Nouvelles capacités
Je me réveillai le lendemain matin dans mon lit sans aucun souvenir de m’y être placé. J’étais malgré les circonstances en bonne forme. Je me levai et remarquai avoir pris en masse musculaire ou bien était-ce une illusion. Une chose était sûre, je n’étais plus tout à fait le même, plus celui qui s’était évanoui la veille. J’avais plus de tonus et une incroyable vivacité. Je me sentais capable de tout. J’ignorai ce que j’avais pris, mais il était indéniable que c’était une drogue avec des effets dopants. Mon esprit fut également plus vif et affûté. Je fus pris d’une euphorie soudaine, je courus et sautai en tous sens, effectuant des passes avec mes bras et mes jambes. Je ne songeai pas une seconde au prix à payer pour arriver à de tels résultats et encore moins à la raison de ce don. Il était évident que c’était un cadeau de la part de l’entité satisfaite, consécutif de ma bonne conduite pour des raisons que j’ignorai encore. Je n’eus aucune nouvelle de sa part durant cette période. Je pensai avoir agi selon ses désirs. Il me restait un dernier élixir à créer. Les ordres m’avaient indiqué de le réaliser deux semaines après le premier. Je passai donc la semaine suivante à tester mes nouvelles capacités dans la plus grande insouciance.
J’étais non seulement devenu un sportif accompli sans avoir eu de nécessité de réaliser les fastidieux entraînements et exercices répétés avec une régularité monastique, mais, en plus de cela j’avais l’œil plus scrutateur. Je distinguais de loin comme de près, aucun détail ne m’échappait, mais, en plus, je le retenais sur une longue durée. Je percevais les émotions, les mouvements imperceptibles des badauds, leur gorge qui se resserre, leur pupille qui se rétracte, leur battement de cœur qui accélère et leur inspiration qui changeait de rythme. Je pouvais dans une foule déterminer par mes aptitudes et à leurs mouvements, leur odeur et leurs bruits ce que dissimulaient la plupart. Je devinais leur état de santé, leurs préoccupations, leur but. Couplé à une capacité de déduction, je visais quasiment toujours juste. Je trouvais les liens qui unissaient les gens, les amours, les inimitiés, une foule d’informations parvenaient sans cesse à mon cerveau qui ne demandait qu’à les traiter.
Mes sens suraiguisés me permettaient désormais d’obtenir nombre d’informations plus ou moins utiles. En véritable scientifique, je me mêlai à la foule afin de mettre à l’épreuve toutes ces nouvelles capacités. Il était formidable par le biais de sens développés à l’extrême et sans esprit profondément analytique de sonder des gens en les observant. Les consciences les plus brillantes dans cet exercice doivent donc posséder cet instinct, ce ressenti. J’appris par ces excursions quels étaient les menteurs, les couards, les tristes, les forts, les dangereux et ceux dissimulant leur nature et qui résistaient à mon examen. Après des milliers de contacts, je trouvai, une fois, une personne sans parfum, sans mouvement caractéristique, se déplaçant de façon saccadée et émettant des bruits étranges dissonants du concert de pas environnant, de tout ce qui fait la vie et l’âme humaine. C’était un fantôme apparu comme un trou dans l’eau déformant la surface lisse d’une mare suite au lancer d’une pierre, un silence dans la cacophonie, une tache noire dans la lumière. Il n’y avait que moi qui pouvais détecter ces différences. Je pris peur et fis de mon mieux pour ne pas être repéré, n’osant m’approcher de la chose qui se glissait parmi les hommes. Je craignais qu’elle soit dotée de capacité équivalente ou surpassant les miennes.
Les jours suivants, je me fis plus discret, estimant avoir vu suffisamment ce dont j’étais capable. Je m’étais habitué à ressentir le brouhaha émotionnel de la masse de chair informe. Je fus plus méfiant, craignant d’être découvert par des êtres qui m’étaient semblables. Ils existaient, j’en étais persuadé. Je contrôlais mes mouvements, mes attitudes pour sembler le plus conforme possible à ce que l’on pourrait appeler un humain. Après l’examen des foules, je voulus savoir ce que j’apprendrai en entretien privé avec une personne sélectionnée. Je trouvais des prétextes absurdes pour me retrouver en confrontation avec mon cobaye. Ce dont je me doutais se vérifia. Je pouvais par simple fonctionnement de mes sens tout connaître, tout deviner de mon interlocuteur aussi bien concernant ses habitudes, que sur ses craintes et dissimulations. À cela s’ajoutaient des questions toujours plus acérées pour obtenir des réactions lisibles. En quelques jours, je passai maître dans l’art de la question et de la manipulation. Je me suis contenté d’acquérir des informations sans aucune malveillance simplement pour perfectionner mes dons. Je n’eus aucune volonté de nuire. Je ne récoltai aussi aucune information intéressante, la ville était ennuyeuse, je fus rapidement lassé après avoir maîtrisé mes facultés. Sur la fin, côtoyer n’importe qui me donnait la dérangeante impression d’être un voyeur et de plonger au cœur de l’intimité à la moindre conversation. Je ne pouvais m’en empêcher et chaque contact me devint pénible. Je ne pouvais ni fermer les yeux, ni me boucher le nez et obturer mes oreilles. C’est pour cela que je me mis en quête de solitude.
Plus attentif à mes premiers amours, je me remis à observer la flore et la faune. Mes sens me permirent de devenir un pisteur plus fin que n’importe quel limier. Je retrouvai goût à la balade. Ainsi, lorsque les deux semaines furent écoulées, j’étais un homme changé positivement.et l’apparition des mots sur un bout de papier me paraissait être une lointaine bénédiction.
Mes nuits étaient ponctuées d’étranges songes, je peinais à trouver le sommeil. Je m’accommodais de la situation. Je dois confesser que, lorsque venait le crépuscule, je percevais de curieuses ombres, quelques mouvements furtifs au loin ou tout près. Je ne saurai dire, mais tout était voilé d’une ombre vaporeuse quand la nuit étendait ses bras d’obscurité sur la ville. Je croyais entendre des bruits étouffés, des frottements diffus tout proches, mais venus du lointain. Une partie de moi sut que j’étais le seul à pouvoir les entendre. Cela ne venait pas de mon imagination, mais pas non plus de ce monde. Ces étrangetés n’avaient d’influence que sur mon esprit tourmenté. Je conservai mon extrême vigilance même lorsque la chaleur matinale et la lumière repoussaient toutes ces désagréables sensations au loin dans l’est où la nuit s’enfuyait.