient pour la plupart le pays, mais certaines visites devaient m’envoyer à l’étranger dans des contrées reculées loin des sentiers touristiques. Par souci de discrétion, je ne donnerai aucune information permettant de retrouver ces contacts et les lieux que j’ai visités. J’essaierai de ne pas trop en dire afin qu’un esprit affûté ne fasse par ses déductions des rapprochements malencontreux. Aucune indication temporelle ne figurera non plus. Je disposais de bien assez de temps pour réaliser toutes ces entrevues. Je m’imaginais être étroitement surveillé alors je programmai sans tarder mon premier déplacement. La première personne se trouvait non loin de moi, ce qui était déconcertant. N’ayant pas de moyens pour voyager, je m’interrogeais pour la suite. N’ayant pas les moyens de voyager, celle-ci m’était accessible. Existait-elle vraiment ? Je fus persuadé que oui. Jusqu’à présent, tous les récits extraordinaires se sont révélés vrais. Saurait-elle la raison de ma visite ? Me connaîtrait-elle et ce qui m’envoie ? S’attendrait-elle à ma visite ? Comme vous pouvez le constater, mon esprit ne trouvait aucun repos et divaguait dans des séries de questions inutiles sans réponse, essayant d’anticiper des explications, d’échafauder des plans. J’ai toujours eu besoin de savoir, de comprendre, de connaître, de ne pas être pris au dépourvu, d’avoir réponse à tout. J’eus droit à bien des plus de questions que de réponses et je me torturai chaque jour en quête d’avancée. Je ne partis pas de suite et, lorsque la peur de répercussions fut la plus forte, je pris la route.

 

Ce n’était pas bien loin, à peine une heure de route. Avec toutes les appréhensions du monde, je me tins sur le seuil de la porte de l’étranger. Essayant de trouver un semblant de réconfort, je me dis que mes capacités nouvelles me permettraient au moins de fuir ou de détecter tout danger potentiel.

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